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Lyon pionnière en matière de transplantation

Interview de Olivier BASTIEN

© DR
Directeur de la Commission transplantation des Hospices Civils de Lyon

<< Lyon fait figure de pionnier en matière de prélèvements de reins sur donneur à coeur arrêté (DCA) >>.

Olivier Bastien (PU-PH) dirige la Commission transplantation des Hospices Civils de Lyon, instance administrative en charge de l'organisation et de la coordination des transplantations réalisées à Lyon.

Lyon et la transplantation :

- la Commission transplantation des HCL

- la recherche sur la greffe

- les grands centres mondiaux de transplantation

- la place et la visibilité de Lyon dans ce réseau-greffes et religions

- le statut des greffés

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Date : 06/03/2008

Lyon est-elle actuellement un grand pôle de transplantation ?

Le projet médical 2005-2010 des HCL fait du prélèvement d'organes, préalable à toute greffes, l'une de ses priorités. Actuellement, toutes les transplantations autorisées peuvent être réalisées à Lyon. Deux équipes transplantent les reins (hôpital Edouard Herriot et centre hospitalier Lyon sud), deux autres les foies (hôpital Edouard Herriot et hôpital de la Croix-rousse), une s'occupe des double greffes rein-pancréas (hôpital Edouard Herriot), une des poumons et une autre du coeur (toutes les deux à l'hôpital cardiovasculaire et pneumologique Louis Pradel). L'hôpital Edouard Herriot réalise aussi les greffes composites, c'est à dire les greffes de tissus, de membres.
Un grand nombre de premières françaises, voire mondiales, ont été réalisées à Lyon. Le réseau fonctionne bien : les prélèvements comme les transplantations progressent régulièrement.

 

Quels sont les principaux acteurs lyonnais en matière de transplantation, leurs rôles respectifs et leurs liens ?

La Commission transplantation des HCL est l'instance adminisatrive garante de l'organisation et de la coordination des transplantations, elle travaille donc en lien avec tous les autres acteurs. La Coordination hospitalière des prélèvements et des transplantations des HCL est une unité transversale assurant la prise en charge logistique des prélèvements et l'accompagnement des familles. Cette unité est composée de neuf personnes : deux médecins, six infirmières et une secrétaire. Il y a bien sûr les équipes médico-chirurgicales citées à l'instant et les banques de cellules et de tissus, publiques et privées.
Enfin, les services de virologie, d'anatamo-pathologie, etc. sont garants de la sécurité sanitaire durant l'ensemble de la chaîne de transplantation. C'est une obligation légale placée sous la double tutelle de l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) et de l'Agence de la biomédecine.

 

Cette organisation va-t-elle évoluer dans les années futures ?

A l'horizon 2014, dans le cadre du plan de restructuration de l'HEH, un centre de coordination de transplantation rénale sera mis en place. Il ne s'agit pas d'un plateau technique permettant la transplantation de tous les organes comme cela avait été envisagé initialement. Ce centre assurera une parfaite équité des protocoles et traitements utilisés pour tous les patients, une coordination et une lisibilité de la recherche.
Malgré ce réseau et l'augmentation régulière des prélèvements comme des transplantations depuis 2000, la liste des personnes en attente d'une greffe progresse toujours...

En effet, la progression de l'activité ne parvient pas encore à satisfaire les demandes. Il y a plusieurs explications à cela : d'une part, un besoin croissant d'organes se fait sentir du fait du vieillissement de la population, de l'élargissement des indications de transplantation grâce notamment à l'amélioration des traitements anti-rejet, de l'augmentation de certaines pathologies comme le diabète qui s'attaque notamment aux reins et augmente le nombre de dialysés... Lyon est aussi un centre de référence pour les patients atteints de mucovisidose, ceux-ci vivent de plus en plus longtemps et ont besoin de greffes de poumons. L'année dernière, 12 patients ont été greffés, tous vont bien aujourd'hui. Les limites d'âge sont repoussées également : il est recommandé de ne plus prélever et greffer de coeur après 65 ans pour des raisons médicales, mais aujourd'hui beaucoup de personnes sont en grande forme à cet âge là. On observe aussi une tendance raisonnée à prélèver des reins sur des donneurs plus âgés et destinés à des receveurs plus âgés également, donc présentant souvent les mêmes caractéristiques (diabète, hypertension).
D'autre part, le nombre de donneurs décédés en état de mort encéphalique reste par nature limité, ce type de décès représente moins de 1% des décès à l'hôpital. Même si on peut sans doute encore améliorer leur recensement, cela ne règlera pas la pénurie d'organes.
On peut souligner aussi que le profil des donneurs évolue beaucoup : les accidents de la route sont encore à l'origine de 25% des donneurs en Rhône-Alpes, mais auparavant c'était beaucoup plus, la baisse des accidents de la route et l'amélioration des services d'urgence expliquent cela... Grenoble a développé des techniques de prélèvement adaptées aux accidentés de la montagne. Si encore 90% des donneurs sont des personnes décédées en état de mort encéphalique, d'autres solutions prometteuses se développent aussi...

