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40 ans d' actions du Grand Lyon en faveur des banlieues

Interview de Pierre SUCHET et Rémy Nouveau

Portrait de Pierre Suchet
Responsables du service Politique de la Ville du Grand Lyon et son adjoint

<< L'une des plus grandes avancées qu'a permis notre action est sans aucun doute le partenariat institutionnel que nous avons créé >>.

Après avoir été créée comme une communauté  de moyens il y a 40 ans de cela, sous l’impulsion de l’État, le Grand Lyon constitue aujourd’hui une communauté de projets autonome, reconnue pour son efficacité dans la gestion d’un territoire qui regroupe 57 communes et plus de 1,3 millions d'habitants.

Cette collectivité reste en devenir et l’enjeu est désormais de constituer une véritable communauté de destin, inscrite dans le grand bassin de vie de l'agglomération qui regroupe plus de 2 millions d'habitants. La Direction Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon a engagé un travail de fond visant à écrire une première histoire de l’institution.

Cette interview constitue l’un des éléments de cette histoire, mémoire encore vivante de l’agglomération

Réalisée par :

Date : 22/07/2008

Monsieur Suchet, vous êtes directeur du service politique de la ville et renouvellement urbain du Grand Lyon depuis 1990. En tant que chef de projet, vous étiez déjà engagé dans les dispositifs de la politique de la ville dans la métropole lyonnaise depuis 1986. Vous avez ainsi participé à l’évolution de la prise en compte par la Communauté urbaine de Lyon de la question des grands quartiers d’habitat social. Pouvez-vous nous en rappeler les grandes étapes ?

à partir de 1989 et l’arrivée d’un nouvel exécutif autour de Michel Noir que la question des quartiers d’habitat social devient vraiment un enjeu d’agglomération

