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Innovation : la cordée, un modèle de coworking basé sur la confiance et la collaboration

Interview de Michael SCHWARTZ

Michael Schwartz et Julie Pouliquen, La Cordée
La Cordée

<< Malheureusement, beaucoup de lieux ont pris ce terme de co-working et se limitent à l'aspect superficiel du partage de bureaux >>.

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Date : 03/09/2014

Propos recueillis par Nicolas Nova (Near Future Laboratory), le  4 septembre 2014La Cordée est un réseau d’espaces de travail collaboratifs ouverts à tous (indépendants, entrepreneurs, salariés en télétravail, étudiants, autres...). Ces lieux de co-working sont situés à Lyon (Liberté, Perrache, et Charpennes), à Villefranche-sur-Saône, à Paris et à Morez. Au-delà de cette dimension de tiers-lieu, cette communauté donne accès à de multiples services (domiciliation, annuaire répertoriant les coordonnées de chacun, etc.) à ses membres.Le réseau de coworking du Grand Lyon

Co-fondée par Michael Schwartz et Julie Pouliquen, cette organisation créée en 2011 accueille des profils variés avec l’idée de développer la force du réseau entre les cotisants pour former une communauté de travailleurs. Cet entretien témoigne de leur mode de fonctionnement et des principes mis en place au sein de La Cordée pour stimuler la collaboration et l’innovation au sein de ce réseau actif. Les valeurs d’ouverture, de confiance et de curiosité sont ici affirmées à la fois par les fondateurs et par membres pour créer un écosystème vertueux de rencontre de travail.

Comment avez-vous monté La Cordée ?

On est à la base, Julie Pouliquen et moi, deux amis d’études, deux diplômés de HEC Paris. Nous nous sommes retrouvés en premier lieu sur des valeurs et non sur un projet. On avait envie d’entreprendre en France car on pense que c’est un pays avec beaucoup de bonnes choses, contrairement à ce que nous disent les médias. C’est un territoire avec des caractères géniaux, mais aussi des niveaux d’isolement et de solitude beaucoup plus importants qu’ailleurs pour les entrepreneurs. Cette solitude amenant selon moi une peur de l’autre. On voulait donc, à notre modeste échelle, avoir un impact sur ce phénomène, et aller à l’encontre des fantasmes.

Avec mon associée, nous nous sommes d’abord retrouvé sur des valeurs, et cette idée qu’il y a beaucoup d’isolement dans certains métiers. Les gens travaillant seuls chez eux, entre leur télé et leur frigo à tourner en rond. Et le jour où ils ont besoin d’un graphiste ou d’un avocat par exemple, c’est certes bien d’avoir des contacts sur Viadeo et LinkedIn mais ce n’est pas cela qui fait la confiance pour mobiliser ces personnes. Cette confiance provient davantage de la possibilité de se côtoyer au quotidien. Notre volonté a donc consisté à créer un réseau social physique. L’idée d’un lieu nous a paru intéressante, comme support à cette communauté de gens bienveillants qui voudraient s’entraider, trouver des compétences, partager des idées, discuter de projets, demander de l’aide le jour où ils en ont besoin, etc. et créer ainsi une communauté de valeurs autour d’un lieu, puis plusieurs lieux.

Au sein de La Cordée, les métiers concernés sont très variés puisque l’on trouve d’abord différents statuts : entrepreneurs en création, indépendants, ou télétravailleurs salariés. Nous avions une volonté de diversité pour obtenir cet enrichissement mutuel et faire en sorte que le partage soit maximisé. Globalement, on trouve un tiers de numérique (entrepreneurs web, graphistes, développeurs), un tiers de métier d’accompagnement (consultant, coach, formateur, thérapeute, professeur), et un tiers de profils variés (arbitre de tennis, ONG, syndicat, DJ, illustrateur, traducteur, étudiant).

Après nos études à Paris, nous souhaitions en sortir. Nous avions en effet envie d’apporter des choses à la province que l’on ne trouve pas déjà dans la capitale. Lyon nous est alors apparue intéressante pour différentes raisons: sa connectivité, son développement entrepreneurial et économique que l’on a pu vérifier depuis, sa qualité de vie et la proximité de la nature. On ne s’appelle pas La Cordée pour rien !