 

Comme le recommande l'Agence de la biomédecine, vous cherchez à améliorer les prélèvements venant d'autres catégories de personnes : les donneurs vivants et les personnes décédées par arrêt cardiaque ?

Tout à fait, Lyon fait figure de pionnier en matière de prélèvements de reins sur donneur à coeur arrêté (DCA) : le CHU de Lyon a été le premier centre à expérimenter avec succès la faisabilité de la technique depuis son autorisation en 2006. Cela augmente donc le nombre de greffons rénaux potentiels, car cette technique peut s'appliquer à des personnes décédées chez elles ou dans la rue. Auparavant, c'était impossible, l'arrêt cardiaque provoquait des lésions rénales trop sévères. La préservation des organes des DCA, qui ne sont plus irrigués par le sang, exige un dispositif plus contraignant que dans le cas de donneurs décédés en état de mort encéphalique et donc une organisation sans faille des différents acteurs (le samu, l'équipe de réanimation, la coordination des prélèvements, l'équipe chirurgicale de prélèvements, le service médicale de transplantation). En 2007, cette technique a permis d'augmenter de 15% les prélèvements de greffons rénaux. Elle devrait prochainement être adaptée et autorisée pour les prélèvements de foies.

 

Des équipes lyonnaises font partie du RTRS Centaure (réseau thématique de recherche et de soins dédié aux sciences de la transplantation) aux côtés d’équipes nantaises et parisiennes. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’objectif de ce réseau et le rôle des équipes lyonnaises ?

Ce réseau donne l'opportunité à des équipes aux compétences complémentaires de collaborer : Lyon (pour les techniques chirurgicales et les nouveaux types de transplantation, avec le Pr Jean-Michel Dubernard), Nantes (pour l’immunologie, la génétique et post-génomique) et Paris Necker, qui est un grand centre clinique de transplantation. Les crédits de recherche débloqués relancent les différentes recherches. C'est également un moyen d'être plus lisible et plus visible sur le plan international.

 

Pouvez-vous nous donner des exemples des recherches menées actuellement ?

Un champ de recherche important concerne la recherche des gènes impliqués dans le mécanisme de rejet grâce aux puces à ADN. Obtenir la cartographie génétique des patients permettrait d'adapter les traitements anti-rejets beaucoup plus finement.
Une autre piste est l'amélioration de la conservation des organes (durée et qualité de conservation) grâce à une nouvelle machine à perfusion et à la mise au point de nouveaux solutés de conservation et de reperfusion. Dans le cas de mort encéphalique, les organes souffrent, il est important de les stabiliser pour ne faire courir aucun risque aux patients. Le soluté IGL1 par exemple, un liquide de conservation de troisième génération très utilisé en France, a été inventé à Lyon grâce à la collaboration de l'Institut Georges Lopez et du laboratoire de biochimie de l'hôpital Edouard Herriot. Lyon est assez compétitif dans ce domaine, mais toujours en concurrence avec Paris.

 

Quels sont les grands centres en matière de transplantation ?

En France, Paris, Lyon et Nantes se détachent, mais on raisonne plus en termes d' interrégions. En Europe, on peut citer Cambridge, et aux Etats-unis, Pittsburgh pour le foie, Minneapolis, Boston... Il faut savoir que Lyon est souvent plus connu à l'étranger qu'à l'intérieur de nos frontières.

 

Comment expliquer ce manque de visibilité malgré l'héritage très riche de l'école de Mathieu Jaboulay, un grand nombre de premières françaises et une activité importante de prélèvements et de transplantations ?

