Vous êtes ici :

LyonBiopole, enjeux et ancrage local

Interview de Alain MERIEUX

<< Je pense que le grand défi de Lyon est de renforcer le potentiel, la qualité et l’attractivité des pôles universitaires et scientifiques >>.

Alain Mérieux, président de bioMérieux, rappelle ici comment LyonBiopôle a pu se constituer dans la région à partir de l'ancrage local de bioMérieux. Il nous livre ses réflexions sur les efforts à poursuivre en matière de recherche au niveau local et notamment l'enjeu à rendre plus attractives les conditions d'accueil des chercheurs étrangers.

Réalisée par :

Tag(s) :

Date : 03/07/2007

Quelles motivations sont à l’origine de l’implication de bioMérieux au niveau de Lyonbiopôle?

Notre groupe a toujours été très proche du milieu scientifique et universitaire de la région. Notre engagement s’est fait naturellement et si fortement que l’ensemble des participants a souhaité que Christophe en prenne la présidence. La démarche a accueilli énormément de succès dans toute la France et nous sommes très heureux que Lyonbiopôle soit désormais reconnu comme pôle de compétitivité de classe internationale. Pour nous, ce n’est pas une révolution mais une évolution nécessaire de rassembler des participants d’horizons divers autour d’un projet commun. L’initiative a été très largement soutenue, la meilleure preuve étant que l’ENS2 a proposé un RTRA3 sur les innovations en infectiologie qui a été également retenu au niveau national. La mobilisation a été aussi forte en aval avec les industries qu’en amont avec la recherche fondamentale.

 

Historiquement, l’Institut Mérieux a été à l’origine de trois grands groupes : vaccins humains avec Sanofi-Pasteur, vaccins vétérinaires avec Mérial et enfin, un pôle réactif-diagnostic avec bioMérieux. Lyonbiopôle est-il l’occasion d’un rapprochement entre les trois sociétés ?

Ce n’est pas Lyonbiopôle qui a déclenché ce que la biologie est depuis Mr Pasteur… Les vaccins, sérums et diagnostics s’adressent aux mêmes virus, aux mêmes bactéries et aux mêmes parasites. C’est simplement un retour aux sources ! Aujourd’hui, la transmission des maladies infectieuses et les risques de pandémie qui en découlent se font principalement lors du passage d’un agent pathogène de l’animal à l’homme. Disposer d’un bouclier sanitaire contre les maladies infectieuses, c’est pouvoir activer une chaîne d’acteurs allant des chercheurs qui travaillent sur les agents pathogènes aux industriels qui développent et commercialisent les diagnostics, les vaccins humains et vétérinaires. C’est une même bataille où chacun joue un rôle. S’il y a un trou ou une lacune dans le dispositif, on le paie cher ! Le concept de Lyonbiopôle est un concept intelligent, sensé resserrer les mailles du filet. Le démarrage est très bon, mais il faut continuer et amplifier le mouvement… Rien n’est jamais acquis ! Philippe Archinard, qui a pris le relais de Christophe, le sait très bien. Il est absolument nécessaire de s’ouvrir à des partenariats avec nos voisins, la Suisse Romande en particulier, mais aussi l’Italie, l’Allemagne, et plus largement la Chine, l’Inde… Quand on aborde la lutte contre les maladies infectieuses, on ne peut le faire qu’avec une approche globale. Rappelez-vous, à la fin du 19e siècle, Mr Pasteur a implanté des Instituts partout dans le monde, ce n’est pas pour rien ! L’histoire bouge, mais il y a des racines profondes qu’il ne faut pas oublier.

 

Concernant l’organisation géographique de votre groupe, suivez-vous la même logique ?

