Vous êtes ici :

Les apports principaux de l’Église de Lyon à l’Église de France

Interview de Monseigneur Thierry

Évêque auxiliaire de Lyon

<< L’œuvre sociale n’épuise pas toute la dimension d’une vie selon l’Evangile >>.

Réalisée par :

Tag(s) :

Date : 31/08/2010

Propos recueillis par Ludovic Viévard, le 1 septembre 2010.

 

Quels sont pour vous, au long cours, les apports principaux de l’Église  de Lyon à l’Église de France et à l’Église  en général ?

L’Église  de Lyon a une longue histoire attestée dès le deuxième siècle avec Saint Pothin et les martyrs, en 177. L’histoire de notre Église épouse celle de la ville qu’elle a d’ailleurs façonnée en profondeur. Je ne peux faire ici l’inventaire de tous les apports de l’Église , mais je veux rappeler les lignes fortes qui font encore sens aujourd’hui. En premier lieu, l’Église de Lyon est née du sang des martyrs. De cela, elle se souvient et les chrétiens de Lyon, qui sont fiers de cette origine, savent aussi que cette histoire leur donne des obligations de fidélité à la foi qui leur a été transmise. Ensuite, l’Église de Lyon a été fondée par des missionnaires venus d’Orient et elle a toujours conservé, elle-même, une tradition missionnaire. Les chrétiens de Lyon ont apporté la foi en Océanie, en Amérique du Nord, en Asie, en Afrique… et ont eu un grand rayonnement dans le monde. Je dirais également que ce qui, dans l’histoire de l’Église de Lyon, fait toujours sens, c’est sa tradition œcuménique. Celle-ci est née avec le Père Couturier et se poursuit avec le centre Unité chrétienne et le groupe des Dombes, et il demeure ici une dimension vivante d’ouverture à l’autre. Un quatrième trait fort est celui de l’implication sociale. Il y a toujours eu, à Lyon, ce souci d’être attentif aux évolutions des temps et de répondre aux difficultés que ces évolutions posaient aux hommes. Si le catholicisme social s’est fortement développé aux 19e et 20e siècles, c’est une réalité encore présente dans l’Eglise de Lyon. Enfin, cette Eglise a été marquée par de grandes figures intellectuelles. Bien sûr par Saint  Irénée, qui domine pour nous sans être toujours bien connu du grand public, mais aussi, plus près de nous, par la grande école théologique de Fourvière, par De Lubac, etc., qui ont formé un foyer intellectuel extrêmement dynamique durant la première moitié du 20e siècle. On peut dire enfin que cette Église est à l’image de la ville ; elle est diverse et cette diversité est contenue à travers ses différents courants.

 

Le dynamisme intellectuel de Lyon s’est un peu émoussé. L’école théologique de Fourvière n’existe plus et il n’y a plus de grandes voix. Est-ce propre à Lyon ou cela tient-il à une situation plus générale ?

Je crois que c’est un appauvrissement général de l’Eglise de France. Sur le plan théologique De Lubac, Congar ont marqué les esprits et leur époque. Ils ont préparé Vatican II et nous vivons aujourd’hui sur leur héritage. Alors certes, c’est vrai, il y a moins de grands noms qui émergent, mais autre chose nait qui est un renouveau visible dans les nouvelles communautés,  comme par exemple la communauté de l’Emmanuel ou celle du Chemin neuf, etc. Il s’agit d’un vrai mouvement de renouveau qui nous oblige à revoir notre façon de faire Eglise. A une époque, c’était l’action catholique, notamment l’action catholique spécialisée, qui eu son heure de gloire. Aujourd’hui elle est en perte de vitesse et on voit germer d’autres choses qui correspondent sans doute au besoin des temps : la nécessité de retrouver le sens de la prière sans toutefois perdre le sens de l’engagement dans le monde.

