Vous êtes ici :

Le barter : une innovation au service de l’économie de proximité

Interview de Arthur Bard

Portrait d'Arthur Bard
© France Barter
Cofondateur de France Barter, plateforme collaborative d’échange interentreprises.

<< Le plus évident c’est qu’à chaque fois que vous remplacez un achat par un échange, vous préservez votre trésorerie >>.

Dans cette interview, Arthur Bard souligne les avantages pour les entreprises d’échanger par la voie du troc interentreprises (ou « barter » en anglais).

Il explique également les spécificités de l’offre d’intermédiation proposée par France Barter et la contribution qu’elle peut apporter au développement économique territorial. 

Réalisée par :

Tag(s) :

Date : 06/01/2016

Qu’est-ce que le « barter » ?

Financer certains achats en échange de leur propre production

Concrètement, le barter consiste pour les entreprises à financer certains achats en échange de leur propre production – j’échange ma production contre la tienne – donc sans sortir de trésorerie. En soi le barter n’est pas une pratique nouvelle puisqu’elle existe de longue date et est très répandue outre atlantique. En revanche la nouveauté c’est l’arrivée des nouvelles technologies numériques. Celles-ci donnent un nouvel essor au barter en permettant de l’adosser à des plateformes d’échange online et l’utilisation de monnaies virtuelles. 

Pouvez-vous présenter France Barter ?

Avec le barter on ne finance pas du lancement ou des investissements, mais du besoin en fond de roulement pour les achats des entreprises.

Nous avons lancé France Barter en septembre 2014, dans la mouvance de la « FinTech », finance et technologie, c’est-à-dire un ensemble d’activités qui utilisent les nouvelles technologies pour délivrer des services financiers innovants. Les plus connues à ce jour sont les plateformes de financement participatif ou crowdfunding qui permettent de financer des projets en collectant l’épargne – généralement des petits montants – d’un grand nombre de personnes au moyen d’une plateforme sur internet. Le crowdfunding a permis de démontrer qu’il est possible de financer le lancement ou des investissements des entreprises sans passer par des banques. Aujourd’hui c’est un marché qui double tous les ans. Une étude prospective de Reuters estime que le crowdfunding pourrait devenir la première source de financement des entreprises à l’échelle mondiale en 2020. France Barter contribue à ce mouvement de diversification des modes de financement des entreprises en remettant au goût du jour le barter. Comme je le soulignais précédemment, avec le barter on ne finance pas du lancement ou des investissements, mais du besoin en fond de roulement pour les achats des entreprises. J’ajoute que France Barter a participé à la création de l’association France FinTech en juin 2015, qui fédère toutes start-up françaises qui ambitionnent de bousculer quelque peu le monopole des acteurs bancaires sur le financement des entreprises.

Que propose la plateforme France Barter ?

Avec le B€, nous permettons à chaque entreprise membre du réseau d’obtenir la contrepartie la plus adaptée à ses besoins.

Nous proposons aux TPE/PME d’échanger entre elles au sein d’un réseau collaboratif et via une monnaie virtuelle : le crédit Barter, selon le principe 1 B€ = 1 euro. Cette monnaie alternative est importante car elle permet de démultiplier les possibilités d’échanges. Dans le troc pur, il faut arriver à réunir au même moment deux entreprises dont les offres et les besoins se complètent – chacune répondant aux besoins de l’autre – et représentent une valeur équivalente. Avec le B€, nous permettons à chaque entreprise membre du réseau d’obtenir la contrepartie la plus adaptée à ses besoins. Prenons un exemple. Une entreprise de transport cherche un service d'expertise comptable, elle est mise en relation avec un expert-comptable qui lui vend pour 6000 B€ de prestation. L'expert-comptable n'a pas besoin de transport dans le cadre de l'échange, il peut chercher sur le réseau les services ou produits qui vont l'intéresser le plus et contacter les membres. L'expert-comptable choisit de dépenser ses B€ pour acheter du matériel informatique et un photocopieur auprès d'un membre du réseau. L'entreprise de transport quant à elle fournit sa contrepartie en travaillant pour une société d'impression sur le réseau, pour laquelle elle facture 6000 B€ de prestation.

Quel est votre modèle économique ?

Pour accéder à France Barter, il faut s’acquitter d’un droit d’entrée fixé à 235€ par an. Sur ces 235€, 100€ sont une prise de part au capital de la coopérative de France Barter. Par ailleurs, nous prélevons 5% de commission sur chaque transaction.

