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La prospective chez Véolia Environnement

Interview de Georges VALENTIS

situé à Paris

<< Nous gérons la prospective comme un bien public >>.

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Date : 16/08/2011

Interview réalisé le 17 août 2011 par Cédric PolèreGeorges Valentis est délégué général de l’Institut Veolia Environnement, situé à Paris. L’Institut, créé en 2001, a le statut d’association française à but non lucratif.
Quel est votre parcours ?

Avec un diplôme d’ingénieur de l’École Polytechnique d’Athènes et un doctorat de l’École des Ponts et Chaussées de Paris, j’ai travaillé dans l’industrie en Grèce, puis en France au sein de l’Agence de l’Eau Seine-Normandie, sur des questions d’assainissement. J’ai ensuite rejoint la Compagnie Générale des Eaux, en 1989. Avant d’être en charge de la prospective à l’Institut Veolia Environnement, j’étais responsable de la recherche technique et technologique dans une structure qui est à l’origine du pôle R&D sur les déchets et l’énergie de Veolia.

Pourquoi l’Institut Veolia Environnement a-t-il été créé ?

L’idée des dirigeants de Veolia Environnement était que l’entreprise avait besoin, selon leurs propres termes, « d’une sorte de satellite pour regarder au-delà de la courbure de la Terre », alors qu’elle est soumise à des contraintes et des pressions de reporting assez courtes. La prospective sert à appréhender des grands enjeux, et surtout à sensibiliser autour de ces enjeux.

En 2001, un élément déclencheur a-t-il poussé à la création de l’Institut ?

Non, mais il faut se rappeler que l’Institut a été créé sensiblement à la même époque que Veolia Environnement, après la parenthèse Vivendi. L’entreprise a alors retrouvé le schéma de l’ancienne Générale des Eaux, elle est revenue aux services à l’environnement, c’était une nouvelle étape pour elle.

Pourquoi une prospective sur l’environnement et pas sur les services urbains ?

Parce que Veolia Environnement a pensé qu’il fallait une structure autonome pour réaliser une prospective environnementale, à l’interface entre l’environnement et la société, afin d’apporter une meilleure compréhension des mutations qui s’y opèrent. Pour autant, nous croisons souvent la thématique des services urbains, quand nous abordons l’urbanisation.

L’Institut est-il complètement autonome par rapport à Veolia ?

L’Institut est une association de loi 1901, crée par Veolia, complètement financée par Veolia, mais il n’est pas un département de l’entreprise, il a effectivement toute son autonomie.

Comment qualifier la prospective menée par l’Institut ?

Nous contribuons à définir les problèmes, à identifier les bonnes questions et à bien les formuler. Nous sommes finalement pourvoyeurs de réflexion en amont. Tout le monde reconnaît par exemple que le thème santé-éducation-environnement est important, mais la réflexion est pauvre sur le croisement entre les trois champs. Nous essayons donc de catalyser la réflexion. Si nous avons abordé le thème pauvreté-environnement lors de notre sixième conférence internationale, « Concilier lutte contre la pauvreté et qualité de l’environnement : quelles solutions innovantes ? » (juin 2011, Paris), c’est que nous pensions que c’est un vrai sujet, que les organisations devraient mettre au premier rang de leur préoccupation. Pour nous, une conférence n’est pas de l’événementiel. C’est le moyen d’approfondir une question de prospective environnementale en donnant une dimension internationale à la réflexion, et le moyen aussi de sensibiliser les pouvoirs publics. Le sujet d’une conférence met du temps à germer, avec des itérations. Le thème de cette conférence était apparu 3-4 ans auparavant, après un gros travail préparatoire réalisé en lien avec le Comité de prospective, pour déterminer les thématiques  et identifier les partenaires académiques et institutionnels.

Peut-on comparer l’Institut à un laboratoire de recherche ?

Nous sommes même en amont de la recherche ! Car avant de réaliser une recherche sur un thème, il faut définir le problème. C’est ce que nous faisons sur nos thématiques de travail : les dimensions économiques de l’environnement, les liens santé-environnement et société-environnement, le changement climatique et les modes de vie, les enjeux de la croissance urbaine.

Est-ce alors une prospective fondamentale, comme on parle de recherche fondamentale ?

