Quels liens entre les questions de genre et les enjeux climatiques ?
Article
Les femmes se révèlent bien plus vertueuses, tant au niveau de leurs déplacements que de leur alimentation.
Interview de Margot Giacinti et Fanny Lelong
Cet entretien a été mené dans le cadre d’un état des lieux des revendications portées par les associations du territoire de la métropole lyonnaise, en lien avec les questions de genre, d’égalité femmes/hommes et des droits des LGBTQI+.
Cette série d’interviews, qui compile des points de vue parfois opposés, est disponible sur Millénaire 3 au sein de notre chantier Égalité Femmes/Hommes.
Margot Giacinti, co-présidente et Fanny Lelong, chargée de développement associatif du Planning familial du Rhône sont interrogées sur son action, ses positions et revendications. Mouvement féministe et d'éducation populaire, le Planning Familial, créé en 1961, travaille sur l'éducation à la sexualité, la contraception, l'avortement, la question des IST et du sida, l'égalité femmes-hommes et combat les violences et discriminations. Le Planning familial du Rhône est l’une des 69 associations départementales autonomes de la confédération nationale.
Salariés, adhérents, implantations, public accueilli, activités, que représente le Planning familial du Rhône ?
Fanny Lelong : Le Planning, c’est une équipe de 22 salariés (15 ETP), une centaine d’adhérents et d’adhérentes, une implantation à Villeurbanne, et une activité itinérante hors métropole, dans le territoire rural des Monts et coteaux du lyonnais. L’activité du Planning, c’est environ 22 000 contacts par an avec du public, toutes activités confondues, 6500 entretiens d’écoute et d’information, 4000 consultations médicales, surtout dans notre centre de Villeurbanne, et environ 250 séances collectives d’éducation à la vie affective et sexuelle, dans les collèges, lycées, et structures qui accueillent un public jeune, surtout sur le territoire de la métropole. Nous gérons un centre de documentation, et menons des activités militantes et de plaidoyer en lien avec des partenaires locaux. L’association, d’intérêt général, est largement financée par les pouvoirs publics, ce qui nous permet de mener toutes ces missions.
Quelles sont les valeurs structurantes de votre association ? Et sont-elles les mêmes dans tous les plannings en France ?
Margot Giacinti : Ce sont le féminisme, l’éducation populaire et la promotion de la santé, des valeurs clés qui se retrouvent aussi bien au niveau national, dans le cadre de notre confédération, qu’au niveau local. Chacune des 71 associations départementales est indépendante juridiquement, et largement autonome pour s’organiser et mener ses réflexions. Tous les quatre ans, des votes en congrès déterminent les grandes lignes que nous suivons.
Quelles sont les questions qui vous préoccupent, que l’on pourrait qualifier d’enjeux ?
Fanny Lelong : L’accès réel à l’IVG, l’accès réel à l’éducation à la vie affective et sexuelle pour toute personne, et la contraception (dont la contraception d’urgence) sont des sujets sur lesquels nous travaillons beaucoup. Sur chacun d’entre eux il y a des enjeux majeurs.
Pourquoi parler d’accès réel à l’IVG ? Est-ce compliqué d’y accéder ?
Fanny Lelong : Nous accompagnons énormément de personnes dans leur démarche d’IVG chaque année, et pratiquons des IVG médicamenteuses dans notre centre. Le travail de veille et de plaidoyer pour un accès réel de toutes les femmes à l’IVG nous occupe beaucoup. La veille locale sur l’accès réel à l’IVG nous permet de savoir quels sont les délais pour prendre un rendez-vous, si les droits d’accès à une IVG des personnes étrangères sont respectés, comment cela se passe en période de confinement pour les mineur-e-s, quels sont les médecins et sages-femmes qui pratiquent l’IVG médicamenteuse sur la métropole… Une fois établi le recueil des difficultés, nous travaillons avec les structures publiques locales (ARS, HCL, …) pour faire avancer ces sujets, concrètement. Lorsque les difficultés sont vraiment importantes, nous n’hésitons pas à nous mobiliser, comme cela a été le cas pour le maintien du Centre IVG (CIVG) de l’Hôtel-Dieu, il y a quelques années.
Avez-vous des inquiétudes sur ce sujet de l’accès à l’IVG ?
