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Handicap psychique et logement : des solutions à trouver

Interview de Patrice TILLET

<< Concrètement, aujourd’hui, pour un logement social mis en location, neuf ou existant, il y a 4 demandeurs >>.

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Date : 09/06/2009

Qu’est-ce qu’ABC HLM du Rhône ? 

C’est une association qui regroupe 30 organismes de logement social du Rhône, soit quelques 140 000 logements sociaux. Cela représente plus de 95% du parc locatif social existant dans le département. ABC HLM organise les échanges entre bailleurs sociaux et facilite l’interlocution avec l’ensemble des partenaires : Etat, Grand Lyon, Conseil Général ou autre. L’association a développé un partenariat privilégié avec l’ARRA , affiliée à l’Union sociale pour l’habitat. Le champ de la coopération inter-organisme est vaste : national via l’Union Sociale pour l’Habitat, régional avec l’ARRA, départemental avec ABC HLM.

 

Comment définir « l’habitat social » ?

Le plus simple est sans doute de partir de l’acronyme « HLM », Habitation à Loyer Modéré. La spécificité du logement social est d’avoir un montant de loyer fixé par réglementation de l’Etat. Plusieurs conditions d’éligibilité sont à remplir par le demandeur, la principale étant d’avoir un niveau de ressources inférieur à celui de plafonds donnés. Une fois l’habitat intégré, il y a droit au maintien dans les lieux. La loi Boutin  a récemment introduit l’obligation pour les ménages dont le niveau de ressources dépasse par deux fois les plafonds de prendre un logement dans le parc privé, sous un délai de deux ans. Dans le Rhône, cela relève de la situation anecdotique : 60% des ménages hébergés ont des ressources inférieures à ce qu’on appelle le plafond PLAI . Et 70% des nouveaux arrivants présentent des niveaux de revenus moindres à 60% des plafonds PLUS . Il y a une forte précarisation des occupants et des demandeurs ! Et à ce jour, la demande sociale locative est en augmentation : 60 000 ménages sont comptés dans le département, principalement constitué de célibataires, de familles monoparentales et, fait nouveau, de personnes âgées.

 

Comment se finance la construction du parc social, et à quel rythme ?

Tous les ans, près de 2 000 logements sociaux sont livrés puis mis en location dans le Rhône. Les organismes HLM réinjectent leurs résultats excédentaires dans la construction de nouveaux logements, en s’appuyant sur des emprunts. Une part non négligeable des fonds provient aussi de prêts bonifiés, de subventions de l’Etat et des collectivités locales. Pour exemple, en 2008, quelques 2 800 logements ont été financés dans le Rhône grâce à 50 millions d’euros issus des fonds propres et emprunts des organismes HLM, 50 millions de l’Etat, de la Région et du Grand Lyon, et 20 millions du 1% Logement. En contrepartie, lorsque les logements seront livrés, chacun des partenaires pourra faire jouer un droit de réservation, au prorata, au profit d’un public désigné. En matière de financement, il est également intéressant de noter qu’une partie des loyers est prise en charge par la solidarité nationale via les allocations d’APL . 
Lorsque la question du logement social est abordée, la tendance est de focaliser sur la construction ! Pourtant, l’essentiel des attributions se fait par le biais du parc social existant. Avec un taux de rotation de 7,5% sur 140 000 logement, le parc ancien génère 12 000 attributions par ans, alors que le neuf n’en assure que 1 500 environ ! Concrètement, aujourd’hui, pour un logement social mis en location, neuf ou existant, il y a 4 demandeurs. 

 

Je voudrais soulever la question des troubles du voisinage, indicateurs du climat social et de l’état de la santé psychique des habitants. Comment se positionne ABC HLM à ce sujet ?

