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La mixité sociale au Carré de soie à Lyon

Interview de Jean-Xavier BONNET

Directeur Rhône-Alpes - Midi-Pyrénées Bouwfonds Marignan Immobilier

<< Ce qui est important pour nous en termes de mixité est de parvenir à un équilibre entre des propriétaires occupants et des locataires, qu'ils soient en locatif libre ou en locatif social >>.

Propos recueillis par Catherine Panassier, le 13 avril 2012

Interview réalisée dans le cadre de la démarche « Grand Lyon Vision Solidaire » sur le thème « Mixité résidentielle et mixité sociale ».

Mixité sociale dans la ville

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Date : 12/04/2012

En tant que promoteur, qu’est-ce que signifie pour vous le terme de mixité sociale dans la ville ?

On assiste à des phénomènes de concentration de la population dans les centres urbains. Les campagnes se vident et l’activité économique se concentre autour des grandes villes. Les entreprises ont besoin d’être proches des autres entreprises qui sont leurs clients, leurs fournisseurs. Aussi, les villes demeurent très attractives. Cette concentration entraine une raréfaction dans les centres urbains et lorsqu’on démolit des immeubles de trois niveaux pour en reconstruire des plus hauts, lorsque l’on reconstruit la ville sur la ville, les coûts sont bien plus importants. C’est pourquoi la mixité, telle qu’elle est organisée par la loi SRU est une bonne chose. Une des grandes réussites de la loi SRU est de permettre de réintroduire du logement social dans la ville et ainsi d’éviter de satelliser en grande périphérie ce type de logements.

 

Comment avez-vous réagi quand la loi SRU a été votée et lorsque le Grand Lyon a décidé de faire de la mixité sociale un enjeu prioritaire de ses politiques d’urbanisme et de l’habitat, notamment avec la mise en place des SMS (Secteurs de Mixité Sociale, 20% de logements sociaux obligatoires dans tous programmes neufs) ?

Notre métier est de produire du logement, de construire et de vendre. La loi SRU nous a effectivement contraint à devenir un acteur du logement social, mais nous n’avons pas changé de métier pour autant.
Nous construisons toujours du logement de même qualité, et qu’il soit destiné à la vente à des propriétaires privés ou à des bailleurs sociaux, il est strictement le même. Parfois même, les exigences des bailleurs sociaux et des collectivités sont plus contraignantes sur le plan environnemental et nous amènent à aller au-delà de l’application des normes BBC. Très clairement, nous ne construisons ni mieux, ni moins bien lorsque nous fabriquons du logement social. Nous sommes tenus à un certain pourcentage de logements destinés au secteur social, c’est-à-dire qu’une partie de ces logements seront vendus à des bailleurs sociaux qui les affecteront à des personnes éligibles au logement social.

 

Cette exigence, d’affecter un pourcentage de logements à des bailleurs sociaux, modifie-t-elle votre lecture des territoires et vos choix d’implantation ?

Nous ne changeons pas de politique et c’est ce qui est intéressant dans la mise en œuvre de la mixité résidentielle. La production de logement social suit de facto notre production générale. Nous ne définissons pas un secteur où l’on choisirait de faire du logement social, celui-ci nous accompagne dans la vie de nos opérations. De ce côté là, en termes de mixité, la loi SRU produit ses effets.

Quelles précautions retenez vous en amont pour favoriser la mixité et le vivre ensemble dans les programmes que vous construisez ?
Ce qui est important pour nous en termes de mixité est de parvenir à un équilibre entre des propriétaires occupants et des locataires, qu’ils soient en locatif libre ou en locatif social. Réserver un pourcentage de logements sociaux nous contraint à rechercher d’autant plus des propriétaires occupants sur le reste des programmes. Un tel équilibre est un gage de bonne tenue dans le temps de l’immeuble. Les propriétaires occupants, qu’ils soient issus du logement social ou privé, sont très attentifs et soucieux de l’entretien de leur immeuble. Plus l’attention portée à l’immeuble par les habitants est importante, mieux c’est. Bien sûr, dans notre travail de conception des immeubles nous sommes très vigilants à la durabilité et à l’entretien des parties communes. Nous tentons à travers le choix de matériaux et une organisation de l’espace de favoriser un bon fonctionnement dans le temps. Mais cela ne suffit pas. Lorsqu’un immeuble n’est pas bien entretenu, lorsqu’il commence à être sale, dégradé ou taggué et que très vite des réparations ne sont pas envisagées, alors les dégradations peuvent s’enchainer très vite. Les habitants sont les meilleurs garants de l’entretien de leur immeuble. Pour nous c’est un élément essentiel pour que nos clients soient satisfaits, mais aussi pour notre image. Nos meilleurs prescripteurs sont nos clients. Nombre de nos clients reviennent nous voir quelques années après leur premier achat lorsqu’ils déménagent pour un autre quartier ou un logement plus grand.

