L'open data des communes sur le territoire grandlyonnais
Étude
Enquête exploratoire sur la première phase d'expérimentation d’accompagnement des communes de la Métropole de Lyon à l’ouverture des données publiques.
Interview de Sarah Medjek
<< Le territoire métropolitain pourrait à terme constituer un vivier d’acteurs sur le domaine du Self Data >>.
Sarah Medjek est coordinatrice de la recherche de l’expérimentation MesInfos au sein de la Fing (Fondation Internet Nouvelle Génération, Think Tank de référence sur les usages numériques). Elle est également responsable de l’animation de cette même expérimentation. Le projet MesInfos est né en 2012 de l’ambition de « faire en sorte que les individus puissent (re)trouver l’usage des données qui les concernent à leurs propres fins » (Fing). Depuis, la Fing et ses partenaires ont exploré le Self Data* et identifié les opportunités et défis d’un tel projet. En 2016 est lancé le pilote auquel la Métropole de Lyon participe. Son principe est simple : des organisations partenaires (MAIF, Orange, La Poste, Métropole de Lyon, etc.) s’engagent à restituer les données personnelles qu’elles détiennent sur leurs clients et usagers aux principaux intéressés. Ceux-ci les visualisent sur leurs clouds personnels « Cozy » et peuvent tester des services imaginés, sur la base de leurs données, par la communauté MesInfos.
Sarah Medejk revient sur les objectifs et les principaux enseignements du pilote MesInfos, ainsi que sur le rôle d’une collectivité dans le Self Data.
(*) Le Self Data désigne la production, l’exploitation et le partage des données personnelles par les individus, sous leur contrôle et à leurs propres fins. L’expression a été proposée initialement par la Fing et tend à se populariser.
Quels sont les principaux objectifs du volet Recherche de l’expérimentation MesInfos ?
Le chantier recherche a été mis en place pour observer les comportements des testeurs face à leurs données personnelles, à la plateforme Cozy et aux services mis à leur disposition. C’est un chantier très important car les partenaires comptent dessus pour leur apporter des réponses à leurs questions : les testeurs sont-ils intéressés par leurs données ? Par les services ? Lesquels ? La restitution des données a-t-elle un impact sur la confiance accordée aux entreprises ou structures ? Etc.
Cette année, nous avons particulièrement investi la question du comportement d’adoption et d’appropriation de la plateforme Cozy et des services. D’autres dimensions sont également explorées, notamment à travers des questionnaires proposés aux testeurs : le niveau de préoccupation par rapport à l’utilisation de leurs données et leur perception des données personnelles. Par exemple, estiment-ils que les données soient leur propriété ? Ont-elles de la valeur pour eux ? Peuvent-elles leur apporter des choses ? Ont-ils confiance dans les entreprises dans leur gestion de leurs données personnelles, dans Cozy comme « fournisseur de services » ? Comment souhaitent-ils protéger et contrôler leurs données personnelles ? Il y a vraiment une large palette de questions. Certaines ont déjà été abordées en 2013-2014, mais nous souhaitons à présent plus concrètement apprécier comment les individus vont décider du sort du Self Data : utiliser ou non l’outil qu’on leur propose, l’adopter, voire se l’approprier.
La Métropole de Lyon a rejoint l’expérimentation en 2016, cela a-t-il modifié le volet Recherche ?
La Métropole de Lyon, comme tous les autres partenaires, est importante pour toutes les dimensions du pilote MesInfos, pas que pour le volet recherche. Aujourd’hui, nous observons que les individus ne sont pas forcément au fait de leurs données : ce ne sont pas les données qui les intéressent, mais bel et bien les services que l’on met à leur disposition. Et, plus on a une grande diversité de données, plus les services proposés seront intéressants car ils reposeront sur des croisements inédits apportant de l’information ayant une valeur pour les usagers, par exemple le croisement de données de consommation énergétique, des données bancaires et des tickets de caisse. C’est en cela qu’un territoire rejoignant MesInfos est intéressant ! Il va permettre d’apporter de nouvelles données, va enrichir la diversité de données et va permettre de développer des services intéressants pour les individus.
Par ailleurs, la présence de la Métropole de Lyon a permis à MesInfos d’avoir un ancrage territorial important. Travailler avec la Métropole de Lyon et le Tubà a permis de constituer un pool de « supers testeurs » métropolitains que l’on mobilise beaucoup à travers des ateliers, pour des tests de services, leurs retours d’expérience de Cozy… Ces retours d’usage sont très importants au projet.
La Fing a souhaité cet ancrage territorial dès le départ tant pour l’obtention de données territorialisées que pour la constitution d’un pool de testeurs engagés, prêts à expérimenter, faire des retours, etc.
Pouvons-nous revenir sur les principaux enseignements de ces recherches ?
Notre panel a mis en évidence que les individus sont très préoccupés par leurs données personnelles : la collecte, le stockage et l’utilisation des données. Ils estiment que les entreprises ne sont pas assez transparentes concernant ces différents traitements des données et ce manque de transparence inquiète beaucoup. Cette inquiétude les conduit à imaginer divers scénarios où les systèmes ne sont pas assez sécurisés, où les entreprises cèdent leurs données à des tiers sans leur consentement, etc. Cette opacité engendre de la méfiance et entretient l’anxiété.