Les bailleurs sociaux sont dans l’obligation contractuelle de garantir « la jouissance paisible de la chose louée » à leurs locataires. La jurisprudence reconnaît les troubles excessifs de voisinage comme une atteinte à cette jouissance paisible. Ainsi, il en est de la responsabilité des bailleurs de réduire ce type de troubles. Au sein d’ABC HLM, chaque organisme a sa propre stratégie et ses propres procédures internes : nous ne sommes pas un syndicat professionnel. Tout le monde s’accorde néanmoins sur la nécessité d’intervenir le plus en amont possible. 
La première chose à faire est d’analyser la situation pour porter un diagnostic pertinent. Le registre des difficultés possibles est tellement complexe que les modes d’actions à adopter peuvent être très différenciés. De quel type d’atteinte à la jouissance s’agit-il ? Qui a donné l’alerte, un gardien, un locataire ? Quel est le mode de réclamation, une lettre individuelle, une lettre anonyme, une pétition ? Quelle connaissance a-t-on du plaignant ? Est-il connu pour être lui-même régulièrement à l’origine de troubles ? Lors d’un conflit de voisinage, il suffit souvent de faciliter la communication entre les locataires par le biais d’une médiation. Si le rappel des devoirs d’une vie en communauté s’avère insuffisant, le principe est de solliciter les interlocuteurs repérés (associations, tutelles) qui accompagnent les locataires en difficulté. Dans la majorité des cas, il n’y a aucun référent. C’est à nous de trouver des solutions. 

 

Quels sont les principaux troubles recensés ?

Nos collaborateurs sont confrontés à des agressions parfois graves, et nous sommes régulièrement interpellés par les instances représentatives du personnel sur cette thématique-là. Certains organismes sont en train de mettre en place un observatoire des incivilités, car cela devient vraiment problématique. L’idée est de parvenir à objectiver les situations grâce à des données chiffrées et codées en termes de gravité. Un collaborateur qui se fait insulter peut amplifier la portée de l’événement, tout simplement parce qu’il le vit très mal… ce qui est aussi à prendre en compte.
La gamme des difficultés rencontrée s’étend d’actes relativement ténus à des comportements violents vis-à-vis de collaborateurs ou d’autres locataires : menaces, coups, dégradations du patrimoine… Ce peut être une question d’intégration, comme ce locataire qui jetait tout par les fenêtres jusqu’à ce qu’on lui explique que, contrairement aux usages dans son pays d’origine, c’était une marque d’incivilité en France. Ce peut être aussi une absence d’entretien du logement, l’accumulation de détritus. Les manifestations de troubles psychiques émergent rapidement… Telle locataire détruit volontairement son bac de douche et inonde au passage l’appartement du dessous car, pour elle, l’eau doit pouvoir s’écouler librement. Trois sœurs, présentant des déficiences mentales, déclenchent un incendie dans leur logement. Tel autre locataire, féru de plomberie et sous tutelle, démonte et remonte sa tuyauterie, avec toutes les fuites que cela peut entraîner… Le rappel au bail est un premier indicateur pour savoir si nous sommes face à une incivilité ou à un symptôme de souffrance psycho-sociale. Lorsque, dans le cadre d’une procédure classique, quelqu’un est ramené à ses devoirs et qu’il ne réagit pas, il est fréquent d’avoir affaire à une question de santé psychique. 

 

Que se passe-t-il alors ? Le personnel est-il préparé à affronter ce type de situation ?  

C’était tout l’enjeu pour ABC HLM de s’associer au projet « santé psychique et logement » avec le Grand Lyon et l’Etat. L’association finance d’ailleurs plusieurs actions de la démarche depuis la Conférence d’Agglomération de l’Habitat de 2004. Comment régler au mieux une situation pour l’ensemble des locataires sans mettre en fragilité une personne ou une famille pour qui la stabilisation dans un logement est capitale en termes d’équilibre psycho-social ? Nous avions besoin de comprendre les fondamentaux en santé psychique et de connaître les différents acteurs concernés. Cette préoccupation, partagée par tous les partenaires, s’est d’abord traduite par la co-rédaction d’un guide « santé mentale et logement ». 
Editée en 2006, cette publication présente les modes de fonctionnement de chaque domaine : logement social, psychiatrie, milieu social et médico-social… Les clefs essentielles d’un bon travail en réseau sont données et un annuaire complète le tout. L’idée était d’en faire un outil pratique pour tous. ABC HLM l’a diffusé aux services de direction générale, aux services de gestion locative et aux ressources humaines des organismes, ainsi qu’aux responsables d’agences. A vrai dire, l’utilisation du guide a été bien en deçà de nos attentes, sans doute parce que nous l’avons distribué tel quel, sans plus d’explications. Nos collaborateurs se le seraient sans doute davantage approprié s’il avait été délivré au cours d’une formation. Le principal intérêt est d’être parvenu à formaliser en un seul document les connaissances partagées du groupe « santé psychique et logement ». C’est un galop d’essai. Le guide est actuellement en cours de réactualisation, il sera de nouveau diffusé à partir de l’automne 2009, dans un autre contexte. 

