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La recherche sur les risques sanitaires liés au réchauffement climatique

Interview de Guy VERNET

<< Il y aurait un véritable intérêt à créer à Lyon un Institut chargé de développer des outils de surveillance et de contrôle des maladies émergentes liées au changement climatique et aux zoonoses >>.

Interview de Guy Vernet, directeur scientifique de la Fondation Mérieux, en charge des activités du laboratoire de recherche appliquée sur les agents pathogènes émergents. 

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Date : 03/03/2008

Quels sont les principaux risques sanitaires liés au réchauffement climatique en France ?
En fait, dans les pays industrialisés, le risque majeur d’émergence n’est pas lié au changement climatique mais à la résistance aux traitements des agents pathogènes. Les antimicrobiens (pénicilline, par exemple) sont à la base de la prise en charge et/ou de la prévention des maladies infectieuses causées par des microbes. Certains agents pathogènes survivent et s’adaptent aux antimicrobiens. Ce phénomène biologique naturel est amplifié ou accéléré par l’abus de prescriptions d’antibiotiques, souvent mal dosés et pris sur des durées inadéquates. L’emploi d’antibactériens en dehors de la médecine humaine aggrave le phénomène : 50% des antimicrobiens sont utilisés dans l’élevage, l’agriculture et l’horticulture. Le tout contribue à un développement de la pharmaco résistance. Les conséquences sont déjà visibles avec la tuberculose MDR, très présente dans les pays de l’Est. Extrêmement virulente et résistante à tous les traitements connus, cette maladie de la pauvreté se propage en France suite à des migrations de population. Le risque de pandémie grippale est, lui aussi, élevé. 

Le changement climatique aurait peu de répercussions en matière de santé ?
Les zones à risques sont celles qui sont proches des tropiques, et il faut s’en préoccuper. En Europe, l’émergence de pathologies infectieuses liées au climat passe par le déplacement d’animaux sauvages qui véhiculent la maladie : rongeurs, oiseaux, chauves-souris, insectes. Réservoirs et vecteurs principaux, les moustiques et les tiques peuvent être porteurs d’agents pathogènes de risque 4. Mettre en place une surveillance entomologique  active au niveau régional et national est indispensable. Des moyens de contrôles existent, comme l’utilisation de pesticides ou l’élimination des endroits où ils se reproduisent. Il me semble qu’avec la proximité du Rhône, des campagnes de démoustication sont déjà menées sur le Grand Lyon.
 
En cas de contamination humaine, la France est-elle prête ? 
En France et en Europe, la surveillance est en place : en cas de contamination isolée, la réponse est rapide. Néanmoins, la capacité d’accueil hospitalière en milieu totalement confiné est limitée. En cas d’alerte de grande ampleur, je ne suis pas sûr qu’une épidémie puisse être contenue. Les autorités nationales et internationales n’ont pas encore pris à bras le corps les systèmes de prévention. Les médecins généralistes, premiers acteurs de la chaîne de surveillance, ne sont pas préparés à une telle éventualité. Je cite l’exemple de la peste, présente sur la côte Ouest des Etats-Unis : elle y est bien gérée car les traitements sont administrés à temps. Pourtant, fréquemment, des vacanciers de la côte Est en meurent, car une fois rentrés chez eux, leurs médecins ne reconnaissent pas les symptômes. Ils ne sont tout simplement pas formés à la détection de cette maladie. Autre exemple, près de Ravenne, en Italie. L’arrivée d’un seul cas de Chikungunya, mal identifié, a entrainé la contamination de 200 personnes. Pour qu’un pays soit en mesure de repérer immédiatement un spot épidémique, le personnel de santé et notamment les généralistes doivent être intégrés à un réseau de surveillance épidémiologique actif, comprenant une bonne formation continue, le rassemblement des informations recueillies et des centres nationaux de référence aptes à établir les diagnostics. La France est au point sur la grippe, mais pas sur l’ensemble des pathogènes émergents.

