Vous êtes ici :

Les migrations d'agrément et attractivité des métropoles

Interview de Niels MARTIN

Photographie de la ville de Lyon

<< La ville est vécue comme un lieu pollué, insécurisant, comme un lieu de non-sens social lorsque l'on ne connait même pas son voisin de palier. La campagne, a contrario, est vécue ou rêvée comme un lieu porteur de sens >>.

Niels Martin travaille sur les liens entre migrations d’agrément et tourisme. Il a par ailleurs été agent de développement dans une commune de montagne, et dirige une association de promotion des activités sportives de montagne. Il vient de diriger avec Phillippe Bourdeau et Jean-François Daller l’ouvrage collectif « Migrations d’agrément : du tourisme à l’habiter ».
 

Réalisée par :

Tag(s) :

Date : 21/04/2013

Dans cette interview, Niels Martin évoque les multiples interrogations soulevées par le phénomène des migrations d’agrément, à savoir les migrations résidentielles de longue distance focalisée sur la recherche d’une meilleure de qualité de vie. Si elles permettent aux territoires ruraux de renouer avec la croissance démographique, les migrations d’agrément ne sont pas sans questionner les conditions de l’attractivité des métropoles à l’avenir. 

 

Vous venez de publier un ouvrage pionnier en France autour du concept de « migration d’agrément ». Pouvez-vous nous expliquer l’origine de ce concept ?

Comme l’explique de façon détaillée Laurence Moss dans le livre, le concept a été esquissé aux Etats-Unis dès les années 1970. A cette époque, un certain nombre de chercheurs ont remarqué que des ménages faisaient des choix résidentiels qui n’étaient pas lié à la proximité au lieu de travail mais étaient d’abord guidés par des motifs liés à la recherche d’agrément, c’est-à-dire d’une meilleure qualité de vie.

Par la suite, la conceptualisation du phénomène est l’œuvre de Laurence Moss qui a proposé en 1986 le concept d’« amenity migration ». Celui-ci a ensuite été développé par de nombreux chercheurs. En France, on peut dire que c’est essentiellement Philippe Bourdeau et Manfred Perlik du laboratoire PACTE de Grenoble qui ont introduit le concept en 2007, qu’ils ont traduit par migration d’agrément. Il faut également relever la thèse de Françoise Cognard publiée en 2010 qui a posé la validité scientifique du concept. Pour ma part, le travail de thèse que je suis en train d’achever constitue une application du concept de migration d’agrément aux territoires montagnards français.

 

Qu’apporte de nouveau ce concept par rapport au phénomène de périurbanisation ?

On peut tout d’abord relever que le phénomène de périurbanisation peut faire écho au concept de migrations d’agrément, par exemple lorsque des habitants quittent la ville centre et s’installent dans les environs pour réaliser leur désir d’habiter dans une maison avec jardin. Ces personnes font des choix résidentiels dans lesquels ils opèrent une mise à distance du lieu de travail par rapport au lieu de résidence, celle-ci leur permettant d’accéder à un cadre de vie jugé plus agréable. Pour autant, si l’on s’éloigne du lieu de travail, la question de son accès reste déterminante dans les trajectoires résidentielles périurbaines. Autrement dit, la périurbanisation maintient un lien étroit avec la ville au travers du travail.

Le phénomène des migrations d’agrément, quant à lui, va au-delà de la périurbanisation en ce qu’il place la question du mode de vie au centre des choix résidentiels. La question de l’accès à l’emploi n’est plus un élément déterminant. En ce sens, les migrations d’agrément renvoient à des mobilités résidentielles qui n’impliquent plus seulement un mouvement de desserrement dans l’espace de proximité mais bien un changement de vie, tout au moins de bassin de vie. Ce sont donc des migrations à plus longue distance. L’expression la plus évidente des migrations d’agrément réside ainsi dans le renouveau démographique de la quasi-totalité des territoires ruraux, qui résulte d’abord et avant tout d’une inversion de leur bilan migratoire au cours des années 1990. Les cartes présentées par Magali Talandier dans le livre illustrent bien le phénomène pour la période récente. L’exode rural appartient bien au passé et la « diagonale du vide » s’estompe progressivement !

