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Logement et solidarité

Interview de Louis LEVEQUE

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Adjoint au Maire de Lyon, délégué au logement

<< La situation est telle qu’elle laisse peu de marge de manœuvre pour concilier le double enjeu de loger et de peupler de façon équilibrée les quartiers >>.

Interview réalisée par Catherine Panassier, Millénaire 3, en septembre 2012, dans le cadre de la démarche Grand Lyon Vision Solidaire sur le thème « Solidarité, logement, Politique de la Ville et cohésion sociale ».

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Date : 29/09/2012

Comment qualifier l’actuelle situation du logement en France et plus particulièrement à Lyon ?

Le terme qui qualifie le plus justement la situation nationale et locale du logement est celui de crise. Le rapport de la Fondation Abbé Pierre est une alerte depuis 2003 et note une aggravation de la situation année après année. Derrière ce constat général, il est important de souligner de très grandes différences entre les territoires à l’échelle nationale et dans notre région. Par exemple, le centre ville de Lyon connait une situation très tendue alors que Saint-Etienne et Villefranche connaissent une certaine vacance aussi bien dans le parc social que dans le parc privé. Les territoires qui résistent mieux à la crise économique, qui gardent une forte attractivité, font l’objet d’une pression importante au niveau du logement. A l’inverse, avec le départ des activités de la mine, de la métallurgie ou du textile, Saint-Etienne n’a pas retrouvé encore de réelle dynamique. Tout l’enjeu du pôle métropolitain est de travailler sur ces équilibres, de penser au développement global du territoire ; de conjuguer habitat et activité économique, logement et emploi ; et surtout de faciliter la mobilité et les transports. Détendre le marché immobilier et du logement lyonnais avec le marché stéphanois permettrait de soulager une situation tendue et d’en dynamiser une en difficulté. Par exemple, nous pourrions imaginer une plus grande synergie dans l’offre de formation entre les deux villes et envisager un plus grand développement de l’enseignement supérieur à Saint-Étienne où les étudiants trouveraient plus facilement à se loger. Il est d’ores et déjà possible de mieux « vendre » Saint-Étienne à Lyon en termes d’immobilier compte tenu des réseaux de transports existants et des temps de déplacement courts grâce à un cadencement satisfaisant.
Outre l’impact positif sur la situation du logement, l’intérêt de raisonner à l’échelle du pôle métropolitain est aussi de limiter l’étalement urbain pour privilégier un développement sur des axes structurés autour des lignes de transport en commun.
C’est de mon point de vue un élément fondamental pour éviter un développement urbain anarchique. Du fait de la croissance de la population et des demandes de logements, mais aussi de l’évolution de la mobilité, le territoire s’appréhende désormais à l’échelle métropolitaine.

 

Progressivement au cours de ces trente dernières années, les emplois d’ouvriers ont déserté la ville centre avec le départ des usines vers la périphérie ou leur fermeture. Il est probable que cette tendance s’accentue dans les années qui viennent. Face à de telles évolutions, la ville centre est-elle vouée à une gentrification durable ?

Incontestablement, les villes et notamment Lyon ont connu cette évolution. Cependant, le mouvement est derrière nous. L’essentiel de la mutation est fait. Pour autant, si de nombreux emplois ouvriers ont quitté la ville, d’autres se sont créés dans les domaines de l’entretien et des services à la personne notamment. Une masse d’emploi s’est ainsi développée et une masse importante de personnes occupe aujourd’hui ces emplois souvent précaires. Si la ville a joué un rôle d’essoreuse des populations pauvres vers la périphérie pendant des années, aujourd’hui il semble que les mouvements changent.
L’étude habitat que nous venons de conduire montre qu’entre 2001 et 2008, le nombre de ménages modestes a progressé plus rapidement que celui des ménages aisés. L’accroissement démographique de la ville ne s’est pas fait en défaveur des plus modestes. Par contre, ce que je ne mesure pas encore, c’est s’il s’est fait, ou pas, au détriment des classes moyennes. Quoi qu’il en soit, je pense que nous pouvons dire que la ville a connu une importante modification sociologique, mais que le phénomène de gentrification s’est quelque peu enrayé depuis les années 2000. Par ailleurs, ce phénomène est plus marqué dans certains territoires que dans d’autres. Les Pentes de la Croix Rousse résistent mieux à cette évolution que la Guillotière, aujourd’hui. Il est important de préciser qu’il s’agit d’un constat à un moment donné car cette tendance n’est peut-être que momentanée, et si c’est le cas, ce sera d’autant plus positif pour la Guillotière en termes de mixité.

 

Comment l’habitat peut-il participer du développement économique de la ville ?