Les incidents qui ont conduit à une première prise de conscience des problèmes liés à l’habitat sont ceux de la Grappinière à la fin des années 1970. On a alors découvert des problèmes auxquels on ne savait pas répondre. L’Etat a lancé les opérations HVS (Habitat Vie Sociale), la Communauté urbaine de Lyon n’était alors pas vraiment partie prenante. En 1981, après « l’été chaud » des Minguettes, la Communauté urbaine n’était toujours pas directement impliquée. C’était l’Agence d’urbanisme qui était chargée de porter la procédure HVS de Vénissieux. En fait, à cette époque, ce sont surtout les organismes HLM qui se sont mobilisés et notamment Logirel sous l’impulsion de son directeur, Jean François Rajon. La Ville de Vénissieux, consciente de l’importance des difficultés, en appelait à la responsabilité de l’Etat. Ce qui était alors en question était l’arrêt des ZUP et des concessions d’aménagement qui avaient été confiées à la SERL, à Vénissieux et à Vaulx-en-Velin. L’Etat avait laissé à la Communauté urbaine la responsabilité des ZUP et la nécessité de « solder » les ZUP et de fait, de payer le déficit. Ce qu’elle a fait. En contrepartie, elle devenait propriétaire d’une partie du foncier non aménagé. Cependant, les équipements prévus par l’Etat n’ont pas tous été financés par ce dernier. Les villes réclamaient leurs réalisations. Et, avant même l’achèvement des ZUP, on mesurait déjà une partie des problèmes avec plus de 2000 logements vacants aux Minguettes en 1984, et donc l’indispensable besoin de requalification de ces dernières.
C’est en 1985 que la Communauté urbaine s’est vraiment impliquée dans la requalification des grands quartiers d’habitat social, d’abord à Lyon où elle  charge un de ses cadres, Christine Servillat, d’élaborer, avec le concours de l’Agence d’urbanisme et notamment de Bruno Voisin et de son assistante stagiaire, un projet de remise en valeur et de développement des quartiers Mermoz et Etats Unis dans le huitième et de la Duchère dans le neuvième arrondissement. Aux  Minguettes, la chargée de mission du Vice Président de la Communauté urbaine est détachée à mi-temps sur les Minguettes avant d’être remplacée par un chef de projet, Jean-Pierre Charbonneau. C’est à cette même époque que je suis recruté comme chef de projet à Vaulx-en-Velin. Les premières opérations de réhabilitation sont alors lancées.
C’est à partir de 1989 et l’arrivée d’un nouvel exécutif autour de Michel Noir que la question des quartiers d’habitat social devient vraiment un enjeu d’agglomération. Le Grand Lyon propose alors aux communes d’investir en priorité sur ces secteurs alors que la plupart des maires étaient plus préoccupés par la prise en charge de la requalification de leur centre ville. Ce ne sont plus cinq quartiers qui sont concernés, mais une douzaine. Outre les premiers quartiers de Vaulx-en-Velin, Vénissieux et de Lyon, auxquels se rajoutent les Pentes de la Croix-Rousse, on compte désormais aussi ceux de Villeurbanne, Décines, Meyzieu, Bron, Saint-Priest, Rillieux-la-Pape, où d’Oullins. C’est à ce moment là que le service est créé, et que, dans chaque grand quartier, est mis en place une équipe opérationnelle avec un chef de projet unique sous l’autorité de la Communauté urbaine, de la commune et de l’Etat. Cependant, pour des raisons politiques, certaines communes préfèreront avoir aussi un chef de projet municipal et de fait, des binômes se mettent en place, notamment à Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Villeurbanne et à Rillieux. Il faut dire que les tensions pouvaient être fortes entre ces communes et le Grand Lyon, c’était notamment le cas avec Vénissieux au moment du concours pour le  quartier Démocratie. Les dix  tours du quartier (664 logements) étaient  vides depuis 1984. Devant l’absence d’initiatives, la ville avait lancé un concours d’économie urbaine sur ce quartier excentré des Minguettes en intégrant des éléments forts de programme comme l’installation de deux écoles de chimie, de bureaux, de logements de diversification et d’un laboratoire de recherche sur les grands ensembles de vocation nationale. Était prévue également une intervention de l’artiste Jean-Pierre Raynaud qui avait imaginé le projet d’une tour blanche, une tour murée et entièrement carrelée en blanc, une tour comme témoin d’un renouvellement, une tour fantôme à garder, une œuvre d’art imposée aux habitants. La ville avait donc lancé un concours, mais sur des compétences juridiques qu’elle n’avait pas. La procédure a été cassée par l’Etat et, après de vives négociations, la Communauté urbaine a relancé le projet. Toutefois le marché immobilier français s’effondre au début des années 1990 et certains éléments de programmes s’avérant non réalistes, le projet a été abandonné et les tours ont été démolies. En 1992, le Grand Lyon est l’une des premières agglomérations à s’engager dans la signature d’un contrat de ville d’agglomération. C’est un moment fort où l’on passe du développement social des quartiers (DSQ) au développement social urbain (DSU). Dés 1993, Vénissieux et Vaulx-en-Velin bénéficient d’une procédure GPU, Grands Projets Urbains. En 2003, ces deux villes, ainsi que celles de Rillieux et de Lyon pour la Duchère, signent une convention avec l’Etat pour devenir GPV, Grand Projet de Ville. 

Si l’action dans les grands quartiers d’habitat social avait été plus importante au moment des premières opérations de Développement Social des Quartiers, notamment au niveau social, aurait-elle pu être suffisante ?

C’est certain, elle aurait pu être plus importante ce qui aurait évité de nombreuses tensions et des conflits, mais aurait-elle pu être suffisante ? Je ne sais pas, les problèmes des grands ensembles sont complexes et ont entraîné des changements institutionnels qui ne se décrètent pas et qui nécessitent du temps. Ce qui apparaissait au départ comme une mauvaise gestion de quartiers par des villes de banlieue est apparu comme un phénomène de société auquel toutes les villes étaient confrontées et qu’elles ne pourraient résoudre qu’ensemble en étant solidaires.

Pour vous, quelles sont les prises de positions politiques qui ont le plus marqué l’action du Grand Lyon en faveur des banlieues ?