Contrairement à Paris qui phagocyte l’Ile de France, Rhône-Alpes est un territoire intéressant de par son réseau de villes. En effet, Lyon ne phagocyte pas Grenoble, Annecy, Saint Etienne, etc. Nous avions une volonté d’impact local et d’apporter ce type de services et de communautés même dans des territoires plus éloignés. Nous ne voulions pas de grand lieu de 1000/2000m2 comme il y a parfois, puisque l’on souhaitait privilégier l’entraide et la collaboration, des enjeux peu compatibles avec l’anonymat causé par des espaces si vastes.

Nous souhaitions au fond des lieux petits et tous reliés ensemble. Un membre de La Cordée a un badge qui lui ouvre 24 heures sur 24h 7/7 et peut aller dans tous nos lieux. Cela permet d’avoir ainsi des petites communautés bienveillantes qui permettent d’accueillir les gens à Lyon, à Paris (vers Gare de Lyon), à Villefranche, à Morez dans le Jura. L’idée étant de mailler le territoire pour que l’on puisse aussi s’installer hors des villes avec ce type de service.

Pouvez-vous nous expliquer le mode de fonctionnement de La Cordée ?

D’un point de vue organisationnel, nous avons fait évoluer le modèle depuis le démarrage il y a trois ans. Dés le départ, on a voulu un modèle dans lequel nous ne sommes pas là pour prêcher les convaincus. Nous souhaitons davantage montrer que le collaboratif marche pour tout type de métiers. Nous voulions que tous les métiers, donc tous les usages puissent se retrouver. D’où l’idée d’accueillir tout profil selon deux modalités : soit la personne vient ponctuellement et elle paye 4 euros de l’heure à Lyon, 3 euros en rural et 5 euros à Paris ; soit, comme l’immense majorité des cas, on devient membre et l’on paye 29 euros par mois sans engagement dans le temps. On paye alors 3 euros de l’heure à Lyon avec un plafond mensuel de 220 euros.

L’idée étant ici qu’un entrepreneur du web venant tout le temps paye 220, et que si un mois il vient moins il paye exactement le temps passé. Ce mécanisme permet de faire se côtoyer un consultant qui va être là deux demi-journées par mois et un entrepreneur web qui sera là tout le temps. Ce modèle économique inclut tout sauf les impressions et les salles de réunion louées à l’heure, décomptées en plus.

Par ailleurs, l’abonnement donne accès à tout l’aspect communautaire avec les services suivants :
- un réseau social virtuel (Le Refuge) avec des petites annonces, un annuaire de l’intégralité des membres, des ressources, et une sorte de comité d’entreprise.
- des évènements qui ont lieu chaque semaine (ateliers, formation)
- le fait d’avoir un badge pour aller dans d’autres Cordées.

Comment est-ce que cela se traduit au niveau de la structuration de votre organisation ?

D’un point de vue juridique, La Cordée est une SAS, notamment par souci d’exemplarité. Il y a ici une volonté de montrer, à notre modeste échelle, que d’autres modèles sont possibles, et qu’il ne s’agit pas de faire un choix entre entreprise capitaliste et organisation « sociale » qui a besoin d’aides et de subventions. Nous voulions un modèle pérenne, effectivement sans subventions (à l’exception de projets ruraux spécifiques et non sur notre métier de base) qui peuvent s’arrêter à tout moment. En tant que SAS nous avons des financements solidaires, on est une entreprise agréée solidaire; on a la Nef  qui nous finance, la région qui nous fait des prêts, mais nous avons aussi des investisseurs privés à notre capital.

En ce qui concerne le management de La Cordée, nous avons ici aussi tâché de pousser aussi la dimension participative et la confiance au sein des équipes. Notre rôle à Julie et moi en tant que fondateurs consiste à faire grandir les gens de l’équipe, et non de nous placer dans un rôle de « command and control ». Il s’agit davantage d’entrer dans des modèles de personnes-ressources pour cultiver un esprit d’innovation et de convivialité. Nous avons par exemple mis en place des mécanismes d’incitation et d’intéressement pour les gens. Des anciens membres qui évoluent qui veulent devenir « Couteau Suisse » comme on appelle le responsable d’un lieu.

