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Cimetière virtuel avec Mémoire de vie

Interview de Eric Fauveau

Illustration représentant un cimetière de nuit

<< Il faudrait que la modernité dans le deuil apparaisse un peu moins comme un manque de respect >>.

Eric Fauveau est le fondateur de Afterweb en 2009.

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Date : 30/09/2013

Qu’est-ce que Mémoires de vie, quel est son modèle économique ?

Mémoires de vie est un concept de cimetière virtuel. Dès 1999, une entreprise de pompes funèbres de Monaco avait créé un cimetière virtuel. D’autres créations ont eu lieu aux Etats-Unis, en Angleterre, au Canada. Les Français n’ont rien inventé. On est en train de surfer sur le fait que les Français passent de plus en plus de temps sur Internet. Dès avant sa naissance, on commence à avoir une vie numérique, pourquoi cette vie numérique ne se poursuivrait-elle pas après la mort ? Il existe un marché à développer. Ce n’est pas du cynisme ni une envie forcenée de faire fortune, juste l’opportunité de faire vivre une petite entreprise aujourd’hui. C’est encore sans doute un peu tôt, mais il y a toujours une prime aux nouveaux arrivants. Internet est une très grosse loterie.

Mais la difficulté est la monétisation de ce genre de services sur Internet. C’est trop tôt : personne n’est prêt à payer pour avoir une petite concession dans un cimetière numérique. Environ 3000 personnes ont créé une tombe numérique, si c’était payant, il n’y aurait personne. Aux Etats-Unis, cela peut coûter 50$ par an. Mais il y a davantage d’avancées technologiques et les religions sont plus permissives, plus ouvertes à ce genre de choses.

 

Vous proposez également un service de retransmission vidéo des cérémonies funéraires. Comment fonctionne ce service, est-il très prisé ?

 En 2010 pour valoriser Mémoires de vie et trouver un modèle économique, nous avons développé un service de retransmission vidéo des cérémonies funéraires. Mémoires de vie devient ainsi un espace de souvenir et de retransmission. Nous avons installé 3 caméras à Paris au Père Lachaise, à Trèbes et à Canet en Roussillon. On en installe également au nouveau crématorium de Bergerac et dans l’Ain.

Les sociologues vont dire qu’assister à des funérailles à distance est une hérésie, que ça n’aide pas à faire son deuil, que les familles doivent être réunies. Aujourd’hui, le constat est que les familles sont de plus en plus éclatées en France ou à l’étranger. Les obsèques coûtent cher, mais ça coûte également aux proches : il faut payer le trajet, poser deux jours de congé. Aujourd’hui, avec la crise, les personnes peuvent moins se permettre une telle dépense. Par ailleurs, la population vieillit et se déplace moins.

Aujourd’hui, il y a une forte pression sociale entre les personnes qui sont là et celles qui ne sont pas là. Le fait d’avoir vu la cérémonie d’hommage et de pouvoir dire « tu as bien parlé » ou « cette cérémonie lui ressemblait », c’est un plus. Et puis pourquoi aurait-on le droit à une retransmission des obsèques pour Lady Di ou Madame Thatcher et pas pour un proche ?

Sur la 40aine de retransmissions que nous avons déjà réalisées les gens sont globalement contents. La caméra est pilotée à distance et peut zoomer, le son est parfait – à condition d’avoir une bonne ligne ADSL. Dans la nouvelle version, on donne la possibilité aux personnes absentes d’enregistrer un message vidéo, ça permet une certaine interactivité qui peut correspondre à un besoin pour certaines familles. Mais soyons clairs : notre but n’est évidemment pas de vider les crématoriums et les salles d’hommages.  

La partie juridique est complexe. Il faut respecter le droit à l’image, instaurer des zones franches où la vidéo n’accède pas, protéger les enfants… C’est très cadré. Mais pourquoi ne pas cadrer aussi les cameramen qui filment les mariages ?

 

Que pensez-vous d’autres innovations technologiques telles que les coffres forts numériques ou les messages post-mortem ?

Les sites de coffres forts permettant le partage de documents, photos et vidéo que le défunt a mis en sécurité, je n’y crois pas beaucoup. Le coffre fort numérique existe déjà gratuitement. Les messages post-mortem, c’est un peu glauque. After web n’a pas voulu se lancer dans ce genre de choses.

 

Les études démontrent qu’il y a une faible tolérance des Français à l’innovation et l’originalité dans le champ du funéraire.  Est-ce ce que vous constatez également ?

J’émets quelques doutes sur la sincérité des auteurs de ces études réalisées sous l’égide du CPFM ou des plus gros syndicats de patrons des pompes funèbres. Ces sociologues sont souvent perclus de réflexes judéo-chrétiens ! Il y a beaucoup d’innovations dans le funéraire, comme les cercueils en carton par exemple. Le problème, c’est que les PFG n’en veulent pas, prétextant que ça pollue et encrasse les systèmes de crémation. Les pierres tombales métalliques, moins chères et plus jolies que les pierres traditionnelles, commencent à percer. Dans le champ des innovations numériques, le concept de cimetière virtuel via des flashcodes est en train de se développer. Il y a aussi des vraies évolutions du côté des urnes funéraires, comme le montre une société telle que Méminis. Il faudrait que les Pompes Funèbres soient plus modernes, et que la modernité dans le deuil apparaisse un peu moins comme un manque de respect.

 

Quels sont les autres services numériques proposés par After web ?

Funeraire-info est un site d’actualité sur le funéraire pour lequel nous misons sur un modèle publicitaire. Netcropole.com est un site de publication d’avis de décès. Il est aujourd’hui gratuit, mais à terme, il s’agit de proposer des services payants. Toutes les petites annonces, pour la recherche d’emploi comme pour les rencontres, sont passées sur Internet, alors pourquoi pas les avis de décès ? Sur le Progrès (ou tout autre quotidien régional), l’avis de décès est facturé environ 250€, ce qui représente 8 à 10% du coût des obsèques. C’est une obligation si cela figure dans le contrat d’obsèques. Le lobby de la presse régional est puissant !

 

Pensez-vous que les nouvelles technologies puissent susciter l’émergence de « nouveaux rituels » funéraires ?

Ce qu’on appelle « nouvelles ritualités » ne fait que singer ce qui était fait à l’église. On supprime tous les signes religieux, on enlève le curé, l’étoile ou la croix, tout en gardant à peu près la même chose : textes, témoignages, musique, adieu… C’est le même rituel, mais laïc.

Ce qu’apporte surtout Internet, c’est de l’information, et notamment l’édition des devis. Mais aussi la possibilité de partager ce moment avec un bassin de proches. Internet permet en effet de créer une communauté plus large que celle du cercle familial. On peut identifier plusieurs cercles concentriques, selon l’âge du défunt, comme un oignon : la famille proche, la famille éloignée, les amis, les relations de travail, les relations sociales, les connaissances et au-delà. C’est ce que l’on observe aujourd'hui, quand un ado ou un parent d’ado décède : tout un réseau élargi qui trouve sa source dans Facebook se met en mouvement. Comme il très compliqué de dire quelque chose à une famille en deuil, Internet permet de dire les choses au moment où on le souhaite, de la façon dont on le souhaite.