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Comprendre la mesure de la qualité de l’air

Interview de Nicolas VIGIER

Illustration représentant un chronomètre sur fond de ville

<< La surveillance de la qualité de l'air est très cadrée, tant sur le choix des sites d'installation des capteurs que sur le matériel à utiliser pour chaque polluant >>.

Nicolas Vigier est responsable du service exploitation d’Air Rhône-Alpes. Air Rhône-Alpes est une association (loi 1901) régionale s’occupant d’évaluer la qualité de l’air dans notre région et d’informer la population, dans le cadre d’un agrément du ministère de l’écologie.

Dans cet entretien, organisé à l'occasion de la réflexion menée sur le monitoring environnemental participatif, il explique comment le dispositif Air Rhône-Alpes fonctionne pour produire, analyser et rendre compte de données sur la qualité de l’air.

Réalisée par :

Date : 03/07/2014

Quel est le dispositif technique dont dispose Air Rhône-Alpes pour surveiller la qualité de l’air ?

La surveillance de la qualité de l’air s’appuie à la fois sur les mesures obtenues par des capteurs et par des simulations produites par des outils numériques, pour modéliser et dresser les cartes de la qualité de l’air.

Pour réaliser des mesures, nous disposons de trois moyens différents. Tout d’abord, 68 sites fixes de surveillance permanente, répartis dans toute la région Rhône-Alpes, sur lesquels sont contrôlés un certain nombre de polluants réglementés par les directives européennes. Ces sites font office de points de références et permettent de mesurer la pollution de fond en milieu rural ou péri-urbain. Les capteurs fixes sont installés dans plusieurs types de lieux, selon un protocole strict, avec une plus forte densité au niveau des zones habitées, des zones urbaines ou industrielles ou à proximité des voies de circulation.

Outre les capteurs fixes, Air Rhône-Alpes dispose d’une quinzaine de moyens mobiles, composés de différents types d’analyseurs. Ils ont pour fonction d’obtenir un échantillon représentatif de la qualité de l’air sur un territoire donné, via des campagnes de mesures réparties sur les différentes saisons de l’année. Il existe aussi des moyens plus légers, utilisables pour des mesures indicatives. Ce sont des systèmes de prélèvement de l’air très simples, appelés tubes passifs, positionnés sans restriction sur le territoire. Ils sont exposés pendant une semaine ou deux puis récupérés pour en analyser le contenu en laboratoire, en fonction du polluant mesuré. Il s’agit donc d’une mesure différée mais elle permet d’avoir des éléments cartographiques intéressants à un coût relativement modéré.

Les analyseurs utilisés font l’objet de différents agréments, il n’est pas possible d’utiliser n’importe quel type d’appareil pour mesurer la qualité de l’air dans le cadre réglementaire. La surveillance de la qualité de l’air est très cadrée, tant sur le choix des sites d’installation des capteurs que sur le matériel à utiliser pour chaque polluant.

 

Comment choisissez-vous les sites sur lesquels vous installez vos capteurs ?

Les capteurs sont installés sur différents types de sites, par typologie. Il y a des sites destinés à mesurer l’ambiance générale, la pollution de fond en milieu rural ou urbain. Ces sites visent à être représentatifs du quotidien de la majorité des individus, mais sans être directement en bordure d’une voie de circulation ou sous une influence industrielle.

A contrario certains autres sites sont directement à proximité des sources de pollution, par exemple à côté des grands axes de circulation. Sur Lyon il y en a en bordure de rocade, du périphérique et de d’autoroute, dans des environnements très pollués par l’automobile. Ils sont placés à moins de 10 mètres de la voie, tout en étant en général proches des habitations, afin d’évaluer l’exposition des populations, ce qui est le but recherché. Certains capteurs sont installés en zone industrielle, notamment sur le sud lyonnais, afin d’évaluer l’exposition à des retombées de polluants industriels.