 

Comment concrètement négociez-vous avec les bailleurs publics sur la typologie et la répartition des logements ?

En premier lieu, les bailleurs sociaux nous demandent de leur dédier une allée. La mixité sur le pallier n’existe pas ou très ponctuellement quand la typologie de l’immeuble ne nous permet pas de faire autrement. Les bailleurs sociaux préfèrent être « chez eux » et nous, « chez nous ». Les bailleurs sociaux apprécient rarement de se retrouver engagés dans des copropriétés. Il est plus simple, en termes de gestion, que les allées soient séparées. Les espaces extérieurs par contre peuvent plus facilement être communs.
D’une manière générale, que ce soit au niveau de la conception ou de l’implantation des logements, nous ne rencontrons pas véritablement de problème. La principale difficulté est l’équilibre budgétaire des opérations. D’une certaine façon, on demande aux acquéreurs privés de subventionner le logement social. Par exemple, dans le centre de Lyon, un acquéreur privé va acheter son logement plus de 4000 euros/m2 en moyenne alors que le bailleur social, pour les mêmes prestations, va l’acquérir pour 2300 euros/m2. Et l’écart a tendance à s’élargir entre le prix d’acquisition des bailleurs qui stagne et celui des propriétaires privés qui augmente. Ce n’est dans l’intérêt de personne de dire qu’aujourd’hui l’acquéreur privé subventionne le logement social, qu’il s’agit là d’un impôt masqué qui ne dit pas son nom. Cependant, le fait que l’on vende bientôt deux fois plus cher un même logement à un acquéreur privé qu’à un bailleur public devrait faire réfléchir toutes les parties prenantes sur le plan de l’équité, mais aussi du point de vue juridique.

 

La loi SRU serait responsable de la si grande augmentation des prix de l’immobilier de ces quinze dernières années ?

Si les prix de l’immobilier ont autant augmenté ces dernières années c’est d’abord parce que le coût de construction a doublé en dix ans. Lorsque l’on construit des logements, on est tenus d’appliquer des normes qui ont évolué et cette évolution a largement contribué à l’augmentation du coût du logement alors qu’en apparence la qualité de celui-ci et les prestations sont les mêmes. Par contre, effectivement les logements sont d’un meilleur niveau sur le plan énergétique, plus sécurisés (l’installation électrique est aujourd’hui 30% plus chère) et plus, voire peut-être trop, équipés en termes de protection. Certaines normes comme celle imposant de rendre systématiquement adaptable aux fauteuils roulants l’ensemble des logements se révèlent fort contraignantes pour très peu d’effet. Chaque fois que nous avons vendu un logement à une personne handicapée, nous avons été amenés à le refaire totalement pour qu’il soit réellement adapté à la personne qui va l’occuper. De plus, l’espace pour le retournement des fauteuils obligatoire dans les salles de bains et les chambres est pris sur l’espace de la salle commune, le séjour-cuisine, alors que la taille de cette pièce est un élément fondamental pour les familles. Il serait largement préférable de penser des logements modifiables plutôt que d’imposer des normes standards qui finalement ne satisfont personne. Et ces normes s’appliquent aussi bien au logement privé qu’au logement social. Aussi, la seule variable pour baisser le coût d’une opération est le foncier. A Lyon, celui-ci représente entre 15 et 25% du coût d’une opération. Il était il y a une dizaine d’années plus près des 10%. Il peut atteindre 50% à Paris et 60% ou 70% dans certains cas exceptionnels à Cannes ou à Nice.

 

Ces augmentations sont-elles sans fin ?

Les ressources des gens n’ont pas augmenté dans les mêmes proportions que le marché. Jusqu’à présent, la solvabilité des ménages a perduré grâce à la baisse et à l’allongement des financements. Par ailleurs, le marché secondaire, celui de l’ancien, a suivi celui du neuf. Or, ce sont souvent des seconds accédants qui deviennent acquéreurs dans le neuf. Nous devons réfléchir en termes de parcours résidentiels, de fluidité, et l’enjeu aujourd’hui est de produire du logement en accession entre 2500 et 3000 euros/m2. Ces acquéreurs sont aujourd’hui peut-être ceux qui occupent un logement social et qui demain pourront acheter du logement à un coût plus élevé. La production de logements intermédiaires permet d’alimenter une production plus globale. C’est pour nous une question essentielle. En effet, s’interroger sur le logement abordable est inscrit dans les gênes de Marignan. Notre société est issue d’un groupe qui fabriquait de la maison individuelle dans le Nord et notre actionnaire Rabo Real Estate Group est engagé dans la RSE depuis 1973. Ce n’est donc pas de la communication, mais une marque de fabrique que de travailler sur cette notion de logement abordable.

