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La mission jeunesse de Vénissieux

Interview de Jean-Philippe Ravier

<< Face à un futur difficile, les jeunes ont tendance à vouloir « profiter » de leur jeunesse, du moment présent et se faire plaisir ; Tout, tout de suite >>.

Rôle d'une mission jeunesse, dans une ville comme Vénissieux. Quelles sont ses activités et les problématiques auxquelles elle est confrontée ? Quelle est sa perception des jeunes de ces quartiers ?

Rencontre avec Jean Philippe Ravier, responsable de service à la mission jeunesse de Vénissieux.

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Date : 22/10/2007

Pouvez-vous nous présenter la mission jeunesse de Vénissieux, sa vocation, son histoire et ses principales actions ?

La mission jeunesse n’est pas un service au sein de la mairie mais, par définition, une mission transversale. Ce point est pour moi important et significatif. Nous abordons la jeunesse sous différents prismes, éducation, loisirs, santé, mais aussi social et culturel. Historiquement, il y a une dizaine d’années, la mission jeunesse a débuté par la création d’un équipement polyvalent jeunes, c’est-à-dire une structure de proximité pour les 12-18 ans dont l’objectif était de proposer des loisirs pour lutter contre le désœuvrement des jeunes. Au fil du temps, la mission jeunesse s’est également adressée aux plus de 18 ans et s’est investie sur le champ éducatif. Depuis 2002, la mission jeunesse est intégrée dans le PEL – Projet Educatif Local – et développe des activités éducatives dont l’aide à la scolarité. De plus en plus, le loisir devient prétexte à un accompagnement éducatif. Notre objectif, à travers l’ensemble des activités que nous conduisons, est de conduire les jeunes vers une autonomie assumée.

 

Quelles sont les activités que vous développez ?

Notre intervention vient en complément de celles des familles et de l’école. Le soir, les mercredis et samedis après-midi et durant les vacances scolaires, nous proposons trois types d’activités :

- un « accueil libre » type foyer où les jeunes peuvent jouer au ping-pong, discuter, lire, rencontrer un animateur…
- l’atelier « aide à la scolarité », qui va au-delà d’une simple aide aux devoirs en proposant des méthodes de travail, de recherche documentaire…
- l’atelier « activités », qui regroupe autant des activités culturelles comme le théâtre que sportives, où les jeunes s’inscrivent pour un trimestre.
Pendant les vacances scolaires, nous organisons également des activités à la journée en profitant des différents équipements de la commune ou à l’extérieur. Nous proposons enfin des mini-camps et des séjours.

 

Combien de jeunes sont-ils concernés par ces activités et comment est organisée l’équipe d’animation ?

Nous avons entre 600 et 700 adhérents à l’année, et à travers certaines actions, nous pouvons en toucher trois fois plus. Nous sommes aujourd’hui répartis dans six quartiers différents de la ville. L’équipe est composée de 14 animateurs territoriaux à temps plein, d’une centaine de vacataires à l’année (soit l’équivalent de 18 temps-plein), de deux animateurs pour le BIJ (Bureau d’Information Jeunesse), d’un pôle administratif de cinq personnes, d’un chef de service qui couvre le BIJ et la mission jeunesse, et moi-même responsable de service à la mission jeunesse.

 

En quoi consiste exactement votre rôle au sein de cette mission ?

Il s’articule principalement autour de deux axes. Le premier concerne l’encadrement des équipes d’animation sur le plan administratif mais aussi sur l’élaboration, le développement et le bilan des projets et des actions. Le deuxième consiste à rechercher et développer des partenariats dans une dynamique d’ouverture sur la commune et plus largement sur l’agglomération. Nous conduisons par exemple des actions avec l’Opéra de Lyon, l’Olympique lyonnais, le SYTRAL, ou différentes associations comme Gertrude II (association France-Algérie) ou XLR (association culturelle).

 

Les questions d’orientation et d’insertion professionnelle sont essentielles pour les jeunes. Comment les abordez-vous ? Travaillez-vous avec les CIO et la mission locale ? Quels sont les intérêts et les limites de ce travail en commun ?