Nous n’utilisons pas ce terme, mais il semble assez approprié. Nous cherchons à nous projeter dans l’avenir sur des sujets qui sont dans la périphérie de ce que les organisations sont capables de penser et de gérer. Nous ne sommes pas dans la prospective stratégique telle que définie, entre autres, par Michel Godet. Je dis parfois, pour faire comprendre notre positionnement, que notre institut fait du mécénat intellectuel, même si l’expression n’est pas tout à fait juste, car Veolia réalise par ailleurs du mécénat au sens propre.

Qu’est-ce qui vous sépare de la prospective classique ?

Dans la prospective menée par l’Institut, je vois trois grandes dimensions : celle de la distance temporelle, de la prise en compte du long terme, dimension classique de la prospective ; la distance par rapport au « core business », au métier de l’entreprise, à son milieu, dont j’ai pris conscience de la nécessité en cours de route ; il y a également une dimension globale, internationale, d’autant plus importante qu’à Veolia, la sensibilité locale prime sur la sensibilité globale, car l’entreprise a été bâtie par rapport à des besoins locaux.

Comment définiriez-vous l’Institut ?

L’Institut est une plateforme de réflexion, associée d’une part à un réseau de partenaires scientifiques, pour approfondir des grandes thématiques liées aux orientations de l’Institut, et d’autre part à un réseau d’acteurs du développement de terrain, que nous ambitionnons d’animer en favorisant les transferts de savoirs et le partage de bonnes pratiques.

Quel est le rôle du Comité de prospective au sein de l’Institut ?

Il est composé de sept personnalités du monde académique ou institutionnel international. On pourrait le comparer à une sorte de comité des sages qui apporte un regard extérieur et qualifié, guide et oriente les travaux de l’Institut.

Quels sont vos publics ?

Initialement, nous avons été très tournés vers les milieux scientifiques, les chercheurs et experts qui gravitent autour du développement durable et de l’environnement. Le développement durable concerne en effet de multiples disciplines. Nous essayons de mobiliser ce public à travers S.A.P.I.EN.S, Surveys and Perspectives Integrating Environment and Society, revue internationale, en anglais, au début seulement électronique, qui couvre le thème des relations environnement-société. Les scientifiques nous alimentent, et nous les alimentons à notre tour. Notre second public, ce sont les acteurs de terrain dans le champ du développement, des membres des ONG notamment. La revue FACTS Field Actions Science Reports, bien plus récente, vise ce public. C’est une revue en anglais, avec des résumés en français et espagnol, qui identifie les bonnes pratiques et actions de terrain, pour les acteurs du développement. Après, viennent d’autres publics, parmi lesquels les décideurs publics.
Nous utilisons trois instruments, les revues que j’ai citées, un cycle de conférences internationales, conçues comme des forums réunissant de très bons experts académiques, institutionnels et les organisations internationales sur des sujets émergents, et des partenariats de recherche sur des études prospectives.

Vous travaillez en partenariat avec des chercheurs ?

Oui, nous travaillons sur des partenariats à long terme, avec des chercheurs du monde entier. En France des partenariats sont établis avec des penseurs qui comptent parmi les plus éminents, comme Laurence Tubiana, directrice de l'IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales).

Êtes-vous dans une logique de commande avec les chercheurs ?

Non, nous travaillons vraiment en interaction.

Comment envisagez-vous la place de la prospective réalisée au sein de votre Institut, au regard de celle réalisée ailleurs au sein du groupe Veolia Environnement ?

Dans n’importe quelle organisation, chacune des composantes réalise de la prospective, au sens où elle se projette dans l’avenir. Dans une direction juridique par exemple, chacun réfléchira à l’évolution du droit, etc. Les individus sont capables de se poser des questions sur l’avenir. Ceci pour dire que notre équipe de prospective, composée de 6 personnes, n’a pas vocation à être le lieu de prospective exclusive de Veolia Environnement. Si l’idée était que toutes les directions s’adressent à nous pour leurs besoins de prospective, il aurait fallu une équipe bien plus nombreuse et un autre positionnement.
Chez Veolia, la prospective est aussi au sein de VERI (Veolia Environnement Recherche et Innovation), au sein de la Direction du développement durable, à la DRH qui s’intéresse également aux questions sociétales. Le comité exécutif de Veolia Environnement porte aussi, forcément, un regard prospectif sur les questions centrales de l’entreprise.
Si la question est de situer l’Institut au regard du groupe, nous sommes plutôt dans une situation de vigie, prêts à tirer le signal d’alarme. Nous l’avons fait au début de l’Institut, au moment où le sujet du changement climatique était peu connu dans le monde de l’entreprise. Ensuite, c’est à Veolia de s’approprier ou non les messages. Soit nos messages leur parlent, soit ils ne sont pas convaincants, mais nous ne pouvons pas nous substituer à l’organisation.

