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Le marché du tourisme urbain dans les métropoles françaises

Interview de Sophie MANDRILLON et Marie-Laure DESMET

Illustration représentant la devanture d'une pâtisserie

<< Lyon est l'une des premières destinations urbaines non historiquement touristiques en France, à avoir développé une démarche de développement touristique ambitieuse, portant à la fois sur l'offre et la demande >>.

Atout France a pour missions de promouvoir et développer la marque France à l’international, d’adapter l’offre française à la demande touristique nationale et internationale, d’accompagner les acteurs privés et publics du secteur touristique.

Dans cette interview, Sophie Mandrillon et Marie-Laure Desmet évoquent les efforts engagés par les métropoles françaises, et notamment Lyon, pour se positionner sur le marché européen du tourisme urbain.

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Date : 22/04/2013

On sait que le tourisme urbain est en plein essor dans le monde. Quel regard portez-vous sur le marché mondial aujourd’hui ?

Les destinations urbaines constituent effectivement de puissants moteurs de croissance du tourisme dans le monde, à la fois comme émettrices et comme réceptrices de flux touristiques. Elles concentrent une activité économique, administrative, universitaire, une offre de commerce et de loisirs et un patrimoine culturel qui leur permettent de capter une grande partie des flux du tourisme d’affaires, d’agrément et de proximité. Au sein du marché européen, on constate en particulier que l’essor du tourisme urbain profite largement de l’évolution des modes de consommation touristique, et notamment du développement des courts séjours. Les villes correspondent bien à ce type de demande puisqu’elles concentrent, comme on vient de le voir, en un seul lieu une offre d’activités très large. Enfin, la progression du tourisme urbain s’appuie également sur le développement des lignes aériennes « low-cost » ou de liaisons ferroviaires à grande vitesse, qui ont rendu accessibles rapidement et/ou à moindre coût de nombreuses destinations. De plus, l’émergence de la tendance à fractionner ses vacances et la hausse des courts-séjours, a largement profité au tourisme en ville. D’une manière générale, il est important de distinguer l’évolution des marchés de proximité, par exemple la clientèle européenne voyageant au sein de l’Europe, de celle des marchés lointains, c’est-à-dire les clientèles effectuant un voyage longue distance.

Pour autant, la croissance du tourisme urbain ne concerne pas tous les types de produits et toutes les régions du monde. L’offre et la demande sont en constante évolution au niveau international. On observe tout d’abord une croissance très forte de la demande asiatique, croissance qui reflète le boom économique de cette région. A contrario, la dynamique de la demande est moins forte en Europe, du fait de la crise bien sûr mais aussi du vieillissement de la population. Du côté de l’offre, on assiste à l’éclosion d’une multitude de nouvelles destinations, en Asie à nouveau, au Moyen-Orient, mais aussi en Europe (notamment en Europe de l’Est) où de plus en plus de villes aspirent à devenir des destinations touristiques. Bilbao ou encore Liverpool en sont des exemples emblématiques. Autrement dit, l’offre de destination s’accroit à une vitesse accélérée, ce qui tend à exacerber la concurrence entre régions et au sein des régions. 

 

Aujourd’hui, comment voyez-vous évoluer la concurrence entre métropoles au sein du marché européen ?

Les métropoles leaders restent globalement les mêmes, avec deux villes hors catégorie que sont Londres et Paris. Pour le reste, il faut rester prudent sur les classements de villes. Ils dépendent des types de variables prises en compte. De plus, chaque ville a son propre système d’observation des clientèles. Le champ d’observation le plus évident est celui de la fréquentation hôtelière pour laquelle nous avons des données relativement homogènes. A cet égard, les travaux du réseau European Cities Marketing (ECM) constituent une réelle avancée et apparaissent comme les plus solides aujourd’hui pour comparer les métropoles européennes. Il faut cependant garder à l’esprit que l’approche par les nuitées marchandes repose sur des données déclaratives et, surtout, laisse le plus souvent de côté les excursionnistes à la journée, ou les séjours dans des hébergements « non marchands » (famille, amis mais aussi hébergements locatifs). Autrement dit, les outils d’observation actuels ne mesurent qu’une partie des flux touristiques qui irriguent les villes. D’une manière générale, nous manquons cruellement d’informations pour évaluer les retombées économiques du tourisme sur les territoires. Le développement des outils d’observation de ces flux et de l’économie qu’ils génèrent constitue à l’évidence un enjeu majeur pour mieux valoriser le tourisme et mieux positionner les villes les unes par rapport aux autres.

 

Selon vous, en dehors de Paris, comment se situent les métropoles françaises sur la scène touristique européenne ?