Nous ne travaillons pas avec le CIO et ce pour deux raisons. La première est que celui-ci reste très centré autour des établissements scolaires. La deuxième provient du fait que nous ne tenons pas à contribuer à une confusion des rôles. Lorsqu’un adolescent nous dit ou semble avoir un problème d’orientation, nous lui conseillons de se rendre auprès de son établissement scolaire ou à la mission locale où les professionnels savent bien mieux que nous répondre à ce type de demande.

Nous renforçons effectivement nos liens et notre partenariat avec la mission locale. Nous rencontrons de nombreux, beaucoup trop nombreux, jeunes qui ont effectué une orientation par défaut et qui, déçus, abandonnent leur formation. Ils sortent ainsi sans qualification du système scolaire avec l’espoir de trouver un petit boulot et de gagner de l’argent. Très vite, ils s’aperçoivent que ce n’est pas si facile de trouver même un petit boulot et que la vie est nettement plus compliquée lorsque l’on n’a pas de qualification. D’autres avant eux, dans la même situation, se sont alors tournés vers la mission locale. Cette dernière ne fait pas de miracle et demande aux jeunes de s’inscrire dans un parcours vers l’emploi et de fait, de fournir à nouveau des efforts pour accéder à l’emploi qu’ils espéraient obtenir plus rapidement. De fait, les jeunes ont plutôt une image négative de la mission locale. Or, celle-ci fait plutôt bien son boulot, notamment dans le cadre des accompagnements renforcés (TRACE ou CIVIS) où elle obtient 85% de sorties positives de parcours. Les lacunes et les problèmes se situent en amont, à l’école et en aval dans le manque de confiance manifeste du monde économique envers les jeunes. C’est pourquoi nous insistons fortement auprès des adolescents et des jeunes sur l’enjeu de la réussite scolaire, sur l’importance de suivre des formations, d’obtenir des qualifications, non seulement pour son épanouissement personnel mais aussi pour intégrer le monde du travail.

 

En quoi une mission jeunesse, dans une ville comme Vénissieux est-elle particulière, quelles sont les problématiques auxquelles elle est confrontée ?

Il est certain que la mission jeunesse de Vénissieux est spécifique, par l’histoire de Vénissieux, par l’histoire de sa jeunesse, par son histoire politique. Elle l’est également par sa situation, géographique - Vénissieux est une ville de la première couronne - mais aussi par sa situation socio-économique avec 65 % de logements sociaux qui abritent des habitants de 57 nationalités différentes, avec 33% de la population qui a moins de 30 ans et 45% de jeunes entre 18 et 30 ans au chômage. De fait, Vénissieux est effectivement dans une situation particulière et sa mission jeunesse est confrontée avant tout à une importante précarité économique mais aussi sociale avec notamment beaucoup de femmes seules avec enfants.

 

La précarité et les discriminations semblent être au cœur des colères des jeunes de banlieues. Peut-on parler de jeunesse sacrifiée ?

Je dirai que l’on n’a pas permis à la jeunesse d’aujourd’hui d’avoir la même vision d’avenir et les mêmes outils que les générations précédentes ont pu avoir. La situation des jeunes d’aujourd’hui ne sera pas meilleure que celle de leurs parents. L’avenir est même bien incertain. Les jeunes sont alors tentés de ne pas avoir de vision d’avenir et de partager une vision pessimiste de la société. Les conséquences sont importantes. Face à un futur difficile, les jeunes ont tendance à vouloir « profiter » de leur jeunesse, du moment présent et se faire plaisir, tout, tout de suite. Ils ne veulent pas faire d’efforts et osent même prendre des risques, voire de gros risques, ce qui est certes courant à l’adolescence, mais d’autant plus renforcé par ce manque de vision d’avenir. Ce que je décris là est une tendance, une ambiance, un trait caractéristique de la jeunesse d’aujourd’hui, ce n’est évidemment pas le comportement de tous les jeunes. La majorité d’entre eux s’accroche en travaillant à l’école ou en suivant des formations même si, pour certains, le déclic intervient un peu tard. Car effectivement l’essentiel des jeunes change de regard, lorsqu’ils deviennent parents, se marient ou plus largement acquièrent des responsabilités et décident de les assumer. C’est particulièrement vrai pour les garçons. D’où l’importance des écoles de la deuxième chance même si, à l’évidence, l’enjeu reste sur les premières années scolaires et les années collèges.