En outre, le système de badge de La Cordée, le réseau social, le site internet, les flyers, les plaquettes ont été réalisés par les membres. C’est notre manière de pratiquer ce mode de travail collaboratif dont on parle et que l’on pratique activement. Nous faisons appel à nos membres pour toutes les prestations dont nous avons besoin. Du coup les outils de communication, de gestion ont été développés par ceux-ci. Et entre eux, au sein de leurs projets, on retrouve cette dynamique. Cependant, pour créer cet aspect collaboratif, il faut montrer l’exemple et montrer les possibilités de travailler ensemble. Pour les gens du Web c’est assez naturel, mais pour les autres, ce n’est pas forcément le cas. Notre rôle est enfin de mettre les membres en relation les uns avec les autres, de montrer par notre action qu’il y a une salle de sieste que l’on peut utiliser, qu’il y a un réseau social pour nos besoins, qu’on fait appel aux membres pour nos questions et vice-versa (je vais par exemple conseiller des membres sur leurs financements).

Cette dimension collaborative qui est au cœur de La Cordée semble fondamentale et importante pour la dynamique interne, mais elle n’apparait pas ex-nihilo. Comment faites-vous pour la susciter et la renforcer ?

Absolument, pour cela il y a trois idées clés. Premièrement, l’idée de confiance: quand on traite les gens en enfants, c’est à dire en consommateurs, ils répondent en enfant, c’est à dire en capricieux. Quand ont traite les gens en adultes, ils répondent en adultes responsables. Pour cela, à titre d’exemple, on laisse ouvert toute la nuit, les gens respectent le lieu, les impressions sont marquées à la main, le badge n’est pas contourné, etc. Il pourrait y avoir des comportements puérils, mais cela n’arrive jamais parce qu’il y a cette confiance que l’on propage et qui nous est rendue.

Nous faisons également attention au ton de notre communication; par exemple notre site internet est rédigé avec un ton volontairement décalé. Nous travaillons pour que les gens qui viennent à La Cordée soient dans cet esprit bienveillant, et l’on fait très attention à la cohérence entre les membres entre eux. Si quelqu’un a un profil trop différent de notre communauté – beaucoup trop commercial, trop blablateur – nous faisons en sorte qu’il n’entre pas ou qu’il en sorte rapidement, car la confiance entre les membres peut se détruire très vite. Il faut en effet que le nouvel arrivant voit bien qu’il croise des gens de confiance, bienveillants, et c’est cela qui permet de nourrir ces dimensions collaborative. C’est pourquoi nous mettons en place des semaines d’essai qui permettent aux gens de tester, mais aussi de voir si les participants correspondent bien à l’esprit. Cela dit, d’une manière générale les gens qui ne sont pas adaptés s’en rendent vite compte et partent d’eux-mêmes.

L’animation et les moments de rencontre sont aussi fondamentaux : les ateliers, les moments informels (manger ensemble, faire un apéritif, un moment de détente). Ceux-ci sont lancés soit par un membre, soit par nous. De plus, ce genre de choses peut être organisé via un module de suggestion d’évènements sur notre réseau social en ligne (Le Refuge). Lorsqu’un nombre minimum de participants est intéressé, l’événement est alors validé. Nous pouvons aussi organiser des choses de façon plus construite quand on sent qu’il y a un besoin auprès de nos membres, sur des sujets précis, comme le financement de projets ou les changements de statut quand on est auto-entrepreneur.

