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Les enjeux de l'Institut des neurosciences à Lyon

Interview de François MAUGUIERE

<< La politique actuelle est de pousser les chercheurs à contractualiser avec le privé. >>.

Interview de François Mauguière, Directeur de l’Institut Fédératif des Neurosciences de Lyon.
Qu'est-ce- que l'Institut des Neurosciences à Lyon et que représente son lancement  au niveau de la recherche régionale ?
Quels sont les domaines des Neurosciences où Lyon excelle ?
A quel niveau  se situe cet Institut dans le monde de la recherche ?

Réalisée par :

Date : 06/01/2006

L’Institut Fédératif des Neurosciences de Lyon a été créé en 1995. Quels ont été les effets de son lancement au niveau de la recherche régionale ?
Ils ont été nombreux. Le principal objectif atteint a été de resserrer les liens entre les chercheurs de l’INSERM et du CNRS et les soignants de l’Hôpital Neurologique de Bron. L’afflux massif de patients atteints de pathologies parfois rares a un effet démultipliant sur la recherche et vice-versa ! La fédération d’équipes allant de la recherche fondamentale à l’application clinique a facilité la constitution d’une véritable communauté médico-scientifique sur le cerveau. Autre atout : la recherche en neurosciences se fait aujourd’hui par le biais d’équipements lourds. Les plateformes d’imagerie multimodales nécessitent du personnel dédié, ce qu’aucun labo isolé ne peut s’offrir. Il y a eu un réel intérêt à se regrouper pour mutualiser les moyens : Lyon dispose désormais de l’ensemble des techniques d’imagerie cérébrales, autorisant l’étude de la cellule jusqu’à l’homme en passant par le petit animal. Une banque de ressources biologiques a également été montée : elle permet l’exploitation d’échantillons biologiques en provenance des services de l’Hôpital Neurologique. Enfin, le lancement de l’IFNL a favorisé le nombre et la qualité des publications scientifiques : dès 2001, la courbe s’est infléchie, et, surtout, le facteur d’impact international a nettement progressé !

Quels sont les domaines des neurosciences dans lesquels Lyon excelle ?
La recherche lyonnaise en neurosciences est vaste : quelques 500 chercheurs, techniciens et étudiants travaillent dans les équipes de recherche fondamentale et clinique de l’agglomération lyonnaise. S’il faut mettre en avant certaines thématiques, je retiendrais celles qui sont les plus abouties, à savoir l’épilepsie, le handicap neurologique, la neurooncologie et la sclérose en plaques. Ces trois domaines se caractérisent localement par une recherche intégrée à forte orientation clinique, complétée par des projets novateurs : une banque de données épidémiologiques européenne sur la sclérose en plaques (EDMUS) et un futur Institut des Epilepsies de l’Enfant (IDEE), actuellement sur le point de voir le jour. Autres thématiques de recherche montantes : le traitement neurochirurgical de la douleur, le sommeil et ses troubles. Enfin, les chercheurs lyonnais participent à la compétition internationale pour l’utilisation des cellules souches dans le traitement des maladies neurodégénératives.

Quelle est votre position concernant l’évolution du monde de la recherche ?
Le moins que l’on puisse dire est que l’image de la recherche n’est pas très attractive en France. Sur toute une promotion d’étudiants en médecine, seuls 1 à 2% envisagent de se diriger vers la recherche ! On sent, globalement, chez eux une perte d’intérêt pour la connaissance à proprement parler au profit d’un apprentissage professionnel de la pratique médicale. La recherche publique a, jusqu’à présent, été très financée et protégée, ce qui manifestement ne peut plus durer si l’on suit les options économiques adoptées par la plupart des pays développés. Le besoin de changement se fait sentir à plusieurs niveaux ! En termes de statut, être chercheur à vie coûte cher à la collectivité et n’est pas toujours garant d’une haute performance. Il faudrait faciliter les reconversions dans l’éducation universitaire, la gestion de la recherche ou le privé. Or, la volonté des chercheurs de rester indépendants des enjeux économiques maintient un fort cloisonnement avec le monde de l’entreprise... Même si la politique actuelle est de pousser les chercheurs à contractualiser avec le privé, ils ne sont, en pratique, pas formés pour le faire. Autre point de résistance au changement : le poids des mentalités concernant la rémunération au mérite. Malgré une évaluation régulière de la production scientifique par les organismes de recherche et les universités, la gestion des carrières continue de se faire en grande partie sur des bases d’ancienneté. Pourquoi quelqu’un qui publie plus n’est-il pas mieux rémunéré ? La récompense à la productivité commence à apparaître, mais avec difficulté : les contrats Avenir de l’INSERM, rémunérant les chercheurs qui s’investissent dans un projet novateur, l’enseignement ou la recherche clinique, ont, par exemple, suscité une levée de boucliers lors de leur mise en place ! Il faudrait aussi une évolution en termes d’organisation administrative : aujourd’hui, la communication internationale est de mise pour un chercheur. C’est son quotidien pour pouvoir participer à des projets de recherche européens. Nous aurions tout intérêt à avoir des équipes de soutien au montage de dossiers, souvent complexes et chronophages. Une cellule Europe a ainsi déjà vu le jour à l’INSERM. Enfin, concernant la biologie, la tendance est au financement de la recherche clinique. L’objectif clairement affiché est d’obtenir des retombées thérapeutiques. A mon avis, négliger la recherche fondamentale entraîne aussi un risque : qui peut prédire l’utilité finale de telle ou telle découverte scientifique ?