 

Vous semblez percevoir une profonde inquiétude chez les jeunes, comment la caractérisez-vous ?

En effet, globalement les jeunes sont inquiets, très inquiets. Certains l’expriment directement, la majorité le signifie de différentes façons. Lorsqu’ils sont en groupe, il est impossible d’aborder de tels sujets. Mais, lorsque l’on arrive à installer un dialogue, on découvre une profonde angoisse. Ils pressentent plus qu’ils comprennent, cependant, ils ont pleinement conscience que les choses bougent autour d’eux, qu’ils ne les maîtrisent pas et qu’elles peuvent avoir de graves conséquences pour eux. Nous avons conduit un travail photographique avec l’association XLR Project autour de la notion de stigmatisation. Des jeunes ont alors réalisé un montage photo d’un groupe de jeunes où la tête de chacun d’entre eux était remplacée par un ballon. La légende était « Croyez-vous que l’on ne pense qu’au foot ? ». Ils se sentent souvent déconsidérés et ont du mal à apprécier les situations, les contextes dans lesquels ils évoluent. Le monde est difficile à comprendre, ils vivent des situations complexes et ont a du mal à trouver le sens des choses. Lorsqu’ils constatent que ceux qui ont fait l’effort de faire des études se retrouvent au chômage ou en CDD à McDO et que d’autres roulent les mécaniques au volant de voitures grâce à de l’argent acquis illégalement, ils se questionnent. Et si la très grande majorité ne souhaite pas devenir voyou, il n’en demeure pas moins qu’elle reste dans l’interrogation. Pour ceux qui sont issus de parents d’origine étrangère, une autre source importante de complexité et d’interrogation est la question identitaire. Dans une société particulièrement discriminante, ils ont vraiment du mal à se sentir complètement français. Enfin, une troisième complexité et source d’angoisse, est l’argent. La relation à l’argent est omniprésente, elle est partout. On ne parle que de ça, il faut toujours de l’argent, partir en quête pour en obtenir. Tout a un prix et tout coûte de plus en plus cher. Et comme on existe à travers son paraître, l’affichage d’un statut social, le rapport à l’argent devient quête de reconnaissance.

 

Nous vivons dans une société d’individus où le droit de chacun semble être privilégié au devoir. Qu’elles sont les conséquences d’une telle posture sur le rapport à la loi des jeunes ?

La question des droits, des devoirs et de la règle est aussi source de paradoxes. La loi existe et j’attends que les autres la respectent. Par contre, si, moi, je la transgresse, ce n’est pas si grave. Se frotter à la loi a toujours été un comportement typique de l’adolescence. Il est aujourd’hui effectivement renforcé par l’individualisation de la société. D’ailleurs la loi semble aussi être faite pour être transgressée. Les exemples dans les mondes sportif, politique ou économique sont si nombreux, entre dopages, mensonges et délits d’initiés, les adultes ne montrent pas vraiment l’exemple et l’on se demande où sont les bons modèles. Les jeunes ont souvent le sentiment d’avoir plus de devoirs que de droits et donc d’être en position de soumission, ce à quoi ils s’opposent.

 

Comment redonner du sens et créer des liens de confiance pour construire demain ?

De tout temps la jeunesse a fait peur. Aujourd’hui encore on cherche à s’en protéger. Cependant, la jeunesse d’aujourd’hui va mal. Elle est en attente de reconnaissance, de sens, de vision d’avenir. La jeunesse, celle de Vénissieux comme celle d’ailleurs, est une fabuleuse richesse. On sent bien qu’il y a un potentiel infini. Elle devient problème parce que l’on ne sait pas la traiter, on voudrait la mettre en case et la canaliser. Or, il faut lui donner du temps et lui accorder de la confiance. On sait bien qu’elle est à prendre en considération, qu’elle est notre ressource majeure comme on sait que les énergies solaires et éoliennes sont notre avenir, et pourtant on nie ces réalités. On ne prépare pas l’avenir de nos enfants, on leur emprunte… Nous devrions méditer sur ces bases.
Nous, les adultes, avons tous été jeunes. La jeunesse est une étape par laquelle nous sommes tous passés. Et pourtant, on l’envisage moins bien que les étapes futures (le temps des séniors ) ! À croire que l’on n’est pas jeune suffisamment longtemps !