Nous pouvons en retenir trois. Celle de Michel Noir, d’inscrire la question des banlieues comme enjeu politique d’agglomération, celle de Raymond Barre de ne pas démolir le quartier Moncey pour garder de la mixité sociale en centre ville et  celle de Gérard Collomb de mettre en œuvre une politique de mixité sociale à travers une diminution sensible du nombre de logements sociaux dans les quartiers d’habitat social et leur reconstruction dans d’autres parties de l’agglomération. Cette diminution passe par, dans un même quartier, la démolition de logements sociaux et la construction de logements en accession. Ces décisions ont été majeures pour la politique du Grand Lyon et se sont inscrites dans une certaine continuité d’objectif, celui de mixité sociale et de rééquilibrage « est/ouest », même si les façons d’atteindre cet objectif ont évolué. D’une volonté de maintenir la population dans les quartiers et d’en attirer de nouvelles à travers une requalification importante des logements et des espaces publics, on est passé à une volonté de répartir, sur l’ensemble de l’agglomération, une partie des ménages habitant les logements sociaux des grands ensembles et d’offrir, dans ces mêmes quartiers, de nouveaux produits logements pour attirer une autre population.

Depuis une vingtaine d’années, votre service met en œuvre les différentes politiques en faveur des quartiers. Quel élément de bilan le plus constructif de votre action retenez-vous ?

L’une des plus grandes avancées qu’a permis notre action est sans aucun doute le partenariat institutionnel que nous avons créé.

L’une des plus grandes avancées qu’a permis notre action est sans aucun doute le partenariat institutionnel que nous avons créé. Car c’est grâce à ce partenariat que nous avons pu inscrire des actions ou des dispositifs qui se sont pérennisés. Nous avons établi des relations particulièrement constructives avec la Préfecture de région, et notamment avec le Préfet Bernard et Gérard Callé, avec le sous-Préfet à la ville Claude Lanvers, avec la DDE et son représentant pour la politique de la ville, Dominique Mouillaux, ou encore avec des responsables d’organismes HLM comme Jean-François Rajon directeur de Logirel, Maurice Villeneuve de l’OPAC du Rhône, Marie-Alice Chapuis de la SLPH ou encore Georges Bullion qui s’est battu pour que l’ARRAHLM en Rhône-Alpes soit particulièrement fort. 

Que sont devenus les premiers acteurs de ce partenariat dans le domaine de la politique de la ville ?

Certains ont pris une retraite bien méritée. Le Préfet Lanvers a rejoint les services de la Mairie de Paris, Dominique Mouillaux est toujours responsable de l’habitat et de la politique de la ville à la DDE. En ce qui concerne les chefs de projets, certains ont quitté l’agglomération pour diriger un CCAS, une école d’architecture où le service d’une autre municipalité, d’autres sont restés chef de projet mais ont changé de quartier, d’autres sont devenus responsables de missions territoriales ou sont entrés aux cabinets d’élus, et d’autres enfin ont intégré ou réintégré les services communautaires, ceux du SYTRAL, d’organismes HLM ou de l’Agence d’urbanisme.

Ce partenariat institutionnel était-il ouvert à d’autres acteurs, d’autres milieux associatifs ou militants ?

Non, notre partenariat actif est réellement institutionnel. Cependant, il n’était pas sourd à l’influence que certaines personnalités ou associations avaient, ou ont encore, sur les élus, et plus globalement sur les prises de conscience collectives des différentes questions qui se posent dans les grands quartiers d’habitat social de l’agglomération, mais aussi au niveau national, voire international. En fait, des circuits parallèles ont coexisté et ont permis de faire avancer des choses, des idées, des concepts, et notamment celui de mixité sociale plus fortement affirmé dans notre agglomération qu’ailleurs..

À quelles personnalités ou associations pensez-vous en particulier ?

