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La mise sous tutelle ou sous curatelle et accès au logement

Interview de Brigitte SAPALY

<< Des personnes auparavant qualifiées de violentes, droguées ou alcooliques peuvent désormais être identifiées comme des personnes handicapées psychiques >>.

Brigitte Sapaly est directrice de GRIM, association lyonnaise d’accueil et d’accompagnement de personnes en situation de handicap psychique.

Créée il y a une vingtaine d’années, GRIM suit environ 1500 personnes placées sous tutelle ou curatelle. L’association gère un Service d’Accompagnement à la Vie Sociale sur Lyon, Villefranche et Tarare (170 personnes accompagnées). Enfin, elle accueille une quarantaine de personnes en logements transitoires individuels ou collectifs. Son équipe est constituée de 70 salariés.  Dans le cadre de la Conférence d'Agglomération de l'Habitat, le Grand Lyon a initié un travail partenarial dans le but de traiter la situation de familles en grande difficulté dans leur environnement. On a pu  constater, à cette occasion, qu'une part significative des familles approchées compte un de ses  membres comme souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques importants. La nature de ces troubles  dépasse les compétences des organismes qui interviennent habituellement en matière d'accompagnement social lié au logement. Pour y remédier,  une démarche a été engagée avec les hôpitaux psychiatriques de l'agglomération lyonnaise et avec  tous les organismes concernés par la santé mentale. L’objectif étant  de concilier le maintien ou l’accès au logement,  pour les personnes souffrant de troubles et d’assurer la tranquillité pour tous. Le Grand Lyon copilote ce projet avec l’État, en lien avec un  nombre important de partenaires : hôpitaux, bailleurs sociaux, bailleurs privés, CAF de Lyon, associations….Les « 4 familles » de partenaires sont parties prenantes à ce projet (les bailleurs, les  hôpitaux, les associations et les familles, les intervenants sociaux et médico-sociaux).

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Date : 28/10/2008

En quoi consistent  les mesures de tutelle et curatelle ?

Des personnes considérées comme n’étant pas en état de se protéger elles-mêmes dans un milieu de vie ordinaire peuvent être placées sous mesure de protection par le juge des tutelles. Suivant le niveau de difficultés vécues par la personne, la protection est plus ou moins forte : 

- La curatelle simple se limite à un suivi et à un conseil au quotidien ;
- La curatelle renforcée consiste en une gestion du budget et des dépenses ;
- La tutelle est une mesure où l’individu est suppléé dans l’ensemble de sa vie quotidienne.

Près de 70% des tuteurs appartiennent au monde associatif, les autres relèvent du secteur privé. Le profil des personnes concernées est de deux types : personnes âgées, personnes en souffrance psychique et quelques personnes en situation de surendettement. Nous intervenons dans des établissements d’hébergement ou dans les logements privés. Dans ce dernier cas, la mise sous protection judiciaire est une action vécue de manière assez violente par l’intéressé(e). Un signalement va être fait au Procureur de la République par la famille, le voisinage, une assistante sociale du quartier... Le témoignage de l’entourage et une expertise médicale vont déterminer si la personne est apte à vivre seule. Si ce n’est pas le cas, le tribunal va décider quelle est la mesure la plus adaptée, tutelle ou curatelle. La personne va alors avoir l’impression de sortir de la normalité pour aller vers « l’incapacité ». Le délégué aux majeurs protégés va venir la voir pour lui demander la remise de tous ses papiers, carte d’identité, livret de famille, etc. La signature sur ses comptes bancaires va lui être retirée. Le juge des tutelles va aussi demander à un huissier d’effectuer un relevé du patrimoine, ce qui signifie que ce dernier va ouvrir les tiroirs, mesurer la valeur des meubles, des bijoux… C’est une véritable intrusion dans la vie privée. C’est dans ce contexte que le délégué doit instaurer un lien de confiance et de proximité avec la personne. Il est nécessaire que celle-ci sorte du déni et de l’opposition pour qu’un travail puisse être enclenché avec elle. Alors le public que vous suivez vous est adressé par le tribunal…
S’il s’agit de protection judiciaire, oui, mais nous sommes aussi interpellés par les familles, les professionnels de santé et la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Les demandes sont importantes car aujourd’hui, le diagnostic du handicap psychique se fait bien plus facilement. La loi de 2005  a remis les compteurs à zéro en mettant le handicap psychique au même niveau que les autres. Reconnu comme une limitation d’activité subie par l’altération d’une fonction psychique, ce handicap donne droit à compensation et ouvre l’accès aux services et établissements socio-médicaux. Actuellement, 60% des notifications de la MDPH sont données pour des personnes handicapées psychiques. Concrètement, des personnes auparavant qualifiées de violentes, droguées ou alcooliques peuvent désormais être identifiées comme des personnes handicapées psychiques.