Fanny Lelong : Au titre de notre veille, nous sommes attentives aux difficultés possibles liées au manque de moyens et aux problèmes d’organisation dans les centres d’IVG. Il a été question il y a quelque temps de mutualiser des secrétariats entre plusieurs CIVG, alors que l’on sait qu’il est très important pour les femmes de pouvoir joindre rapidement un secrétariat, et de pouvoir être accompagnées par des personnels dédiés. Si mutualisation il y a, nous perdons le côté réactif et dédié des secrétariats, qui sont vraiment des points d’accès décisifs à ces droits.
Il y a aussi tout un travail à faire autour du tabou lié à l’IVG dans la société. Nous constatons dans nos accompagnements le poids de la culpabilité chez les femmes, et leur difficulté à se sentir légitimes à parler d’avortement. Face à ce tabou culturel, il reste un travail considérable à mener auprès des femmes de déculpabilisation, et pour faire changer le regard sur l’avortement. Faire avancer les mentalités passe par nos séances d’éducation à la sexualité, par les médias, par les mobilisations pour parler de ce sujet, le banaliser, le rendre quotidien, rappeler qu’une femme sur trois va être concernée dans sa vie…
Quels sont les enjeux autour de l’éducation à la vie affective et sexuelle ?
Margot Giacinti : Nous faisons le constat d’une sous-application de la loi, qui prévoit trois séances d’éducation à la vie affective et sexuelle par tranche d’âge et par an. Elle n’est absolument pas appliquée, hormis dans de rares établissements. C’est vraiment problématique parce qu’il y a là un travail indispensable à mener pour faire avancer l’égalité entre les filles et les garçons, et entre les personnes de toutes orientations sexuelles et de genre. Sur le terrain, dans les établissements scolaires, nous nous rendons compte du niveau de méconnaissance de sujets comme l’anatomie, la physiologie, la transmission des IST, le fonctionnement de la contraception, … Nous sommes face à des représentations très fortes, très sexistes, très transphobes, très homophobes qu’il faut venir travailler. Il y a un travail à faire de passage de connaissances, et pour ouvrir des espaces de discussion sur les sujets de la sexualité. Malgré la mobilisation de certains personnels de l’Éducation Nationale, nous sommes loin du compte, tant le besoin est énorme. Les établissements scolaires manquent de moyens pour mettre en place des actions continues et cohérentes entre elles. Leurs personnels ont bien d’autres séances à organiser, en plus de la gestion quotidienne.
Les collectivités territoriales peuvent-elles être un élément de la réponse ?
Margot Giacinti : Elles peuvent soutenir les associations sur l’éducation à la sexualité. Nous sommes soutenus par diverses collectivités pour mener à bien ces actions, et cela nous aide à en faire plus, à toucher plus de monde, à aller dans plus d’établissements.
Comment le Planning, qui est agréé comme centre de planification et d’éducation familiale (CPEF) s’inscrit-il dans la politique de planification familiale portée par la Métropole ? Quels besoins ressentez-vous ?
Fanny Lelong : La politique de planification et d’éducation familiale est en effet une politique publique portée et coordonnée par la direction PMI et modes de garde de la Métropole. Elle apporte des missions obligatoires (entretiens d’écoute, consultations médicales, séances collectives d’éducation à la sexualité), qui étaient auparavant portées par le Département. Ces missions sont pour partie déléguées à des associations (le Planning et trois autres) signataires d’une convention avec la Métropole pour mettre en œuvre la politique de CPEF, pour partie menées en interne, avec des CPEF portés par la Métropole, et enfin, également déléguées à des centres rattachés à des hôpitaux. C’est une politique que nous souhaitons vraiment voir renforcer. Les moyens qui y sont dédiés, localement, nous semblent insuffisants. Nous sommes surchargés de demandes, pour les entretiens d’écoute, les consultations médicales et les séances.
Au point de ne plus pouvoir répondre à toutes les demandes ?