Il y a certainement un manque de valorisation et de communication sur nos activités. L'équipe du Pr Boillot à HEH, capable de partager un greffon hépatique pour en faire bénéficier deux receveurs (le plus souvent un enfant et un adulte) est certainement l'une des meilleures au monde. L'équipe de l'hôpital Louis Pradel est la 2ème équipe de France après Paris pour les transplantations cardiaques et la 1ère pour l'implantation de coeurs artificiels (cette activité est plus morcelée en région parisienne). Dans le domaine des systèmes d'assistance cardiaque implantables, nous sommes à l'origine de plusieurs premières françaises : c'est à l'hôpital Louis Pradel que les systèmes Heart Mate I, Thoratec iVad et Berlin Heart ont été implantés pour la première fois durant les années 1990 et c'est encore à Lyon que le système VentrAssist a été implanté pour la première fois en France (en 2007).

 

Percevez-vous une évolution du grand public sur le sujet du don d’organes ?

Oui, l'information sur le don d'organes et les greffes passe de mieux en mieux, les campagnes menées par l'Agence de la biomédecine y ont sans doute contribué. En France, le don et la transplantation sont bien protégés, anonymes et gratuits. Les coûts directs sont pris en charge à 100%, la chirurgie comme le suivi médical, ce n'est pas le cas chez tous nos voisins européens.

 

Constatez-vous par exemple un recul des refus de prélèvements ?

Le taux de refus en Rhône-Alpes est de 28%, il se situe dans la moyenne nationale. La tendance générale est en effet plutôt à la baisse. En France, le principe du « consentement présumé » a été adopté par la loi de bioéthique, lorsque les proches s'opposent au prélèvement, c'est essentiellement parce qu'ils ne connaissent pas la volonté du défunt, parce qu'ils n'en avaient jamais parlé auparavant...

 

Est-ce que des convictions religieuses peuvent être à l'origine de refus de prélèvements ? Les religions ont-elles pris position par rapport au don d'organes ?

Les HCL ont organisé une conférence sur cette question en juin 2007 à l'occasion de la journée nationale sur le don d'organes. Des représentants des catholiques, des protestants, des juifs et des musulmans ont présenté leur position et ont répondu aux questions du public. Il est apparu un consensus en faveur de la vie et du don, dans le respect du consentement du donneur, de l'intégrité de son corps, de la gratuité et de l'anonymat, règles de toute façon en vigueur en France. Il faudrait néanmoins que chaque religion fasse connaître plus largement sa position car les préjugés religieux sont encore fréquents, l'équipe de coordination des prélèvements y est souvent confrontée.
La Grande-Bretagne est par exemple beaucoup plus volontariste ou pragmatique sur le sujet : il n'est pas rare que les équipes de prélèvement soient composées de médecins et d'infirmières volontairement issus de différentes communautés pour faciliter les échanges avec les familles. L'Espagne a aussi considérablement progressé sur le sujet grâce au soutien de l'Eglise catholique et a largement rattrapé son retard.
Mais encore une fois, les raisons sont parfois toute autre : un programme de recherche a été lancé en Polynésie française pour mieux comprendre les raisons des refus de prélèvements et le faible taux de greffes. Il y avait bien sûr des raisons pratiques, mais aussi une autre vision de l'âme qui entrait en jeu. En outre, les Polynésiens se faisaient greffer en Chine où les soins sont payants, et avaient tendance à douter de la qualité de soins gratuits.

 

Nous avons évoqué les coûts directs, entièrement pris en charge en France, qu'entendez-vous par les coûts indirects des greffes ?

Ils sont nombreux, par exemple, le retour à la vie professionnelle après une greffe, n'est pas toujours simple : la personne greffée est confrontée aux questions de statut et d'acceptation sociale. Chaque cas est différent : le pourcentage d'invalidité attribué par la Cotorep est très variable selon les patients de 0 à 100%, une personne greffée ne bénéficie pas automatiquement du statut de travailleur handicapé (qui peut d'ailleurs être vécu comme un inconvénient), certaines personnes obtiennent un mi-temps thérapeutique... Il n'est pas rare que des personnes greffées rencontrent des difficultés pour être titularisées, obtenir une promotion, ou encore pour emprunter de l'argent à des banques. Les associations, comme le corps médical, se mobilisent de plus en plus sur ces questions.