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L'avenir du cinéma en salle

Interview de Colette PERINET

Présidente du GRAC

<< Les cinémas de proximité sont pris dans la nasse >>.

Entretien avec Colette Périnet, présidente du GRAC, Groupement régional d’actions cinématographiques, et programmatrice de plusieurs cinémas de proximité.

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Date : 30/09/2009

Quel est le but de votre association ?

Il est tout simple : aider les 54 cinémas « art et essai » et de proximité de la Région à faire leur travail ! Nos statuts prévoient que l’association a d’abord pour but « l’étude et la mise en œuvre de pratiques de programmation, d’animation et de promotion de films destinés à favoriser la découverte de nouveaux spectateurs et la rencontre des publics locaux avec des œuvres cinématographiques de qualité ». Mais il s’agit aussi d’assurer « le développement du travail en réseau pour favoriser la pérennité des salles de proximité face aux logiques fortes de concentration, et afin de préserver la diversité culturelle ».

 

La pérennité de vos salles est-elle menacée ? Les chiffres de fréquentation semblent plutôt en augmentation…

Les chiffres annoncés sont excellents, mais il s’agit surtout de chiffres générés par l’augmentation du nombre de multiplexes. Ceci cache la réalité de la petite exploitation, dont nous faisons partie majoritairement, et qui souffre de l’implantation de nouveaux multiplexes. CinéDuchère, Ecully, Oullins et Décines sont durement touchés depuis l’ouverture de Pathé Vaise et Carré de Soie. Quand le multiplexe CGR à ouvert à Brignais, Mornant a baissé de 40%, puis est remonté. Trois multiplexes supplémentaire, ça dérégule ce qui existait sur l’agglomération. En terme de fréquentation, mais aussi d’accès aux copies. Les relations avec les distributeurs sont plus tendues ; la pression est plus forte.

 

En quoi consiste cette difficulté d’accès aux copies ?

Le nombre de salles s’est accru dans l’agglomération, mais les distributeurs ne veulent pas pour autant augmenter le nombre de copies. Veulent-ils préserver les multiplexes, qui ont une capacité de pression très forte ? Toujours est-il qu’on a moins de copies en sortie nationale. Pour un film comme Un Prophète, la bataille a été rude. Nous avons finalement obtenu une copie pour Les Alizés à Bron, mais la réponse est arrivée tardivement – après la parution de notre programme -, et Vénissieux  ne l’a eu qu’en 3e semaine. Autre exemple peut-être plus signifiant, nombre de films sortent sur une combinaison entre 150 et 250 copies, et il nous est de plus en plus difficile d’obtenir une copie, même pour les meilleurs d’entre nous, car les multiplexes sont servis d’abord. Quant à nous, il nous reste la possibilité d’avoir une copie la semaine suivante grâce à l’ADRC (Agence de Développement Régional pour le Cinéma) qui tire des copies de films pour nous permettre de les avoir. Des salles de notre réseau ont ainsi obtenu en 2e semaine des films tels que : Non ma fille tu n’iras pas danser, Whatever Works, Rien de personnel ou Mères et filles. Mais c’est une régression, surtout par rapport à ce type de films.

Autre problème, plus sournois : pour obtenir une copie, les distributeurs nous imposent de mettre le film sur toutes les séances d’une salle. C’est comme s’il n’y avait désormais plus de différence entre un cinéma de 14 salles et un autre de 2 salles. Pour Ponyo, ils nous ont obligés par exemple à mettre la totalité des séances chaque jour, soit quatre, pendant deux voire trois semaines. Pour un cinéma à deux salles, ça réduit considérablement notre petite capacité de multi-programmation ! Aux Alizés à Bron nous avons refusé, car nous voulions garder quelques séances de 20h30 pour d’autres films et nous sommes allés devant le médiateur du cinéma. Nous avons perdu : nous n’avons pas eu le film. Les distributeurs nous disent qu’ils ont tout à fait le droit d’imposer leurs conditions s’ils nous accordent la copie, et on n’a aucun moyen de réagir à ça. A la limite, on a plus de moyens de réagir devant un refus total que devant les conditions imposées, car là, que peut-on faire ? C’est une stratégie d’étouffement. Ils nous imposent leur loi et empêchent les autres films de passer sur nos écrans. On arrive de temps en temps à passer entre les mailles du filet, mais on est vraiment pris dans la nasse. On n’en est pas encore à dire « on ne peut pas avoir les films », mais nos marges de négociation se rétrécissent alors que la production ne cesse d’augmenter avec près de 15 sorties par semaine.