 

Que nous dit ce phénomène de migration d’agrément sur la place des choix résidentiels dans les modes de vie contemporain ?

Pendant longtemps, l’accès à l’emploi a constitué le facteur prédominant des choix résidentiels. C’est tout le sens du mouvement d’exode rural que nous avons connu en France dans les années 1950-1960. Or, comme l’a montré Jean Viard, sans que l’on s’en aperçoive, l’essor du temps libre, l’apparition des congés payés, le rituel des départs en vacances ont profondément transformé les modes de vie. Il est devenu de plus en plus envisageable de faire des choix de vie donnant la priorité aux loisirs. Ce qui a pu se traduire dans le champ résidentiel par des choix privilégiant les aménités récréatives du lieu de vie.

A l’échelle du logement, cela peut s’exprimer par le désir d’avoir un jardin, une chambre d’ami, un barbecue, un home-cinéma, etc. De même, la décoration et le bricolage ont pris une grande importance pour rendre la maison toujours plus agréable à vivre. Autrement dit, ce que les géographes appellent « l’habiter » est devenu central dans les modes de vie contemporains. A cet égard, les migrations d’agrément expriment d’une certaine manière une exacerbation du phénomène, au sens où les aspirations montent d’un cran en termes d’exigence et où la volonté de les réaliser concrètement s’affirme plus fortement encore. Comme le dit Jean Viard, c’est le désir de vivre à l’année dans une maison de vacances.

 

Pouvez-vous nous en dire plus justement sur le rôle du tourisme dans l’émergence de ces migrations d’agrément ?

Le lien entre les migrations d’agrément et le tourisme est essentiel. En fait, le tourisme a eu un effet imprévu. Alors qu’il a émergé comme une pratique ponctuelle, en rupture avec la temporalité et l’espace de la vie quotidienne, son succès a eu pour effet d’attiser le désir de rendre sa pratique moins discontinue, de vivre dans une ambiance de vacances pas seulement quelques semaines dans l’année. Concrètement, cela renvoie au fait que certaines personnes franchissent le pas entre une pratique touristique ponctuelle et l’installation permanente, tout au moins une bonne partie de l’année, dans le lieu fétiche de leurs vacances : on séjourne dans une maison de vacances, et l’on se dit que l’on est tellement bien que l’on va faire en sorte de pouvoir venir y habiter de façon plus durable.

Autrement dit, c’est par le tourisme qu’existe la migration d’agrément. Systématiquement, les lieux d’élection des migrations d’agrément ont été fréquentés auparavant dans le cadre de pratiques touristiques. L’expérience touristique préalable du territoire est incontournable.

 

Les aspirations animant les migrations d’agrément n’expriment-elles pas une volonté de rupture plus radicale avec la ville constituée, là où la périurbanisation maintient un lien solide par le travail ?

Effectivement, pour la grande majorité des gens interrogés dans le cadre des enquêtes sur les migrations d’agrément, il y a cette volonté de quitter la ville. C’est la motivation fondamentale. Parce que la ville est vécue comme un lieu pollué, insécurisant, comme un lieu de non-sens social lorsque l’on ne connait même pas son voisin de palier. La campagne, a contrario, est vécue ou rêvée comme un lieu porteur de sens. Il y a quelques années, Philippe Perrier-Cornet a réalisé une enquête auprès de citadins ayant l’intention de s’installer dans une petite commune ou en zone rurale. Les résultats montrent que, à la question de savoir quelle était la raison principale de ce projet, arrive largement en tête l’idée que l’environnement et le cadre de vie sont meilleurs en dehors de la ville, en particulier pour les enfants. On peut cependant souligner qu’il peut y avoir des désillusions lorsque la réalité n’est pas à la hauteur de ce que l’on imaginait.

