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Essais cliniques et recherches biomédiales

Interview de Frédérique GIRARD-ORY

Co-fondatrice du laboratoire Dermscan

<< Le principe de précaution ne doit pas empêcher les acteurs français de participer au développement des molécules de demain.recherche clinique >>.

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Date : 16/01/2013

Propos recueillis le 16 janvier 2013 par Caroline Januel dans le cadre des réflexions du Grand Lyon sur le devenir des bioindustries et des biosciences sur son territoire.

Frédérique Girard-Ory est la co-fondatrice du laboratoire Dermscan en 1990. Dermscan réalise des essais cliniques qui évalue la sécurité et l'efficacité de produits cosmétiques et des compléments alimentaires. La division Pharmascan, créée en 2001, gère des recherches biomédicales portant sur des médicaments (essais cliniques de phases I à IV) et des dispositifs médicaux non implantables.
Implanté depuis sa création à Villeurbanne, sur le campus de la Doua, Dermscan a aussi ouvert des centres de tests à Bangkok (2002), Gdansk (2008) et Tunis (2010).
Frédérique Girard-Ory revient sur l'histoire de Dermscan et sur son cœur de métier : l'analyse des produits destinés à l'enveloppe externe du corps.

Spécialiste de tests de produits cosmétiques, pourquoi Dermscan s'est-il tourné vers les médicaments et les dispositifs médicaux non implantables au sein de la division Pharmascan  ?

Au moment de la création de Dermscan, il y a 23 ans, notre objectif initial était davantage orienté sur les produits pharmaceutiques que cosmétiques. Philippe Girard, co-fondateur, était pharmacien et je suis Docteur en Sciences de génie biologique et médical. Un concours de circonstances a orienté le développement de la société vers la cosmétique : il y avait une très forte demande à l'époque sur le contrôle de la qualité de crèmes cosmétiques, en particulier les crèmes contenant des liposomes dont il fallait mesurer la stabilité. Nous avons donc développé nos compétences en mesures de différents paramètres de la peau (hydratation, cicatrisation, etc.) et notre activité dans le champ de la cosmétique a pris son essor.

Puis, dans les années 2000, nous avons finalement renoué avec notre projet initial en étendant nos activités vers les produits pharmaceutiques et les dispositifs médicaux non implantables (tels que les patchs, les pansements, les sprays), tout en restant dans les domaines d'application que nous connaissons : la dermatologie, l'ophtalmologie, la gynécologie, l'odontologie. Les produits que nous testons concernent l'enveloppe externe du corps.

Le choix de créer une autre marque s'est imposé naturellement afin de bien marquer la différence entre les deux types d'activités. La cosmétique et la pharmacie sont des mondes bien distincts avec des réglementations différentes, des vocabulaires différents...

La naissance de Pharmascan répondait-elle à une demande de vos clients ?
Oui, nous disposions déjà de beaucoup d'appareils permettant de mesurer des paramètres cutanés. Nous en avons acquis d'autres permettant, par exemple, de réaliser des échographies de la peau, utiles pour étudier le psoriasis, les verrues, l'acné, ... ainsi que des appareils permettant de mesurer la couleur de la peau, les inflammations, etc. Lors de nos différents échanges avec nos clients et lors de congrès scientifiques, nous ressentions bien l'intérêt pour notre parc instrumental. L'évolution était naturelle : créer Pharmascan a permis de nous diversifier tout en restant dans nos domaines d'expertise.

Pouvez-vous nous donner une idée du nombre d'études réalisées, de leur durée ?
Dermscan réalise 3000 à 4000 études par an, Pharmascan 20 à 30 études par an. Mais il faut préciser qu'on ne peut comparer ces chiffres. La durée des études réalisées dans le cadre de Dermscan varient d'1 jour à 6 mois, alors que les essais cliniques concernant des médicaments sont beaucoup plus longs. Ce qui explique pourquoi nous en réalisons beaucoup moins. Les contrats sont également bien différents : le plus petit contrat en cosmétique peut s'élever à 120 euros, en pharmacie, un contrat à 100 000 euros est une petite étude. Ce sont vraiment des mondes différents.

Qui sont vos clients ?
Nos clients sont essentiellement des industriels : des grands groupes pharmaceutiques aux start up. Nous n'avons pas travaillé jusqu'à présent pour des organismes publics. En pharmacie, la majorité de nos clients sont étrangers, européens pour la plupart. Nous avons relativement peu de clients régionaux en raison de notre domaine d'expertise. Les acteurs locaux de la santé exercent majoritairement dans d'autres domaines (infectiologie, diagnostic, vaccin...). En cosmétique, nos clients sont majoritairement français mais nous nous développons de plus en plus en Europe et aux USA.