Où en sommes-nous en matière de diagnostics ? 
Les outils de diagnostics sont aujourd’hui détenus par une cinquantaine de centres nationaux de référence répartis sur le territoire français : laboratoires de certains hôpitaux, de l’Inserm ou de l’Institut Pasteur . Plusieurs centres se trouvent à Lyon, sur la grippe, les entérovirus, les fièvres hémorragiques et la légionellose, maladie émergente potentiellement liée au climat puisqu’elle se transmet via les vapeurs d’eau des brumisateurs et des tours de refroidissement. Tant que le nombre d’échantillons à traiter reste restreint, ce système est suffisant. Une vigilance plus accrue devrait cependant être accordée aux conditions de transport des agents pathogènes. Le jour où l’extension géographique de certaines maladies atteindra la France, il faudra décentraliser les capacités de diagnostic à des laboratoires régionaux. Le développement industriel d’outils de diagnostics adaptés est à anticiper, d’autant plus que des fonds sont mis à disposition dans ce but par des organismes comme la Fondation Gates. La communauté scientifique et industrielle n’est pas assez impliquée. Je reprends l’exemple de la tuberculose, qui tue un million et demi de personnes par an. Comme elle sévit principalement dans des pays pauvres, les industriels hésitent à investir par crainte d’insolvabilité des marchés. Il faudrait s’inspirer du CDC , qui injecte des sommes considérables dans le monde industriel lorsque le marché est petit mais d’intérêt scientifique majeur.  

Quel est le rôle de votre laboratoire ? 
Notre équipe a intégré la Fondation Mérieux début 2008 pour piloter le réseau GABRIEL . En cours de constitution, ce réseau associe des laboratoires de recherche du Nord et du Sud : Chine, Cambodge, Laos, Mali, Madagascar, Haïti, Brésil, Grande-Bretagne… Nos efforts portent sur les agents pathogènes émergents ou résurgents, c’est-à-dire qui affectent nouvellement une population ou qui réapparaissent pour des raisons liées à l’activité de l’homme ou aux changements de climat. GABRIEL est un réseau de laboratoires de recherche engagés dans une surveillance épidémiologique, capables d’alerte et de réponse en cas d’épidémie ou de pandémie. Recueil de données, identification d’agents pathogènes, mise au point de traitements adéquats : notre rôle est d’animer ce réseau et de former des techniciens et chercheurs qui y appartiennent. Travailler avec des pays en développement est intéressant pour tout le monde. La Serbie ou le Liban sont, par exemple, à la périphérie de l’Europe. C’est dans ce type de pays, instables en matière de surveillance épidémiologique, que risquent d’émerger des agents pathogènes. Participer à l’amélioration générale de leurs systèmes sanitaires est aussi une opportunité de mieux connaître ces agents, de comprendre leur mode de dissémination et de contribuer à élaborer des traitements adéquats. 

Vous évoquiez précédemment le CDC et son rôle prédominant dans l’attribution de fonds pour la recherche appliquée. En France, n’est-ce pas une des missions des pôles de compétitivité ? 
Exact, Lyonbiopôle a cette vocation de financement et de montage de projets mixtes. Mais il faut savoir que lorsque le pôle alloue 30 euros à un programme, les industriels en donnent 70. Or, stratégies commerciales et velléités des collectivités territoriales ne coïncident pas toujours. L’idée de Christophe Mérieux de constituer à Lyon un bouclier sanitaire n’est pas encore devenue réalité : la synergie entre les acteurs est à renforcer. P4, Lyonbiopôle, RTRA Finovi , OMS Lyon, grands industriels… Il est nécessaire de donner une cohérence globale à l’ensemble, car actuellement chacun travaille plus ou moins dans son coin. Il y aurait un véritable intérêt à créer un Institut chargé de développer des outils de surveillance et de contrôle des maladies émergentes liées au changement climatique et aux zoonoses. Cela permettrait de rassembler et de rationaliser les financements européens. Ce qui manque aujourd’hui à la métropole, c’est un pôle de gouvernance avec une ambition affichée de pilotage, capable d’inciter les entreprises à prendre un risque. Beaucoup de structures, comme la nôtre, sont jeunes ou en phase de démarrage. C’est le bon moment de lancer un Institut en dur, avec des budgets, des équipes dont l’objectif est de faire travailler ensemble les acteurs régionaux publics et privés. Il ne s’agit pas d’affecter des fonds à un organisme déjà existant qui va simplement renforcer ses thématiques de recherche, comme cela se produit régulièrement. Pour passer à la vitesse supérieure, des projets transversaux nationaux et internationaux doivent être montés et suivis.