Quand une entreprise cherche à s’implanter ou à se développer elle va être très attentive bien sûr à la dynamique économique locale, mais aussi à la qualité de vie, aux formations offertes, à l’image de la ville, à son dynamisme culturel, et à la question du logement. Ce contexte est bien plus important pour une entreprise que des aides financières. Plus le contexte est positif, plus l’entreprise sera rassurée dans son choix d’implantation. Une récente étude, commandée par le Medef au Crédoc, montre que les entreprises sont de plus en plus en plus sensibles aux effets de la hausse constante des prix de l’immobilier qui pèse fortement sur le pouvoir d’achat et la qualité de vie de leurs salariés, comme sur leur mobilité.
Les questions du logement et de l’emploi sont inévitablement liées. On sait l’immense difficulté des personnes sans logement à trouver un emploi. Quand une personne est privée de logement, d’adresse, de domiciliation, il lui est pratiquement impossible de trouver un emploi.
Et, si l’entreprise qui souhaite s’implanter est sensible aux conditions de logement et de mobilité du territoire, la personne qui souhaite se faire embaucher par l’entreprise l’est tout autant, si non plus. En effet, de très nombreux emplois sont perdus par impossibilité de se loger ou de se déplacer. Les grands quartiers d’habitat social abritaient les ouvriers qui travaillaient dans les usines installées à proximité. Aujourd’hui, l’emploi est plus diffus et la question de la mobilité des personnes peu qualifiées, et souvent en situation de précarité, est essentielle.
A l’échelle de la ville, on peut considérer que globalement la desserte est extrêmement qualitative, le quartier de Mermoz bénéfice du métro, celui des Etats-Unis de la ligne de tramway T4 et grâce au tunnel qui la relie à la gare de Vaise, La Duchère est également bien desservie. Toutefois, il subsiste des problèmes de desserte certains jours et notamment le dimanche, le matin tôt et le soir tard. Des personnes qui travaillent par exemple dans les hôpitaux ou qui exercent des métiers dans l’entretien ou la sécurité sont trop souvent contraintes à trouver d’autres moyens de transport, voire à renoncer à leur emploi faute de pouvoir se les financer. Une meilleure adaptation des horaires serait à envisager à partir d’une connaissance plus fine des besoins en transports en communs domicile/emploi notamment des personnes non ou peu qualifiées pour qui cette question est déterminante. Par ailleurs, il y a encore un vrai chantier à conduire pour mieux desservir certains quartiers à l’exemple du Vergoin dans le neuvième arrondissement qui est devenu un quartier agréable à vivre, mais qui reste victime de son enclavement.

 

Comment la ville se prépare t-elle à accueillir une nouvelle et nombreuse population alors que la situation du logement est déjà tendue ?

Dans l’étude habitat, nous avons défini un scénario, d’ailleurs un peu plus ambitieux que les orientations du SCOT, qui consiste à produire 2 700 logements neufs/an à Lyon d’ici 2019. Cet objectif permet de répondre à une croissance démographique de 40 000 nouveaux ménages, une évolution semblable à celle constatée entre 1999 et 2007. Ce scénario montre qu’ainsi, on utiliserait 90% du foncier aujourd’hui mutable. L’enjeu de travailler sur la prochaine révision du PLU-h (Plan Local d’Urbanisme et de l’habitat) est de développer des règles qui permettent réellement le développement du logement dans la ville, d’augmenter la capacité à construire notamment en termes de hauteur, d’agir sur l’intensité urbaine. Bien évidemment cet objectif quantitatif de densification de la ville ne peut s’envisager que dans une conjugaison avec un objectif qualitatif. La densification des constructions n’est en effet acceptable que si les espaces publics et privés sont de qualité, que si ils offrent des respirations et une présence renforcée de la nature en ville. C’est une immense chance à Lyon que de bénéficier encore d’autant d’opportunités foncières dans de nombreux quartiers environnants le centre ville.

 

Quel sera le statut de ces 2 700 logements ?

Nous prévoyons la création de 1 500 logements sociaux/an, 400 en opération d’acquisition amélioration, 200 en résidences sociales et 900 neufs qui participent donc de cet objectif de construction de 2 700 nouveaux logements. Nous envisageons 1 800 logements privés neufs. Cependant comme les prix de l’immobilier sont particulièrement élevés, nous prévoyons de permettre 400 logements en accession sociale notamment à travers le dispositif PSLA, certes compliqué à mettre en œuvre mais que certains bailleurs que nous encourageons osent quand même utiliser. L’accession sociale à la propriété est un dispositif très encadré et nous souhaitons en complément développer l’accession abordable, c'est-à-dire à un prix moyen d’acquisition de l’ordre de 3 600 euros/m2 pour des niveaux ou plafonds de revenus qui restent à préciser. Ces derniers seront d’ailleurs peut-être à moduler en fonction des secteurs même si ce n’est pas le secteur qui fait la capacité financière des ménages. Cet objectif est fragile car il n’existe pas de cadre national. Il dépendra du partenariat que nous saurons construire avec les promoteurs, probablement aussi des outils fonciers dont nous nous doterons, mais cette expérimentation est essentielle pour répondre aux classes moyennes et garantir la mixité.