Où commence et où s'arrête votre mission ?
Notre rôle dépend du niveau d'implication du client. Certains imposent un protocole, ce qui est important dans le cas d'études multicentriques car tous les partenaires doivent travailler de la même manière pour que les résultats puissent être comparés. D'autres s'en remettent à notre expertise et avec d'autres encore, nous définissons et affinons ensemble la rédaction du protocole.

Vient ensuite le recrutement des patients ?
Là aussi, tout dépend de la nature de l'étude. Nous avons un panel de volontaires sains recrutés par l'intermédiaire d'annonces sur notre site internet, voire même dans le métro. Le recrutement des patients se fait naturellement par un tout autre mode : via des praticiens travaillant en milieu hospitalier public ou privé, via des généralistes ou des spécialistes consultant en cabinets de ville. Nous pouvons également recruter des patients au sein de notre fichier car il conserve les informations concernant les maladies dermatologiques ou gynécologiques dont ils souffrent. Enfin, nous pouvons nous adresser à des associations de patients.

Est-ce une étape difficile ?
Le recrutement des patients est une étape extrêmement difficile. Pour certaines pathologies, il existe tout simplement très peu de patients. Ensuite, les patients ne souhaitent par forcément participer à la mise au point de médicaments de demain. Beaucoup préfèrent bénéficier de médicaments déjà sur le marché et bien connus. Cela dépend aussi des critères demandés pour l'étude. Par exemple, on peut imaginer qu'il est plutôt facile de constituer une cohorte d'adolescents souffrant d'acné, mais l'étude peut se concentrer uniquement sur un type d'acné, une fourchette d'âge précise. Il faut ensuite que l'adolescent accepte de tester un nouveau traitement, efficace ou pas, de venir x fois au laboratoire pendant plusieurs mois, etc. La constitution d'un panel homogène et dans un laps de temps acceptable est donc un véritable challenge. Étaler l'étude sur une plus grande période n'est pas souhaitable car nous aurions des conditions climatiques différentes (ex. ensoleillement), des régimes alimentaires différents (ex. entre l'hiver et l'été), tout cela influe sur l'enveloppe externe du corps. Mais à vouloir être trop précis dans les critères demandés pour des raisons scientifiques, on arrive aussi à se déconnecter totalement de la « vraie » vie.

Cela vous oblige-t-il parfois à élargir votre recrutement sur d'autres zones géographiques ?
Parfois, cela est possible lorsque nous travaillons avec des cabinets médicaux qui peuvent réaliser les mêmes tests que nous, mais on ne peut pas toujours. Faire venir des patients de loin peut être envisagé mais cela augmente considérablement le coût de l'étude. C'est pourquoi nous nous efforçons de recruter à l'échelle régionale.

Nous proposons également des études cliniques dans d'autres pays comme nous sommes implantés en Pologne, en Tunisie et en Asie. Mais nos clients ne le souhaitent par forcément car cela implique d'obtenir l'autorisation de tester le médicament dans chaque pays.

Qu'en est-il de l'aspect réglementaire ?
L'aspect réglementaire est très lourd mais au niveau des médicaments, la réglementation a l'avantage d'être internationale et homogène, contrairement à la réglementation des produits cosmétiques. Lorsque les modalités de l'étude sont les mêmes d'un pays à l'autre, la réglementation n'est pas un frein de développement, cela ne représente pas un aspect concurrentiel alors que ce n'est pas du tout le cas pour la cosmétique. On a des lois franco-françaises très lourdes, et cela depuis les débuts de Dermscan. La réglementation française a toujours été plus rigoureuse qu'ailleurs. Contrairement à ce qui avait été dit au moment de la mise en place de la loi Huriet, l'Europe n'a pas suivi la France. A ce jour, elle n'a toujours pas adopté les mêmes contraintes et dispose de ses propres directives spécifiques pour la cosmétique. A partir du moment où on peut travailler dans un autre pays européen à des coûts moindres et que ces dossiers sont parfaitement acceptés en France, il est très difficile de continuer à travailler ici. On pourrait espérer que la France, ayant des lois plus drastiques, engage les industriels à faire leurs études en France, sachant qu'après leurs produits n'auront pas de mal à intégrer d'autres marchés, mais cela n'est pas le cas ! Nous sommes donc aussi implantés à l'étranger pour répondre à ces contraintes, aux côtés de nos clients.