 

Cependant l’arrivée et l’accueil fait à ces communautés nouvelles dites charismatiques, plus identitaires, donnent à certains le sentiment que l’Eglise de Lyon tourne un peu le dos au mouvement conciliaire, moins visible, et dont le mot d’ordre était l’enfouissement dans la pâte humaine…

Mais je pense que, précisément, l’émergence des communautés dites du renouveau charismatique est un fruit du Concile car la place accordée aux laïcs est un de ses acquis ! L’action catholique, elle, est antérieure au concile. Elle a dû se battre contre une tendance qui voulait en faire un bras de la hiérarchie de l'Église et qui lui imposait donc un fonctionnement assez clérical. Au contraire, les communautés charismatiques sont tout sauf cléricales et fonctionnent davantage sur un mode associatif. Maintenant, c’est vrai que le rapport au monde des uns et des autres est différent. Les communautés charismatiques obligent à retrouver la source de l’action, c'est-à-dire l’Evangile lui-même, la parole de Dieu, la prière. C’est un contrepoids face à une tendance développée par certains tenants de l’action catholique qui ont parfois un peu versé dans l’activisme, c'est-à-dire le fait de vouloir agir dans la société mais sans suffisamment prendre de distance entre le travail pour la justice humaine — ou travail social — et le royaume de Dieu. C’est vrai, l’Evangile nous oblige à l’action, mais il s’agit de ne jamais oublier que le royaume de Dieu est au-delà de nos réalisations humaines. Quand j’étais plus jeune, on parlait beaucoup des « signes du royaume » qu’on pensait lire dans le succès de certaines entreprises humaines, or ce n’est pas si simple que cela. Le risque inverse, c’est de se sortir de ce monde et de ne pas s’y engager. Il ne faut donc pas se laisser absorber par le monde et certaines de ses idéologies — d’aucuns par exemple n’ont pas fait assez la distinction entre l’Evangile et l’idéologie marxiste — ni se laisser aller à la tentation de sortir du monde par l’appel unique à la prière. Mais si on va au fond des choses, ces deux tendances ne sont pas irréductibles car ceux qui sont dans l’action catholique, c’est bien au nom de leur foi qu’ils y sont, et ceux qui font partie des communautés charismatiques sont bien ancrés dans le monde.

 

On a même l’impression qu’ils sont fortement impliqués dans le monde, porteurs d’un  message identitaire.

On touche là à un débat classique qui oppose le témoignage par les actes ou les œuvres et le témoignage par la parole, et par suite, la question de la visibilité de l’Eglise et sa place dans l’espace public. On peut toujours craindre le prosélytisme et souvent on accuse les charismatiques de cela — parfois avec raison, parce que certaines méthodes ne respectent pas suffisamment les consciences — mais en même temps, c’est une nécessité pour nous d’annoncer l’Evangile et nous avons toujours eu cette tradition évangélique, particulièrement à Lyon. Pour autant, l’annonce évangélique doit toujours s’accompagner d’un témoignage de la vie. Cela signifie qu’il ne suffit pas d’avoir des discours mais qu’il faut aussi montrer l’Evangile en acte et démontrer qu’il est au service de l’homme. Témoigner de la foi et de la charité auprès de tous. On ne choisit pas ceux que l’on a à aimer et on ne profite pas, non plus, de ce que l’on fait pour autrui pour l’attirer à soi et à sa cause. Il doit y avoir une gratuité dans l’action. Ces deux tendances — à savoir ceux qui veulent que l’Eglise témoigne d’abord en acte et ceux qui pensent que l’Eglise doit témoigner en parole — s’affrontent un peu dans l’Eglise. Mais je pense que témoigner en parole et vouloir que l’Eglise soit visible n’empêche pas de témoigner aussi par les actes. Ce sont différentes manières de porter la parole de Dieu mais au fond elles sont compatibles. Je pense par exemple à la communauté de l’Emmanuel qui a pris en charge une paroisse de Vénissieux. Certes cela a changé les méthodes auxquels les gens étaient jusque là habitués, puisqu’il y a, par exemple, des animations de rues pour les enfants, du porte à porte effectué par des prêtres, etc. Mais au fond, il y a ce même souci d’annoncer la bonne nouvelle aux pauvres même si cela se traduit, sur le terrain, par des méthodes un peu différentes.

 

De ces deux courants, l’une, l’action catholique, est en déclin, et l’autre, le renouveau charismatique, en progression. Comment la hiérarchie de l’Eglise de Lyon se positionne-t-elle ? Et quel est son projet pour l’Eglise de Lyon ?