Enfin, dernière caractéristique, la physionomie de l’espace est un enjeu important. On a été assez radicaux dans le sens où il n’y a aucun bureau fixe ou dédié à La Cordée. On est l’un des rares lieux qui a fait ce choix, du coup il y a des profils qui ne peuvent pas venir ici et qui le regrettent, mais c’est ainsi que l’on sort les gens de leurs habitudes. Si on entre ici et que l’on se met sur son bureau avec ses photos, on rentre dans un mode de fonctionnement qui ne sort pas de sa zone de confort. Alors que le nomadisme, le fait de changer de voisins, régulièrement aide à cela. Nous choisissons aussi parfois de réorganiser l’espace tous les deux ou trois mois pour casser ces habitudes, pour que créativité et collaboration puissent émerger.

Malheureusement, beaucoup de lieux ont pris ce terme de co-working et se limitent à l’aspect superficiel du partage de bureaux. Alors que tout cela demande une énergie d’animation énorme : comment faire ? Quel évènement organise-t-on ? Comment mettre telle personne avec telle autre ? Toute notre attention est tournée vers ces interrogations, nous l’équipe, les Couteaux Suisses. Par ailleurs, en tant que co-fondateurs, Julie et moi travaillons dans ces lieux, donc les gens viennent nous voir, on sent les ambiances, on nous fait des suggestions qui font que l’on voit facilement quand il y a des changements à faire.

Il y a plusieurs Cordées, est-ce que chacune a une spécificité ?

 Les Cordées entre elles sont très différentes les unes des autres. C’est une volonté de notre part pour que chacun puisse choisir des ambiances distinctes et changer régulièrement. Celle de Perrache a une ambiance plus proche de celle d’un café. Celle du cours de la Liberté est plus dans l’univers des startups, celle de Charpennes a une ambiance calme proche de celle d’une bibliothèque. Certains membres passent de l’une à l’autre suivant les envies, le besoin de rencontrer une personne, de prendre un rendez-vous. Il y a donc un écosystème de plusieurs espaces, un ensemble cohérent et connu.

Notre objectif n’est pas d’être le plus gros possible, même si de l’extérieur les gens on l’impression que l’on est des bulldozers en terme de rythme de développement, mais de dire qu’on avancera tant que l’impact par personne n’est pas altéré, et tant que cette communauté profite aux individus.

Une dimension intéressante dans votre projet concerne la dynamique de collaboration qui apparait entre membres et avec Les Cordées. Implicitement, vous portez une conception de l’innovation, comment la décrivez-vous ?

Évidemment, on se bat contre l’idée que l’innovation serait uniquement technologique. Ce n’est pas ce qui créé de la richesse, ni de l’emploi, ni du mieux-être. À La Cordée, l’innovation concerne le fait que la prospérité réside plus dans l’entraide et le partage que par la confidentialité absolue. En créant un écosystème tourné vers cette dimension collaborative, la communauté est capable de produire des rencontres, des idées, des émulsions. La source d’innovation c’est donc les gens qui sont ici, les métiers et les cultures différentes qui se rencontrent et qui créent des choses. Pour nous, le principe, un peu comme ce qu’essaye de faire une collectivité, c’est de provoquer cela, de favoriser les rencontres et de créer un écosystème dans lequel les gens veulent parler de leur projet, proposer à midi un mini-brainstorming sur leur modèle économique, ou sur comment faire un logo… C’est ce qui leur permet d’avancer.

On avait cette conception de l'innovation en nous mais on l’a vue émerger petit à petit. Et au fur et à mesure, on a plus formalisé cela pour communiquer, car nous voulions être reconnus comme acteur de l’innovation. C’est d’ailleurs ce qui nous a valu un prix de l’innovation sociale par la Caisse des Dépôts. Nous sommes en général frustrés de voir que la motivation de certains entrepreneurs consiste à vouloir chercher des investisseurs et revendre rapidement. Alors que l’innovation c’est selon nous d’apporter des choses à des gens, à du territoire, c’est cela qu’on a envie de faire, et on souhaite que l’argent se redirige vers ce genre de projets.

L’écueil principal pour nous ne vient pas des subventions, car nous n’en cherchons pas. C’est plus les enjeux de financements privés qui posent questions. Aujourd’hui en capital on peut lever des millions pour un projet d’application qui ne fait pas un euro. Par contre, lorsqu’on cherche 500 000 euros de capital pour développer ce genre de projet de lieu, on les trouve plus difficilement. Et cela, alors que La Cordée a un résultat net positif. Je ne me plains pas, car on arrive à se financer et à avancer, mais je trouve assez terrible que l’on en soit là.