BioMérieux vient d’ouvrir un bureau à Cambridge, près de Boston, car c’est la Mecque des biotechnologies. Nos équipes ne sont pas uniquement à Marçy l’Etoile, elles sont aussi actives dans toute l’Europe, en Asie Pacifique (Inde et Chine en particulier), en Amérique du Nord, en Amérique Latine… Nous sommes présents dans 130 pays : nous avons des liens partout ! On assiste à la montée d’un nouveau type de management, très global, connecté par le net. Si nous ne fonctionnions pas à l’échelle internationale, cela ferait longtemps que le groupe n’existerait plus. Le phénomène n’est pas nouveau : dès la fin de la guerre, mon père avait passé des accords de recherche privilégiés avec des universités américaines. L’industrialisation et l’application se faisaient à Lyon. Nous avons toujours travaillé avec un réseau mondial fort, aux Etats-Unis depuis 50 ans, et depuis une dizaine d’années, en Chine et en Inde. En recherche comme ailleurs, nous essayons d’être le plus international possible. C’est l’élitisme et l’excellence qui prévalent. La recherche fondamentale peut très vite devenir appliquée. Et pour que cette recherche soit utile à la communauté, la proximité d’industries qui transforment un produit de recherche en produit est indispensable. Sans produit, il n’y a pas d’emplois.

 
 

Pourriez-vous faire le point sur l’activité « diagnostic » de bioMérieux ? 

Le diagnostic a beaucoup évolué. Il fait désormais partie prenante de la médecine dans les pays industrialisés et émergents. Avec les nouveaux outils apportés en particulier par la biologie moléculaire, il se met au service d’une médecine plus personnalisée, plus préventive et prédictive, que ce soit pour des diagnostics précoces ou liés à une thérapeutique. C’est un secteur en plein bouleversement où il faut savoir surfer sur les vagues du changement technologique. Celui-ci vient de l’alliance de la biologie moléculaire avec la protéomique, la génomique, l’électronique, la bioinformatique… C’est la rencontre de toutes ces sciences nouvelles qui constitue une véritable révolution. D’où l’importance d’être dans une région qui se mobilise sur nos thématiques. Pourquoi avons-nous mis la biologie moléculaire à Grenoble ? Parce que nous avons l’appui du LETI-CEA sur les micros systèmes et les micros nanotechnologies, technologies que nous ne possédons pas nous-mêmes. Nous avons aussi des unités mixtes avec les HCL4 , une avec le professeur Miossec sur les maladies inflammatoires, une autre avec Lyon Sud sur l’oncologie. Et nous avons aussi des laboratoires mixtes en Chine, par exemple, autant à Pékin qu’à Shanghai… Toujours pour avoir des scientifiques proches de la clinique et des patients. C’est pour cette raison que nous multiplions les partenariats internationaux : pour comprendre, suivre et anticiper le changement. 83% de notre chiffre d’affaire se fait à l’étranger ! Nous déposons énormément de brevets chaque année, mais nous ne sommes pas les seuls. Notre force réside dans une certaine rapidité à conclure des accords et à établir des partenariats. Notre taille est un atout, nous sommes suffisamment grand pour être compétitif et aussi suffisamment souple pour pouvoir être réactif et saisir les opportunités, en particulier en recherche. Nous sommes classés 8e au rang mondial.

 

Actuellement, quelle est la principale cible de bioMérieux ?

Le patient et l’amélioration constante de la qualité des soins sont au cœur de notre stratégie. Nous nous basons sur notre expertise en infectiologie. Nous proposons aux médecins et aux biologistes des outils de diagnostic à haute valeur médicale et scientifique, comme par exemple les tests rapides réalisés « au chevet du patient ». L’appropriation de ce type d’outils par le corps médical relève bien sûr de facteurs économiques et culturels : chaque pays édicte des normes et a des coutumes différentes. Ce type de médecine est déjà très répandu aux Etats-Unis et en Allemagne, il l’est beaucoup moins en France. Les pays émergents, qui représentent 80% de la population mondiale, ont des besoins de santé publique massifs qui restent basiques. Il leur faut des tests rapides, fiables, dont la lecture puisse être stockée pour permettre un suivi au long terme. La science et la technologie vont à une allure que rien ne freine, inconsidérément des questions d’ordre éthique. Si l’utilité de certains tests prédictifs peut être remise en question lorsqu’il n’y a pas de thérapeutique appropriée, l’intérêt d’un test qui vérifie que tel médicament va être actif chez vous et non chez moi est indéniable ! C’est ce que nous appelons « théranostique », un type de médecine prédictive qui va devenir incontournable.

 

En tant qu’industriel, quelle est votre perception de la région Rhône-Alpes et de l’agglomération lyonnaise en particulier ? 