 

Toute importante qu’elle soit, la production de logements sociaux permet-elle de combler la baisse de la vocation sociale  du parc privé et l’accroissement des demandes ?

A l’évidence non, et je suis même convaincu que le parc public ne pourra jamais compenser l’hémorragie de la perte de la vocation sociale du parc privé. D’où l’enjeu, dans notre ville et au niveau national, de travailler pour que le parc privé garde cette fonction. Le grenelle de l’environnement doit nous contraindre à relever un double défi écologique et social, et ce en conjuguant réhabilitation et conventionnement, dont il serait souhaitable qu’il soit d’une durée plus longue que dans les OPAH. Le gouvernement doit s’atteler à la mise en place de nouveaux dispositifs en ce sens et dès maintenant car c’est une opportunité qui ne se représentera pas.

 

Au-delà des chiffres, a-t-on une connaissance précise de la demande dans le parc social ?

Grace au travail de l’OSL (Observatoire Social du Logement), prestataire du Grand Lyon pour la consolidation des données de la demande de logements à Lyon, nous avons une connaissance assez précise mais toujours décalée de deux ans. Ce décalage n’est toutefois pas réellement gênant, puisque les tendances ne s’inversent jamais brutalement. Ainsi, en 2010, nous totalisions 25 000 demandes. La mise en place du fichier commun va permettre de bénéficier d’une nouvelle base de données fiables et en temps réel. Par ailleurs, à travers nos échanges avec les élus et les partenaires des ILHA (Instance Locale de l’Habitat et des Attributions), les techniciens de différents services, ou encore à l’occasion de la conférence communale du logement ou de séminaires, nous avons également une approche plus sensible, une vision plus qualitative et actualisée.

 

Qui sont les demandeurs ?

Les demandeurs sont souvent déjà des locataires du parc social qui, pour des raisons économiques ou de surpeuplement, ont besoin de changer de logement. L’inadaptation du logement à la taille de la famille est la raison principale des demandes. Viennent ensuite les demandeurs locataires du parc privé qui ne peuvent plus suivre l’augmentation des loyers sans craindre de s’endetter ; les demandes liées aux séparations ou à l’apparition d’une maladie ou d’un handicap ; les demandes car le propriétaire reprend son logement ou parce que celui-ci est insalubre. Les familles mono parentales, le plus souvent des femmes seules avec enfants, ainsi que les jeunes comptent parmi les publics les plus en difficulté auxquels se sont rajoutés ces dernières années les personnes retraitées et les travailleurs pauvres qui sont souvent des personnes qui alternent des périodes d’emploi et des périodes chômées ou qui travaillent à temps partiel et qui de fait, sont en situation précaire. En 2010, 33% des demandeurs étaient des salariés en CDI contre 35% en 2009 ou 37% en 2008. Aujourd’hui, 50% des demandeurs sont en emploi et pourtant, 78% ont des revenus inférieurs au plafond PLAI. L’emploi ne garantit plus de la précarité.

Il faut souligner que près d’un tiers des demandeurs, ne sont ni locataire, ni propriétaire : ce sont des personnes hébergées en CHRS, en foyer, à l’hôtel, des jeunes en attente de décohabitation, des personnes hébergées chez des amis et certains sans solution, à la rue.

 

Dans un contexte de situation du logement tellement tendue, n’est-on pas contraint de loger les situations d’urgence sans se soucier de l’équilibre des immeubles, sans bâtir de réelles politiques d’attribution des logements ?

Effectivement, la situation est telle qu’elle laisse peu de marge de manœuvre pour concilier le double enjeu de loger et de peupler de façon équilibrée les quartiers. Pour autant, nous devons veiller à être très prudents dans certains secteurs pour ne pas développer des formes de ghettos. Le principal handicap provient du fait qu’il n’est possible de loger les plus modestes pratiquement que dans certains quartiers où les prix des loyers sont restés bas. Et, comme le niveau de revenu des demandeurs est aujourd’hui bien inférieur à celui des occupants, il est fort difficile d’agir autrement.

 

Qu’est-ce qu’un équilibre de peuplement ?

