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La place de Lyon dans le domaine de l’art public

Interview de Marianne HOMIRIDIS

Portrait de Marianne Homiridis
© DR
Directrice du bureau et de la galerie des Projets

<< Lyon est vraiment une capitale de l'art public en France >>.

Marianne Homiridis, directrice du bureau et de la galerie des Projets, auteure avec Perrine Lacroix du Guide « L’art contemporain dans les espaces publics » sur le territoire du Grand Lyon 1978 - 2008.

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Date : 14/05/2011

Quelle est la place de Lyon dans le domaine de l’art public selon vous ?

Dans l’émergence de l’art dans l’espace public puis lors de ces vingt dernières années, Lyon n’a pas de retard. Je considère que Lyon est vraiment une capitale de l’art public en France. Depuis 1978, les commandes aux artistes n’ont jamais cessé et sont nées de différentes procédures. Deux exemples : en 1976, à l’initiative de la Semaly (Société d’Etudes du Métropolitain de l’Agglomération Lyonnaise), des œuvres d’art sont intégrées dans les stations du métro lyonnais. En 1980, la question du paysage est abordée avec l’ensemble des œuvres installées dans le parc de la Cerisaie à l’occasion du 2e Symposium de la sculpture organisé par la Ville de Lyon. Pendant trente ans, la collection d’art public s’est enrichie chaque année grâce à une diversité de commanditaires publics, semi-publics ou privés.

Mais lorsque le Grand Lyon affiche une politique volontariste en matière d’art public, il me paraît rester dans le rang des autres villes françaises. Il me semble que la richesse de notre patrimoine contemporain dans les espaces publics devrait être un formidable tremplin pour réinventer la place de l’art public et faire de Lyon un laboratoire unique en la matière. Aucune ville française ne s’est encore positionnée sur ce sujet et Lyon a absolument tout pour le faire.

 

Quelle est la caractéristique de l’art dans l’espace public à Lyon ; on parle souvent de sa « discrétion » ?

Cette richesse d’art public existe car elle s’est constituée en dehors des modes, sans tapage de communication, de manière modeste, avec des artistes extraordinaires et des œuvres fantastiques. On oublie le rapport intime avec l’art, on oublie qu’il y en a partout sur notre territoire, dans les écoles, les jardins…

A Lyon, les aménagements, restructurations, constructions, créations, etc. d’un quartier (Gerland, Le Confluent), d’un nouveau mode de transport collectif (métro, tramway), d’un bâtiment public (écoles, etc.), de services (jardins, parkings) se voient dotés quasi systématiquement d’un programme de commandes publiques. Et il en va de même pour des projets plus modestes.

Si, majoritairement, ces programmes de commandes découlent des procédures habituelles de la commande publique (1%), nombreux sont ceux qui ont été menés de manière originale, en associant dès le projet un architecte ou un paysagiste à un artiste. C’est le cas des jardins de poche qui associaient un artiste à un paysagiste, des parcs de stationnement LPA ou des nouvelles constructions du quartier du Confluent.

Lyon est une vraie capitale. D’autres villes ont fait des coups, mais n’ont pas un territoire aussi homogène occupé par l’art. Regardez tous ces points sur les cartes d’Alain Bublex : il y en a partout !

 

Vous estimez que Lyon n’a pas pris de retard, pourtant il faut attendre la fin des années 70 pour que s’y tienne un  premier symposium de sculptures…

Il est vrai que les premiers symposiums de sculptures qui se tiennent en Europe datent de 1950. Lyon les lance en 1978, avec plus de 20 ans de retard. Et en 1978, Lyon achète des œuvres qui n’ont pas été créées in situ alors qu’en 1967, un an avant les JO d’hiver de 1968, Grenoble passe commande d’œuvres in situ à quinze sculpteurs. On a suivi très longtemps derrière.