Fanny Lelong : Oui, cela nous arrive. Durant l’année scolaire 2018-2019, nous avons refusé 14 demandes de séances collectives de la part d’établissements scolaires ou sociaux, pour un total de 47 séances. Pour les consultations médicales, le délai d’attente est de deux mois pour un rendez-vous, ce qui est trop long pour des consultations gynécologiques ou de suivis de contraception. Si la Métropole adoptait un plan global pour l’égalité femmes-hommes, on pourrait réfléchir à renforcer des politiques déjà existantes, comme la politique de planification familiale, plutôt que d’en créer de nouvelles, de faire du saupoudrage, ou d’aller chercher des nouvelles idées d’actions innovantes, alors que des choses formidables sont déjà sur le terrain, et ont surtout besoin d’être amplifiées. Le soutien des associations dans la durée, comme c’est le cas de la politique de planification (le Planning est soutenu dans son fonctionnement, via une convention) est l’idéal pour agir. Une politique qui multiplie les appels à projets, fait du soutien très ponctuel sur un an à des associations, aurait beaucoup moins de force et d’impact qu’une politique structurante, pérenne, qui soutient des structures dans la durée.
Margot Giacinti : La politique de planification familiale et d’éducation à la sexualité pourrait parfaitement s’intégrer à la politique métropolitaine d’égalité entre les hommes et les femmes, dans les volets de l’accès à la contraception, l’accès à l’avortement, et la promotion de l’égalité à travers les séances collectives d’éducation à la vie affective et sexuelle auprès du public jeune.
Auriez-vous d’autres messages à faire passer à la Métropole, des besoins ou revendications particulières ?
Fanny Lelong : La question des violences est une question sur laquelle les collectivités locales peuvent se positionner aussi en soutenant les associations, en faisant un travail autour de l’hébergement et du logement des femmes victimes de violences par exemple. Nous sommes impliqués dans le travail en cours sur la question des violences faites aux femmes dans le cade de la métropole avec le CIDFF.
Margot Giacinti : J’ajouterai aussi le besoin de penser l’accueil des personnes trans, qui font partie des publics en position structurelle de vulnérabilité.
Il existe à Lyon l’association Chrysalide, qui est un lieu de dialogue et d’information des personnes trans. Qu’apporterait en plus le Planning familial ?
Margot Giacinti : L’accueil des personnes trans au PF69 est un projet qui nous tient à cœur, sur lequel nous avons beaucoup travaillé, avec Chrysalide et avec des personnels médicaux du centre. La population trans fait remonter des besoins importants. Sur la métropole, il existe un tissu associatif et des demandes importantes sur ces questions-là. L’idée serait que progressivement les personnes trans deviennent un public comme un autre du Planning, qui est un lieu clé du territoire. Qu’il soit un lieu vers lequel les personnes trans ont envie de se tourner. Nous désirons davantage accueillir ce public aussi parce qu’il a des besoins spécifiques en termes de santé sexuelle, et leur donner accès à des professionnels de santé. Nous mettons en place une formation pour notre équipe médicale et notre équipe d’accueil pour cette année 2020, si les conditions sanitaires le permettent. Il faut sensibiliser les professionnels, revoir les formulaires de manière à sortir d’une binarité systématique, réfléchir de manière à supprimer toute violence symbolique qui empêcherait les personnes trans de franchir la porte du Planning… Pour accueillir ce public, en plus des publics que nous accueillons déjà, il nous faudrait avoir plus de moyens humains parce que c’est quand même un public nombreux.
Si le Planning n’était pas présent dans le paysage lyonnais, que se passerait-il ?
Fanny Lelong : Cela compliquerait très sérieusement l’accès des femmes à l’IVG, de nombreuses femmes ne pourraient avoir un premier lieu pour parler des situations de violences, leur suivi gynécologique en serait compliqué, parce que le Planning est l’un des seuls endroits où il est possible, pour les personnes en précarité, d’avoir un suivi gynécologique pris en charge. Les conséquences en termes de santé sexuelle des populations, notamment celle des populations les plus précaires, et des populations les plus jeunes seraient donc importantes.
Le Planning se mobilise sur bien des sujets. Comment décidez-vous de le faire ?
Fanny Lelong : Des sujets nous sont amenés par la pratique quotidienne de terrain et d’accompagnement des personnes, qui nous interpelle, nous pousse à les travailler et à porter des revendications. Typiquement c’est le cas de tous les sujets liés à la santé sexuelle. Il y a aussi l’actualité politique et les débats de société bien sûr, qui de l’extérieur vont nous interpeller. On se sent libre de se saisir de tout sujet qui rentre dans le champ féministe, ce qui est hyper large, puisque cela concerne tous les domaines de la vie. C’est la raison pour laquelle nous sommes présentes sur des sujets aussi variés que la réforme des retraites, l’accès à l’IVG, l’accès à l’éducation à la sexualité ou la lutte contre les féminicides.