On peut citer le FAS (Fond d’Action Sociale) et sa directrice Andrée Chazalette qui a œuvré sans cesse pour rappeler l’importance de la place et du rôle des habitants dans les opérations de réhabilitation des logements et de requalification des quartiers. On peut penser aussi à des personnalités comme Christian Delorme qui s’est tellement investi dans le quartier des Minguettes, à travers des grèves de la faim ou la marche pour l’égalité, qu’il a été surnommé «  le curé des Minguettes » alors qu’il ne l’a jamais été.  On peut rappeler également l’investissement d’Azouz Begag ou encore de Bernard Devert, qui prêtre, aumônier du centre anticancéreux Léon-Bérard et promoteur immobilier, a fondé, il y a plus de vingt ans, Habitat et humanisme qui loge et accompagne les plus démunis. Mais il y avait aussi une multitude d’initiatives ou de mouvements dans les différents quartiers. .

Beaucoup de ces personnalités étaient issues du catholicisme social et de courants politiques forts, à l’exemple d’Andrée Chazalette, militante socialiste, à l’initiative du GSU (Groupe de Sociologie Urbaine). Pensez-vous que ces réseaux soient encore influents ?

Leur influence reste importante sur la question du logement des plus démunis, mais elle semble avoir disparu dans les quartiers d’habitat social. Ceci dit, de nouvelles personnalités apparaissent à l’exemple de Jean-Marie Petitclerc. Ce prêtre salésien, polytechnicien, connu pour son action auprès des jeunes délinquants en banlieue, a rejoint le pôle « politique de la ville » du cabinet ministériel de Christine Boutin en tant que chargé de mission à la coordination des acteurs locaux. C’est en tombant par hasard sur une biographie de Don Bosco, fondateur des Salésiens, qu’il a décidé de suivre l'exemple de cet homme à la fois éducateur, conseiller politique et prêtre. La fin des « zones » et le retour à plus de mixité sociale sont ses combats, et il entend s’investir directement à Vaulx-en-Velin. Peut-être que son implication marquera une poursuite de l’investissement du catholicisme social sur les questions profondes de société dans notre agglomération.

Peut-on dire que les dispositifs institutionnels et que les professionnels, chefs de projets et agents de développement mis en place dans les quartiers ont, en quelque sorte, relayé ou remplacé les dynamiques locales et spontanées ?

On note un certain repli des groupes sociaux sur eux-mêmes et une incommunicabilité entre eux.

Il s’agit vraiment de réseaux parallèles, distincts : l’un ne remplace pas l’autre. On note un certain repli des groupes sociaux sur eux-mêmes et une incommunicabilité entre eux. La marche pour l’égalité de 1983 revendiquait un désir d’intégration des jeunes, de faire partie de la société, d’être considérés comme citoyens français à part entière. Aujourd’hui, les jeunes issus de l’immigration sont français et ont intégré la société. Mais surtout, et c’est pourquoi je n’aime pas employer le terme de communauté, il n’existe pas de communauté maghrébine organisée et solidaire. Il n’y a donc pas de parole commune qui pourrait être mobilisatrice, mais plutôt un ensemble de groupes sociaux qui ont leurs intérêts spécifiques sans générer de dynamiques collectives fédérant l’ensemble. Au total, je ne pense pas que cette situation soit le fait d’une plus grande intervention publique dans les quartiers. .

Ces réseaux parallèles et le réseau institutionnel que vous avez su mettre en place ont permis à notre agglomération d’être reconnue, au niveau national, comme un laboratoire social. Pouvez-vous nous rappeler les illustrations les plus marquantes de cette réalité souvent méconnue ?