Comment se passent ensuite les investigations proprement dites ?
Nous réalisons les tests pour lesquels nous sommes équipés. Pour les tests sanguins et les biopsies, nous faisons les prélèvements, puis nous les envoyons chez nos clients, les partenaires de nos clients, ou encore des laboratoires d'analyse avec lesquels nous collaborons, pour qu'ils soient analysés.

Qu'en est-il du traitement des données ?
Généralement, nous allons jusqu'au traitement des données et la rédaction du rapport qui sera intégré dans  le dossier d'autorisation de mise sur le marché. Nous nous adaptons naturellement aux demandes de nos clients. Certains possèdent leurs propres services de « data management » (N.B : il s'agit du traitement des données, c'est-à-dire la production d'un fichier électronique de données validées, permettant l'analyse statistique) et de biostatistiques. Cela dépend aussi si nous sommes l'unique centre investigateur ou pas. Certains clients préfèrent récolter l'ensemble des données des investigateurs et les traiter eux-mêmes. Comme tout prestataire de services, nous nous adaptons à nos clients et proposons des services « sur mesure ». Mais nous pouvons réaliser une étude clinique de A à Z, de la rédaction du protocole à la rédaction du rapport final.

« Pouvoir réaliser une étude clinique de A à Z », est-ce la spécificité de Pharmascan ?
Pharmascan est une CRO (contract research organisation), un prestataire de services, un peu particulière puisque nous disposons de laboratoires sur place. C'est assez rare d'avoir une structure privée qui propose les deux activités : une activité de CRO classique faisant intervenir des attachés de recherche clinique (ARC), le milieu hospitalier, les cabinets de ville, etc. et une activité de centre de recherche clinique sur site qui accueille des patients et des volontaires sains, avec ce plateau technique qui permet de réaliser de nombreuses analyses.

Il y a bien sur d'autres CRO en France et même dans la région, mais elles sont davantage centrées sur la cosmétique, et d'autres Centres de recherche clinique (CRC) mais ils sont intégrés à des établissements de santé, en complément notamment des CIC (Centres d'investigation clinique).

Quant à la concurrence internationale, elle existe naturellement. Dermscan est une petite CRO en comparaison de certaines sociétés. Mais nos spécificités peuvent les intéresser ponctuellement et peuvent nous conduire à collaborer, soit en tant que client, soit en tant que partenaire au service d'un même client.

Observez-vous une évolution dans l'externalisation de la recherche clinique ?
Dans nos domaines d'expertise, c'est une activité qui a toujours été sous-traitée. Les clients n'ont pas spécialement intérêt à internaliser leurs études cliniques. Ils ne disposent pas forcément de l'expérience et du plateau technique nécessaires aux investigations et ne peuvent s'équiper pour toutes leurs gammes de médicaments. Ils ont donc intérêt à s'adresser, selon leurs besoins, à des CRO spécialisés dans les produits qu'ils veulent tester. En cosmétologie, certains clients essaient d'internaliser les études cliniques, puis reviennent en général à la sous-traitance. C'est un autre métier, avec beaucoup de contraintes réglementaires, une activité difficile qui nécessite aussi d'être à proximité des patients, ce qui n'est pas toujours le cas de nos clients.

Quels sont les atouts de l'agglomération en matière de recherche clinique ?
 Lyon est une ville où il y a beaucoup d'hôpitaux publics et privés. Quand je suis arrivée à Lyon, deux choses m'ont sauté aux yeux : le nombre d'hôpitaux et le nombre de restaurants. Il y a aussi beaucoup d'entreprises pharmaceutiques et chimiques. Beaucoup d'hôpitaux signifie aussi beaucoup de patients et de cliniciens donc de partenaires potentiels. On trouve un grand nombre de services compétents, dans des spécialités différentes. Il est en général possible de réaliser une étude clinique au niveau de la région en Rhône-alpes sans devoir recourir à des patients d'autres pays ou régions. Il y a aussi des médecins assez ouverts sur le sujet, rodés à l'exercice. Il existe aussi des formations en recherche clinique.

Il y a aussi des congrès médicaux, en particulier en dermatologie, comme le COBIP (Cours de Biologie de la Peau) qui a lieu tous les ans.  La dermatologie n'est pas le secteur le plus développé en médecine, c'était déjà le parent pauvre de la médecine lorsque je faisais ma thèse dans un service de grands brûlés. Mais nous avons la chance d’avoir à Lyon de bons services de dermatologie en général et pour les traitements des brûlures en particulier.

