Je ne dirai pas que l’on accueille énormément de personnes qui sont dans la rue : c’est même plutôt l’inverse, on en accueille très peu. La place du Bachut, juste devant la bibliothèque, regroupe habituellement un certain nombre de personnes indigentes dont certaines squattent la place. Nous ne savons pas si tous sont des sans-abri, mais certains ont des bagages ou font la manche, ce qui est un indice. Ce sont ces personnes que l’on va retrouver dans la médiathèque. Ce sont plutôt des hommes seuls, mais on rencontre aussi des femmes et des familles. En observant cette fréquentation, je dirais que nous observons deux types de personnes.
Tout d’abord, celles qui viennent régulièrement, même quotidiennement. Ce sont des personnes que nous finissons par connaître. Ces personnes font un usage des documents. Elles ne sont pas là simplement pour utiliser les fauteuils et se reposer. Ce sont des personnes qui viennent regarder des films chez nous. Elles utilisent également les ordinateurs. On est l’un des seuls lieux qui propose un accès à des ordinateurs de manière libre et gratuite. Elles viennent aussi pour cela et pour recharger leurs téléphones. Parfois, elles nous demandent même de garder leur téléphone 30 minutes et elles retournent dehors. Nous avons des familles avec des groupes d’enfants qui viennent et qui utilisent la bibliothèque pendant que les parents sont dans la rue en train de mendier. Les enfants viennent en fratrie et passent énormément de temps devant les ordinateurs et les films. Ils arrivent à obtenir des cartes qui leur permettent d’emprunter des documents. Ils ne viennent jamais avec les parents. Ils sollicitent les bibliothécaires et se comportent comme les autres enfants de leur âge, parfois avec respect, parfois avec défiance.
La seconde catégorie de personnes est composée de personnes qui viennent irrégulièrement, qui sont souvent des personnes alcoolisées. Ces personnes viennent d’abord pour utiliser les toilettes. Je précise que, généralement, elles n’y font pas leur toilette car elles ne restent pas longtemps. Ce ne sont pas des personnes qui essaient d’obtenir des cartes de bibliothèques et d’emprunter des documents, ce sont ceux qu’on appelle des « séjourneurs ». Ces personnes sont souvent alcoolisées et viennent parfois dans la médiathèque avec leurs canettes de bière ou leurs bouteilles. Toute personne qui n’est pas alcoolisée ou qui ne transporte pas d’alcool peut entrer librement dans la bibliothèque. Il n’y a aucune forme de rejet d’une personne qui serait dans la rue et qui voudrait venir dans la bibliothèque. Toutefois, nous n’acceptons pas les personnes alcoolisées. Nous avons deux personnes au rez-de-chaussée de la bibliothèque qui sont des agents d’accueil et de sécurité. S’ils voient une personne entrer avec une boisson, ils demandent à la personne de ressortir, de même si la personne titube.
Je pense que nous avons également des personnes « invisibles », c’est-à-dire qui sont dans la rue, mais qui ne le portent pas sur eux. Nous les repérons, car souvent elles ont leurs affaires avec elles, comme par exemple des sacs ou des sacs à dos. Quand nous voyons que la personne semble transporter toutes ses affaires avec elle, c’est pour nous un indice sur le fait qu’elle est peut-être dans la rue. En outre, dans la salle informatique, nous avons énormément de personnes qui sont des habitués qui viennent quotidiennement. Nous n’avons pas fait d’enquête spécifique sur ces personnes et leurs usages. Il peut s’agir, par exemple, de personnes qui n’ont pas d’emploi.