C’est vrai que l’on compte différentes interférences entre l’agglomération et la politique de la ville au niveau national.
On peut citer la CNDSQ (Commission Nationale pour le Développement Social des Quartiers) mise en place, sous la présidence d’Hubert Dubedout, député Maire de Grenoble, à la suite des violents incidents de l’été 1981 dans le quartier des Minguettes à Vénissieux. Cette commission travaillait autour de quatre principes : agir sur les causes de la dégradation plus que sur les conséquences, responsabiliser les collectivités locales (notamment en désignant le Maire comme pilote de l’action), faire des habitants les acteurs du changement et assurer la solidarité nationale.
Après les émeutes, très médiatisées, de Vaulx-en-Velin en 1990, François Mitterrand annonce à Bron un plan de rénovation des quartiers défavorisés sur 5 ans. Il estime qu’il faut "casser partout le mécanisme de la ségrégation". Il préconise la solidarité entre les communes riches et les communes pauvres, et annonce la création d’un ministère chargé de coordonner les actions en faveur de ces quartiers. Michel Delebarre est nommé ministre d’Etat chargé de la politique de la ville. Le décret relatif à ses attributions prévoit qu’il a autorité sur la Délégation Interministérielle à la Ville et au développement urbain (DIV), et sur la délégation à la rénovation des banlieues. Il dispose, en outre, des directions d’administration centrale relevant des différents ministères qui contribuent à la politique de la ville. Et, en janvier 1991, treize sous-préfets chargés de mission pour la politique de la ville sont nommés, dont un à Lyon. Puis, et c’est encore dans notre agglomération que ce dispositif sera testé, la Préfecture met en place des « délégués de l’Etat ». Ces derniers, fonctionnaires issus de différents services de l’Etat, sont chargés de coordonner l’action de l’Etat sur un quartier donné. Ils travaillent en lien étroit avec les chefs de projet.
On peut enfin citer l’habitude de travail partenarial des organismes HLM qui ont permis la création de différents dispositifs. Là encore, les tensions observées aux Minguettes au début des années 1980, ont conduit les bailleurs à se regrouper et à créer l’AGELM (Association Gestionnaire des Logements des Minguettes). Ce partenariat s’est poursuivi à travers le réseau GMORL (Groupement des Maîtres d’Ouvrage de la Région Lyonnaise). Cet interbailleur est toujours très fort aujourd’hui dans l’agglomération et même en Rhône-Alpes par rapport aux autres régions françaises. Il a permis de créer une influente association de bailleurs (ABC HLM) et de mettre en place des dispositifs comme l’ARRADEP sur la GSUP (Gestion Sociale et Urbaine de Proximité). Ces derniers dispositifs ont été mis en place dés 1994 à Vénissieux et à Vaulx-en-Velin faisant suite aux premiers protocoles de résorption de la vacance (mis en place au milieu des années 1980) et en réponse à la volonté d’Henry Chabert et de Robert Courtial, Vice-Présidents de Michel Noir, d’agir de façon rapide et concrète pour améliorer le cadre de vie. Aujourd’hui une circulaire précise que si les bailleurs n’ont pas de convention GSUP, ils ne peuvent pas prétendre à des subventions de qualité de service!

Ce partenariat institutionnel est-il toujours aussi fort aujourd’hui ?

Le Grand Lyon évolue dans un rôle d’animation au-delà de ses compétences et permet ainsi de progresser vers une véritable approche globale des problématiques des territoires qui le composent.

Tout à fait, le partenariat au niveau des professionnels et des institutions existe encore et ce malgré le renouvellement des personnes. Le FAS n’existe plus mais la Préfecture a pris une place plus grande. Les bailleurs travaillent toujours en partenariat. Le Grand Lyon porte le dossier de l’ANRU pour le compte des communes et des bailleurs. Ainsi cette habitude de collaboration des acteurs institutionnels continue et se développe. L’agglomération s’ouvre à de nouveaux thèmes. Si le Grand Lyon s’engageait hier uniquement sur ses domaines de compétences, l’habitat et l’urbain, à la demande des communes, il prend de plus en plus un rôle d’animation sur de nouvelles thématiques comme la culture ou la question des discriminations. En ce sens, en décembre 2007, le comité de pilotage du Contrat Urbain de Cohésion Sociale (CUCS) de l’agglomération lyonnaise a validé le principe d’un travail intercommunal sur des thèmes du CUCS qui ne sont pas de compétence de l’établissement d’agglomération. En effet, il apparaissait utile que les communes échangent des informations et capitalisent leurs expériences, voire à certains moments, puissent s’exprimer collectivement vis-à-vis de leurs partenaires. Les villes de Lyon et de Vaulx-en-Velin se sont d’ailleurs proposées pour prendre en charge l’animation de ce travail intercommunal en désignant notamment des cadres de leurs services pour établir un état des lieux avec les communes désireuses de participer à cette démarche. C’est aussi dans ce même esprit que les villes de Lyon et de Villeurbanne ont lancé un état des lieux des initiatives et des attentes des communes sur la question des discriminations. En complément, le Grand Lyon conduit un travail spécifique sur les discriminations dans le logement à travers un groupe de travail mis en place dans le cadre du PLH. Le Grand Lyon évolue dans un rôle d’animation au-delà de ses compétences et permet ainsi de progresser vers une véritable approche globale des problématiques des territoires qui le composent.