Le Planning familial du Rhône est par exemple en pointe dans la mobilisation locale contre la réforme des retraites, pourquoi ?
Margot Giacinti : Tout ce qui concerne le droit des femmes, de disposer de leur vie et de leur corps nous concerne, y compris sur le volet économique. Le discours sur la réforme des retraites prétendait que les femmes en sont les grandes gagnantes, or plusieurs études d’économistes ont montré que ce n’est pas forcément le cas. Le Planning, dans sa dimension militante, par exemple avec Super féministes, essaye donc de comprendre et mobiliser sur les effets concrets de cette réforme sur les femmes.
Pourquoi avoir créé le groupe et le blog Super-féministes ?
Fanny Lelong : Le groupe et le blog Super-féministes ont été créés au moment où nous cherchions de nouveaux espaces à l’intérieur de l’association pour permettre un travail militant, un travail de débat, un travail d’écriture. Ce groupe produit des textes, des analyses, il organise des mobilisations dans la rue, et des mobilisations festives.
Quels sont vos lieux de décision, de réflexion et de débats en interne ?
Fanny Lelong : La recherche d’horizontalité fait partie de nos valeurs associatives. Elle se traduit dans nos instances, le conseil d’administration, l’équipe salariée, le collège départemental, et par des pratiques, comme le taux horaire commun à toute l’équipe salariée, hors équipe médicale. Le Collège départemental — qui réunit le conseil d’administration, les salariées et les adhérentes qui le souhaitent — est notre lieu de débat principal. C’est là que nous débattons les grands sujets venus de l’intérieur ou de l’extérieur, et que nous prenons nos positions associatives, par exemple sur la pénalisation des clients de la prostitution, ou l’assistance sexuelle pour les personnes en situation de handicap. Il peut s’agir des premières bases d’une réflexion de nos adhérentes sur un sujet (GPA, …). En amont de chacun des congrès du Planning Familial, la confédération nous demande de faire remonter nos positions sur les sujets du moment. Ensuite, à partir du débat en congrès, on aura la position du mouvement.
Quels moyens utilisez-vous pour porter vos revendications ?
Fanny Lelong : Quand des lois sont élaborées, pour l’ouverture de la PMA aux femmes lesbiennes et aux femmes célibataires par exemple, c’est le mouvement national qui se mobilise et porte les revendications au niveau national. Le Planning familial du Rhône peut adresser des courriers aux députés et aux sénateurs, organiser des rassemblements. Typiquement c’est ce que nous avons fait pour la loi sur la PMA. Chaque fois, nous discutons en interne pour choisir les modes d’action qui nous semblent les plus pertinents.
Vous arrive-t-il d’agir avec d’autres structures pour porter des messages ?
Margot Giacinti : Il existe depuis des années un collectif, qui s’est structuré pour devenir le collectif Droits de femmes. Cette initiative est notamment portée par le Planning. Il a organisé les deux marches du 23 novembre 2019 et du 8 mars 2020. Le collectif a aussi organisé plusieurs rassemblements en 2019 sur les féminicides, place de l’Hôtel de ville. On trouvait des membres du CIDFF, de FILACTIONS, de VIFFIL, de Metoo, des Collages contre les féminicides, des syndicats, etc.
Vous arrivez donc à mobiliser sur des causes communes ?
Fanny Lelong : Dans ce collectif et lors des dernières mobilisations sur Lyon, je trouve très intéressant que nous ayons réussi à rassembler sur des sujets communs, et à avoir des mobilisations de masse, comme nous n’en avions pas vu depuis des années sur les sujets féministes, en ayant à la fois des acteurs historiques et des mouvements récents. Quand on compare le nombre de participants à ces mobilisations avec celui d’il y a quelques années, l’écart est impressionnant, on est passé de quelques centaines à des milliers ! Cela reflète aussi l’attente massive de la population de changement sur le sujet des violences. Nous en sommes à un moment important sur ces questions féministes.
Doit-on penser que la lutte contre les violences sexuelles et sexiste est devenue un thème fédérateur dans le féminisme ?