Il est difficile de parler de projet parce qu’il ne change pas : annoncer l’Evangile. C’est donc plutôt la méthode qui pourrait évoluer. Mais, sur ce point, le Cardinal Philippe Barbarin insiste toujours pour que chacun fasse selon sa grâce propre, que chacun soit fidèle à l’Evangile et que son action prenne sa source dans la parole de Dieu. L’archevêque n’est ni pour ni contre l’action catholique ou les charismatiques, il s’agit pour lui que les chrétiens soient chrétiens. Il y a cette tradition de l’action catholique qui est une action de proximité où comme le disait la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) : « ce sont les jeunes ouvriers qui évangélisent des jeunes ouvriers ». Cette tradition reste légitime, même si les mouvements vieillissent, ce qui n’empêche pas qu’ils se revitalisent parfois en puisant leur action dans l’Evangile. De l’autre coté, les mouvements charismatiques sont appelés à être attentifs à bien rester dans l’Eglise et à ne pas s’enfermer comme s’ils étaient une Église à part. L’important, c’est que chacun apporte ce qu’il a à apporter. L’archevêque n’a pas vocation à soutenir les uns plus que les autres, il souhaite ancrer chacun dans la parole de Dieu. Et cela porte ses fruits puisque de plus en plus de chrétiens s’intéressent à l’Evangile. En 2004, nous avons distribué 500 000 Nouveau Testament. Cette opération a permis de mettre l’Evangile dans toutes les mains et beaucoup de groupes bibliques ont fleuri. Les paroisses se sont alors rendu compte qu’elles devaient s’appuyer beaucoup plus sur l’Evangile. C’est important parce que cela permet de dépasser les clivages : tout le monde peut puiser à la même source et à partir de là tout le monde trouvera sa place, nouvelle ou non, pour témoigner de l’Evangile. Il n’y pas une vérité unique à ce point de vue.

 

Cela vaut aussi pour les chrétiens plus traditionnalistes ?

Bien sûr. Cela a, par exemple, été le cas pour les prêtres de la Fraternité Saint Pierre. Ces prêtres ont refusé le schisme de 1988 mais ont, depuis cette date, date de la création de leur communauté, une place particulière dans l’Eglise, utilisant le missel de 1962, en latin. Le cardinal Decourtray avait trouvé un accord avec eux et fait en sorte que l’Eglise Saint-Georges soit un lieu de culte ouvert à ceux qui étaient attachés à cet ancien rite. Moyennant quoi ces prêtres se sont bien fait accepter par le clergé lyonnais et l’ont même rejoint puisqu’ils se sont fait incardiner dans le diocèse de Lyon. Depuis, la Lettre Apostolique en forme de Motu Proprio du Souverain Pontife Benoît XVI a étendu la possibilité de dire la messe en latin selon l’ancien rite, et à Lyon, cette évolution s’est faite dans la douceur. Et s’il y a toujours à Lyon des chrétiens schismatiques lié à Mgr Lefebvre, on espère que les incompréhensions se tasseront car nous sommes une seule et même Eglise.

 

N’est-ce pas compliqué pour les chrétiens de voir ces trois tendances difficilement réconciliables dans une même église ?

Oui, je pense que des chrétiens sont troublés par ce qu’ils considèrent comme un éclatement. Certains sont très attachés à leur façon de faire et de voir et ont du mal à comprendre les autres manières de vivre la foi. Je pense aussi que certains qui ont connu le concile et traversé un certain nombre d’évolutions craignent que l’Eglise n’éclate en plusieurs sens. Mais il me semble aussi que cela correspond à l’évolution de la société qui, elle-même, ne sait pas bien où elle va et dans laquelle chacun cherche à vivre les choses de façon personnelle. Les chrétiens finalement sont comme ça aussi, ils sont d’une certaine manière touchés par cet individualisme ambiant. Tout le travail et le défi de l’archevêque de Lyon est de donner une direction et de permettre que l’évolution se fasse dans la communion. Cela demande aussi un acte de foi que de considérer qu’à travers toutes ces évolutions un peu incertaines il y a quelque chose que Dieu nous dit et qu’il faut être à l’écoute de l’Esprit Saint pour comprendre ce qu’est aujourd’hui notre mission dans l’annonce de l’Evangile. Finalement, de quoi ont besoin les hommes de notre temps pour connaître Dieu et être éclairés dans leur vie ? Sans doute de voir des gens dont la vie est illuminée par la foi. En 1975, dans son exhortation apostolique Annoncer l’Evangile, une sorte de charte de l’évangélisation, Paul VI disait : « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres ou s’il écoute les maîtres c’est parce qu’ils sont des témoins ». Je crois que c’est encore vrai aujourd’hui et que le monde est désireux de voir des hommes et des femmes qui savent pourquoi la foi donne du sens à leur vie. Ce n’est pas pour rien que Sœur Emmanuelle, Mère Teresa ou l’Abbé Pierre ont tellement touché les gens. Ils ne donnaient pas seulement une œuvre à voir mais étaient des personnes habitées par la foi, l’espérance et l’amour.

