L'open data des communes sur le territoire grandlyonnais
Étude
Enquête exploratoire sur la première phase d'expérimentation d’accompagnement des communes de la Métropole de Lyon à l’ouverture des données publiques.
Interview de Marie-Amandine Vermillon et Martin Cahen
<< A l’avenir, la Métropole de Lyon devra sans doute choisir entre miser sur le Self Data pour contribuer à la mise en place de services pour l’usager ou envisager les données personnelles comme des outils d’émancipation >>.
Marie-Amandine Vermillon (psychologue sociale) et Martin Cahen (designer de services) sont respectivement chargée de médiation et d’expérimentation et chargé d’expérimentation au Tubà. Ce « tube à expérimentations urbaines » est un lieu d’innovation et d’expérimentation pour la ville de demain. Parmi ses nombreuses activités, le Tubà est engagé dans le projet MesInfos, né en 2012 de l’ambition de « faire en sorte que les individus puissent (re)trouver l’usage des données qui les concernent à leurs propres fins » (Fing). Il s’agit d’une démarche d’exploration du Self Data*.
En 2016 est lancé le pilote auquel la Métropole de Lyon participe. Son principe est simple : des organisations partenaires (MAIF, Orange, La Poste, Métropole de Lyon, etc.) s’engagent à restituer les données personnelles qu’elles détiennent sur leurs clients et usagers aux principaux intéressés. Ceux-ci les visualisent sur leurs clouds personnels « Cozy » et peuvent tester des services imaginés, sur la base de leurs données, par la communauté MesInfos.
Marie-Amandine Vermillon et Martin Cahen reviennent pour nous sur la participation du Tubà à l’expérimentation MesInfos et livrent leurs premières analyses.
(*) Le Self Data désigne la production, l’exploitation et le partage des données personnelles par les individus, sous leur contrôle et à leurs propres fins. L’expression a été proposée initialement par la Fing (Fondation Internet Nouvelle Génération, Think Tank de référence sur les usages numériques) et tend à se populariser.
Pouvez-vous m’expliquer le rôle du Tubà dans le cadre de l’expérimentation MesInfos ?
Le Tubà est partenaire de MesInfos depuis 2016, et animateur du projet sur le territoire de la Métropole. Il intervient à ce titre à plusieurs niveaux : la création des services utilisant les données personnelles, la médiation en direction du grand public et la mise en place de tests avec les citoyens-testeurs.
Tout d’abord, le Tubà anime la communauté des réutilisateurs de données, c’est-à-dire les personnes inventant des services reposant sur les données personnelles. En octobre 2016, le Tubà et la Fing ont lancé un cycle d’une dizaine d’ateliers de co-création de services innovants à partir des données personnelles et ont organisé le 1er hackathon MesInfos du 25 au 27 novembre 2016. Notre équipe a également entamé le développement, en partenariat avec la Métropole de Lyon, d’une application sur la maîtrise de l’énergie en prenant en compte les données de consommation de gaz, d’eau et d’électricité (juin-août 2017), permettant leur visualisation de façon ludique. Nous avons également sollicité diverses écoles et universités pour qu’elles inscrivent ce projet dans leur cursus et participent à l’émergence de services ou encore d’études utiles au projet : l’Ecole de design Condé a travaillé en 2016 sur la scénarisation de 4 services innovants ; le campus Ynov sur les services et objets connectés susceptibles d’être mis au point ; le master de psychologie sociale appliquée de l’Université Lyon 2 a réalisé une étude sur les représentations sociales des données personnelles et du Self Data d’utilisateurs novices, aguerris et experts de la plateforme Cozy…
Parallèlement, le Tubà a proposé divers ateliers et conférences ouverts à un public plus large : sur la restitution de données personnelles, les libertés fondamentales, les enjeux du RGPD, le projet MesInfos en collaboration avec l’ENS, etc. Notre équipe a participé également à la matinale du Self Data en septembre 2017 coorganisée par la Métropole de Lyon, la MAIF et la Fing qui a marqué le lancement concret des phases de test.
Pour ce volet, le Fing nous a sollicité pour mettre en place ces tests des services proposés dans le cadre du projet auprès des citoyens-testeurs au 1er semestre 2018.
Ces trois grands registres et ce projet nous tiennent à cœur : le Tubà considère qu’il est très important que les citoyens puissent récupérer leurs données personnelles et en faire ce qui a du sens pour eux.
Et qu’en est-il des services imaginés ?
