Il y a à mon sens une différence fondamentale s’agissant de l’engagement dans la pratique. Ce qui qualifie, pour le dire vite, la parole ou le discours intellectuel, c’est la distance, le décalage réflexif, la rupture épistémologique. Il y a une mise à distance pour privilégier un regard analytique et synthétique. Il peut exister un engagement social, quelqu’un comme Pierre Bourdieu, sur une partie de son travail, a pratiqué une forme d’engagement très forte. Cependant, la plupart des recherches en sciences sociales ont une dimension « entomologique ».
Alors que très clairement, les artistes s’engagent dans le faire, dans de la matière, dans de la production de relations sociales. Ils ne produisent en fait que peu de discours intellectuel et leur discours est souvent relativement convenu. Ils viennent au contraire s’alimenter assez largement auprès de la littérature intellectuelle existante. Dans ces compagnies, les artistes sollicitent les chercheurs. C’est presque du consulting. J’ai souvent été amené à travailler avec des compagnies qui me questionnent pour une réflexion globale.
Je ne vois donc pas d’effet de concurrence entre artistes et intellectuels. Cependant, les artistes arrivent à produire quelque chose que les intellectuels n’ont peut-être jamais réussi à produire. Ils parviennent à une valorisation des populations avec lesquelles et sur lesquelles ils travaillent. Votre position de chercheur est assez peu fréquente, vous êtes un intellectuel engagé dans le secteur. Vous êtes président du Centre des arts de la rue, vous êtes associé aux Ateliers Frappaz, etc.
C’est une vieille question, en particulier en sociologie que celle de l’écart entre engagement social et analyse…On retrouve ce questionnement dès les fondements de la sociologie. Dès le XIXe siècle on cherche à articuler réforme sociale et intervention de sociologues qui peuvent être des acteurs privilégiés pour reconnaître ou percevoir un certain nombre de réalités. On peut placer le curseur à des niveaux très différents.
Le Bourdieu du Collège de France n’est pas celui de « La misère du monde ». Des gens comme Alain Touraine, ont été très engagés dans le mouvement social, ayant pour ambition de décrire, mais aussi de participer à la structuration de ce mouvement. Ils savaient que leurs écrits avaient aussi un rôle pragmatique.
Je ne suis pas isolé dans mon mode de fonctionnement. Je suis par exemple à la tête d’un réseau de recherche sur les dynamiques artistiques et culturelles dans l’espace public urbain – le réseau Arts de ville – Cette initiative a été lancée à l’automne 2005, et déjà plus d’une quarantaine de chercheurs, économistes, sociologues, philosophes, etc., nous ont rejoint. Donc ma solitude est toute relative !