 

Mais ces personnes dont vous parlez s’inscrivent bien dans une tradition de la voie des œuvres et peut être même dans une tradition proche de l’esprit conciliaire même s’ils ont débuté leur action avant le Concile ?

Pas complètement. D’abord, il y a une vie de prière très forte derrière ces personnages. Et puis, l’intuition très forte de l’abbé Pierre a été moins d’agir pour les pauvres que de faire agir les pauvres. C’est une nuance qui a son importance car elle fait toute la différence avec l’esprit d’assistanat qui est celui de l’époque. Les chiffonniers d’Emmaüs sont des gens qui se sont remis debout par leur propre action. Mais finalement, le débat n’est pas entre ceux qui agissent ou ceux qui prient, il est dans la cohérence d’une vie relativement au message du Christ. L’œuvre sociale n’épuise pas toute la dimension d’une vie selon l’Evangile.

 

Les prises de positions du Cardinal contre l’homosexualité ont donné le sentiment à certains que l’Eglise se refermait sur une dimension plus identitaire et traditionnaliste. Est-ce que vous comprenez cela ? Et est-ce que cela correspond à une réalité ou est-ce que c’est plus compliqué que ça ?

Je crois que c’est plus compliqué que cela. L’Eglise a des convictions qui lui viennent de l’Evangile. Le fait de relativiser la différence biologique des sexes pour la placer en dessous des constructions sociales de genre ne me semble pas une bonne chose. Pour nous, ce n’est pas l’homme qui construit ses valeurs mais Dieu qui les lui donne. Cela ne nous empêche pas de considérer les homosexuels comme des enfants de Dieu. Donc, sur ce sujet précis, il n’est pas question d’ouverture ou de fermeture de l’Eglise. Il s’agit pour nous de tenir fermement des convictions fondamentales tout en portant un regard fraternel sur ceux qui connaissent des difficultés à se construire. L’Eglise ne sera fidèle à elle-même qu’en tenant ferme sur ces convictions fondamentales et en regardant chaque personne comme un être unique, aimé de Dieu et appelé à vivre en enfant de Dieu. Il faut donc se tenir loin du manque de charité qui chercherait à marginaliser les homosexuels, comme du défaut de vérité qui consisterait à nier la différence homme/femme, différence fondamentale. Charité et vérité sont deux dimensions essentielles.

 

L’Eglise doit-elle prendre part au débat de société et comment peut-elle le faire ?

Oui, elle doit le faire et elle le fait sans tabou puisque ce qui concerne l’être humain concerne l’Eglise. Alors, certes, elle n’est pas compétente en tout, par exemple, en politique. Longtemps elle a été du côté du pouvoir, il y avait même confusion entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. Mais depuis la séparation de l’Eglise et de l’Etat ce n’est plus le cas, et l’Eglise ne le regrette pas. Cela lui offre plus de liberté pour dire ce qu’elle a à dire et pour le dire publiquement, car la séparation de l’Eglise et de l’Etat ce n’est pas la séparation de l’Eglise et de la société. Dire que l’Etat ne reconnait ni ne subventionne aucun culte ne signifie pas que les cultes ne font pas partie intégrante de la société française et n’ont pas de dimension publique, car une religion a par définition une dimension sociale. Quand on dit que la religion doit être cantonnée à l’espace privé, cela ne signifie pas non plus qu’elle ne puisse pas dire ce qu’elle a à dire, ou même que ce qu’elle a à dire ne puisse pas être dit dans l’espace public, cela signifie seulement que la parole de l’Eglise n’a pas de dimension juridique. Mais l’Eglise a une vision de l’homme qui lui vient de sa foi et de sa raison et cette vision elle l’offre en partage comme une chance pour la société. Je pense par exemple aux lois de bioéthique. Sur ces questions là, l’Eglise veut prendre part au débat et proposer sa réflexion, sans évidemment l’imposer. C’est ce que nous avons fait, il y a deux ans, avec un livre diffusé à tous les parlementaires ; l’Eglise veut se situer en position de dialogue.

 

Est-ce que l’Eglise de Lyon porte une parole singulière par rapport à l’Eglise de France ?