 

Comment expliquez-vous ce durcissement ?

Cette politique s’est enclenchée il y a deux ans ; avant, c’était plus subtil, maintenant, c’est très direct. Peut-être avant le passage au numérique, les distributeurs souhaitent-ils durcir les règles pour prévenir toute dérégulation ? Quelque chose s’est manifestement tendu entre les distributeurs qui, pour obtenir les écrans, se livrent une guerre dont nous faisons les frais. De la même façon, on observe un durcissement des relations entre les salles de proximité et les multiplexes, avec les attaques en justice d’UGC contre le Comœdia, puis la salle Gérard Philipe. C’est une stratégie de harcèlement.

 

Que souhaitez-vous ?

On a la prétention de penser que si on a les films, si on ne nous étrangle pas, le public continuera à être fidèle. On croit beaucoup à la force du travail de proximité qu’on mène depuis 25-30 ans pour fidéliser le public. Notre réseau de salles est également un élément d’aménagement du territoire, de proximité, d’animation, et puis le centre de Bron ou de Vénissieux sont aussi importants que celui de Lyon ! Nous, on dit simplement : « laissez-nous nos 8%» de parts de marché et écoutez-nous ! Des discussions ont manifestement lieu entre Pathé, UGC et le Grand Lyon, puisque nous avons entendu parler de la signature d’une charte le soir de l’inauguration du Cinéma Gérard Philipe rénové. Il est important que des discussions aient lieu également avec nos structures. A cet égard, je me félicite que récemment, toutes les salles de l’agglomération (multiplexes, salles de proximité, salles art et essai) aient été invitées à une réunion « Etat des lieux » au Grand Lyon.

 

Que vous inspire la fermeture du CNP Odéon ?

Un grand regret, une impression de gâchis. Ce cinéma avait sa place, les salles du CNP ont formé des générations de cinéphiles. Aller  au CNP Odéon était un plaisir - contrairement à d'autres salles du CNP. Que fallait-il faire pour sauver cette salle ? Car le fonctionnement de son propriétaire n'a pas arrangé les choses, voire les a aggravées. Je pense à l'équipe du CNP qui a fait vivre ce cinéma avec passion.

 

Comment vous préparez-vous au passage au numérique, qui nécessite des investissements importants pour les salles de votre réseau ?

Notre priorité a été de trouver les moyens de financer un audit technique pour recenser tous les travaux nécessaires au passage au numérique, dont par exemple la climatisation. Ce qui est fait depuis peu grâce au Conseil Régional et à l’aide technique de l’ADRC. Nous engageons des discussions avec les collectivités territoriales afin d’envisager, d’ores et déjà un modèle pour le financement de ces installations. Car même si le CNC travaille à la création d’un fond mutualisé, auquel abonderont les distributeurs par des contributions de copie virtuelle (VPF), il semble évident qu’il faudra débloquer des fonds pour démarrer sans tarder.  D’autant plus que la création du fond mutualisé envisagé par le CNC, risque de se heurter aux réticences de certains distributeurs.

 

En quoi est-ce nécessaire, voire obligatoire pour les salles de votre réseau de passer au numérique ?

Pour que le cinéma ne soit pas un cinéma à deux vitesses, pour que les publics de nos villes aient accès, même quand c'est difficile, à toutes les cinématographies et le plus vite possible (car les délais vidéos ont été raccourcis), nous devons avoir les mêmes conditions techniques et être prêts pour accueillir les films en numérique. Sinon on restera sur le bord de la route...

 

Pensez-vous que le cinéma en salle a de l’avenir ?

Devant le bonheur qu'a le public devant un bon film, sur un bon écran dans une salle confortable, OUI, le cinéma en salle n'est pas fini ! Il y aura toujours du plaisir à voir les films sur grand écran. Ca peut "bouger", mais ça restera un plaisir. Les salles de cinéma ont déjà traversé des crises, on a déjà prédit leur déclin.... Alors gardons confiance. Les films sont là, les salles aussi...