 

Plus largement, quelles sont les grands types de motivations des migrations d’agrément ?

Comme a pu l’expliquer Laurence Moss, on peut distinguer des forces incitatives (ou motivations) et des forces facilitatrices (ou leviers) aux migrations d’agrément. De ce point de vue, le premier élément de motivation est, comme je l’ai évoqué précédemment, le désir de vivre sur le lieu de ses loisirs, c’est-à-dire un lieu présentant des aménités naturelles et culturelles supposées meilleures. Ceci peut être envisagé de façon très large, par exemple simplement le fait de pouvoir contempler en permanence un paysage auquel on est attaché. Un autre grand facteur incitatif à mentionner est plus pragmatique. Il constitue d’ailleurs une autre explication de la périurbanisation. C’est la recherche de foncier ou d’un logement à un prix accessible. Autrement dit, aller à la campagne c’est aussi pour beaucoup la possibilité d’accéder à la propriété de son logement. On va par exemple retrouver des professions mobiles, comme les routiers, les commerciaux, qui vont faire le choix de s’installer à la campagne avec leur famille : ça ne change rien au niveau de leur travail, mais ça leur permet de vivre dans un cadre agréable et parce que c’est le seul endroit où ils pouvaient acquérir leur logement.

Pour ce qui concerne les facteurs clés qui facilitent les migrations d’agrément, on pense bien évidemment à l’amélioration des possibilités de déplacements et de communication avec l’essor des réseaux de transports et l’arrivée des nouvelles technologiques d’information et de communications. Ces évolutions ont contribué à désenclaver bon nombre de territoires ruraux qui sont de mieux en mieux connectés au reste du monde. Par ailleurs, un autre levier des migrations d’agrément réside dans la diffusion dans l’espace des aménités de confort que sont les commerces et services à la population.

 

Peut-on mettre en évidence quelques profils types chez les migrants d’agrément ?

Mon travail de recherche m’amène à mettre en évidence quatre grandes formes de migration d’agrément. Il y a une forme que j’ai appelé « métropolitaine » et qui renvoie aux migrations qui maintiennent un lien plus ou moins distant et épisodique avec la ville. Il s’agit notamment des personnes qui ont délocalisé leur emploi ou leur activité à la campagne grâce aux NTIC. Même s’il devient électronique, le lien avec la ville demeure. Il s’agit également des navetteurs de longue distance qui se rendent en ville une ou plusieurs fois dans la semaine. Je place également dans cette catégorie une partie des résidences secondaires, lorsque celles-ci tendent à devenir la « seconde résidence  », lorsque des gens se mettent à y vivre la moitié du temps. Il y a même des gens qui font de leur résidence secondaire leur habitat principal.

La deuxième forme de migration d’agrément, c’est l’installation complète, au sens où le changement de résidence implique un changement de lieu de travail, voire un changement complet d’activité. Mes enquêtes de terrain conduisent à distinguer ici deux stratégies d’installation. La première inclue dès le départ le projet professionnel : on s’efforce d’avoir un projet précis avant de partir. Certaines personnes vont ainsi reprendre un commerce, un hébergement touristique, devenir artisan, etc. Il s’agit aussi des personnes dont l’activité est transposable à la campagne au sens où il y a de la demande pour cette activité partout sur le territoire : les médecins, les enseignants, les artisans, les architectes, etc. Une autre démarche d’installation renvoie aux personnes qui sont d’abord guidées par le rêve. Pour elles, le choix du lieu de vie est prioritaire et n’attend pas. Elles décident de rompre les amarres et de venir habiter là : on a un petit pécule et on verra bien comment ça se passe. On essaye de construire quelque chose autour de ce choix de vie sans avoir défini un projet précis au départ.