Margot Giacinti : J’aurais tendance à pondérer. Aurore Koechlin qui a écrit « La Révolution féministe » parle de troisième et de quatrième vague du féminisme : la troisième vague serait sur les questions émergentes (questions trans, non binarité, …) et la quatrième se recentrerait sur deux thèmes principaux : le premier, effectivement, ce sont les violences, et le second est la question du travail : travail domestique, droit à un salaire, etc. Ces deux revendications reviennent dans différentes parties du monde, et aussi un petit peu en France, en tout cas pour la question du travail, alors que la question des violences est bien plus présente.
Selon les générations qui se mobilisent, voyez-vous des différences, en termes de centres d’intérêt et de modes d’action ?
Margot Giacinti : Le retour des questions des violences et du travail fait une belle jonction avec les générations qui ont vécues les années 70-80. On en revient à des débats qui étaient déjà ceux amorcés dans ces années-là. La question du travail domestique, un peu négligée, revient. Pendant le confinement, nous sommes en plein dans ces questions de partage et de charge mentale... J’ai l’impression d’une jonction qui permet de faire le lien entre des militantes âgées et des militantes plus jeunes. Lors de la dernière manifestation, au service d’ordre, j’ai vu les mots d’ordre portés par des militantes ayant participé aux premiers mouvements version MLF dans le Rhône, qui étaient aussi portés par des jeunes féministes. La jonction se fait sur des thématiques qui restent, parce que les formes de domination sont structurelles et se maintiennent.
Certaines questions clivent les associations féministes : la prostitution et de manière connexe l’accès à l’accompagnement sexuel pour les personnes handicapées, le voile islamique, la GPA. Comment vous positionnez-vous sur de tels sujets ?
Fanny Lelong : Ce sont effectivement trois points de clivage massifs. Sur la prostitution nous avons mené une réflexion il y a quelques années, et avons une position nationale sur laquelle nous nous retrouvons. Elle est partie de constats pragmatiques établis par les associations de terrain, comme Cabiria à Lyon. En tant qu’association de santé, nous considérons que les politiques de répression ne font qu’aggraver les conditions de vie des personnes précarisées et minorisées, dont font partie les personnes qui se prostituent. Nous nous basons sur ces constats de terrain. Le Planning lutte par conséquent contre la pénalisation des clients, et contre les violences faites aux personnes qui se prostituent. Au niveau national, le Planning a participé à la QPC menée par Médecins du monde sur la loi qui pénalise les clients. Sur ces questions-là, nous arrivons néanmoins à discuter entre associations, parce que nous sommes toutes d’accord pour constater la vulnérabilité des personnes qui se prostituent.
Êtes-vous favorables à l’accès à l’accompagnement sexuel, et plus largement à une vie affective et sexuelle pour les personnes handicapées ?
Fanny Lelong : Nous avons développé depuis quatre ans un programme d’action dans les établissements qui accueillent des personnes en situation de handicap, en termes de prévention, d’accueil, d’accompagnement, et de sensibilisation auprès des professionnels. La question de la sexualité est bien plus vaste que celle de l’assistance sexuelle, c’est celle de la liberté, dans ces établissements, de pouvoir accéder à une vie affective, à une intimité, et à de l’information. Bien des tabous et des représentations sont à lever sur ces sujets-là. C’est un de nos sujets importants de travaux.
Quelle est votre position sur la question du voile ?
Fanny Lelong : Nous nous positionnons en prenant en compte le contexte français, qui stigmatise largement les populations musulmanes. Nous luttons contre les violences qui peuvent leur être faites à ce titre. C’est une fois encore lié aussi à notre travail de terrain : le Planning est un lieu d’accueil inconditionnel. Et depuis plusieurs années, nous avons réfléchi à ce que veut dire la laïcité. Pour nous elle s’entend au sens de la loi de 1905 de la séparation de l’Église et de l’État et de la liberté de culte. Nous critiquons les lois récentes, qui, de notre point de vue, ont eu pour effet de stigmatiser les populations racisées. Nous avons été attaqués au niveau national, par une fausse enquête de Charlie Hebdo sur les soi-disant pratiques problématiques du Planning, notamment lors de nos séances collectives. Il s’agissait là de propos honteusement mensongers.