L’archevêque de Lyon est effectivement attendu de par sa fonction mais aussi sa personnalité, comme l’Eglise de Lyon, de par son histoire. Mais je ne sais pas si l’Eglise de Lyon porte un discours spécifique. Comme je l’ai dit, il y a ici un enracinement ancien qui lui donne une sensibilité particulière sur certaines questions comme l’accueil. Je pense par exemple que sur la question des Roms, l’Eglise de Lyon se sent particulièrement concernée. A Lyon, le cardinal Philippe Barbarin mène sur cette question, et plus largement sur la question des sans-papiers, une action discrète mais bien réelle auprès des représentants de l’autorité de l’Etat. Sur les questions œcuméniques et interreligieuses également, l’Eglise de Lyon a une expérience précieuse et le cardinal a beaucoup d’échanges avec les autres communautés religieuses.

 

Si vous deviez dire l’urgence et les enjeux pour les 10 ou 20 années  à venir concernant l’Eglise de Lyon ?

Le renforcement de la foi des chrétiens. Il faut que l’Eglise les soutienne dans la formation de la foi chrétienne, les nourrisse de la parole de Dieu et leur redonne de l’espérance et de la confiance dans leur propre Eglise. On voit dans toute l’Europe que l’Eglise s’appauvrit, qu’elle est attaquée — parfois à juste titre, mais souvent aussi injustement — et les chrétiens ont besoin de retrouver confiance en Dieu qui conduit son Eglise. C’est sans doute la raison pour laquelle, aujourd’hui, certains se recentrent sur le passé. C’est un signe de peur, peur du monde, de l’évolution de la société. Or la foi doit empêcher la peur. C’est le message de Saint Paul. Et la foi, si elle est vivante, témoignera d’elle-même.

 

C’est de cela dont procèdent les communautés charismatiques, de ce renouveau, de cette vitalité de la foi, voire même d’une fierté de la foi ?

Je pense. Je ne sais pas s’il faut parler de fierté mais en tout cas d’un désir de communiquer ce qui nous fait vivre. Ceux qui veulent que l’Eglise soit enfouie comme « le levain dans la pâte », refusent de brandir leur foi comme un drapeau, au risque de la taire. Ce n’est pas par honte d’être catholique mais plutôt par désir de respecter le monde dans lequel ils sont et de le travailler de l’intérieur plutôt que de plaquer des affirmations qui ne seraient forcément pas comprises. Aujourd’hui, ceux qui proclament explicitement leur foi le font d’une manière qui semble parfois intrusive ou parfois prosélyte à ceux qui disent qu’elle ne respecte pas suffisamment l’autre. Mais je crois que c’est un faux problème. Les charismatiques aspirent à dire ce qu’ils ont au fond d’eux et je crois qu’il faut parfois des chocs pour que l’autre en soit transformé. C’est aussi une tradition de l’Eglise qui s’enracine dans les prédications de Saint Paul. Je crois qu’il faut tenir les deux. Être le « levain dans la pâte » n’empêche pas d’être   lumière du monde ». Mieux, c’est en étant « levain dans la pâte » qu’on est  « lumière du monde » et c’est en montrant la lumière qu’on peut être « levain dans la pâte ». En ce sens là, je pense que si chacun veut comprendre ce que l’autre apporte, ce qu’il a à dire, il est possible de concilier ces mouvements qui composent l’Eglise. Mais je constate que ce travail se fait sur le terrain et qu’il y a des exemples qui montrent des passerelles entre l’action catholique et le renouveau charismatique.

 

Pour vous, est-ce que l’émergence des mouvements identitaires tient pour partie au moins à l’arrivée de nouvelles religions, l’islam notamment, qui n’est plus un islam d’immigration ?

Oui ça change beaucoup de choses, en bien et en mal. En bien, cela oblige les chrétiens à être chrétiens. Ce sont souvent des musulmans qui demandent aux chrétiens s’ils sont vraiment chrétiens, car eux n’ont pas peur de dire leur foi et cela nous bouscule. Cela a aussi le mérite de réaffirmer qu’on ne peut pas rayer d’un trait de plume la question de Dieu. Que cette question reviendra toujours dans une société qui pensait pouvoir s’en passer. Les religions seront donc toujours là, comme un poil à gratter, pour nous donner une dimension spirituelle et pas seulement sociale. Du côté négatif, il faut déplorer une peur de l’islam qui entraine des crispations et engendre des fermetures. Nous, catholiques, nous l’avons senti sur le plan de la laïcité. A cause de la peur de l’islam, des droits liés à la laïcité nous sont refusés, je pense aux aumôneries scolaires ou aux aumôneries d’hôpitaux qui sont des services qui reculent. Pourquoi ? Parce que pour ne pas avoir à donner aux musulmans, on enlève aux catholiques.