La troisième forme concerne des personnes qui font le choix d’aller à la campagne pour se reconstruire au niveau personnel, qui voient en elle un « refuge ». Elles étaient en situation de fragilité, au chômage, divorcées, etc. La campagne est vue alors comme un moyen de changer de vie, de rebondir. A cet égard, les stations de montagne ou les stations balnéaires offrent nombre d’emplois liés au tourisme, dans l’hôtellerie, la restauration, pour lesquels les employeurs ne sont pas très regardants sur le CV et qui offrent donc l’opportunité de se refaire une « virginité » au niveau professionnel. Par ailleurs, comme nous l’avons évoqué précédemment, il est plus facile de trouver un logement à la campagne. S’il faut fournir en ville les feuilles de paye des cinq dernières années pour louer un appartement, à la campagne il suffit souvent de « se taper dans la main ». D’ailleurs, certains maires ruraux ont bien compris cela et construisent des logements sociaux pour attirer ce type de population, avec souvent des arrière-pensées sur le plan démographique lorsque le maintien de l’école communale est en jeu.

La dernière forme de migration résidentielle est la forme récréative. Ce sont les migrations les plus focalisées sur les aménités récréatives. Il s’agit en premier lieu des migrations de retraites, qui représentent environ 20% des migrations d’agrément. Ce sont donc les personnes qui, arrivant au moment de la retraite, décident de réaliser leur rêve d’aller vivre à la campagne, dans un lieu qu’ils ont fréquenté durant leur vie active, ou dont ils sont originaires. Dans cette forme récréative, on peut également trouver des rentiers, des personnes qui vivent d’un pécule ou de locations qui leur permettent de ne pas travailler. Ce ne sont pas forcément des gens très riches d’ailleurs. Et puis nous avons également ceux que l’on peut appeler les « intermittents du travail ». Ils travaillent juste ce qu’il faut pour se consacrer à fond à des activités de loisirs, par exemple dans les sports de pleine nature (ski, escalade…), ou dans les milieux artistiques. Quand le pécule s’amenuise, ils retournent travailler, dans des emplois souvent purement « alimentaires », jusqu’à pouvoir bénéficier à nouveau de l’assurance chômage. Ce n’est pas vraiment du chômage dans la mesure où ce sont des personnes qui choisissent d’avoir de longues périodes pendant lesquelles elles ne travaillent pas.

On retrouve également cette logique chez des personnes qui s’inscrivent un peu dans une logique de mercenaire. Avec par exemple des personnes qui vont travailler en déplacement sur une plateforme pétrolière ou sur un gros chantier pendant un certain temps avant de faire une pause de six mois. Les migrations d’agrément permettent ainsi de mettre en évidences des rapports au travail différents du modèle dominant du CDI à temps plein.  

 

En quoi les migrations d’agrément remettent-elles en question les explications économiques classiques des flux migratoires qui accordent une importance essentielle à l’accès aux pôles d’emplois ?

L’approche classique a été définie à la fin du 19ème siècle notamment par Ravenstein. Pour faire court, il s’agit d’un modèle gravitaire dans lequel la ville attire à elle les migrants par son poids économique, l’importance de ses activités, de ses emplois. Il repose sur l’hypothèse selon laquelle les migrations résidentielles sont guidées par des motivations économiques comme trouver un emploi ou améliorer ses revenus. Fondamentalement, ce modèle-là s’applique encore massivement aujourd’hui, il n’y a qu’à voir la situation des villes chinoises pour s’en convaincre. Pour autant, les migrations d’agrément tendent effectivement à contredire le modèle de Ravenstein. Elles montrent en effet que des actifs sont prêts à accepter des diminutions de revenus pour privilégier l’accès à un meilleur agrément de vie, choix inconcevable dans le modèle classique.