Une politique de peuplement doit contribuer à garantir une diversité d’habitants dans une résidence, un quartier, une ville. Elle doit favoriser la cohabitation de personnes qui ont des revenus, des cultures ou des âges différents. Elle doit par exemple éviter de concentrer des femmes seules avec enfants ou des familles installées dans la précarité dans un même immeuble. C’est une politique qui demande un travail dans la finesse, réservataire par réservataire, et avec la mobilisation de l’ensemble des partenaires car il est impératif que tout le monde joue le jeu.

 

Le rapport à l’emploi est-il un critère à retenir dans une politique de peuplement ou d’attribution de logements ?

La relation à l’emploi est devenue un critère trop fluctuant pour être pris en considération. Je pense qu’il est préférable de considérer l’installation dans la précarité, par exemple, veiller à ce que des personnes au RSA côtoient des personnes en emploi stable.

 

Le processus d’attribution est particulièrement complexe du fait notamment du nombre de réservataires. Ces derniers ne devraient-ils pas, dans le cadre de conventions d’objectifs clairement définies,  déléguer la mission d’attribution aux bailleurs sociaux dont c’est le métier et qui connaissent bien leur parc ?

Je m’oppose clairement au principe de délégation des attributions aux bailleurs. Je privilégie fortement le partenariat. Pour moi, c’est en conjuguant les approches et les connaissances des uns et des autres que l’on progresse, pas en reportant ses responsabilités. Certes, la situation actuelle n’est pas satisfaisante, mais je suis convaincu qu’elle ne serait pas meilleure si une délégation était mise en place. Sans doute nous pourrions très bien fonctionner avec certains bailleurs, mais la situation serait fragile. Je crains des effets pervers et de la sélection de personnes plutôt dans le « haut du panier ». Et franchement, je ne vois pas pourquoi les bailleurs auraient toutes les vertus.
Je prône plutôt un partenariat renforcé et c’est d’ailleurs pour moi la deuxième étape du fichier commun de la demande.
Je souhaite qu’il devienne le lieu de mise en synergie des réservataires pour travailler sur des politiques de peuplement. Peut-être que lorsque nous aurons franchi cette étape il sera possible d’envisager une forme de délégation des attributions à l’échelle de l’agglomération, mais aujourd’hui, nous n’en sommes pas là.

 

Mixité résidentielle / mixité sociale

 

Quelle définition donnez-vous à la mixité ?

La mixité c’est faire vivre ensemble des populations diverses, différentes dans leurs revenus, leur âge, leurs origines, leurs fonctions sociales… c’est reconnaître toutes les diversités. Je suis très attaché à cette notion de vivre ensemble parce qu’elle est dynamique et suppose de créer du lien, de ne pas être indifférent à l’autre. Quelque soit le lieu de la ville, toute personne doit y être la bienvenue. C’est tout à fait primordial car on ne s’enrichit qu’à travers la rencontre avec les autres. Si l’on veut favoriser le vivre ensemble, il faut permettre la connaissance de l’autre et de sa différence, et lutter farouchement contre les stéréotypes et les idées préconçues. C’est le frottement qui permet cette connaissance, cette communication, à la base du faire société. Quand l’entre-soi domine, le vivre ensemble n’existe plus et se développent alors des tensions qui peuvent aller très loin. Je mesure tout à fait les risques de territoires entiers où la règle de vie de la République n’existe plus et les fractures qu’une telle situation peut générer. Les émeutes urbaines n’en sont qu’une expression, mais la situation pourrait être bien plus grave si l’Etat et les collectivités n’intervenaient dans ces territoires difficiles à vivre. Certes à Lyon, nous ne connaissons pas la situation de certains quartiers d’Ile-de-France, mais lorsque j’évoque l’absence de la loi de la République, je pense à la délinquance, mais je pense surtout à l’absence d’accès aux droits, aux graves problèmes de l’accès à la formation, au travail, à un logement décent, etc.

 

Vous êtes à l’initiative de la mise en place des SMS - Secteurs de Mixité Sociale. Pourquoi vouloir imposer un pourcentage de logements sociaux dans chaque programme neuf de construction de logements ? Est-ce seulement pour répondre aux objectifs de la loi SRU ?

La loi SRU n’est pas une finalité, elle est un point d’appui pour répondre aux importants besoins de logements que l’on ne peut pas satisfaire aujourd’hui. L’accueil des ménages modestes est l’affaire de toutes les communes, de tous les territoires. La loi SRU est un point d’appui pour atteindre cet objectif et les SMS sont un des outils de cette politique. Ils ont permis un niveau de production de logements sociaux important. Sur un aspect plus qualitatif, je n’ai pas de retour factuel de problèmes de cohabitation entre les locataires du parc social et les autres locataires ou copropriétaires dans ces immeubles mixtes. J’émets l’hypothèse que la mixité se vit plutôt bien. Dans le cadre de la révision générale du PLU-h, nous allons proposer une modulation des pourcentages SMS en fonction de la réalité des territoires, peut-être prévoir 30% de logements sociaux dans les secteurs les plus déficitaires et réduire à 20% dans les secteurs qui comptabilisent déjà 30% ou plus de logements sociaux. De la même manière, nous souhaitons introduire dans le PLU-h une exigence de typologie de logement qui corresponde davantage aux familles afin de leur permettre de rester dans la ville centre.

