Il est certain que si l’on regarde les choses plus localement, il existe une territorialisation des inégalités. Il existe trois grandes situations : les centres-villes, les banlieues et le périurbain qui va jusqu’au rural. Au regard de ces trois grandes situations, on constate qu’il y a de plus en plus de populations qui sont très différentes socialement. Du fait de l’augmentation des prix de l’immobilier en centre ville, les catégories populaires, qui traditionnellement y habitaient, en ont été exclues. Elles sont parties vivre plus loin, dans les zones pavillonnaires en accession à la propriété. D’autant que, dans le même temps, elles ont aussi cherché à quitter les banlieues qui concentrent les populations immigrées. Ces dernières ne relèvent d’ailleurs plus principalement d’une immigration de travail, mais de regroupement familial, contrairement à ce qui prévalait jusqu’au milieu des années 1970.
Et les populations de chacun de ces territoires sont dans des stratégies d’évitement. Les inégalités sont importantes, mais sans doute que chacun les voit au prisme de sa situation. Pour l’instant, les ouvriers ou employés, sont dans des stratégies d’évitement par rapport aux populations immigrées. Les "petits blancs" fuient les quartiers à forte proportion d’immigrés dès qu’ils le peuvent. En outre, l’évitement s’exerce aussi par le haut. Les gens riches des centres-villes qui ont chassé les classes populaires ne fréquentent pas les populations immigrées qui peuplent encore certains quartiers. Les stratégies d’évitement scolaire sont particulièrement éloquentes à cet égard.
Dans cette nouvelle géographie des inégalités, le sentiment d’injustice est vraisemblablement le plus fort dans les classes populaires qui ont été reléguées vers le périurbain. Ces classes ont le sentiment d’être abandonnées. Si l’on retient l’exemple de l’école, elles ne bénéficient pas des moyens accordés dans les banlieues en ZEP, ni du prestige des établissements de centre ville. Et c’est la même chose pour l’emploi. Pour ce qui est du logement, elles occupent des pavillons, mais ne bénéficient pas des importants programmes de requalification urbaine de la Politique de la Ville. Le sentiment d’injustice, nourri par celui d’abandon, est dès lors élevé, et ce d’autant plus qu’il est renforcé par les phénomènes bien connus de désindustrialisation et de précarisation du travail. Les classes populaires ont alors peut-être peur d’un déclassement, mais en fait plus simplement de l’avenir. D’ailleurs, cette préoccupation se traduit dans les sondages qui mettent en évidence que les Français sont les plus pessimistes à l’échelle européenne, et même mondiale.