Quelle est la taille du marché en France ?

Le marché que nous voulons conquérir avec France Barter est conséquent. En Suisse, un service comparable au nôtre existe depuis longtemps et compte 60 000 entreprises (principalement des PME) et générait l’équivalent de 1,6 milliards de Francs Suisse d’échanges en 2012. Le nombre de PME en France est beaucoup plus élevé (3,2 millions) qu’en Suisse, ce qui laisse augurer d’un marché plus important. 

Quels sont les avantages pour une entreprise de recourir à ce mode d’échange ?

Dès son inscription, votre entreprise devient fournisseur privilégié des autres membres du réseau, vous ouvrant ainsi un nouveau canal de vente et un nouveau réseau d’affaires.

Ils sont multiples. Le plus évident c’est qu’à chaque fois que vous remplacez un achat par un échange, vous préservez votre trésorerie. Par les temps qui courent, cela peut permettre aux entreprises de retrouver un peu d’oxygène. Ensuite, nous permettons aux entreprises de développer leur clientèle. Dès son inscription, votre entreprise devient fournisseur privilégié des autres membres du réseau, vous ouvrant ainsi un nouveau canal de vente et un nouveau réseau d’affaires. D’autre part, peu d'entreprises utilisent leur capacité de production à 100%. Grâce à la plateforme France Barter, elles vont pouvoir valoriser ce potentiel inexploité : temps humain, matériel, capacité de stockage, espaces publicitaires, stocks... 

Toute entreprise peut-elle intégrer le réseau France Barter ?

Cela suppose de construire un réseau solide, qui donne satisfaction aux entreprises tout en offrant un cadre d’échange sécurisé.

Les entreprises peuvent s’inscrire directement sur la plateforme. Toutefois, nous opérons une sélection à l’entrée. Nous privilégions l’entrée d’entreprises correspondant aux secteurs pour lesquels nous avons des besoins au sein du réseau. Un second critère de sélection est la situation financière de l’entreprise. Pour ce faire, nous avons recruté un analyste de crédit qui calcule un ensemble d’indicateurs financiers pour chaque entreprise. Seules les entreprises saines peuvent commencer à acheter dans le réseau à découvert (compte B€ en négatif). Les entreprises qui nous paraissent un peu moins solides peuvent intégrer le réseau mais elles doivent d’abord vendre aux autres membres afin de se constituer un crédit pour pouvoir ensuite acheter. Cette sélection se justifie par le fait que l’enjeu prioritaire pour nous est de faire la preuve de l’intérêt du concept de Barter. Cela suppose de construire un réseau solide, qui donne satisfaction aux entreprises tout en offrant un cadre d’échange sécurisé. A ce jour nous comptons 400 adhérents. 

Comment les entreprises utilisent-elles la plateforme internet?

Les entreprises doivent tout d’abord renseigner un certain nombre d’informations : présentation de l’entreprise (nom, adresse, descriptif de l’activité, statut, site internet, contact, etc.), les offres proposées au réseau (produits ou prestation de service), leurs besoins. Ensuite, elles peuvent chercher un fournisseur par géolocalisation et catégorie d’activité. Enfin, via la plateforme les entreprises peuvent également suivre leurs transactions, leur solde B€, leurs favoris (offres ou membres du réseau), les propositions de l’animateur réseau correspondant aux besoins de l’entreprise. 

Quel est le rôle des animateurs réseau ?

Chaque animateur suit les entreprises qu’il a introduites dans le réseau et joue un rôle de facilitateur des échanges. L’animateur peut détecter de façon proactive des opportunités d’échanges.

C’est une autre spécificité de France Barter. Les animateurs sont chargés d’accueillir les entreprises dans le réseau. Ils les aident à élaborer leur fiche sur la plateforme, notamment à recenser et définir leurs offres et leurs besoins pouvant faire l’objet d’un échange sous forme de barter. Ensuite chaque animateur suit les entreprises qu’il a introduites dans le réseau et joue un rôle de facilitateur des échanges. Grace aux informations dont il dispose en temps réel sur les offres et les besoins du réseau, l’animateur peut détecter de façon proactive des opportunités d’échanges. Pour rapprocher l’offre et la demande, il peut alors proposer aux entreprises concernées une mise en relation : conférence téléphonique, rencontre physique, etc. C’est l’occasion pour l’animateur de s’assurer que les entreprises ont bien compris le principe du barter et négocient dans de bonnes conditions. L’animation du réseau passe également par le mailing, les newsletters, etc. La réalisation de premiers échanges et la construction d’une relation de confiance avec les entreprises permettent ensuite à l’animateur d’approfondir sa connaissance de leurs besoins pour développer des échanges à plus forte valeur ajoutée. Enfin, en fonction des besoins, l’animateur peut chercher des prestataires adéquats qui n'auraient pas encore intégré la plateforme.