Les sites sont classés par typologie. L’installation est très cadrée, il y a des normes et des recommandations nationales qui indiquent la configuration à respecter par type de site, avec par exemple un éloignement précis par rapport aux voies de circulation. Les normes définissent aussi la hauteur du prélèvement de l’air (habituellement la mesure doit se faire entre 1m50 et 3m50 de hauteur par rapport au sol), l’éloignement par rapport à des obstacles (bâtiments, arbres,…), afin de garantir la représentativité des données et la comparabilité d’un territoire à un autre. Finalement c’est au travers de ces différents types de sites, installés dans différentes configurations, que l’on évalue ce que respire quotidiennement une personne à l’extérieur. En revanche, ce dispositif ne permet pas d’évaluer la qualité de l’air intérieur, qui peut être au moins aussi problématique que la qualité de l’air extérieur. Il y a en effet des polluants spécifiques en air intérieur, et parfois une défaillance dans le renouvellement de l’air conduit à une accumulation des polluants.

 

Quelle est la portée d’un capteur ?

Sur les sites en bordure de voirie, la représentativité est assez limitée car la pollution décroit rapidement à mesure que l’on s’éloigne du centre de l’axe. A environ 200 mètres, on retrouve un niveau dit « de fond ». En revanche, en linéaire, un axe qui a le même trafic sur un ou deux kilomètres génère la même pollution sur toute sa longueur, au moins sur cette parcelle. De ce fait, dès lors que sont connues les caractéristiques en termes de trafic et de topographie de l’axe routier, il est possible de positionner un point de mesure de façon à ce qu’il soit représentatif de toute la voie.

Ensuite les données collectées peuvent être transposées sur toutes les autres rues qui possèdent les mêmes caractéristiques que l’axe mesuré : même configuration, même trafic, même orientation par rapport au vent dominant, même types de hauteurs d’immeubles etc. Les sites de fond, qui ne sont pas sous influence directe, fournissent en revanche des mesures représentatives sur plusieurs kilomètres carrés.

 

Comment récoltez-vous la mesure des capteurs ?

Les capteurs et les analyseurs qui font le prélèvement sont raccordés à un système d’acquisition – un ordinateur dans un local – qui transmet ensuite la donnée par ligne téléphonique fixe ou mobile. Pour la plupart des appareils automatiques, la donnée est envoyée tous les quarts d’heure. Cependant, les analyseurs prennent des mesures en continu, ils échantillonnent toutes les secondes ou toutes les minutes, en fonction du type de matériel. Leurs données sont stockées sur la station d’acquisition qui génère ensuite une moyenne sur 15 minutes. C’est cette moyenne qui est transmise à un ordinateur central, à partir duquel les données peuvent être consultées en temps réel. La moyenne par quart d’heure est ensuite agrégée pour constituer une moyenne sur 1h, une journée et un an.

Chaque polluant a une norme d’analyse avec un pas de temps défini. Pour certains polluants, il faut regarder combien d’heures ou de jours la valeur réglementaire a été franchie, pour d’autres c’est la moyenne sur l’année qui doit être prise en compte. Ces normes de comparaison dépendent de l’impact sanitaire du polluant et de ses effets à court ou à long terme.

 

Pour avoir une bonne mesure de la qualité de l’air, faut-il nécessairement un grand nombre de capteurs différents ?

Oui, c’est une autre contrainte aujourd’hui, en tous cas par rapport au respect des normes. Air Rhône-Alpes dispose d’appareils agréés qui sont spécifiques à chaque polluant : un pour le monoxyde de carbone, un autre pour mesurer le dioxyde d’azote, pour l’ozone, le benzène etc.

Cependant, tous les sites ne contiennent pas le panel complet de capteurs. En général, sur des sites de fond, représentatifs de la pollution à laquelle personne n’échappe, un panel assez large de polluants est mesuré. En bordure de voirie, les polluants émis par le trafic routier sont ciblés en priorité (exemple : oxydes d’azote, particules fines, monoxyde de carbone…). Il en va de même pour les zones industrielles, pour lesquelles sont mesurés les polluants émis par les différentes activités du secteur (métaux, composés organiques volatils, dioxyde de soufre,…).

Les analyseurs sont très couteux, il n’est pas possible de surveiller tous les polluants en tous points du territoire, il faut cibler. La surveillance porte en priorité sur les polluants réglementés (13 par les directives européennes), dont l’impact sanitaire est avéré et qui sont jugés représentatifs de l’exposition de la population, mais il existe plusieurs centaines de polluants atmosphériques, tous ne sont donc pas mesurés en routine.

 

Ces mesures sur le terrain sont ensuite modélisées. En quoi consiste cette modélisation ?