 

Les migrations d’agrément semblent suggérer que le mouvement d’urbanisation, c’est-à-dire de concentration des populations et des activités humaines dans les villes ou à proximité directe, pourrait être réversible ou perdre de sa vigueur à l’avenir. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, les migrations d’agrément sont un pied de nez à ce que l’on pouvait penser il y a trente ans : pour résumer, c’était l’idée que la ville représentait l’avenir économique, tandis que l’exode rural semblait avoir enclenché un déclin définitif des campagnes. Ce qui est clair aujourd’hui, c’est que nous faisons face à un phénomène d’une toute autre ampleur que le mouvement de retour à la terre post mai 68. De plus en plus de personnes expriment une volonté de vivre dans le rural, sur la base d’un raisonnement qui réévalue fortement les avantages et inconvénients de cet espace. A leurs yeux, les arguments économiques qui ont fondé l’attractivité résidentielle des villes – l’emploi et les salaires – ont perdu de leur importance. En effet, ces personnes sont prêtes à accepter les pertes de revenus qu’implique l’installation en territoire rural parce qu’elles estiment que ces pertes sont compensées par un gain en aménités d’agrément.

Ce faisant, la démarche de ces néo-ruraux tend également à montrer que vivre dans l’espace rural est non seulement souhaitable mais possible. On voit bien que les territoires ruraux ne peuvent plus être considérés comme des lieux désertifiés au plan économique. Les migrations d’agrément sont en effet vecteur d’innovation et de renouveau en termes d’activités. Les nouveaux arrivants apportent leurs idées, leurs compétences, leurs ressources, qui trouvent ici un nouveau contexte pour les valoriser. Un bon exemple de cela nous est donné par le développement de l’agriculture biologique, des AMAP, qui est bien souvent porté par ces néo-ruraux. Autrement dit, ces personnes contribuent à réinventer la réalité des espaces ruraux, à construire un nouveau modèle d’économie rurale tournant le dos au modèle de l’agriculture productiviste. Plus largement, lorsqu’un entrepreneur se pose la question de la localisation de son activité, le rural peut apparaitre désormais comme une véritable option. Une option qui amène à réinterroger l’intérêt d’une localisation urbaine car le rural peut offrir une autre qualité de vie, un terrain moins cher, une main d’œuvre peut-être moins volatile, etc.

 

De ce point de vue, le rural n’est-il pas le réceptacle d’aspirations qui ne seraient pas seulement hédonistes mais renverraient également à une quête de sens à laquelle la grande ville peine à donner des réponses ?

C’est juste. Le discours des migrants d’agrément fait souvent état d’un certain rejet d’un mode de vie dominé par la consommation, le stress du travail, l’accélération, la pollution et dont la ville serait une incarnation. A cet égard, les migrations d’agrément expriment d’une certaine manière une volonté de mettre davantage en cohérence ses valeurs avec son style de vie. On peut ainsi entendre dans la bouche des néo-ruraux des propos du type « ici on vit plus simplement », « on a moins d’argent mais on est plus heureux », « les enfants sont épanouis », « on prend l’air tous les jours », etc. Or, si l’on fait l’hypothèse que ces aspirations ne concernent plus seulement une minorité mais présentent un caractère de plus en plus diffus dans la société, la question des migrations d’agrément pourrait prendre davantage d’importance à l’avenir.

 

Si l’imaginaire touristique est au cœur des migrations d’agrément, peut-il également contribuer à restaurer le désir de vivre en ville, ou au moins à proximité ?

Je pense que oui dans la mesure où l’essor du tourisme, comme l’a montré Jean Viard, constitue un puissant moteur de changement dans la société, changement qui ne se résume pas au phénomène des migrations d’agrément. La volonté de transformation des modes de vie s’exprime également en ville. L’envie de restaurer la vie de quartier, le renouveau des commerces de proximité, le développement de la piétonisation et des pistes cyclables, l’embellissement et l’animation des espaces publics, avec l’exemple emblématique de Paris-Plage, tout cela témoigne de cette aspiration à vivre mieux en ville. D’une certaine manière, « donner envie de vivre ici » tend à devenir un des enjeux essentiels des politiques touristiques comme des autres politiques des territoires, en ville comme ailleurs. Certaines villes, comme Montpellier ou Toulouse, l’ont bien compris et font de la qualité de vie un élément essentiel de leur identité.