 

A quelle(s) échelle(s) faut-il penser la mixité ?

La mixité se décline à toutes les échelles, de la résidence de 30 ou 50 logements à la métropole. Et de mon point de vue elle raisonne particulièrement à l’échelle du quartier dans une logique de proximité, et à l’échelle de l’agglomération dans une logique de bassin de vie. D’où l’enjeu à la fois de chef de file du Grand Lyon et de bonne relation entre celui-ci et les communes pour travailler dans la dentelle à l’échelle du quartier. Le Grand Lyon a un rôle d’animation dans la coopération avec les communes pour définir les politiques en fonction de la diversité des territoires, pour accompagner les communes dans leur travail de mise en œuvre et d’évaluation de ces politiques. Il a également un rôle prospectif  et de proposition d’axes de progression. Il doit clairement être le chef de file, mais un chef de file respectueux des communes avec lesquelles il doit coopérer.

 

La mixité résidentielle produit-elle systématiquement de la mixité sociale ?

La mixité résidentielle produit de fait de la mixité sociale, mais pas forcement du vivre ensemble. La mixité résidentielle est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Tout dépend de ce qui est entrepris pour favoriser le vivre ensemble, des activités génératrices de liens qui sont envisagées. Il est essentiel que l’action publique veille à développer le lien social notamment dans les quartiers en renouvellement urbain où les anciens et les nouveaux habitants doivent faire connaissance. Les services et commerces de proximité comme les évènements festifs ou culturels sont importants dans une telle dynamique, et bien sûr l’école. Le vivre ensemble passe par l’école, c’est évident pour les enfants, mais ça l’est tout autant pour les parents qui construisent souvent leur vie dans le quartier à partir des liens qu’ils créent à l’école avec les autres parents d’élèves. Enfin, l’espace public doit également être pensé dans cet objectif. Pour moi aujourd’hui, les lieux les plus emblématiques de mixité sont les berges du Rhône à l’échelle de l’agglomération et la place Abbé Pierre à la Duchère à l’échelle d’un quartier.

 

Le PLH a pour objectif de rééquilibrer le logement social entre l’Est et l’Ouest de l’agglomération ; Selon vous, pour qui faut-il construire du logement social à Saint-Cyr au Mont-d’Or ?

J’ai une vision du logement social plus universaliste qui dépasse le raisonnement centré sur le logement destiné aux plus pauvres. A Saint-Cyr, il faut avant tout répondre aux habitants de Saint-Cyr qui ne sont peut-être pas les plus modestes, mais qui n’ont pas pour autant les moyens de rester vivre dans la commune de leurs parents ou d’y vieillir. Saint-Cyr doit accueillir des classes moyennes notamment dans une logique de proximité, ainsi que des ménages en situation de précarité dans une logique d’agglomération. D’une manière générale, les Grands Lyonnais, notamment ceux du Sud et de l’Est considèrent Saint-Cyr comme un village éloigné et inaccessible. Cependant, il peut tout à fait convenir à des retraités qui sont aux minima sociaux et aux familles du 9ème arrondissement qui sont en proximité. D’ailleurs, 14 à 15% des Duchérois, qui font l’objet d’une procédure de relogement liée à la démolition de leur immeuble dans le cadre du projet urbain, demandent à venir vivre dans une commune de l’ouest de l’agglomération.

 

Face aux souhaits « naturels » d’entre-soi, n’est-ce pas parfois violent que d’imposer la mixité ? Ne risque-t-on pas de renforcer un sentiment d’injustice et de générer des formes de rejet néfastes au vivre ensemble? Conduire une politique de mixité n’est-ce pas avant tout stigmatiser certaines populations, discriminer ?

Les risques liés à la mise en œuvre de politiques de mixité sont minimes. La plus grande crainte exprimée lorsqu’un propriétaire se retrouve voisin d’une habitation à loyer modéré, c’est la perte de valeur de son bien. Bien sûr, il peut y avoir des tensions, mais la mixité fait quand même partie de notre patrimoine. Il convient de rester vigilant pour qu’elle soit effectivement bien vécue. Je pense par exemple que les logements sociaux neufs dans le cadre des SMS sont à proposer aux ménages en demande de mutation dans le cadre d’un parcours résidentiel. Les habitants du parc social ont, eux aussi, droit à un parcours résidentiel et les SMS sont d’excellentes opportunités. Il ne s’agit pas de discriminer, mais de prendre en compte, dans un souci de solidarité et d’égalité.