MC. Le Tubà a lancé en octobre 2016 un cycle de co-création de services innovants permettant aux individus d’imaginer ce qu’il était possible de construire avec leurs données personnelles. Le principe était de réunir des participants de divers horizons sur des demi-journées : des associations, des entreprises, Open street map, la Scop la Péniche (Grenoble), etc., afin d’imaginer des services à partir des données susceptibles d’être restituées aux usagers dans la cadre du projet MesInfos.
Le 1er Hackathon MesInfos les 25, 26 et 27 novembre 2016 a réuni une quarantaine de participants (Epitech, Master de psychologie sociale appliquées, Ecole de Condé, etc.), répartis en 7 équipes. Les services imaginés n’ont pas pu être développés jusqu’au bout, faute de temps et en raison de la dissolution des équipes après cet événement. Une équipe reste toutefois mobilisée sur le projet MesInfos.
Ces différentes démarches ont montré une appétence forte des participants, qu’ils soient membre associatif, salarié, étudiant, habitant lambda, etc., pour le projet et pour imaginer des services.
MAV. Au-delà de ce qu’ils créent, ces mises en situation ont un grand intérêt pédagogique. Elles ont permis de sensibiliser des jeunes adultes des sciences humaines et sociales, du design, du numérique, des sciences de l’ingénieur, etc., aux enjeux du Self Data, des données personnelles, des services pour l’usager, de l’intérêt général...
MC. Ces nombreux temps de co-création ont permis aussi de lancer une dynamique autour du Self Data et de réunir une communauté de passionnés autour de MesInfos : des makers, des penseurs et des expérimentateurs.
Et qu’en est-il des services imaginés ?
MC. Le développement des services s’est heurté à plusieurs freins. On peut citer la complexité de la plateforme Cozy alors en cours de développement, ses différentes versions exigeant un re-développement des services. N’oublions pas qu’il s’agit à la fois d’une expérimentation et d’une première : c’est un vrai défi technique, économique et social pour l’entreprise Cozy.
Les services imaginés exigent des données qui n’ont pas encore été restituées ou qui n’ont pas pu l’être. Pour les partenaires, il n’est pas simple non plus de faire communiquer leurs bases de données et des clouds personnels, et cela, de manière ultra-sécurisée.
Il y aussi le fait aussi que les réutilisateurs ne peuvent pas toujours s’engager sur la durée (ex. poursuite d’étude ailleurs, autres centres d’intérêt…).
MAV. En raison de tout cela, les usages réels des services disponibles sont relativement restreints. En outre, les services imaginés ne répondent pas forcément aux attentes et besoins des usagers.
Qui sont ces citoyens-testeurs et comment avez-vous travaillé avec eux ?
MC. Le groupe des citoyens-testeurs compte 2000 personnes, dont 200 environ résidant sur le territoire métropolitain. Ils ont été recrutés par la MAIF parmi ses clients utilisant ses services numériques et intéressés par le Self Data, mais aussi par la Fing et le Tubà parmi les personnes fréquentant notre living lab ou encore via l’intranet de la Métropole de Lyon.
MAV. Notre approche est qualitative : nous travaillons en petits groupes et privilégions la diversité hommes/femmes, des tranches d’âge (de 25 à 74 ans), des catégories socio-professionnelles… Des ateliers participatifs sont organisés afin d’apprécier leur motivation à participer à MesInfos, à utiliser la plateforme Cozy et les services proposés et de recueillir le retour d’utilisation. Nous nous sommes attachés à comprendre comment ils testent une pratique numérique nouvelle (accéder à des informations qui les concernent) et si cela augmente potentiellement leur pouvoir d’agir.
Quels bénéfices à participer à MesInfos sont identifiés par les testeurs ? Quelles sont leurs réserves ?
MAV. Le bénéfice à court terme identifié par les testeurs est d’avoir un espace unique où prendre connaissance de l’ensemble des données que l’on détient sur eux. A plus long terme, les bénéfices perçus par les testeurs sont de pouvoir maîtriser leurs données, de faire évoluer leur relation avec les entreprises ou organisations…
Les réserves ou les craintes portent d’abord sur la sécurité. Même s’ils apprécient d’avoir leurs données regroupées sur une même plateforme, cette centralisation inquiète : « que se passe-t-il si on pénètre dans mon cloud ? ». Ils soulignent également le nombre encore limité de services proposés à l’heure actuelle et, pour certains, la complexité d’utilisation de la plateforme. Comme tout objet technique, l’appropriation de l’outil est très variable selon les personnes.
