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Le rôle de l’encadrement de terrain, dans le dialogue social

Interview de Frédéric DUMALIN

<< L’encadrement de proximité mérite une attention toute particulière. Il doit, avec les salariés, supporter des injections contradictoires >>.

L’encadrement de terrain tend à devenir un relai privilégié du management et de la gestion des ressources humaines (reconnaissance des compétences, intégration des jeunes recrues, introduction du changement…). Pourtant, on entend souvent, surtout du côté des entreprises que l’encadrement de proximité constitue un maillon faible de la politique de relations sociales en France. Nous avons demandé à Frédéric Dumalin, directeur du département Changements techniques et organisationnels de l’Agence Nationale pour l’Amélioration des conditions de travail (ANACT) d’apporter son point de vue sur le rôle de l’encadrement et notamment de l’encadrement de terrain, dans le dialogue social.

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Date : 04/05/2009

Quel est le champ d’expertise de l’ANACT ? 

Notre cœur de métier est l’amélioration des conditions de travail. L’ANACT et son réseau d’associations régionales (les ARACTs) regarde donc comment le travail se réalise dans tous les systèmes organisés, entreprises, collectivités, associations… à travers le management, la santé au travail, la performance, l’organisation du travail et les relations sociales.
L’ANACT va signer son 4ème Contrat de Progrès pour la période 2009/2013. C’est un document important car il dit à quoi sert l’agence du point de vue de l’Etat et des partenaires sociaux. Il redéfinit notre champ d’activité et de travail à partir de six thèmes : la promotion de la santé au travail ; les mutations du travail, les changements techniques et organisationnels ; le lien travail-compétence-développement des personnes tout au long de la vie ; la gestion des âges, l’approche par genre et la prise en compte des populations au travail ; les pratiques de pilotage des conditions de travail en entreprise ; enfin, le rapport entre conditions de travail, performance durable des entreprise et développement économique.
Nous nous assignons aussi un plus haut niveau d’exigence en matière de diffusion de notre expertise à tous ceux à qui elle peut être utile. En nous donnant des objectifs rehaussés en matière de transfert de connaissances, nous avons dû nous demander à qui il fallait surtout être utiles. Trois cibles ont alors été identifiées par le Contrat : les PME, ce qui n’est pas exclusif des autres types d’entreprises ; les partenaires sociaux ; et tous ceux qui sont en situation de nous aider à toucher nos cibles, en particulier les acteurs relais.
Enfin, nous avons confirmé trois fondamentaux pour agir pour l’amélioration des conditions de travail : partir du réel par l’analyse du travail ; l’approche par l’organisation du travail et le paritarisme. 
A partir de ce changement global, nous revoyons notre organisation et réaffectons nos moyens.

 

Les grands enjeux en matière de conditions de travail et de dialogue social évoluent-il aujourd’hui, par exemple avec la crise économique ?

Les six grands thèmes retenus dans le Contrat de Progrès indiquent ce que sont pour nous les grands enjeux : mouvement de fond sur les mutations économiques, avec la crise économique qui vient parfois questionner les schémas habituels du dialogue social, comme on l’a vu récemment dans la région Rhône-Alpes à Caterpillar. Ces mouvements de fond génèrent des évolutions dans le cadre des relations sociales et professionnelles ; un autre enjeu important tourne autour des risques psychosociaux, liés notamment au management par les objectifs ; les évolutions démographiques sont une autre évolution lourde, même si elle sont aujourd’hui masquées par la crise, en pouvant introduire une rareté progressive des salariés.

 

Comment abordez-vous les relations sociales ?

Les relations sociales mobilisent quatre familles d’acteurs, tous en relation : la direction, les représentants du personnel (leur relation constitue ce qu’on entend d’habitude par dialogue social), l’encadrement et les salariés. 
Elles passent ensuite par plusieurs canaux : le canal institutionnel initié par la direction ; le canal hiérarchique activé par le triangle direction/encadrement/salariés, avec l’encadrement en rôle pivot, qui doit faire circuler l’information dans tous les sens (pour le moins de haut en bas, de bas en haut) ; le canal participatif qui vit par les salariés, activé par exemple lorsqu’ils discutent avec les encadrants de résultats d’actions mises en œuvre ; le canal représentatif enfin qui relie salariés, représentants du personnel et direction. L’ensemble de ces interactions structure les relations sociales dans une organisation. Entre le haut et le bas d’une organisation, il faut des relations dynamiques.

 

 « Schéma synthétique des relations sociales en entreprise »

Source : « Services à la personne. Evolutions, organisation et conditions de travail »,
Frédéric Dumalin, Nadia Rahou (coordination), éditions ANACT mai 2008, www.anact.fr

 

 

A quelle occasion les différents canaux sont-ils activés ?