 

Politique de la Ville

 

Dans les années 1990, les maîtres mots des politiques publiques et notamment de la Politique de la Ville étaient intégration et insertion : intégration des quartiers à la ville et insertion des populations fragiles. Aujourd’hui le maître mot est « mixité ». Comment expliquez-vous cette évolution ?

La question de l’intégration est toujours présente et il est vrai qu’elle sous-entend encore souvent assimilation. Cependant, il me semble qu’aujourd’hui nous sommes davantage dans une reconnaissance des différences et moins dans la négation des identités personnelles et collectives. L’accent est mis sur le vivre ensemble, sur la connaissance de l’autre dans sa différence, mais aussi dans ce que l’on a de commun.

 

Sommes-nous devenus plus tolérants ?

Peut-être sommes nous plus tolérants, mais ce n’est pas certain !
Dans la conception de la vie en société, tout le monde n’a pas renoncé à l’assimilation et le débat sur l’identité nationale lancé par l’ancien gouvernement en est une preuve assez significative. Personnellement, je pense que l’on a à s’enrichir les uns des autres pour construire un bien commun. Cependant et depuis les années 1980, on assiste à un délitement des cadres collectifs du fait de la valorisation de l’individu au détriment du collectif et de la mise en concurrence des individus entre-eux. Par ailleurs et dans un même temps, on a travaillé dans le discours politique à opposer les populations entres-elles : le chômeur contre le travailleur, le malade contre le bien portant, le bénéficiaire d’allocations contre celui qui paie des impôts, etc. Cette évolution a généré une division et une fragmentation de la société qui conduit à l’érosion du sentiment d’appartenance à un destin commun. Je ne dis pas qu’il ne faut pas reconnaître l’individu, mais quand celui-ci prime sur le collectif, quand une société pousse autant l’individualisme, il y a danger pour la cohésion sociale. La première chose à faire pour avoir une société plus humaine et solidaire est de recréer du lien.

 

Les résultats de la Politique de la Ville sont peu concluants. Le chômage, notamment celui des jeunes, y est toujours aussi important et la réussite scolaire toujours plus faible que dans les autres quartiers de la ville : est-ce le signe de l’échec de la Politique de la Ville ?

Toutes les études conduites sur la Politique de la Ville et les résultats présentés portent sur les populations présentes dans les quartiers, sur des stocks. Elles ne prennent pas en compte la mobilité des ménages, les parcours résidentiels, l’évolution des populations qui ont quitté ces quartiers, les flux. « Parle-t-on toujours des mêmes habitants ? » est ainsi la première question à se poser avant d’évoquer l’échec de la Politique de la Ville. La deuxième affirmation que je souhaite souligner est qu’avant d’être l’échec de la Politique de la Ville, c’est celui du droit commun, de nos politiques générales, de notre capacité à répondre aux problèmes des ménages modestes ou dans la précarité. Enfin, il convient d’être nuancé et de se méfier des généralités. Les résultats ne sont pas identiques partout. Pour ma part, je considère que le bilan de la Politique de la Ville en Rhône-Alpes et particulièrement dans notre agglomération n’est pas comparable avec celui de l’Île-de-France par exemple. A Vaulx-en-Velin, la situation s’est nettement améliorée sur le plan urbain, mais aussi, dans le domaine socio-éducatif, et même économique. A Lyon, La Duchère est assez emblématique des profondes mutations urbaines, mais aussi et bien que ce soit moins visible, de l’évolution en matière de réussite éducative et d’emploi, ou encore de transformation culturelle du quartier. Et dans des quartiers anciens comme les Pentes de la Croix Rousse ou la Guillotière, la Politique de la Ville contribue aussi largement à la requalification de ces territoires.

 

Dans les années 1980, au début de la Politique de la Ville, les grands quartiers d’habitat social accueillaient de nombreuses familles d’origine étrangère. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?

L’origine ethnique n’est évidemment pas un critère que nous prenons en compte. Toutefois, il est possible de penser qu’effectivement les ménages étrangers ou d’origine étrangère sont plus souvent en situation de précarité et de fait surreprésentés dans la demande. Et il est vrai que certains quartiers abritent majoritairement des populations étrangères ou d’origine étrangère.

 

Quel devenir pour les quartiers en Politique de la Ville qui font l’objet d’une opération de renouvellement urbain ?