Suite à ce constat, diverses hypothèses ont été formulées en lien avec l’appropriation d’une part et la confiance d’autre part. Mettre à disposition des outils pour « reprendre la main » sur leurs données pourrait peut-être sécuriser les individus, les inciter à utiliser leurs données, à tester ces outils, voire à se les approprier. Étant donné le niveau de préoccupation élevé, l’utilisation des outils « Self Data » permettant un meilleur contrôle pourrait être importante. Et le fait que les entreprises s’engagent à restituer les données et à permettre aux individus d’en avoir un meilleur contrôle, pourrait influencer (à la hausse) la confiance de ces individus envers les entreprises.
Ces hypothèses se sont-elles révélées exactes ?
Pour l’instant, les résultats préliminaires montrent que ce n’est pas tout à fait le cas. La confiance n’a pas encore été impactée, mais il faut prendre en compte qu’il s’agit d’un processus très long à construire : les 6 mois d’expérimentation ne sont pas suffisants et doivent se poursuivre.
Quant à l’adoption, le processus est un peu plus complexe. Les données personnelles sont encore un peu abstraites pour les individus, ce sont les services qui feront vraisemblablement la différence. Or, ils n’ont été utilisés qu’à partir de fin janvier, il est donc prématuré de tirer des conclusions. Nous avons d’ores et déjà observé que le taux de rétention, c’est-à-dire le pourcentage de personnes utilisant la plateforme Cozy régulièrement, est semblable au taux observé pour les nouvelles applications technologiques, soit 10 à 15%. Nous constatons également que les utilisateurs réguliers y passent de plus en plus de temps, et utilisent aussi plus de services, bien que la plateforme soit encore en cours de développement. Jusqu’à présent, les utilisateurs investissent particulièrement la fonction de stockage, qui est un préalable à l’utilisation potentielle de services et peut-être à l’adoption prochaine de l’outil…
Quelles sont les prochaines étapes sur le champ de la recherche ?
Notre processus d’observation va s’achever : sur le volet quantitatif, le 3e questionnaire va être envoyé aux testeurs et sur le volet qualitatif, 15 entretiens vont être réalisés en régions parisienne et lyonnaise.
La prochaine étape est de regrouper l’ensemble des informations obtenues, de traiter les différentes données, de rédiger le bilan de l’ensemble des recherches et de le partager largement. La Fing est très attachée à informer, acculturer tout un chacun -individus, entreprises, collectivités- sur le Self Data et à remettre l’individu au cœur de ses données personnelles et de leurs usages.
Quel a été le rôle de la Métropole de Lyon dans MesInfos ?
Le Self Data aspire à redonner plus de contrôle aux individus, à partager la valeur des données et de leur croisement avec les principaux intéressés. Ce partage n’est possible que si les données sont suffisantes, si de nombreux acteurs acceptent de partager les données avec les individus, si des services intéressants sont créés pour les usagers… Tout un écosystème doit se créer pour que les individus perçoivent la valeur des données et concrétisent peu à peu le monde du Self Data. On se heurte actuellement aux limites de l’expérimentation qui, par définition, ne peut concerner qu’un nombre limité de partenaires restituant les données… Plus on aura une grande diversité de données et de services, plus la valeur perçue du self data sera importante pour les individus. La Métropole de Lyon et ses prestataires détiennent des données très importantes pour les individus, telles que des données de consommations d’eau, de mobilité, etc., et pourrait contribuer à cette diversité. Le fait qu’il s’agisse d’un acteur public pourrait peut-être aussi jouer sur la confiance des utilisateurs, mais cela reste à tester.
Outre le fait qu’elle puisse restituer une grande diversité de données comment envisagez-vous le rôle d’une collectivité dans la réflexion menée autour du Self Data, du « partage de pouvoir de la donnée » ?
La Métropole de Lyon joue en effet d’autres rôles. Sur le projet MesInfos, la Métropole a organisé notamment deux conférences auprès du public afin d’expliquer le self data, de sensibiliser et d’informer les habitants des enjeux. Celle de septembre 2017 a été largement relayée dans la presse. C’est typiquement l’un des rôles qu’une collectivité peut jouer si elle est convaincue de l’intérêt de mettre l’individu en position de contrôle de ses données. Le Tubà a également accueilli un certain nombre de rencontres autour du self data, favorisant ainsi la mise en débat des enjeux.
On pourrait imaginer aussi des actions auprès des acteurs économiques, comme par exemple sensibiliser les acteurs locaux, inviter des start-ups pour développer des services sur le territoire, mettre à disposition des locaux, mettre en contact des acteurs pour créer et tester des services… en bref, créer et entretenir les conditions favorables à ce que l’écosystème vive. Le territoire métropolitain pourrait à terme constituer un vivier d’acteurs sur le domaine du Self Data.
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