Quand on travaille sur des conduites de changement par exemple, nous savons que ce qui est uniquement descendant pose des problèmes qu’il s’agisse d’évolution de la stratégie, de l’organisation du travail ou des conditions de sa réalisation au quotidien. 
Dans une conduite de changement bien menée, l’échange entre les salariés et les encadrants pourra porter sur les résultats d’actions mises en œuvre. Cet échange nourrira les encadrants pour des échanges ascendants et descendants avec la direction et positionnera l’encadrement dans une posture clé entre direction et salariés : c’est l’activation du canal hiérarchique. Les observations faites par les salariés nourriront dans le même temps les échanges entre les salariés et leurs représentants et permettront à ces derniers de jouer un rôle actif : c’est l’activation du canal représentatif. La direction, nourrie des éléments apportés par les encadrants sur la réalisation du travail et par les représentants du personnel sur les aspects sociaux pourra jouer alors pleinement son rôle de pilotage. L’activation de ces canaux permet une conduite concertée du changement.

 

Quel est le rôle de l’encadrement dans les relations sociales ?

Il a un rôle fondamental car il est l’acteur central du canal hiérarchique. Il lui revient de faire circuler l’information dans tous les sens. De sa bonne ou mauvaise relation avec la direction dépend aussi le climat social et l’efficacité productive. Souvent, il y a de part et d’autre des représentations différentes. La direction est censée produire et diffuser des informations audibles, qui font sens, qui expliquent l’évolution de l’organisation, mais ces informations ne sont pas forcément partagées par l’encadrement.

 

Et le rôle propre à l’encadrement de proximité ?

Il est crucial pour l’organisation et l’efficacité du travail du collectif. A l’ANACT nous avons par exemple étudié le cas d’une entreprise industrielle rhônalpine qui avait deux modes de fonctionnement : des équipes travaillaient avec un encadrement de proximité le jour, et sans encadrement la nuit et le week-end. On s’est rendu compte qu’elle était bien plus performante quand l’encadrement était présent. En fait, il n’y a pas de schéma type. Aujourd’hui entreprises et collectivités tendent à ériger en règle l’allègement des organisations par la suppression des niveaux intermédiaires. Moins d’échelons, ce sont des personnels et des coûts en moins, une information qui circule mieux, etc. Ce modèle est loin de marcher dans tous les cas. Dans une grande collectivité territoriale nous avons repensé l’organisation générale en introduisant un niveau de proximité qui n’existait plus. Selon les cas on peut réduire le nombre d’échelons ou en ajouter.
L’encadrement de proximité est crucial car il fournit le cadre de l’activité, permet le développement de repères professionnels communs entre les salariés, gère des relations inter-individuelles, comprend ce qui se joue dans la relation au travail. Dans un secteur de l’entreprise qui souffre d’absentéisme répété par exemple, l’encadrement de proximité devra comprendre si c’est une question d’horaires, de nature de l’activité, de santé, de réorganisation…

 

L’encadrement de proximité est-il un maillon faible des relations sociales en France ?

C’est vrai que ce niveau mérite une attention toute particulière. Il doit, avec les salariés, supporter des injonctions contradictoires, se débrouiller pour que la production ou le service suive malgré un manque de personnel ou des problèmes d’absentéisme ; en plus, le management par objectifs produit dans les entreprises comme dans les collectivités une pression très forte. Et ces encadrants ne sont pas forcément outillés en matière de management ou d’animation…

 

Au niveau de la proximité, peut-il y avoir une discussion sur le travail, son organisation mais aussi son sens ?

Oui, il est souhaitable qu’il y ait une telle discussion. C’est notamment à ce niveau de proximité que du sens est donné aux évolutions de l’organisation liées à des décisions stratégiques qui vont toucher le travail lui-même, la façon dont il est réalisé, l’identité professionnelle. C’est un espace où la relation participative peut se construire avec efficacité. Si l’on part de l’idée que l’on ne réussit pas l’évolution d’une structure sans l’engagement des salariés, il faut travailler à les associer, avec les encadrants de proximité et les représentants du personnel, sur les effets possibles de cette évolution sur leur travail. 
Il est admis que dans toute organisation, les évolutions stratégiques doivent se faire avec les salariés, et qu’elles se font d’autant mieux s’ils comprennent son sens. Produire mieux, tenir les délais, innover tout en maîtrisant les coûts, prendre en compte les aspects sociaux ne peuvent se faire sans mobiliser l’ensemble des acteurs. C’est nécessairement participatif si l’on souhaite que cela marche.

 

De quoi doit s’assurer une direction pour que les relations sociales fonctionnent ?

Il y a deux modalités pour s’assurer qu’il n’y a pas de problème, le canal hiérarchique qui passe par l’encadrement de proximité et le canal représentatif qui passe par les représentants du personnel. On connaît des entreprises où l’encadrement de proximité préfère ne pas faire remonter les situations qui posent problème, car il pense que si la direction les voit trop souvent, ça n’ira pas, des déroulements de carrière seront menacés par exemple. Du coup, les informations remontent seulement par le canal représentatif. Cela indique que le canal hiérarchique n’est pas toujours fiable. Et c’est un bon test de la qualité des relations sociales. Il faut que les deux canaux fonctionnent.

 

On pourra retrouver sur le site www.anact.fr toutes les informations utiles sur l’Agence, son réseau et les travaux qu’elle réalise.