Ces quartiers resteront des quartiers populaires, deviendront des quartiers d’habitat social plus agréables à vivre, mieux desservis, dotés de commerces et de services de proximité, avec un cadre de vie et des espaces publics de qualité. Et ils ne seront pas exclusivement centrés sur l’accueil des plus modestes. La mixité n’induit pas une uniformatisation, mais il faut que tous les quartiers de la ville permettent la cohabitation avec des populations diverses et notamment avec les plus modestes.

 

Les opérations de renouvellement urbain sont-elles le devenir de tous les quartiers d’habitat social ?

Je pense qu’à terme, effectivement l’ensemble des quartiers de plus de 500 logements aura connu une opération de diversification de l’habitat et de requalification, même si celle-ci sera plus ou moins importante selon les quartiers. Car c’est bien la question de la diversification de l’habitat et de la mixité qu’il faut garder à l’esprit dans tous les quartiers de la ville, et je le rappelle pas seulement dans ceux qui relèvent de la Politique de la Ville.
Et, il est possible d’envisager des mutations y compris dans de petits secteurs à l’exemple du quartier du Vergoin qui ne fait pas l’objet d’une opération de renouvellement urbain avec l’ANRU, mais dans lequel nous avons engagé une vente des logements aux locataires pour diversifier l’habitat. Nous avons en effet des moyens pour agir dans cet objectif en dehors des opérations de renouvellement urbain de démolition-reconstruction. Je pense à la réhabilitation, à la vente de logements aux locataires, mais aussi, avec une évolution de la réglementation, à l’évolution de certains logements sociaux en PLS, ou encore à la construction de logements en accession libre et sociale dans une stratégie de densification. Le rachat de leur logement par les locataires ou d’une manière générale, l’accession à la propriété est une perspective que nombre d’habitants des quartiers d’habitat social ne s’autorisaient pas. Quand l’accession devient possible, des verrous symboliques sautent, les visions changent, et un autre futur est envisageable. 15% des nouveaux propriétaires de la Duchère sont issus du quartier. En achetant à la Duchère, ils marquent leur attachement au quartier, participent de la diversification de l’habitat et rendent visible la possibilité de se projeter dans un parcours résidentiel. 

 

Certains quartiers qui ne font pas l’objet d’une opération de renouvellement urbain et dont les niveaux de loyers sont restés bas accueillent aujourd’hui les ménages les plus modestes. N’est-ce pas un rôle qu’il serait intéressant de reconnaître, voire même de renforcer comme le suggère Philippe Estèbe, même si celui-ci peut paraître aller à l’encontre du principe de mixité ?

Il faut considérer les choses dans le mouvement, la ville n’est pas figée. Par exemple, la place Gabriel Péri, que j’appelle encore comme nombre de lyonnais la place du pont, est marquée par son histoire, par sa tradition d’accueil des populations immigrées arrivants des milieux ruraux ou de l’étranger. Mais, si je considère qu’il est important de reconnaître cette réalité, je ne souhaite pas pour autant enfermer le quartier dans cette fonction. Et l’enjeu pour ce quartier est probablement plus de valoriser la diversité de sa population, notamment en faisant la promotion de ses commerces qui reflètent bien cette diversité, qu’ils soient alimentaires à l’exemple de Bahadourian, de ses boucheries et pâtisseries, ou vestimentaires à l’exemple des magasins de robes pour mariages et cérémonies. De même, dans le quartier de la Guillotière du côté du 7e arrondissement nous souhaitons valoriser, aux côtés des magasins traditionnels, les restaurants et le commerce asiatiques et les salons de coiffure africains qui sont autant de vitrines de la diversité du quartier. L’enjeu n’est pas de gommer mais de faire de cette diversité un véritable atout. Bien sûr, le quartier doit garder son rôle d’accueil, mais l’objectif majeur est celui de la mixité et qu’il reste un quartier populaire de centre-ville. La fonction d’accueil ne doit pas être confiée uniquement à certains quartiers, ce qui conduirait à les figer ; elle doit être répartie sur l’ensemble du territoire. D’ores et déjà, l’ensemble des quartiers populaires assure cette fonction ; il faudrait l’élargir aux autres quartiers de la ville. Bien qu’il convienne de créer de meilleures conditions d’accueil et d’intégration, je ne suis absolument pas convaincu que ce soit dans des quartiers qui concentrent les difficultés que l’on favorise le mieux l’intégration, même si on y met les moyens. En ce sens, l’installation du CADA place Latarjet, au cœur du quartier d’habitat social de Mermoz Sud ne me semble pas avoir été particulièrement judicieux.

 

Ainsi, le quartier de Mermoz sud qui accueille des ménages modestes voire en situation de précarité grâce aux loyers de ses logements particulièrement bas n’est pas à renforcer dans son rôle d’accueil ?