 

Que faudrait-il envisager pour baisser les coûts de production de logements ?

Pour baisser les coûts de production de logements, il faudrait revoir l’application de certaines normes et d’exigences par exemple celles qui concernent les places de stationnements. Construire des niveaux de stationnement en sous-sols augmente très fortement les coûts de construction et se révèle parfois inutile, notamment dans le logement social. Mais il faudrait surtout baisser le coût du foncier. Le foncier est notre matière première. Or nous sommes dans un marché très concurentiel.
La puissance publique à la capacité de maîtriser du foncier à  coûts maîtrisés dans le cadre de ZAC et de fixer des valeurs foncières de références. Dans ce contexte la valeur des terrains diffus dans l’environnement de la ZAC se fixe en fonction de la référence donnée par l’opération publique. Bien sûr, il ne faut pas aller trop loin dans l’interventionnisme, mais pour des opérations d’envergure, ce type d’intervention peut vraiment être efficace.
Par ailleurs, le dispositif « Scellier » a probablement été trop incitatif, mais il demeure une incitation fiscale simple à expliquer et permet la production de logements privatifs, mais également sociaux. Quand on construit 70 000 logements locatifs « Scellier » par an dans la France entière, les promoteurs privés réalisent de facto 20% de logement sociaux. Si demain on construit moins de logements privés, on construira également moins de logements sociaux.
Le Pass foncier a été un très bon outil pour permettre l’accès au logement de nombreux ménages ; Il conviendrait certainement de remettre en place un dispositif similaire.

 

Carré de Soie

 

Vous êtes le premier promoteur a avoir envisagé un important programme de construction au Carré de Soie. Qu’est-ce qui a motivé ce choix, est-ce cette volonté de construire du logement intermédiaire ?

Effectivement il est très important pour nous de capter la clientèle du logement intermédiaire qui est nombreuse aujourd’hui et qui représente aussi notre clientèle de demain. Et, grâce à la TVA à 5,5% (récemment passée à 7%), nous en construisons notamment à la Duchère et à Vaulx-en-Velin. Mais ce n’est pas seulement le taux de TVA qui permet de tel projet, l’engagement de la collectivité est déterminant. En effet, nous conduisons des enquêtes de satisfaction auprès de nos clients où nous les questionnons sur les raisons de leur choix. Ces enquêtes révèlent que le premier élément auquel ils prêtent attention est le quartier, la localisation. Ils vont étudier, en fonction de leurs moyens, le secteur dans lequel ils peuvent investir. Ils privilégient les secteurs faciles d’accès, bien desservis par les transports en commun et bien équipés en termes de services et de commerces. Ensuite, la résidence et la qualité du logement entrent en jeu, puis la proximité d’espaces verts, les communs et enfin la qualité architecturale de l’immeuble. C’est la qualité du lieu de vie et de services qui fait vendre. Or, le Grand Lyon et la commune de Vaulx-en-Velin ont décidé de faire du Carré de Soie une zone bien desservie par les transports en commun et bien équipée en termes de services et de commerces. Notre choix a été totalement lié aux moyens mis en place par la puissance publique.
C’est la projection que la collectivité donne à un territoire qui porte le projet de son développement. 

 

Sans intervention du Grand Lyon, vous n’auriez pas investi ce territoire ?

A l’évidence, dans ce type de secteur il est essentiel d’agir conjointement. La collectivité exprime une intention, donne  le sens et l’image du futur territoire, définit un plan d’urbanisme et réalise les fondamentaux, la desserte et les équipements, et les promoteurs privés, comme d’ailleurs les entreprises, viennent prendre « naturellement » leur place dans le projet. Sans ce fort engagement de la collectivité, ça ne peut pas marcher. L’autre point essentiel, et c’est la raison de notre implication dans le projet du Carré de Soie, a été la possibilité d’acquérir les friches industrielles sur lesquelles nous allons construire à un prix raisonnable, ce que nous a permis de proposer les premiers logements à 2500 euros/m2.

 

En quoi consiste le programme et où en est-il dans sa réalisation ?