Nous restons enracinés dans notre ville et notre région. Nous y voyons un certain nombre d’avantages qui perdurent, comme les liens avec le monde universitaire et scientifique ou avec la communauté politique avec laquelle nous travaillons main dans la main. Lorsque j’ai été élu à la Région 5, j’ai beaucoup œuvré pour le rapprochement entre Lyon et Grenoble, qui présentent une complémentarité évidente au niveau scientifique. Nous sommes d’ailleurs aussi bien accueillis dans les deux villes où nous avons des partenaires qui répondent à nos projets. Un autre point fort de la région est la qualité de la formation. Il n’y a aucun problème pour les recrutements : écoles d’ingénieurs, de vétérinaires, facultés de médecine, de pharmacie… Les formations proposées sont en bonne symbiose avec nos attentes, notamment pour l’encadrement et les techniciens de laboratoire. Pour moi, le principal handicap de l’agglomération lyonnaise est d’ordre logistique. Le développement des transports routiers n’a pas été anticipé. Il y a une asphyxie de l’Ouest de Lyon, la liaison avec Saint-Etienne est mal assurée… C’est une sérieuse perte de temps, et je ne vois aucun salut à court ou moyen terme. Je parcours les mêmes routes que celles que je parcourais enfant avec mes grands-parents à Marcy l’Etoile, la seule différence est qu’elles ont été goudronnées… Il n’y a pas eu d’évolution depuis plus d’un siècle, ce n’est pas pensable ! Les Vélo’v, c’est bien, mais enfin, parfois, il y a quand même des côtes à grimper et des tunnels à traverser ! Concernant le foncier, j’ai eu la sagesse terrienne d’acquérir en temps voulu les terrains nécessaires : nos besoins ont été bien anticipés. Nous avons 4 sites dans la région, Marcy l’Etoile, Craponne, la Balme et Grenoble. Notre volonté est d’avoir des sites qui ne dépassent pas 800 à 1 000 personnes, car au-delà de cette taille, il est facile de perdre tout contact humain.

 

Voyez-vous des priorités pour augmenter l’attractivité de Lyon ? 

Je pense que le grand défi de Lyon est de renforcer le potentiel, la qualité et l’attractivité des pôles universitaires et scientifiques. Le potentiel est bien sûr amplifié si la recherche et l’enseignement supérieur de Lyon et Grenoble sont en bonne symbiose. On ne peut pas vouloir être un des centres mondiaux en infectiologie et ne pas honorer nos universités. Si on ne refait pas des campus dignes de ce nom, si on n’est pas capable d’offrir un accueil « top » aux professeurs et post-docs étrangers, on n’existera plus. Aujourd’hui, les campus de la Doua et de Bron ne sont pas à la hauteur de notre tradition et de notre ambition. Nous sommes en compétition internationale ! Je préconise que l’Hôtel-Dieu soit en priorité affecté à l’accueil des professeurs et post-docs étrangers. C’est un endroit magnifique, chargé d’histoire, en plein centre-ville. Les murs ont encore la mémoire du passage de Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». C’est un lieu de sciences et d’humanités, d’universalité, très symbolique de l’histoire de Lyon. On a la chance qu’il soit bientôt déchargé de sa fidélité hospitalière, il ne faut surtout pas qu’il sombre dans l’immobilier ! Il faut attirer les meilleurs cerveaux, c’est la grande priorité que doit avoir une métropole qui se veut internationale. La ville globalement s’améliore, mais il faut regarder ce qui se fait dans le reste du monde : vous allez à Pékin, ils en sont au 6e boulevard circulaire : 300 kilomètres ! Les élus se doivent d’anticiper les besoins et les changements. Nous ne sommes pas là pour gérer les avantages acquis, mais pour préparer le futur !

1 Lyonbiopôle, labellisé en 2005 centre d’excellence mondial en diagnostic et vaccin 
2 L’Ecole Normale Supérieure de Lyon
3 Réseau Thématique de Recherche Avancée (projet scientifique public d’envergure internationale)
4 Hospices Civils de Lyon
5 Alain Mérieux a été Premier Vice-Président de la Région Rhône-Alpes, en charge des Relations Internationales, du Développement Economique, de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, de 1986 à 1998