 La spécificité des villes françaises est qu’elles ont aujourd’hui une visibilité plus faible que celles d’autres pays. On pense notamment à des pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie qui disposent de plusieurs métropoles régionales bien identifiées et qui sont en capacité de capter des flux touristiques importants. Le constat sur le manque de visibilité est particulièrement notable sur le champ des offres numériques (packages, WE...). Pour autant, certaines villes françaises ont fait des progrès sensibles ces dernières années et ont émergé sur la scène européenne. On peut citer par exemple Nantes, Nice, Montpellier, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Lyon, Strasbourg ou encore Lille.

 

Les villes françaises n’accusent-elles pas un certain retard par rapport à d’autres métropoles européennes dans la prise en compte des enjeux touristiques ?

D’une manière générale, il faut se rappeler que les villes ont longtemps été perçues comme des lieux de travail, comme des lieux dissociés des lieux de loisirs. De même, le phénomène touristique a pu apparaitre comme noyé dans la vie urbaine, passant plutôt inaperçu ou pouvant paraitre négligeable. Or, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Tout d’abord, depuis plus de vingt ans, les villes européennes sont engagées dans de multiples démarches visant à améliorer la qualité de vie urbaine. Une illustration de cette évolution est le lancement de travaux de restructuration et de valorisation des centre-villes et de leur patrimoine. En France, Lyon et Bordeaux, mais aussi Lille, Nice, Toulouse, Rennes et d’autres en sont de magnifiques exemples. L’économie touristique a pris appui sur cette préoccupation pour la qualité de vie et s’est développée à partir de cette mise en valeur. Les villes ont en retour pris conscience qu’elles pouvaient être agréables et attractives non seulement pour leurs habitants mais également pour une clientèle de loisirs. Aujourd’hui, on assiste à un approfondissement de cette logique dans la mesure où les villes réalisent que leur attractivité économique comme résidentielle dépend aussi de leur attractivité touristique. Il y a un effet cumulatif qui laisse à penser que l’intérêt des villes pour le tourisme va s’amplifier à l’avenir.

Pour répondre à votre question, la prise de conscience de l’enjeu touristique a été effectivement plus tardive en France que dans d’autres métropoles européennes. Toutefois, les choses sont en train d’évoluer rapidement. Nombre de villes se sont emparées de la question touristique. Les élus  prennent conscience que le tourisme constitue un enjeu de premier plan non seulement en termes de retombées économiques mais aussi d’attractivité globale. Ils portent un discours de plus en plus mobilisateur sur le sujet. La mobilisation de Metz suite à l’arrivée du Centre Pompidou est un bon exemple de cela. Nantes est un autre exemple de volontarisme politique en faveur du tourisme. Sur un plan opérationnel, les villes sont en train de renforcer les compétences de leur office de tourisme pour développer leur attractivité touristique. Dans les grandes villes, les offices de tourisme tendent à devenir de véritables agences de développement prenant en charge non seulement l’accueil des touristes mais également le développement et la promotion de l’offre, voire l’exploitation d’équipements (musées, ...). Pour autant, on observe de grandes disparités au niveau des moyens alloués aux offices de tourisme d’une ville à l’autre. A cet égard, on voit bien que l’amélioration de l’évaluation des retombées économiques du tourisme que l’on évoquait précédemment pourrait permettre d’accélérer et d’amplifier la mobilisation politique dans certaines villes. Il y a encore un besoin de faire la démonstration de l’effet d’entrainement du tourisme sur l’économie locale.

 

Quel regard portez-vous justement sur les initiatives de l’office de tourisme de Lyon ces dernières années ?

 De notre point de vue, Lyon est l’une des premières destinations urbaines non historiquement touristiques en France, à avoir développé une démarche de développement touristique ambitieuse, portant à la fois sur l’offre et la demande. L’office du tourisme de Lyon apparait tout d’abord comme professionnel et innovant et nombre de ses initiatives sont reprises ailleurs. Citons la mise en place des greeters, le panier dynamique de la centrale de réservation, son city pass numérique intégrant transport en commun et VLS.... La ville de Lyon est également souvent citée en matière de réflexion marketing. Elle a ainsi été la première ville en France à expérimenter  le city branding ou marque de destination partagée. En termes de lisibilité et de visibilité, Only Lyon constitue réellement un outil très puissant tout en institutionnalisant finalement le fait que le tourisme est une composante forte de l’attractivité globale. Lyon parait ainsi avoir un temps d’avance sur les autres métropoles françaises, même si la dynamique est aujourd’hui collective.