Il ressort aussi un intérêt pour la potentielle dimension collective : la possibilité de pouvoir se situer, de comparer ses propres données et celles d’autrui (ex. ma consommation énergétique vs celle d’un foyer composé des mêmes profils), voire même d’agir, de revendiquer telle ou telle option auprès d’une entreprise…
La Métropole de Lyon a rejoint l’expérimentation MesInfos en 2016, quel regard portez-vous sur le fait qu’une collectivité s’engage dans une telle démarche ?
MC. Cela crée un ancrage territorial en faisant de la Métropole de Lyon un tiers de confiance en matière de données personnelles. La prochaine saison de MesInfos portera d’ailleurs sur le Self Data territorial.
MAV. Il faut rappeler aussi que la Métropole de Lyon est pionnière dans le déploiement des compteurs communicants pour l’électricité, le gaz et l’eau : cette expérience était une base sur laquelle s’appuyer. A l’avenir, la Métropole de Lyon devra sans doute choisir entre miser sur le Self Data pour contribuer à la mise en place de services pour l’usager ou envisager les données personnelles comme des outils d’émancipation, des outils pour exercer leur citoyenneté… Les ambitions ne sont pas les mêmes.
A l’aune de votre expérience au sein de MesInfos, comment envisagez-vous le rôle d’une collectivité dans la réflexion menée autour du Self Data, du « partage de pouvoir de la donnée » ?
MAV. Il y a de grands besoins de médiation auprès du grand public autour des données personnelles, de leur partage et de leurs utilisations possibles. Beaucoup d’acteurs sont déjà présents dans le champ du numérique, tels que les EPN (espaces publics numériques), notamment dans le contexte de dématérialisation du service public, car tout le monde n’a pas la même capacité à utiliser de tels services. La Métropole développe aussi beaucoup de projets d’innovation pour accéder à des services dématérialisés (ex. Grand Lyon connect). Il faut continuer à imaginer des formats adéquats, en direction des plus jeunes comme des plus âgés, qui leur permettent de s’approprier les transformations à l’œuvre. Les données personnelles restent un sujet abstrait et difficile à saisir pour beaucoup. D’où l’intérêt de permettre de visualiser les données que les tiers détiennent sur nous, de les comprendre et d’envisager les usages qui nous semblent pertinents. Une collectivité, telle que la Métropole, peut (ré)affirmer son positionnement sur la médiation afin de favoriser cette prise de conscience, de garantir l’accès aux services publics, mais aussi de permettre aux citoyens de retrouver leur pouvoir d’agir, d’exercer leur citoyenneté… Il ne faut pas que la fracture sociale se creuse davantage autour du numérique.
Et vis-à-vis des acteurs économiques ?
MC. Les acteurs économiques qui collectent et/ou traitent des données personnelles doivent se conformer au RGPD. Ces derniers peuvent également anticiper de nouveaux usages, identifier de nouveaux modèles économiques. La Métropole de Lyon agit actuellement comme un tiers facilitateur. Sur les données personnelles, elle pourrait porter le projet et réunir davantage de partenaires économiques. Sans un soutien fort, les acteurs économiques ont du mal à se mobiliser.
MAV. Il est aussi important de traiter le sujet des données personnelles à des échelles territoriales plus vastes, à l’échelle nationale, européenne…, ne serait-ce que parce que des entreprises internationales utilisent les données personnelles des citoyens européens, comme l’affaire Facebook nous l’a rappelé récemment. D’autres acteurs publics doivent se mobiliser sur le sujet.
Vous soulignez les besoins de médiation, de nombreuses activités du Tubà poursuivent cet objectif. Percevez-vous des évolutions, par exemple une perception plus juste des enjeux liés aux données personnelles ou plus largement du numérique ?
MAV. Les mentalités évoluent en effet, mais les adolescents et jeunes adultes ne voient pas forcément comme un problème le fait que des tiers détiennent des informations sur eux, ils ont plutôt des usages numériques ludiques et relationnels. Beaucoup contribuent aussi délibérément à la collecte de données les concernant (ex. données de géolocalisation).
MC. Le documentaire « Nothing to hide » (2017) traduit bien cela, et aussi les conséquences possibles de cette logique : du contenu publicitaire ciblé aux possibles dérives de surveillance de masse.
MAV. A présent, il est important que ces enjeux soient connus du grand public.
MC. La technologie disparait peu à peu mais il faut être conscient de ce qu’elle cache.
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