C’est un important programme qui va se développer sur 65000m2 dont 8500 d’activités économiques et 700 logements, principalement des T3 et des T4, dont 20% de logements sociaux. L’ensemble des immeubles sera construit autour de cheminements et d’espaces verts auxquels nous prêtons une attention particulière. Le premier bâtiment que nous construisons et dont les travaux démarrent est d’ailleurs un immeuble pour Grand Lyon Habitat. Suivra la construction d’un deuxième immeuble d’ores et déjà complètement vendu (nous avons eu beaucoup de demandes), puis suivront progressivement les autres constructions. L’enjeu est de réduire au maximum la durée de réalisation totale du projet pour que les premiers habitants n’aient pas à subir les inconvénients d’un chantier interminable.

 

Quel est le profil des acquéreurs ?

Ce sont essentiellement des jeunes couples entre 30 et 40 ans, sans enfants ou avec de jeunes enfants. Ils sont majoritairement primo accédants et biactifs avec de petits salaires. Ils viennent d’une quinzaine de communes du Grand Lyon, souvent plus lointaines que les communes de Vaulx-en-Velin ou de Villeurbanne. Seulement 20% à 30% des acquéreurs sont issus de ces deux communes. Cette offre de logements représente pour eux une très belle opportunité de devenir propriétaires. Par contre, nous avons eu beaucoup de désistements car ces jeunes ménages sont dans des situations financières tendues et ils deviennent très vite non finançables auprès des banques.
Moins de 20% des logements ont été vendus à des propriétaires investisseurs avec le dispositif « Scellier ».

 

Comment votre projet a-t-il été accueilli par la population locale ?

Ce projet a connu un rejet particulièrement fort. Personne n’avait mesuré l’attachement d’une partie de la population à l’ancienne usine TASE située sur le tènement que nous venions d’acquérir et que nous avions envisagé de démolir pour construire des logements. Il y a eu une très forte focalisation sur la démolition de l’usine qui a une grande  valeur symbolique. Dans le quartier, nombre d’habitants ont travaillé à l’usine ou sont des enfants ou petits enfants d’anciens « TASE ». Constitués en association, ces habitants ont déposé un recours pour empêcher la démolition de l’usine. Avec le Grand Lyon et la mission du Carré de Soie, nous avons réétudié notre projet. Nous avons dé-densifié le programme en passant de 75 000 à 65 000 m2 de constructibilité.
Le nouveau programme de logements ainsi réécrit a été mieux et même bien perçu. Certains habitants, peu nombreux, nous ont toutefois reproché de construire encore du logement social là où ils pensent qu’il y en a déjà suffisamment. Et surtout, nous avons pu installer une nouvelle activité dans l’ancienne usine qui ainsi, non seulement ne sera pas démolie, mais sera réhabilitée et accueillera une nouvelle activité. Les associations d’habitants ont levé leur recours.
Je veux souligner le rôle primordial du Grand Lyon qui a affiché très clairement son intention de créer au Carré de Soie le quatrième pôle tertiaire de l’agglomération. Sans cette volonté, nous n’aurions pas pu faire évoluer aussi bien notre projet. Les entreprises raisonnent de manière très objective et se mobilisent quand il y a sur un territoire tout ce qu’il faut pour bien vivre et travailler. Quand le bon sens et la logique guident le développement d’un projet, alors celui-ci à toutes les chances d’aboutir. Ce projet sera une réussite en termes de mixité résidentielle  avec des logements sociaux, des logements en locatifs privés et une grande partie en accession à la propriété, mais aussi en termes de mixité des fonctions avec de l’habitat et de l’activité économique.

 

Croyez vous que la mixité résidentielle produira de la mixité sociale ?

Lorsque les gens ont la possibilité de se rencontrer dans des zones un peu neutres, dans des lieux publics où les enfants peuvent jouer ensemble quelque soit leur couleur de peau ou leur niveau social, alors on peut penser qu’effectivement de la mixité sociale se créé. Souvent les gens commencent à vivre ensemble quand ils ont des enfants qui vivent ensemble ou lorsqu’ils travaillent ensemble. Le monde du travail peut aussi être un fabuleux lieu de mixité.

 

Avez-vous prévu des actions spécifiques pour que ces nouveaux arrivants soient bien accueillis dans les immeubles voire dans le quartier ?

Le meilleur accueil que nous pourrons leur réserver c’est de livrer des logements de qualité et surtout d’enchainer les constructions pour qu’ils pâtissent le moins possible des contraintes des futurs chantiers. Toutefois, nous prévoyons d’offrir à chaque ménage un vélo électrique pour les inviter à utiliser les modes doux pour se déplacer, un cadeau qui colle bien à l’image du futur Carré de Soie qui sera propice à ce type de déplacement et bien utile pour nombre de salariés qui ont choisi de venir vivre à proximité de leur entreprise.