La plateforme favorise-t-elle également le développement des transactions classiques entre les entreprises ?

Absolument, sur notre plateforme il y a deux manières d’échanger : il y a les échanges qui se font 100% en crédit Barter et puis on laisse la possibilité de réaliser des échanges comprenant une partie en euros (sans dépasser les 50%). Par exemple, un traiteur peut décider que toutes ses transactions qui représentent moins de 10 000 euros se font en crédit Barter et que celles qui dépassent ce montant donnent lieu à un paiement pour moitié en euros et moitié en B€. Autre exemple, nous avons des experts comptables qui proposent une offre en 100% crédit Barter pendant deux ans pour les start-up qui sont sur le réseau. Ensuite cette prestation fait l’objet d’une transaction commerciale classique. Cela permet à la start-up d’avoir un comptable à moindre frais pendant sa phase de démarrage où elle a peu de trésorerie, et au comptable de développer des relations commerciales durables avec de nouveaux clients. 

La plateforme s’organise à l’échelle nationale. Mais peut-elle contribuer au développement économique sur un territoire donné ?

Il faut savoir que lorsqu’une entreprise propose une offre sur la plateforme elle lui donne une portée géographique

C’est un point auquel nous sommes très attentifs. Nous constatons que 96% d’échanges opérés via notre plateforme se font au sein d’une même région. Il faut savoir que lorsqu’une entreprise propose une offre sur la plateforme elle lui donne une portée géographique : ville, département, région, plusieurs régions, France, etc. Par exemple, le traiteur dont je parlais peut vouloir chercher des clients uniquement sur l’agglomération lyonnaise. En fonction de ce critère géographique, nous allons faire remonter des clients potentiels situés à proximité. On a pas mal d’exemples emblématiques où une entreprise découvre que l’imprimeur qu’elle recherchait est à deux rues de chez elle. Autrement dit, le travail d’animation que nous réalisons au quotidien contribue à développer des échanges qui, pour l’essentiel, se font dans la proximité. 

Envisagez-vous de nouer des partenariats avec des collectivités locales ?

Cela nous amène à développer une offre de plateforme clé en main

Pour l’instant, nous concentrons nos efforts sur la montée en puissance de la plateforme pour faire nos preuves. Cela dit, ces partenariats sont tout à fait envisageables. France Barter est constitué sous forme coopérative (SCIC), ce qui laisse la possibilité à des collectivités de rentrer au capital. D’autre part, nous sommes impliqués, avec d’autres acteurs comme « PME Centrale », dans un partenariat avec la CCI de Lyon et le Grand Lyon autour d’un projet de guide destiné aux entreprises pour mettre en avant des systèmes d’achat innovants.

Enfin, il y a une part de notre activité sur laquelle on ne communique pas mais qui a un lien avec votre question. Nous avons été sollicités par plusieurs clusters d’entreprises qui souhaitaient mettre en place un système d’échange de type barter en leur sein mais qui n’avaient pas les moyens de développer leurs propres outils. Cela nous amène à développer une offre de plateforme clé en main comprenant la technologie, le site web, le système de suivi des transactions, les méthodes d’animation, etc. L’utilisation du dispositif est limitée à une zone géographique définie contractuellement. A ce jour, nous avons vendu ce dispositif au cluster « Orléans Val de Loire Technopole » ainsi qu’à « France Cluster » (organisme basé à Lyon qui regroupe et accompagne l’ensemble des clusters français). « France Cluster » souhaite dans un premier temps mettre notre plateforme d’échange à disposition des cluster de Rhône-Alpes, avant de la déployer éventuellement à l’échelle nationale. Nous avons 3-4 projets de ce type en cours. Ce que l’on envisage par la suite c’est de connecter certains réseaux entre eux dès lors que l’efficacité des uns peut profiter aux autres.