 
 

Une fois le partage des connaissances formalisé, à quoi le groupe du projet « santé psychique et logement » est-il passé ? 

Le comité de pilotage de 2007 a décidé d’expérimenter deux sessions de « formation-action ». Destinées à chaque fois à 33 stagiaires issus des secteurs professionnels du logement social, de la psychiatrie, du social, médico-social, et des représentants ou familles d’usagers, ces sessions proposent un tronc commun suivi d’une conduite de projet. Celle-ci est traduite sous forme de « fiche outil », sorte de mode d’emploi pratique d’une démarche partenariale ciblée. La formule marche très bien ! 
Nous réfléchissons actuellement aux moyens de décliner plus largement cette formation, en nous appuyant sur les efforts déjà fournis. Jusqu’à présent, les stagiaires issus des organismes de logement social, membres d’ABC HLM, ont été des chargés de clientèle, des conseillers en économie sociale et familiale et des responsables contentieux. Ce serait bien que des managers, du personnel de proximité et d’autres corps de métier puissent aussi en profiter ! Comment optimiser l’existence des outils développés dans le cadre du projet « santé psychique et logement » ? Irriguer ces savoirs-faires dans les organismes de logement social pourrait faciliter la vie de tout le monde. J’ai moi-même été profondément interpellé lorsque j’ai entendu que « ces gens ne sont pas dans la violence, ils sont dans la souffrance ». Le regard change forcément. Le même type de processus opère sur les collaborateurs qui suivent la formation-action : lorsqu’ils comprennent que la personne fait preuve de plus de violence envers elle-même qu’envers les autres, que l’agressivité n’est en réalité qu’une manifestation de souffrance et qu’ils ne sont pas personnellement visés, les situations se débloquent. Une fois qu’ils ont reçu ces clefs de compréhension-là, ils se sentent à nouveau prêts à aller sur le terrain et à discuter. 

 

Certains de vos collaborateurs semblent aux prises avec des situations assez délicates ?

La profession de gardien a, notamment, beaucoup changé. Avant, il venait, faisait le ménage et repartait. Aujourd’hui, c’est devenu un véritable métier de proximité. Les gardiens sont les premiers à développer le relationnel avec les habitants ! La récurrence de relations difficiles avec quelques locataires peut faire naitre de la souffrance, tout comme le fait de vivre à coté de personnes handicapées psychiques en grand mal-être. A terme, cela peut se traduire par des arrêts maladie, ou, pire, par des demandes de mutation sur d’autres territoires. Pour éviter cela, les organismes organisent des séminaires sur la gestion des conflits. Les gardiens qui suivent ces formations disent prendre davantage de recul dans leurs relations quotidiennes avec les locataires. Ils comprennent l’importance de l’écoute, indispensable au désamorçage de l’agressivité. Des collaborateurs qui ont vécu un événement traumatisant peuvent également être accompagnés individuellement. Une de nos gardiennes a ainsi témoigné, sous forme d’une petite vidéo présentée à ses collègues, qu’après avoir été menacée de mort, le fait d’avoir été entendue et soutenue lui a permis de retourner sur le site une fois son arrêt de travail terminé.

 

Nous avons indistinctement évoqué les personnes en souffrance psycho-sociale et celles qui sont handicapées psychiques ou mentales. Quelles sont les positions des organismes HLM concernant l’accès au logement de personnes reconnues handicapées psychiques ?

Inutile de cacher que des blocages persistent. Lorsqu’un centre hospitalier psychiatrique nous propose un candidat au logement, pour le bailleur social, cela équivaut à prendre le risque de devoir gérer toute une série de dysfonctionnements à court ou moyen terme. La grande majorité des personnes handicapées psychiques ne bénéficient pas de l’accompagnement dont elles auraient besoin. Conclusion, le bailleur social n’a pas d’interlocuteurs au quotidien. Il faut attendre que la situation se dégrade au point où elle se transforme en urgence, que les pompiers ou la police interviennent, et qu’une demande de HDT  ou de HO  soit déposée. Qui a envie de ça ? 
Lorsque nous avons un interlocuteur, cela change tout. « Tiens, nous avons des travaux à faire dans cet immeuble. Oui, mais attention, il y a Mr Untel… Le mieux est d’appeler sa tutrice pour l’informer, qu’elle ait le temps de le préparer ». Faire un travail de prévention devient alors possible. A ce niveau-là aussi nous sommes dans une phase d’apprentissage, mais il est évident que tout le monde a à y gagner ! Alliade Habitat vient de signer une convention de partenariat avec l’hôpital psychiatrique de St-Jean-de-Dieu. Nous mettons une dizaine d’appartements à disposition de personnes sortant d’une période d’hospitalisation. Les locataires se resocialisent dans un immeuble banalisé et nous avons l’assurance d’avoir un interlocuteur compétent qui suit leur réinsertion. Cela fonctionne très bien ! C’est la déclinaison de ce type de partenariat qu’il serait porteur de développer. 