Au-delà des systèmes de mesures, il existe en effet des outils numériques. Il s’agit d’abord de quantifier les rejets de polluants (combien de kilos ou de tonnes) émis par toutes les activités sur l’ensemble de la région Rhône-Alpes : les polluants produits sur un axe routier, ceux qui proviennent de l’industrie et ceux qui sont plus diffus en provenance des secteurs artisanaux ou du chauffage par exemple. On parle d’inventaires d’émissions de polluants. Ils servent à alimenter des modèles mathématiques qui calculent, à l’aide de paramètres météorologiques, les concentrations quotidiennes de polluants sur l’ensemble du territoire, ce qui permet de prévoir l’évolution de la qualité de l’air d’un jour à l’autre.

L’autre intérêt de ces modèles est de permettre d’évaluer des scénarios d’évolution des émissions, à moyen ou long terme, en fonction de décisions ou de projections en matière d’urbanisme, de transports et de réglementation. Des simulations sont réalisées à partir de scénarios fournis par l’Etat ou les collectivités. Les modélisations constituent désormais une part importante de notre activité, en plus de la mesure. C’est une compétence qui s’est beaucoup développée dans les observatoires de la qualité de l’air.

 

Comment vos outils numériques vous permettent-ils de déduire l’impact environnemental et sanitaire des polluants ?

Une fois émis, un polluant se transforme et se déplace. Les modèles numériques assimilent ces évolutions pour déterminer l’impact environnemental et le taux de pollution respiré par les habitants. Ils se basent sur des algorithmes de chimie atmosphérique et météorologique.

 

Combien de temps à l’avance peut-on anticiper des épisodes de pollution ?

Aujourd’hui les prévisions sont réalisées à 24 ou 48 heures maximum. Les mesures permettent de valider les modèles en amont, en s’assurant que les zones de fortes concentrations de polluants identifiées par les modèles correspondent bien aux mesures sur le terrain. Mais elles permettent aussi en temps réel de corriger les erreurs des modèles.

 

Est-ce que les cartes quotidiennes pourraient à terme rendre compte des pollutions à l’échelle des quartiers, voire des rues ?

Les cartes publiées chaque jour sont des cartes régionales, sur la base de mailles kilométriques. Elles sont donc modélisées à l’échelle d’un km², ce qui n’est pas une résolution spatiale très fine. Ces cartes évaluent avant tout la pollution de fond, donc une moyenne sur le territoire. L’amélioration de la finesse des cartes quotidiennes est un sujet sur lequel nous travaillons pour parvenir à transmettre ces éléments aux habitants. Certains de nos homologues y parviennent dans d’autres régions. Les freins principaux en Rhône-Alpes sont la complexité géographique de notre région (reliefs, vallées etc.), qui rend la modélisation fine échelle délicate, et les ressources limitées pour réaliser des calculs complexes chaque jour.

Sur les cartes annuelles en revanche, il est d’ores et déjà possible de zoomer pour voir les bandes d’impact très fines qui sont générées notamment par les voies de circulation routière ou par une zone industrielle précise. L’échelle de précision des cartes annuelles est quasiment de l’ordre du mètre carré.

 

Quel est le protocole d’alerte dans lequel s’inscrit le dispositif Air Rhône-Alpes ?

Dès lors qu’une norme n’est pas respectée, quel que soit l’environnement dans lequel le capteur se trouve, dans le cadre des directives européennes, les Etats membres doivent prendre des mesures pour éviter que cette norme soit dépassée à l’avenir. Il s’agit là d’une démarche plutôt sur le long terme.

A court terme, il existe, dans le cadre d’arrêtés inter préfectoraux, un dispositif d’information et d’alerte activé dès lors que des seuils sont dépassés ou risquent de l’être. En pareil cas, la population est prévenue et des recommandations sanitaires et comportementales sont diffusées par les autorités. Au niveau d’alerte, des actions contraignantes sont prises, la plus connue à ce jour étant la limitation de vitesse des véhicules.

 

Pour revenir à Air Rhône Alpes, quel lien avez-vous avec les collectivités territoriales ?