 

Cela a-t-il une influence sur leur prise en charge ?

Oui, dans la mesure où ces personnes peuvent désormais être orientées sur des structures comme la nôtre où elles seront accompagnées en fonction de leur pathologie et non des effets de celle-ci. La reconnaissance d’une maladie handicapante leur permet de déculpabiliser, ce qui autorise un premier pas vers la socialisation. 

 

La notification d ’handicap psychique est-elle évolutive ?

Heureusement, oui. A comparer du handicap physique ou mental, la spécificité du handicap psychique réside dans sa grande variabilité. Progression ou régression sont possibles. La personne peut progresser grâce à des traitements thérapeutiques et/ou médicamenteux. Elle peut régresser si elle interrompt sa médication ou parce qu’elle se retrouve dans une situation d’échec. Il y a des cas de personnes qui progressent régulièrement et qui finissent par se stabiliser. Cela ne veut pas forcément dire que la personne est guérie, mais qu’elle a un traitement et un accompagnement de proximité adéquats. Mesures de tutelle et de curatelle ne sont pas définitives, elles sont prononcées  pour une durée de cinq ans après expertise médicale. Nous avons aussi la possibilité de demander au juge de tutelle une levée de la mesure si l’on constate que la personne est capable de vivre seule.

 

Quelqu’un qui a connu un épisode dépressif peut quand même s’en sortir sans traitement médical à vie ?

Bien sûr, tout dépend du degré d’importance de cet état. Ce que je peux constater, c’est l’importance du réseau social. Quand une personne a été hospitalisée pendant plusieurs années, ou, comme cela se pratique, plusieurs fois de suite sur une longue période, elle peut se retrouver à la sortie sans famille ni logement. Son état va alors être difficile à gérer : perte de confiance en soi par incompréhension de l’engrenage dans lequel elle a été prise, méfiance vis-à-vis de ses propres réactions dans certains scénarios, peur du regard des autres parce qu’elle se sent différente… Ce n’est pas aussi simple que ça de sortir d’une dépression profonde.

 

Quelles sont les dernières évolutions sociétales observables à votre niveau ?

Il y a, d’une part, une proportion plus importante de personnes âgées à protéger. D’autre part, suite à des deuils, des divorces et autres ruptures sociales, le nombre de personnes isolées, sans véritable étayage familial, augmente. Ce phénomène d’isolement s’accroit lors du vieillissement. En troisième lieu, c’est l’impact de la crise économique que je citerais comme nettement perceptible sur les plus fragiles. Une mise au chômage peut déclencher une dépression ou l’activation de problèmes psychiques, et entrainer une telle souffrance qu’il y aura tentative de suicide… La France est le second pays de l’OCDE en termes de tentatives de suicide : 16,2 pour 100 000 habitants. Lorsqu’on sait que les suicides sont les conséquences de l’alliance entre des troubles psychologiques (dépressions, psychoses, schizophrénies…) et un incident de la vie, on réalise les effets de la précarité. Les crises du logement et de l’emploi rendent par ailleurs notre travail de réinsertion bien plus ardu.

 

Quel rapport avec la crise du logement ?

La plupart des personnes mises sous protection ne rencontrent pas de difficultés particulières avec l’habitat : il s’agit d’adultes dans la tranche d’âge active qui vivent à domicile ou dans leur famille. Il peut y avoir besoin de faire installer la personne dans un établissement d’accompagnement lorsque les parents décèdent, ou bien veiller à l’hygiène du logement parce que la personne est dépressive et se laisse aller… En fait, c’est au niveau du travail de réinsertion que nous nous heurtons de plein fouet à la crise de l’habitat. La rotation habituelle de nos logements de transition est perturbée. Les personnes stabilisées qui, au bout de trois ans en moyenne, sont censées reprendre un appartement de droit commun ne trouvent plus rien. Il y a, du coup, un blocage à l’entrée et à la sortie : des patients qui pourraient sortir de l’hôpital et bénéficier d’un système d’accompagnement ne peuvent plus être accueillis.