On sent également à Lyon une volonté de raisonner et de se positionner à l’échelle européenne. C’est l’une des rares villes françaises à participer au réseau ECM dont nous avons parlé tout à l’heure. Il y a une démarche construite et déterminée pour faire exister la destination Lyon sur la scène internationale. C’est essentiel lorsque l’on sait que pour ce qui concerne le tourisme urbain, ce sont les clientèles internationales qui portent la croissance. On peut noter aussi qu’à l’opposé de cette ambition internationale, Lyon a fait preuve d’un fort investissement sur la clientèle de proximité avec le site internet « mon week-end à Lyon ». Là encore, cette démarche est importante aujourd’hui, où les habitants sont de plus en plus touristes sur leur propre territoire. On notera enfin, et c’est un des préalables au développement, que la démarche est portée au niveau politique. Jean-Michel Daclin, l’élu en charge de ces questions au Grand Lyon, a bien compris les enjeux du tourisme et il s’en fait un très bon porte-parole. Il porte également une vision de la destination Lyon.

 

Quelles pourraient être les lacunes de la politique touristique lyonnaise aujourd’hui ?

Comme on vient de le voir, l’office de tourisme est aujourd’hui très performant dans sa mission de promotion de la destination Lyon. Il pourrait cependant pousser plus loin la réflexion concernant le contenu de l’offre et sa qualité (hébergements,  équipements, transports, etc.). Une piste à étudier aussi pourrait consister à répondre à l’évolution de la demande internationale qui souhaite faire l’expérience de « vivre à la française ». Sur ce point, Lyon aurait sans doute une belle carte à jouer. Par ailleurs, Lyon pourrait aussi s’inspirer de Nantes au niveau du travail de fédération des différents acteurs concernés par le tourisme autour d’un projet commun et d’une nouvelle lecture de la ville. C’est l’une des difficultés du tourisme : il n’y pas un acteur qui maitrise l’ensemble des composantes du produit et la communication qui en est faite. Le contenu d’une destination dépend de l’implication et de l’articulation de multiples acteurs. Et si un maillon fait défaut, par exemple si un touriste a une mauvaise expérience dans un commerce ou un taxi, cela rejaillit sur tous les autres maillons.

Or, on observe que les commerçants peuvent se sentir éloignés de la question touristique alors qu’elle les concerne directement. De même, pour les sociétés de transports publics urbains, on se rend compte que les touristes sont parfois complètement absents des préoccupations en termes de produits, dessertes, services, information.... Tout cela pour dire que l’un des enjeux de demain pour les villes est d’arriver à attiser la « conscience touristique » des acteurs et de fédérer et de mettre en cohérence toute cette chaine de services et de produits autour d’un positionnement et d’une feuille de route. La responsabilité de l’attractivité touristique serait ainsi plus largement partagée, avec une répartition des tâches entre les partenaires.

 

Vous évoquiez précédemment l’idée d’une convergence entre attractivité touristique, économique et résidentielle. Pouvez-vous nous en dire plus ?

En effet, on se rend compte que certaines métropoles sont en train de passer à une nouvelle étape dans le pilotage de leur attractivité. Elles développent désormais une stratégie globale d’attractivité de la ville dans laquelle les différentes facettes, touristique, résidentielle, économique entrent en résonance les unes avec les autres et se renforcent mutuellement. Ainsi, le tourisme devient une préoccupation partagée par l’ensemble des acteurs intervenant dans l’attractivité de la métropole. En Europe, Londres et Amsterdam sont emblématiques de cette évolution. Ces deux métropoles ont fusionné leurs différentes agences de développement et d’attractivité.

En France, nous n’en sommes pas encore là mais nous assistons à des rapprochements fertiles. Notamment entre tourisme et culture comme à Nantes où les services en charge de la gestion des équipements culturels ont fusionné avec l’office de tourisme pour favoriser la construction d’un projet global de destination. On voit également émerger des stratégies plus intégrées. Lyon est un bon exemple avec sa marque partagée. Saint-Etienne également développe une stratégie d’attractivité globale dont le tourisme est une des composantes. Ces stratégies sont l’occasion de mieux travailler ensemble, de concevoir de nouveaux produits, d’échanger des personnels afin que chacun comprenne mieux les problématiques quotidiennes des autres, et de créer de la valeur. Ces démarches privilégiant une approche globale nous paraissent essentielles pour l’avenir car bien souvent les activités des uns servent celles des autres et de nombreuses voies restent à explorer (n’oublions pas que les habitants ou les étudiants sont aussi des touristes ou encore que les touristes peuvent devenir des habitants, des étudiants voire des investisseurs...).

 

Toujours sur ce registre de convergence des efforts en matière d’attractivité touristique, le renforcement des destinations métropolitaines ne se joue-t-il pas aussi dans la valorisation des attraits des territoires alentours ?