Au-delà de l’aspect bien-être et entraide que l’on porte, nous créons aussi de la valeur économique. Le chiffre d’affaires produit entre les membres représente le double ou le triple de notre propre chiffre d’affaires. Nous opérons comme un démultiplicateur; les gens entre eux créent de la richesse. La différence est juste qu’aujourd’hui les territoires veulent souvent de la visibilité politique… cela renvoie à ces labellisations French Tech ou l’idée de créer des Silicon Valley françaises. Il me semble qu’il serait préférable de ne pas chercher à copier des modèles qui sont eux-mêmes en train d’évoluer ! Lorsque l’on regarde de plus près l’économie participative en France, on s’aperçoit de la qualité des initiatives. Si l’on va dans cette direction, certes on aura peut-être un pays qui produit moins, un PIB qui augmente moins, mais une qualité de vie par habitant bien plus élevée. C’est cela qui devrait être le but de la politique et pas la visibilité internationale, ou même la création d’emploi.

À ce sujet, nous nous rendons bien compte du stress actuel sur la création d’emploi. Même si je le comprends, c’est difficile d’imaginer des solutions en ne regardant que le salariat classique comme indicateur. Aujourd’hui nous accueillons des gens qui, pour certains, sont salariés, mais qui pour d’autres, sont indépendants, et c’est une évolution en cours. Ce taux est en forte augmentation, nous sommes en train de devenir des agents économiques indépendants. Du coup, se battre contre ces changements c’est juste un puis sans fond. Garder de l’emploi industriel sous forme salariée, je comprends la souffrance humaine et elle est évidente, mais peut-on en faire une politique ? Ici en Rhône Alpes, on a de la chance d’avoir des gens qui sont à l’écoute, mais il y a des territoires où c’est bien pire. Dans le cas de La Cordée, nous n’avons pu avoir certains financements, car on nous reproche de ne pas créer assez d’emplois. Pourtant nous en créons et surtout nous en préservons.

Avez-vous des collaborations avec d’autres acteurs de l’innovation à Lyon, d’autres porteurs de ces modèles innovants ?

Prôner le collaboratif pour ne pas le faire soi-même serait dommage. Nous avons du coup créé un collectif « coworking Grand Lyon » pour faire valoir ce qu’était le coworking – à la différence des centres d’affaires qui font un travail différent. Nous travaillons main dans la main avec les pépinières, les coopératives d’acteurs, les incubateurs, la CCI, les associations de retour à l’emploi, Pôle Emploi.

Par exemple, ces derniers peuvent nous envoyer des gens en création ou même en recherche d’emploi. Il s’agit par exemple de personnes qui viennent se mettre dans un environnement positif pour retrouver un emploi ou réfléchir à se mettre en indépendant ; à oser se lancer et découvrir de nouvelles manières de cherche un boulot. Avec ces acteurs, nous organisons aussi des évènements en commun, et nous participons au développement d’un accélérateur de start-ups, etc. C’est un relai permanent d’initiatives et nous pouvons agir comme orientateur au cœur de cet écosystème pour les personnes qui viennent nous voir avec des questions; et aider à faire émerger Lyon sur ces sujets, montrer nos initiatives à l’extérieur.

De plus, nous réfléchissons à créer des modèles ensembles avec d’autres partenaires, par exemple à créer pourquoi pas des micro-crèches qui se rajoutent sur les lieux. Nous interrogeons aussi sur la possibilité d’avoir à terme des lieux en commun avec un fab lab. Le problème cependant est que leur modèle économique n’est pas encore trouvé. Pour l’instant cela se réduit donc à des évènements en commun, des échanges avec La Fabrique d’objets libres et la Paillasse Saône (que l’on essaye d’aider à trouver un lieu).