Ce qui peut étonner, c’est qu’à travers sa réflexion très ouverte et rendue publique, par des rapports, articles, conférences, etc., l’Institut n’est pas un « outil » spécifique à Veolia…

C’est exact, notre réflexion a une destination bien plus large que Veolia.

Si l’ensemble des réflexions de l’Institut est rendu publique, est-ce que cela veut dire que ce n’est pas stratégique pour l’entreprise ?

Non, tout ce que nous faisons à l’Institut est public, c’est un fondement. La réflexion sur les grandes mutations du monde à venir ne peut être la propriété intellectuelle de l’entreprise. Nous gérons la prospective comme un bien public. La réflexion menée est stratégique, mais elle est avant tout le produit d’une collaboration généreuse avec le monde académique. Si nous ne rendions pas tout accessible, cela ne serait pas acceptable par nos partenaires académiques.

Comment Veolia trouve son intérêt dans vos activités ?

Nous ne pouvons faire mieux, pour faire passer nos messages, que nos conférences. Leur audience peut avoir un effet considérable. Mais notre mission s’arrête là, nous ne sommes pas là pour savoir comment Veolia s’organise pour prendre en compte la matière que nous produisons. Car c’est à l’entreprise de s’organiser pour tirer partie de l’Institut qu’elle finance.

Avez-vous malgré tout des relations formalisées avec Veolia, avec les directions, le comité exécutif ou d’autres composantes ?  

Nous entretenons des échanges naturels avec plusieurs directions, comme par exemple VERI ou celle du développement durable, dont je rencontre fréquemment les responsables. Mais je dirais que le plus important est ailleurs. Pour nous et pour nos partenaires, Veolia offre un formidable terrain d’observation, partout dans le monde.

Auriez-vous un exemple qui permette de comprendre comment Veolia offre un terrain à l’observation ou à la prospective ?

Un exemple typique se situe à Mumbai , en Inde. Le programme vise à concevoir des méthodologies d’inventaire carbone adaptées aux problématiques des pays émergents ou en voie de développement, pour leur permettre un accès plus facile aux dispositifs de finance carbone. La branche transport de Veolia, Veolia Transdev, est pilote du projet et bénéficiaire direct. Les partenaires du projet de recherche, à savoir l’IDDRI et un organisme de recherche indien (TERI) et l’Institut Veolia, ont été sélectionnés fin 2010 pour présenter leurs travaux dans le cadre des négociations internationales sur le climat, à Cancun : « L’avenir des mécanismes de la finance carbone pour une mobilité durable : Mumbai ouvre la voie. ».

Malgré tout, à travers le prestige de son Comité de prospective, des conférences et des publications, on peut avoir l’impression que l’Institut est aussi une sorte de vitrine pour Veolia, pour faire savoir que l’entreprise se préoccupe de l’environnement sur le long terme…

Veolia Environnement dispose de nombreux instruments de promotion, et n’a pas besoin d’un instrument aussi sophistiqué, et éloigné de son « core business » pour faire la publicité. Il dispose de la Recherche et de l’Innovation (VERI), qui a ses propres moyens de communication et de promotion, de la Direction de la communication grâce à laquelle le logo de Veolia a fait le tour du monde sur la grande voile de Roland Jourdain. Si l’Institut servait pour la communication de Veolia Environnement, ce serait la fin de sa vocation.

L’Institut fait-il du lobbying ?

Non, d’autres chez Veolia le font.

Existe-t-il des structures similaires à l’Institut Veolia Environnement, en France ou à l’étranger ?

En France, Renault a créé une chaire de « management multiculturel et performance de l’entreprise » avec HEC et l’Ecole polytechnique, dont le titulaire est Eric Godelier. Mais la structure qui présente, me semble-t-il, le plus de similarités avec la nôtre est l’Institut pour la Ville en mouvement, lancé en 2000 par PSA-Peugeot Citroën.