Plusieurs collectivités territoriales sont membres d’Air Rhône-Alpes. Elles font partie de son conseil d’administration et participent au financement. Les collectivités qui participent sont pour la plupart des EPCI1  : le Grand Lyon, Saint Etienne Métropole, Grenoble Métropole… Les observatoires de la qualité de l’air sont aussi financés par des conseils généraux et bien sûr par la région Rhône-Alpes. Tous les financeurs sont membres du conseil d’administration et participent donc à l’orientation de l’association et aux décisions sur la stratégie de surveillance de la qualité de l’air. Il existe aussi des membres non financeurs, tels que des associations de protection de l’environnement ou de défense des consommateurs, des personnalités qualifiées.

Par ailleurs Air Rhône-Alpes collabore beaucoup avec tous les acteurs publics, notamment sur les problématiques d’urbanisme. Nous essayons en effet de sensibiliser sur le lien entre un urbanisme maitrisé et une bonne qualité de l’air. Nous échangeons régulièrement avec les collectivités sur les PLU2  et les PDU3 . Nous contribuons à l’OREGES4 et participons à l’élaboration des plans climat des collectivités. Nous alimentons notamment l’inventaire des gaz à effet de serre.

Certaines collectivités, comme l’agglomération grenobloise, ont souhaité approfondir leur plan climat en intégrant un volet qualité de l’air pour faire face aux antagonismes entre l’air et le climat. L’objectif est de comprendre et de maitriser les liens entre climat et qualité de l’air, parce qu’il arrive que des actions en faveur du climat aient des effets indésirables et non-anticipés sur la qualité de l’air. Par exemple, le chauffage individuel au bois est bénéfique sur le climat, car il limite les émissions de CO2, alors qu’il a des effets indésirables sur la qualité de l’air, à cause des forts rejets de particules.

 

Quelles sont les évolutions à venir de vos moyens de mesure ?

Nous essayons de diversifier nos moyens de mesures, notamment vers du matériel qui ne fournira pas nécessairement des mesures adaptées aux exigences réglementaires, mais qui permettra de compléter les approches de modélisation, pour dresser des cartes. Il s’agit notamment de disposer de structures plus légères avec des micro-capteurs pour réaliser des mesures indicatives. Ce sont des capteurs moins coûteux, plus simples à mettre en place  que des analyseurs traditionnels et ils permettent de compléter la surveillance territoriale.

Autre piste, les analyseurs multi-polluants, permettant d’appréhender plusieurs composés avec un seul appareil sans avoir à attendre les résultats d’analyse après un passage un laboratoire, ce qui peut prendre plusieurs jours. En effet, aujourd’hui, certains polluants, comme les métaux lourds nécessitent obligatoirement de faire un prélèvement puis une analyse différée en laboratoire. Cela allonge considérablement le temps de traitement et d’analyse des données.

Ces nouveaux capteurs pourraient être très utiles, notamment dans le cadre des épisodes de pollution pour aider à comprendre l’origine des pics et les sources sur lesquelles agir en priorité. Ils permettraient par exemple de mieux connaitre la composition et ainsi l’origine des particules fines, à l’origine de la majorité des épisodes de pollution.

Ces particules ont des origines très variées. Elles viennent en partie du chauffage et du transport routier, par les échappements mais aussi par l’usure des pneus et des pièces mécaniques. Il existe aussi des particules secondaires qui se forment notamment lors des épandages agricoles d’ammoniac.

 

Historique des mesures de la qualité de l’air en Rhône-Alpes

Les premières mesures de la qualité de l’air sur Lyon datent des années 1960 grâce au bureau d’hygiène de la ville de Lyon, Dans les années 1970, à l’initiative des DRIRE5 , des organismes de mesures se sont constitués autour des zones industrielles rhônalpines, sous la forme d’associations loi 1901 : la COPARLY6  à Lyon, l’ASCOPARG7  à Grenoble… En 2010, la loi Grenelle 2 a imposé qu’il n’y ait qu’un seul organisme de mesure de la qualité de l’air par région administrative. La fusion des diverses entités rhônalpines a duré 3 ans, pour donner naissance à Air Rhône-Alpes en 2013

 

1 Etablissement Public de Coopération Intercommunale

2 Plan Local d’Urbanisme

3  Plan de Déplacement Urbain

4  Observatoire Régional des Gaz à Effet de Serre

5 Direction Régionale de l’Industrie et de la Recherche et de l’Environnement

6  Comité pour le contrôle de la Pollution Atmosphérique dans le Rhône et la région Lyonnaise

7  Association pour le Contrôle et la Préservation de l'Air en Région Grenobloise