Cela dit, ce sont des modèles encore en émergence où pour le coup la collectivité peut parfois « parasiter ». Car à vouloir absolument financer des choses qui font un appel d’air, cela peut faire de l’ombre à des projets du territoire qui marchent, du type de La fabrique d’objets libres justement qui est un super projet.

Est-ce qu’il y a aussi des collaborations avec des entreprises privées ? En effet, certaines s’intéressent à notre fonctionnement. J’ai eu l’occasion d’intervenir dans des entreprises comme Orange. Et nous sommes en train de développer une filiale dédiée à l’accompagnement d’entreprises, de collectivités ou d’écoles à la création d’espaces collaboratifs où se mélangent salariés et gens de l'extérieur. Nous sentons un besoin énorme pour des prestations de conseils sur comment faire évoluer les espaces de travail, comment penser les lieux, etc.

Pour les grands groupes, le principal écueil réside dans la confidentialité. Ils sont arc-boutés sur cet enjeu du coup il y a plus de PME à La Cordée. Les télétravailleurs ici sont majoritairement des PME, et du coup cela les interroge beaucoup. On a par exemple des petites PME qui ont mis ici un tiers de leurs salariés. Ils sont dans un environnement fertile et ne fonctionnent plus en vase clôt.

Malgré leur potentiel, ces modèles restent encore en émergence, quelles sont les difficultés auxquelles vous vous confrontez ?

Sur les difficultés, il y a la question des financements. Car nous ne souhaitons pas de subventions, on veut se financer normalement. Mais en France il y a un vrai trou pour les entreprises non-technologiques et dans les phases de développement. C’est plus facile à la création, mais pas ensuite. C’est un travail titanesque, un équilibrisme permanent qui prend beaucoup d’énergie. Et cela, même avec la formation que nous avons eu en école de commerce. A priori nous ne voulons pas revendre, et nous souhaitons garder la majorité du capital pour être les garde-fous du projet. Du coup nous sommes limités dans l’ouverture du capital possible. Mais nous aimerions bien de vrais financements dédiés, des fonds de garantie. C’est quand même incroyable que nous en soyons encore à mettre nos parents comme garants! À la création de La Cordée, nous avions refusé le RSA, car nous considérions que l’on avait choisi notre situation. Nous aurions très bien pu nous mettre comme consultants, mais nous avons refusé. De ce fait, nous n’avons eu aucune garantie possible, car le seul justificatif de précarité était d’avoir le RSA… c’est absurde. Nous avons eu l’impression qu’il n’y avait que deux choix possibles : soit être un gentil associatif qui doit faire des choses très « alternatives » en demandant constamment de l’aide, soit être un acteur économique, sans qu’il n’y ait de juste-milieu.

Du point de vue du développement, nous n’avons pas pu être accompagnés, les incubateurs nous ont refusés, ou regrettaient de ne pas pouvoir nous accueillir, car nous n’étions pas « technologiques ». Ce qui est quand même curieux, on s’est débrouillé, mais c’est révélateur.

Au fond, il pourrait être intéressant d’avoir plus de soutien des collectivités sur la communication de ce que l’on fait. Parce qu’aujourd’hui, malgré notre visibilité, cela aide d’avoir un vrai coup de pouce pour pouvoir toucher plus de personnes.

Pouvez-vous nous dire un mot de vos prochains projets ?

Parmi nos projets, il y a l’idée de devenir une « guilde » des entrepreneurs indépendants à travers des modèles de financements participatifs, d’assurances, de mutuelles et d’aller plus loin dans ce que l’on peut apporter aux membres. Et ce, au même titre que les guildes apportaient un soutien aux travailleurs à l’époque. Nous allons également continuer à développer là où les gens ont besoin de ces lieux ; soit par nous-mêmes, soit en projet public-privé sur le territoire du Grand Lyon et de la région Rhône-Alpes. Et philosophiquement, on cherche à ce que le projet La Cordée dépende de moins en moins de nous fondateurs pour que cela puisse continuer à vivre, et que l’on puisse migrer vers d’autres choses. Nous aimerions par exemple travailler sur comment cette dimension collaborative pourrait toucher d’autres secteurs, tel que celui de l’habitat partagé notamment.