Cette progression vers une approche plus globale permettra-t-elle de mettre fin aux reproches souvent faits aux dispositifs de la politique de la Ville qui se sont succédés depuis près de trente ans, d’être trop concentrés sur l’urbain et pas suffisamment sur l’humain ?

L’essentiel est de choisir un cap et de s’y tenir. Le Grand Lyon a légitimement choisi d’agir dans le cadre de ses domaines de compétences propres, à savoir,  l’urbanisme et le logement. Le soin a été laissé aux communes d’agir sur les autres volets de développement. Au Québec, ils ont opté pour une entrée sur le volet économique. Peu importe l’entrée. Ce qui est vraiment important, c’est de se doter d’une entrée structurante, d’avoir une stratégie et d’aller jusqu’au bout même si l’on peut constater des insuffisances au niveau social.
L’entrée par l’urbain est liée à l’histoire et notamment au fait qu’il a été demandé à la Communauté urbaine de gérer l’arrêt des projets d’aménagement des ZUP tels qu’ils avaient été conçus par l’Etat. La question de l’aménagement de ces quartiers, chahutée par celles de la vacance des logements et des premières dégradations sur l’espace public, a conduit naturellement la Communauté urbaine à intervenir sur ces deux thématiques de l’urbain et du logement. De fait, le Conseil général est resté extérieur à ces projets. D’ailleurs, lui-même ne revendiquait pas de rôle majeur pour porter cette dynamique globale et urbaine sur les quartiers sensibles de l’agglomération. Chaque commune négociait son volet « social » avec le Département. Aujourd’hui, on peut d’ailleurs se demander si elles n’auraient pas eu intérêt à conduire une négociation plus collective... .

Dans quel objectif la restructuration en cours de la DGDU, Direction générale du développement urbain du Grand Lyon, s’envisage t-elle ?

Justement, cette restructuration veut marquer la reconnaissance de l’enjeu social des territoires par le Grand Lyon. Désormais, notre collectivité s’intéresse à la cohésion sociale, à des thématiques comme l’insertion par exemple. Certes dans ce domaine particulier il existe depuis 2002 une coordination des actions d’insertion à l’échelle de l’agglomération, mais dans la restructuration, celle-ci sera mieux articulée avec les politiques économiques du Grand Lyon. La DGDU portera l’animation de politiques qui relèvent de la compétence des communes mais qui impactent l’ensemble du territoire de l’agglomération, et par la même les politiques du Grand Lyon. Aujourd’hui on est presque plus dans de l’action intercommunale que dans de l’action d’agglomération.
Le deuxième enjeu de la restructuration de la DGDU est lié au rapprochement entre la politique de la ville et celle de l’habitat. Là encore, il s’agit d’une évolution « naturelle ». Les deux thématiques sont depuis toujours intimement liées, les bailleurs sont les premiers partenaires de la politique de la ville. Ce rapprochement permettra une plus grande cohérence d’action et d’envisager de façon plus large la politique du logement. L’habitat ne sera plus une mission et devient une direction. C’est le signe de l’attention accordée par le politique à cette thématique du logement et plus globalement de « l’habiter .

Les Grandes opérations de démolition de logements sociaux et de reconstruction de logements en accession à la propriété dans les grands quartiers d’habitat social sont l’occasion de reconstruire de toutes pièces des morceaux de ville, mais aussi de répartir les personnes qui les habitaient sur l’ensemble de l’agglomération. Comment les personnes s’y retrouvent-elles ?