Ce quartier concentre effectivement une population en situation de fragilité et face à cette réalité les moyens supplémentaires accordés dans le cadre des ZEP par exemple n’ont jamais été à la hauteur des besoins. Si le collège Grignard qui scolarise les enfants de Mermoz a de bons résultats, c’est avant tout parce que son champ de recrutement est large et qu’il accueille une mixité de population, pas parce qu’il bénéficie de moyens supplémentaires. A partir des données de l’ONZUS, nous avons retravaillé les éléments pour mieux mesurer la réalité des moyens accordés dans les quartiers prioritaires et force est de constater qu’ils ont plus reculé que dans les autres secteurs. Un certain nombre de chercheurs proposent d’ailleurs que ces moyens soient à minima doublés pour être à la hauteur des besoins. L’enjeu principal demeure celui de la mixité et dans l’attente d’atteindre cette mixité, il faudrait des moyens supplémentaires et surtout une mobilisation du droit commun pour adapter les moyens à la spécificité et aux difficultés des populations de ces territoires. On ne peut pas travailler de la même façon dans les établissements scolaires d’un quartier privilégié que dans ceux des quartiers en Politique de la Ville, dans un quartier qui accueille une très large majorité de français qui maîtrise la langue et les codes et des quartiers qui abritent des populations de plus d’une trentaine d’origines différentes. Cependant, si je conçois la nécessité d’une spécialisation des services publics dans les quartiers qui concentrent les populations fragiles comme le suggère Philippe Estèbe, je ne conçois pas de l’envisager durablement puisque pour moi, l’enjeu est celui de la mixité et de la prise en charge des publics fragiles dans tous les quartiers de la ville et pas seulement dans certains territoires dédiés à cette fonction. On ne peut pas envisager un devenir de l’agglomération avec des quartiers ségrégués, des quartiers qui concentrent des populations fragiles. Les politiques publiques antérieures ont conduit à cette concentration dont on peut mesurer aujourd’hui les conséquences. Il est impératif aujourd’hui d’aller dans le sens inverse et de ne plus stigmatiser et exclure les plus modestes.

 

Différents chercheurs ont démontré l’intérêt de forme d’entre-soi ou d’entre-pairs dans les processus d’intégration. Or, en prônant la mixité à tous prix, il semble que vous ne reconnaissez pas ces fonctions ?

Il me semble important de ne pas faire de fausses interprétations de la situation des quartiers et d’avoir conscience que, dans les quartiers d’habitat social, on a rarement un choix d’entre-soi, et que généralement le choix est imposé. Le logement social n’est pas un logement choisi, mais un logement attribué !
Et il me semble particulièrement important de faciliter la mobilité des ménages pour que le logement attribué ne soit pas un logement subi. Les demandes de mutations des ménages provenant de ces quartiers devraient d’ailleurs être prioritaires comme le sont celles des ménages concernés par les opérations de renouvellement urbain.
Autre contre-vérité, les gens de ces quartiers sont des semblables. C’est totalement faux, la mixité est extraordinaire dans ces quartiers qui abritent des personnes d’origines diverses et ou peuvent se côtoyer plus de trente ou quarante nationalités.
L’entre-soi est le fait des catégories supérieures où de classes moyennes qui ont tenté de vivre un entre-soi dans le péri urbain en le conjuguant avec le mythe de la maison individuelle. De mon point de vue, il faudrait impérativement casser ce mythe de la petite maison dans la prairie, totalement contre productif du développement durable et de qualité de vie pour les gens. Nombre de personnes en sont victimes car, certes le logement qu’elles ont trouvé dans le périurbain est probablement plus grand et plus agréable que celui qu’elles auraient pu s’acheter en ville, mais ce qu’elles ont économisé sur le logement, elles l’ont probablement perdu sur la mobilité et les services, et parfois connaissent des situations particulièrement difficiles, voire douloureuses. Le vote pour le Front National dans ces territoires est d’ailleurs sûrement l’expression d’une profonde déception et d’une immense frustration.

 

Si les quartiers en Politique de la Ville abritent une majorité de pauvres, tous les pauvres n’habitent pas dans un quartier prioritaire. N’y a-t-il pas une forme d’injustice à définir des périmètres ?

Le travail que nous avons conduit dans le cadre de la géographie prioritaire à retenir pour la Politique de la Ville à l’échelle de la ville montre que l’on a une concentration des populations modestes dans les quartiers en Politique de la Ville, même si effectivement on note des fragilités ailleurs, diluées dans la ville. La Politique de la Ville est une politique de développement local, de transformation urbaine et sociale des quartiers avec et par les habitants. Son rôle est d’agir sur les territoires les plus en difficulté, pas sur l’ensemble des publics en situation de fragilité qui relève des politiques de droit commun.