Pour nous c’est une évidence. Dans le contexte français, votre question renvoie à la problématique de l’articulation entre les offices de tourisme urbains et les comités départementaux et régionaux du tourisme mais aussi de coopération entre territoires voisins. Cette articulation fonctionne plus ou moins bien selon les territoires et leur organisation administrative. Dans certains d’entre eux, les villes apparaissent comme des phares et des portes d’entrée de la région sur lesquels il faut s’appuyer pour valoriser l’ensemble du territoire. On est alors dans une logique gagnant-gagnant. En revanche, dans certains cas, il peut y avoir des visions différentes et la thématique du tourisme urbain être insuffisamment valorisée.

De notre point de vue, cette seconde approche est plutôt une erreur parce que les villes sont partout des portes d’entrée vers les territoires alentours. Nos enquêtes ont en effet bien montré qu’environ la moitié des touristes urbains sortent des villes pour visiter les environs au cours de leur séjour et à l’inverse, les personnes en séjour sur un territoire élargi vont visiter les villes. Une destination urbaine telle que nous l’avons décrite dans nos publications se compose de trois dimensions : la ville culturelle, avec son patrimoine, ses musées, ses évènements ; la ville générique, c’est-à-dire les commerces, les restaurants, les services ; et l’espace alentour qui vient compléter l’offre touristique. Reims sans le Champagne, est-ce que ce serait la même chose ? Et Nice sans la Côte d’Azur ? Les villes et les territoires alentours sont fortement complémentaires. Certains territoires en Europe l’ont bien compris. Des villes comme Amsterdam ou Lisbonne jouent de cette combinaison en valorisant des visites à l’extérieur de la ville, un accès à l’océan, etc. Cette complémentarité permet d’élargir la palette de l’offre et donc de proposer des perspectives de séjours plus étoffées. C’est encore plus important en France où les villes sont plutôt plus petites que leurs homologues européennes.

Positionner les villes comme des hubs à partir desquels il est possible de construire des « séjours en étoile » rayonnant vers l’espace alentour constitue une véritable opportunité pour rallonger la durée des séjours, dont on sait qu’elle est plus courte en France qu’ailleurs. Ceci est d’autant plus valable pour la clientèle en provenance de marchés lointains qui est plus encline à faire de longs déplacements dans la journée. Ce travail de coopération et de complémentarité est engagé notamment grâce aux instruments offerts par les réformes territoriales (EPCI, pôles métropolitains...). Il reste largement à construire mais il est nécessaire compte tenu de la nécessité de faire émerger des destinations fortes et visibles.

 

Aujourd’hui, quels sont les grands attracteurs touristiques, ceux pouvant déclencher un voyage dans telle ou telle métropole ?

 La culture reste un élément essentiel de l’attractivité touristique des métropoles. Bilbao et le musée Guggenheim, l’ouverture d’une antenne du Louvre à Lens et du Centre Pompidou à Metz, le projet   Le voyage à Nantes » autour de la création artistique, Lille 3000, Marseille capitale de la culture en 2013 nous avons d’innombrables exemples qui font la démonstration de l’effet d’entrainement de la culture pour le tourisme. Le patrimoine, les équipements et les événements culturels constituent incontestablement un fort levier d’attractivité touristique. Rappelons que, pour un touriste étranger sur deux, la culture et le patrimoine sont la première motivation d’un voyage en France. De ce point de vue, les différents labels culturels, comme le patrimoine mondial de l’Unesco, les capitales européennes de la culture, etc. jouent un rôle d’accélérateur dans le rayonnement culturel et touristique des métropoles, à condition bien évidemment de l’inscrire dans une stratégie d’ensemble. A Lille, on considère qu’avoir été capitale européenne de la culture a fait gagner dix ans à la ville en termes de notoriété.

L’évènementiel constitue un autre élément d’attractivité majeur. Il peut s’inscrire dans le champ culturel, mais pas nécessairement. Un événement sportif, ludique, etc. peut également drainer des visiteurs. Un troisième levier d’attractivité important réside dans l’image de marque de la ville. C’est tout l’enjeu du city branding. Par exemple, Bordeaux joue beaucoup sur la renommée de ses vins pour thématiser la ville. Enfin, on peut évoquer le fait que les villes semblent d’autant plus attractives sur le plan touristique que leurs habitants sont fiers de leur ville, convaincus de vivre dans un endroit de qualité. On aura d’autant plus envie de venir dans une ville que celle-ci est portée par ses habitants. En ce sens, l’effort de mobilisation que l’on évoquait tout à l’heure peut/doit aussi être étendu aux habitants eux-mêmes afin de renforcer la culture d’accueil du territoire et proposer de nouvelles expériences.