Que ce soit pour les travailleurs sociaux, les enseignants ou les bailleurs, il est nettement plus facile d’être efficaces auprès des personnes en difficulté lorsqu’elles ne sont pas toutes concentrées sur un même territoire. C’est le principe même de la mixité sociale. L’idée est que ces populations soient prises en compte par l’ensemble des services et des équipements dans l’agglomération. .

Ces quartiers deviennent-ils de véritables quartiers de mixité sociale ?

il est clair qu’ils demeurent majoritairement des quartiers d’habitat social

Certes, ils gagnent en mixité. Mais il est clair qu’ils demeurent majoritairement des quartiers d’habitat social. Le Grand Lyon compte 130000 logements HLM. Sur les 11 sites en renouvellement urbain, on démolit 5000 logements, ce qui représente en moyenne 15% des logements de ces sites. D’une manière générale, le principe est de passer d’un pourcentage de logement social de 82%  à un pourcentage de 77%. À la Duchère, l’objectif est d’arriver à terme à 60% de logements sociaux. Si nous devions atteindre cet objectif sur tous les sites, il faudrait démolir 7000 logements supplémentaires. De fait, ces quartiers demeurent des quartiers d’habitat social. Toutefois, on permet bien ainsi une plus grande mixité à la fois en construisant des logements en accession ou en loyers libres à la place de logements sociaux, mais aussi, en permettant  à la moitié des familles relogées l’accès à des logements ailleurs, hors Zones Urbaines Sensibles. Et par ces ambitieux projets, on induit une autre image et une nouvelle perception des quartiers beaucoup plus valorisante.

Monsieur Nouveau, le nouveau plan Banlieue s’inscrit-il aussi pleinement dans la continuité des actions entreprises ?

nous pouvons plus facilement progresser dans notre agglomération en matière de mobilité et donc de mixité

L’action dans les quartiers sociaux a toujours consisté à intervenir sur des enjeux collectifs : réhabilitation, requalification, démolition-reconstruction, opérations été, sécurité, réussite scolaire, fêtes de quartier, gestion sociale et urbaine de proximité… Ce qui est nouveau aujourd’hui, voulu par Christine Boutin et Fadéla Amara, et porté par l’ACSE (l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances), c’est la priorité données aux mesures individuelles par rapport au « vivre ensemble ». De fait, nous assistons à une orientation des dispositifs vers des actions d’accompagnement individualisé tant au niveau de l’éducation à l’exemple des PRE (Programme de Réussite Educative), par rapport au Contrat Éducatif Local, de la formation ou de l’emploi. La DIV (Délégation Interministérielle à la Ville) ou l’ANRU (Agence nationale pour le renouvellement urbain) demeurent dans des logiques plus globales et les collectivités locales, préoccupées à la fois par les territoires en crise et les populations en difficulté qui les habitent, dans une logique de mixité sociale. Le croisement et l’enrichissement de ces approches sont  intéressants. Ma crainte la plus grande concerne les moyens : les crédits vont en priorité vers ces mesures individuelles laissant les collectivités seules pour financer les actions favorisant la vie collective et plus globalement la gestion de ces territoires et de leurs habitants. Cependant, après 20 ans de travail en commun, notre agglomération pourra probablement mieux faire face. En effet, si sur le plan national, l’ANRU constate d’importants dysfonctionnements en matière d’intercommunalité, il semble que notre agglomération soit mieux organisée à ce niveau. Par exemple, les maires se sont battus pour maintenir dans la géographie prioritaire de la politique de la ville des quartiers dont l’Etat ne voulait pas.  C’est pourquoi nous avons créé trois niveaux de priorité. Bien sûr, les quartiers en catégorie trois sont moins dans l’urgence que les autres, mais en les maintenant dans un dispositif « politique de la ville », nous accompagnons les communes, comme Ecully, Caluire, Saint Germain aux Monts d’Or, la Mulatière ou Irigny, dans la gestion de leur développement. Le Grand Lyon finance alors de l’ingénierie, souvent cela consiste à cofinancer un poste de chef de projet et de la gestion sociale et urbaine de proximité. Autre exemple d’un bon fonctionnement de notre intercommunalité : un tiers des ménages des quartiers faisant l’objet d’importants programmes de démolition – reconstruction sont relogés dans une autre commune que celle qu’ils habitaient.
De fait, nous pouvons plus facilement progresser dans notre agglomération en matière de mobilité et donc de mixité. L’idée, pour aller plus loin sans investir lourdement puisque les financements se font rares, serait peut-être de travailler sur la fluidité du marché, sur la création de mobilité dans le parc existant. Déjà aujourd’hui, le taux de rotation dans le logement social se situe aux alentours de 8% du parc qui change d’occupant chaque année, ce qui fait un nombre de logements à attribuer nettement plus élevé que celui de la construction neuve produite. Et il n’est pas impossible d’accroître ce taux en facilitant les mutations dans le logement social à l’échelle de l’agglomération. Le Grand Lyon pourrait alors inviter les bailleurs à travailler ensemble et les aider dans la mise en œuvre de dispositifs d’incitation à la mobilité des locataires et ce en fonction de l’évolution de leur structure familiale et de leur stratégie résidentielle. C’est probablement la question de demain.