On a peut-être 20 ans de retard, mais il s’est passé beaucoup de choses. La reconnaissance de cette collection d’œuvres est due à la notoriété de certains artistes bien sûr mais surtout à la qualité, la justesse et la diversité des œuvres d’artistes célèbres ou non. Elles ont su s’immiscer dans tous les espaces possibles, probables et improbables pour elles. Cette collection constitue un vrai « musée à ciel ouvert », témoin d’une histoire de l’art vivante mais aussi de la ville et de ses habitants.

Je serai ravie d’entendre par les commanditaires que les nouveaux et grands projets d’art public dans notre ville, sur les rives de Saône, dans le quartier des Etats-Unis ou encore à la Part-Dieu s’inscrivent dans la continuité des dernières 30 années, que le discours, s’il a lieu, n’instrumentalise pas l’art contemporain pour « commercialiser » des espaces publics, mais engage un dialogue communautaire et restaure le lien social.

 

Quel serait « le bon chemin » pour une politique d’art public dans l’agglomération lyonnaise ?

Des exemples tels que Public Art Fund à New-York, Skulptur Projekte à Münster ou Estuaire à Nantes montrent que l’acte de commander est un acte puissant, artistiquement et politiquement. Avec sa Biennale d’art contemporain et sa Fête des Lumières, Lyon possède deux occasions de rendre pérennes des œuvres, comme Flower tree de Choï conservée après la Biennale 2003. Lyon pourrait ainsi faire connaître sa volonté artistique et politique d’instaurer une sociabilité nouvelle non plus seulement événementielle mais sur la continuité.

Par ailleurs, comme je le disais précédemment, je pense que Lyon a tout pour devenir LA capitale de l’art public en France. Il faut se dépêcher pour ne pas laisser les autres villes prendre le leadership et en même temps prendre le temps d’installer sérieusement un laboratoire duquel sortira ce que sera l’art public de demain.

 

Arbre à fleurs de Choï
Arbre à fleurs de Choï

 

Quelle est selon vous la fonction de l’art dans l’espace public ?

La relation intime à l’œuvre d’art est évidente, même si, paradoxalement, elle se tisse dans l’espace public du non intime. C’est aussi une question de rapport au temps. Quand on passe plusieurs années de suite devant une œuvre, on s’aperçoit que nos émotions ne sont jamais les mêmes. On domestique en quelque sorte cette « chose » et on peut prendre conscience de ces propres évolutions. Cette dimension du temps, c’est l’art qui nous la dit. Ça nous apprend sur nous, sur notre environnement, donne un esprit critique…

 

Pourquoi avez-vous créé le bureau et la galerie des Projets ?

Ce n’est pas parce qu’une œuvre est dans l’espace public qu’elle est plus accessible. Le bureau et la galerie des Projets se proposent de construire pour l’un et de donner à voir pour l’autre ce qui va amener un projet dans l’espace public. Le bureau des projets fonctionne comme une agence de production. J’ai souhaité créer la galerie des projets sous la forme d’une association à la fois pour la distinguer de l’agence et travailler de manière expérimentale. Je suis ravie que les artistes aient retrouvé leur place dans l’espace public, pour autant je trouve que le discours qui les accompagne est de plus en plus caricatural.

La galerie voudrait être le lieu où les artistes partagent, discutent, réfléchissent, découvrent… où s’inventent des propositions nouvelles… où se tissent des réseaux avec le Japon, l’Europe, les Etats-Unis… Pour se faire, il faut aussi repartir de zéro, reparler des choses politiquement incorrectes comme tout le travail qui reste à faire dans le domaine de la restauration et l’entretien, de la signalétique ainsi que de la pertinence voire la « résistance » de l’art public dans notre société du divertissement.

Mais la galerie est avant tout le lieu de l’utopie. Et ce qui me passionne, c’est entre autres la ville spatiale de Yona Friedman. J’aimerais faire un travail sur la ville avec des étudiants en architecture pour trouver le moyen d’appliquer les idées humanistes de Yona Friedman. Comment rendre possible cette utopie ?