 

Actuellement, le handicap psychique constitue-t-il un critère d’attribution pour l’accès au logement social ?

A ce jour, il n’y a pas de priorité affichée sur le handicap psychique. Cependant, chaque année, dans le cadre d’accords collectifs départementaux, l’Etat négocie avec les bailleurs sociaux un objectif d’attribution de logements pour des publics désignés. Il y a parmi eux les ménages en situation de très grande précarité, où il est fréquent de trouver des personnes handicapées psychiques. La loi DALO  fixe également des catégories de ménages prioritaires pour le logement social. Là, ce sont les ménages en situation de handicap parmi lesquels les personnes handicapées psychiques sont recensées. Ces ménages prioritaires sont parmi les premiers à pouvoir déposer un recours auprès de la commission idoine s’ils ne se voient pas attribuer un logement au bout d’un certain délai. Si l’avis de cette commission est favorable, l’Etat a six mois pour faire des propositions sur le contingent qui lui est réservé dans le Rhône .

 

Les efforts de réflexion et d’expérimentation vont se poursuivre pour le projet « santé psychique et logement ». Voyez-vous une autre thématique sociétale qui mériterait une mobilisation collective similaire ?

Oui, je pense qu’il faudrait s’atteler à la question du vieillissement de la population. Cinq entreprises sociales pour l’habitat se sont déjà associées dans le Rhône pour y réfléchir : 20% de nos locataires ont plus de 65 ans, et quelques immeubles présentent de fortes concentrations de personnes âgées. Nous tentons d’accompagner cette tendance en produisant d’abord une méthodologie de diagnostic sur le vieillissement dans nos résidences. Une fois cette évaluation faite, nous lançons des plans d’actions comprenant, entre autres, la formation de nos collaborateurs. L’évolution de la pyramide des âges des locataires demande une adaptation ergonomique des lieux et le développement de services de maintien à domicile. Des symptômes de maladie neuro dégénératives sont aussi à prendre en compte : réclusion à domicile, volets fermés, accumulation d’objets hétéroclites… Des manifestations qui sont, somme toute, assez proches de celles de personnes en grande souffrance psychique. Notre marge de manœuvre en tant que bailleurs sociaux est assez limitée. Portage de repas, entretien ménager, bricolage, aide administrative… Toute offre de service que nous mettons directement en place devrait rester gratuite pour les locataires. Nous pensons qu’il est plus intéressant pour tous d’injecter les bénéfices dans la réhabilitation du parc et la construction neuve.

 

Quelles conclusions en tirez-vous ?

Qu’à un moment donné, il faut savoir se recentrer sur son cœur de métier... Les services à domicile, il y en a qui font ça très bien ! Notre mission de bailleur social est d’offrir aux locataires âgés des logements accessibles et adaptés. Elle consiste aussi, vu la faiblesse de leurs ressources, à leur apporter la possibilité d’être accompagnés dans cette phase importante de leur vie. Là, l’innovation peut résider dans le maillage d’un réseau de proximité avec les CCAS , les services gérontologiques, les associations, etc. C’est aussi dans l’intérêt du bailleur qu’un travailleur social lui fasse remonter l’information que le robinet de Mr Untel fuit ou que le système électrique de Mme Untelle disjoncte ! 
Collectivement, il y a du travail à faire. Sur la question du vieillissement, les acteurs ont encore peu développé la logique partenariale. Hors, pour produire du logement senior novateur, il faut mettre tout le monde autour de la table ! Respecter les expertises des uns et des autres ne signifie pas s’enfermer dans l’isolationniste. C’est en additionnant les compétences qu’il sera possible de faire avancer les choses.