Quelles marges de progression identifiez-vous au niveau local ?
Il faudrait davantage de clients locaux, c'est-à-dire un nombre plus important de fabricants de médicaments en dermatologie, ophtalmologie, gynécologie et dentaire. La proximité a son intérêt : se retrouver facilement dans les mêmes formations et événements, mettre en place rapidement des analyses... Il y a beaucoup d'acteurs pharmaceutiques à Lyon, mais dans le champ de l'infectiologie, de la virologie, du diagnostic... Notre équipe commerciale va bien sur chercher nos clients, mais une société internationale va plutôt avoir le réflexe de rechercher un prestataire sur Paris plutôt qu'à Lyon. Nous rentrons parfois en contact avec des clients qui ne connaissent pas du tout Lyon, ou alors uniquement sous l'angle de l'Olympique lyonnais. Pour un développement plus facile, le renom de la ville ou de la région a son importance.

En quoi est-ce important ou stratégique de faire vivre une activité de recherche clinique dans l'agglomération ?
 C'est une activité qui dynamise la recherche, qui représente un certain poids économique... En termes d'attractivité, cela profite aussi bien aux industriels (petits et grands), aux CRO, aux établissements de santé, et ce, toutes disciplines confondues. Cela contribue à faire connaître ce que la région peut proposer en termes de soins et de prises en charge.

Avec l'expérience de Dermscan et de Pharmascan, quelles évolutions observez-vous au sein de vos domaines d'activités ?
La réglementation semble se renforcer. Encore une fois, cela est plus facile à gérer lorsque cette tendance concerne tous les pays européens plutôt que la France uniquement. Le cadre réglementaire est bien évidemment indispensable mais le principe de précaution ne doit pas empêcher les acteurs français de participer au développement des molécules de demain. Le risque de délocalisation d'études cliniques vers des pays où la réglementation est moins lourde est bien réel. C’est vraiment dommage car le but n'est pas de faire courir des risques à des populations moins bien protégées que la population française mais de faire en sorte qu'il n'y ait plus de risques du tout. A force de tout faire au niveau politique pour éviter tout ennui chez nous, nous pourrions en subir des conséquences dommageables. Cela pourrait nous desservir au final si nous utilisons des produits délivrés sur la base d'études fantaisistes ou des produits testés sur des populations à l'environnement et aux habitudes alimentaires bien différents des nôtres. Par exemple, une des spécificités françaises est la surmédicalisation. L'étude d'éventuelles interférences médicamenteuses me semble insuffisamment prise en compte. Que ferons-nous si le candidat médicament est testé sur des populations n'ayant de toute façon pas les moyens de prendre tout autre médicament ? Même si l'étude est correctement menée, se baser sur ces résultats est critiquable.

Le morcellement des études en raison de constitution de cohortes aux caractéristiques toujours plus précises fait parfois qu'on s'éloigne de la « vraie » vie. Est-il pertinent d'avoir des indications toujours plus étroites pour certains produits pharmaceutiques ?
Les formations en dermatologie et cosmétologie, comme les formations aux métiers de la recherche clinique sont satisfaisantes, mais nous manquons et allons manquer de dermatologues, de gynécologues et d'ophtalmologistes. Les spécialistes en place vieillissent, ils ont toujours leurs plannings de rendez-vous pleins plusieurs mois à l'avance et ils manquent parfois de temps pour participer à des études cliniques. La relève n'est pas suffisante.

Que pouvons-nous vous souhaiter en ce début d'année ?
Je souhaite pour cette année comme pour la décennie à venir maintenir mes effectifs en France et continuer à nous développer à l'international tant en nombre d'études réalisées qu'en chiffre d'affaires.Enfin, dans un cadre beaucoup plus général, qui dépasse largement le cadre de la santé, faire évoluer le regard que l'on porte sur les patrons en France me paraît indispensable.... Entreprendre et se développer en France sont déjà très difficiles. Cette vision des patrons, exploitant leurs équipes, intéressés uniquement par leurs revenus, n'arrange rien et décourage beaucoup de jeunes de se lancer dans l'aventure. Pourtant, l'immense majorité des patrons travaillent chaque jour pour ne pas réduire leurs effectifs, créer des emplois, développer leurs chiffre d'affaires... ils souhaitent juste pouvoir exercer normalement leurs activités.