 

Finalement, au-delà de l’imaginaire touristique, l’essor du temps libre semble exacerber les attentes en matière de pratiques récréatives de proximité

Pendant longtemps, le temps de travail et le temps récréatif ont été clairement différencié dans l’espace et dans le temps. Aujourd’hui, effectivement, nous sommes plutôt dans une recherche de continuité entre temps de travail et temps récréatif : je fais un footing avant d’aller au travail, je vais à la bibliothèque durant ma pause déjeuner, je fais de mon temps de transport une activité récréative, je m’occupe de mon jardin une fois rentré chez moi, etc. Dans le livre que nous venons de publier, Romain Lajarge propose la notion de « récréactivité » pour désigner ces pratiques récréatives qui s’inscrivent dans  la temporalité et l’espace de la vie quotidienne et qui semblent guidées par une question essentielle : comment est-ce que je peux faire pour avoir le plus d’activités récréatives au quotidien ? On est loin ici de la figure classique du touriste qui quitte son environnement résidentiel pour se rendre dans certaines destinations pendant le temps précis des vacances…

 

La promotion du tourisme de proximité que l’on peut observer aujourd’hui fait-elle écho à ces pratiques récréatives de proximité ?

Absolument, les gens qui vivent en ville sont à la recherche de lieux proches dans lesquels ils puissent vivre leurs activités récréatives. On comprend que la proximité de ces lieux récréatifs est une condition essentielle pour pouvoir articuler rapidement temps de travail et temps de loisirs dans la vie quotidienne. Ça se joue sur des laps de temps très courts.

 

Pour les villes, ces attentes de pratiques récréatives de proximité ne constituent-elles pas un argument de plus pour renforcer les liens, l’intégration avec leur hinterland ?

C’est certain. C’est ce que mettent en évidence un certain nombre de géographes en faisant référence au concept de métropolisation. Aujourd’hui, la ville doit fonctionner en système avec les territoires alentours pour former des bassins de vie intégrés. La région grenobloise offre un exemple emblématique de cet enjeu d’interaction entre la ville et l’hinterland avec le projet de téléphérique reliant Grenoble au plateau du Vercors. Voilà une belle illustration de connexion entre espace urbain et espace récréatif naturel. Il ne s’agit pas seulement de permettre aux personnes habitant dans le Vercors de descendre travailler à Grenoble, mais également de permettre aux citadins d’accéder rapidement à la montagne.

Par ailleurs plusieurs tracés de randonnées et de VTT ont pour point de départ la ville centre. A l’évidence, ces éléments contribuent à l’attractivité de Grenoble comme à celle des espaces alentours. Un autre exemple nous est donné par Briançon où une télécabine relie le centre-ville au domaine skiable de Serre-Chevalier. Entre 12h et 14h, les habitants peuvent prendre leurs skis sur les épaules et aller faire trois descentes de ski !

 

Le rapprochement entre l’espace-temps résidentiel et l’espace-temps récréatif peut-il réduire le besoin de pratiques touristiques classiques à plus longue distance ?

Je n’en suis pas sûr. Le tourisme au long cours au moment des vacances n’est pas antinomique du développement des pratiques récréatives au quotidien. Je pense plutôt que la tendance est à la poursuite des départs mais pour des séjours plus courts. Plus largement, il me semble que les pratiques en matière de tourisme classique ou de récréation de proximité dépendront de plus en plus à l’avenir de la recherche de sens que l’on a évoqué tout à l’heure. La figure du touriste passif, tout occupé à son repos bien mérité, ne doit faire oublier la montée d’un désir de vacances utiles, où l’on va entrer en relation avec les habitants du territoire d’accueil, se mettre au service d’un projet local (par exemple la rénovation d’un château), etc. De ce point de vue, un modèle touristique qui pourrait souffrir à l’avenir est celui des clubs de vacances qui pèche par son côté « hors-sol ».