Selon votre connaissance des quartiers, comment les voyez-vous évoluer en termes de cohésion sociale et êtes-vous confiant en l’avenir ?

La mobilité physique et sociale est en cours.

Par rapport à il a 20 ans, je suis plutôt optimiste. Les populations de ces quartiers sont en train de s’intégrer. Une partie des habitants les ont quitté pour aller vivre ailleurs, les mariages mixtes se multiplient et, même si les taux d’échec scolaire et de chômage restent très supérieurs dans ces quartiers, de nombreux habitants vivent une vraie insertion par l’emploi. Par ailleurs et comme je le disais plus haut, même si l’on constate des formes de repli de certains groupes sociaux, nous sommes loin de vivre un phénomène général de repli communautaire. La mobilité physique et sociale est en cours. Les habitants de ces quartiers deviennent tout simplement des habitants de la Ville. Cela est d’autant plus vrai que le développement de l’agglomération a rattrapé ces territoires. Que ce soit  en termes  de logements, d’activités économiques ou de transport, ces quartiers bénéficient pleinement du développement global de l’agglomération. Aujourd’hui, des jeunes ménages achètent des logements où en louent dans le parc privé à Vénissieux. Les petites maisons de Vaulx-en-Velin sont prises d’assaut. Les parcs d’activités se développent et bientôt l’ensemble des quartiers bénéficiera de bonnes dessertes par les transports en communs. Le tramway aux Minguettes est en cours de travaux. Léa à Décines, le C2 à Rillieux, le C3 à Vaulx-en-Velin, le T4 des Minguettes à la Part Dieu en passant par le tunnel de la Croix Rousse ou encore le métro à Oullins puis à Pierre-Bénite, sont autant de lignes qui vont faciliter l’insertion de ces quartiers dans la ville.
Nous ne sommes plus dans une logique de développement endogène des territoires comme au début des dispositifs de la politique de la ville. Quand la Communauté urbaine installe le même mobilier urbain dans le centre ville de Lyon et dans les quartiers d’habitat social de périphérie, nous sommes dans une volonté de continuité de la ville et contribuons à l’intégration de ces quartiers dans le tissu urbain. Ce n’est qu’un exemple, mais il est révélateur des politiques conduites par le Grand Lyon pour que ces territoires soient considérés et intégrés et que les populations qui y résident ne soient pas rejetées aux frontières de la métropole. Il est indispensable de voir ces territoires et leurs habitants comme une richesse, un potentiel et pas uniquement comme un problème et un espace « sensible ». Le rayonnement international du Grand Lyon repose aussi sur ces éléments. Si notre agglomération poursuit son développement de manière solidaire et équilibrée, comme une métropole intégrative et mobile, nous pouvons effectivement rester optimistes pour l’avenir de ces territoires et de leurs habitants dans leur diversité.