On assiste à des pressions normatives dans certains contextes pour que des femmes portent le voile, n’êtes-vous pas préoccupées par ce phénomène ?
Fanny Lelong : La pression normative à porter un voile est à dénoncer, parce que la liberté de choix des personnes est un de nos marqueurs. Mais la pression normative sur le corps des femmes, sur leur comportement, est présente sous des formes très variées partout dans la société. Et il est intéressant de remarquer quelle population on regarde quand on parle de pression normative. Fait-on la même analyse de pression normative sur d’autres tenues vestimentaires, d’autres comportements, sur le fait de mettre une jupe ou pas, d’avoir des poils ou pas, d’être grosse ou pas ? La pression se retrouve sur bien des questions : liberté des femmes de s’épiler, d’avorter ou pas, de prendre une contraception ou pas, notamment chez les jeunes filles mineures. Quelle marge de manœuvre ont-elles réellement ? Le poids normatif est très fort sur ce sujet de la contraception, y compris de la part du corps médical, ce qui peut être dû à de la méconnaissance parfois, ou à des normes ancrées de schémas contraceptifs (il faut entrer dans la contraception par le préservatif, puis la pilule, puis le stérilet une fois qu’on a eu des enfants).
Toutes les catégories de population viennent-elles au Planning familial ? On peut avoir l’impression que des associations en principe ouvertes à tous les publics accueillent des publics qui leurs sont propres.
Fanny Lelong : Nous touchons aussi bien des personnes de classes moyennes que de classes populaires, ou en grande précarité. Nous accueillons une population importante de personnes sans emploi, ou au chômage, ou étudiante en précarité. Mais à défaut de statistiques très précises sur les situations économiques des personnes accueillies, il nous est difficile d’avoir vraiment une vision d’ensemble.
Margot Giacinti : La manière dont la structure est perçue joue aussi énormément sur la manière dont une personne se sent légitime d’y aller. Le Planning est perçu comme un lieu d’accueil, et un lieu d’éducation populaire, il y a quelque chose qui permet aux gens de catégories sociales défavorisées d’arriver à pousser notre porte.
Vos missions concernent aussi les hommes. Se rendent-ils au Planning familial ?
Fanny Lelong : L’accueil est mixte, donc tout le monde peut venir au Planning. Mais environ 95 % des personnes qui consultent sont des femmes, ce qui s’explique : la charge contraceptive est encore très largement portée par les femmes, et l’IVG est plutôt une question qui concerne la population féminine, de même que celle des violences. En général, quand des hommes viennent au Planning, cela peut être soit pour accompagner leur compagne dans un couple hétérosexuel, soit pour venir chercher des préservatifs, soit pour s’informer sur les IST… Nous touchons un public beaucoup plus mixte dans nos séances collectives.
Ne faudrait-il pas aller davantage sur le préventif et l’éducatif, et toucher alors davantage les hommes, en particulier les jeunes hommes ?
Fanny Lelong : Il y a un enjeu à faire plus d’éducation à la sexualité, mais notre association ne peut faire plus avec ses moyens actuels. Et nous ne pouvons pas non plus réorienter les moyens dédiés à l’accueil, à l’écoute, aux consultations médicales, vers plus de préventif, parce que le besoin du côté de l’accompagnement est énorme.
Qu’est-ce qui « résiste » face à vous, avez-vous des « adversaires » ?
Fanny Lelong : J’aurais tendance à dire que nos adversaires principaux, nos adversaires sur le plan des idées, ce sont les personnes qui s’opposent à ce que les femmes puissent disposer de leur corps. Cela peut être assez variable en fonction des sujets. Bien évidemment je place dedans les gens opposés à la PMA, les gens opposés à l’avortement, les gens opposés aux choix des personnes pour la contraception, ou à la possibilité de faire de l’éducation à la sexualité à l’école. Les personnes qui manifestent contre l’avortement constituent les principaux adversaires du Planning familial sur le plan français, mais aussi d’autres Plannings familiaux à l’échelle européenne ou internationale. Nous sommes face à des mouvements conservateurs et d’extrême droite, à des mouvements qui participent à la Manif pour tous ou à des « marches pour la vie ».
Quelle est votre perception du mouvement masculiniste ?
Fanny Lelong : J’ai le sentiment d’une forte présence de ces mouvements. Au niveau national, beaucoup de contenus éditoriaux ont une teneur masculiniste. Les thèses masculinistes et antiféministes sont également très présentes dans les courants d’extrêmes droites locaux, contre lesquels nous nous mobilisons depuis longtemps, en lien avec les thématiques que l’on défend.
Margot Giacinti : Ils sont présents sur les réseaux sociaux, sur le net, où il y a du cyber-harcèlement. Valeurs actuelles, une revue qui augmente son tirage, titrait récemment : « comment les féministes sont devenues folles ». La possibilité d’avoir ce genre de titre est inquiétante. Le groupe Super-féministes fait souvent l’objet de commentaires masculinistes.
Quels sont les arguments masculinistes les plus fréquents ?
Fanny Lelong : Dès lors que le discours sur la crise de la masculinité apparaît, c’est vraiment un signal d’alarme. Il est question de crise de la masculinité dans une société féminisée, dans laquelle les femmes ont pris le pouvoir au détriment des hommes, ce qui provoque une souffrance masculine, une perte d’identité… Le politologue Francis Dupuy-Déri a décrypté ces discours. Le masculinisme produit aussi un discours sur « l’égalité qui est déjà là », gommant complètement le constat global de l’inégalité persistante.
Margot Giacinti : Le terme « féminicide », utilisé par le mouvement de collage contre les féminicides est très attaqué par les masculinistes [1]. Ce terme rend visible une forme de crime qui était invisibilisée. Aux yeux des masculinistes, le féminisme n’est pas une recherche d’égalité, il s’agit d’un mouvement qui gagne du terrain, un terrain enlevé aux hommes.
[1] [NB] Margot Giacinti est en cours de thèse de doctorat de science politique sur la question des féminicides. Lien vers sa thèse : http://triangle.ens-lyon.fr/spip.php?article7050 et http://theses.fr/s199317
Si les inégalités jouent structurellement contre les femmes, l’inverse peut exister dans dans certains contextes, où des hommes/des garçons sont désavantagés (décrochage scolaire, délinquance et emprisonnement, conduites à risque, suicides, etc.). Comment les féministes se saisissent de ces sujets ?
Margot Giacinti : Les féministes se saisissent de ces sujets en apportant un regard intégrant une lecture structurelle des inégalités de genre. Le poids des normes peut effectivement expliquer certaines choses, comme le décrochage scolaire. Cependant, de manière structurelle, les inégalités de genre continuent de défavoriser les femmes et les discours masculinistes tendent à masquer cette dimension-là. Nous sommes particulièrement vigilantes au fait de ne pas tomber dans une symétrisation des inégalités.
Le mouvement #Metoo a-t-il changé quelque chose à vos pratiques ?
Fanny Lelong : Nous observons dans les séances d’éducation à la sexualité que les violences sont un sujet que des jeunes abordent d’eux-mêmes, plus qu’avant. Certains d’entre eux vont nous parler de #Metoo, ou des collages féministes, parce qu’ils ont vu des affiches dans leur quartier. Cela engendre des questions, et c’est une porte d’entrée intéressante pour parler des violences.
Margot Giacinti : Cela a pu changer aussi l’ampleur de la dynamique féministe dans les mobilisations. Toute une génération de personnes a sans doute découvert le féminisme à partir de là.
Le confinement provoque-t-il des réflexions au Planning ?
Fanny Lelong : Nous avons l’impression d’une moindre sollicitation du public, par exemple sur l’accès à l’avortement. Nous reportons des consultations de suivi gynécologique, ce qui nous inquiète sur le risque, à la sortie du confinement, de surcharge de notre service de santé sexuelle, et plus encore peut-être, d’aggravation de certaines pathologies non suivies, ou de retard dans des diagnostics de grossesses qui pourraient amener des femmes à être hors délai à la fin du confinement, et à ne pas accéder à l’avortement en France. En plus il y a des difficultés à traverser les frontières pour les femmes qui sont déjà hors délai en France, et qui ont besoin par exemple d’aller avorter en Espagne. Cela fait des obstacles en plus, des parcours encore plus compliqués.
Margot Giacinti : Il y a aussi des questionnements concernant les femmes victimes de violences. Comment vont-elles faire pour passer des appels dans la situation de confinement, par exemple.
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