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La prise en charge du vieillissement en général dans les années à venir

Interview de Gilles Albrand

Illustration de deux femmes : une femme âgée et une femme issue du personnel soignant
Gériatre à l’Hôpital Antoine Charial, coordinateur médical de la Coordination de Gériatrie des HCL

<< Les patients âgés atteints de la maladie d’Alzheimer ou de syndromes apparentés nécessitent une prise en charge globale >>.

La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative qui touche principalement les personnes âgées. Elle a  un impact considérable sur l’entourage du patient et  nécessite une prise en charge globale  impliquant nombreux acteurs médicaux, paramédicaux et sociaux.
Cette maladie suscite de nombreuses réflexions sur la prise en charge du vieillissement en général  dans les années à venir : « il faudra des années pour mieux redéfinir le rôle de chacun et ce qui  relève des pouvoirs public locaux et nationaux, des associations, de malades, de leur famille…  La société a vraiment besoin d’éclaircissements sur les stratégies futures ».
Rencontre avec le docteur Gilles Albrand, gériatre à l’Hôpital Antoine Charial, coordinateur médical de la Coordination de Gériatrie des HCL.

Réalisée par :

Date : 04/03/2006

En mars 2004, la Fédération Alzheimer et Syndromes Apparentés (FASA) a été créée. En quoi consiste-t-elle ?

La FASA a été créée sous l’égide de deux grandes disciplines des Hospices Civils de Lyon : la gériatrie et la neurologie. Les objectifs de cette instance sont : de définir une politique cohérente et homogène de diagnostic et de prise en charge des troubles cognitifs, d’organiser les collaborations entre les praticiens ou les services hors HCL afin de fluidifier les circuits de prise en charge, de définir des protocoles communs pour le diagnostic, le suivi, la rééducation de la mémoire ou la stimulation des patients, de réaliser des actions de formations du personnel hospitalier et des médecins généralistes.

Au sein des HCL, plusieurs consultations mémoire de proximité existent : à l’ouest, l’hôpital Antoine Charial (Pr Courpron), l’Hôpital Pierre Garraud (Dr RoulleauDumont). Au sud le Centre hospitalier Lyon sud (Pr Bonnefoy). A l’est, l’Hôpital neurologique Pierre Wertheimer (services du Pr Vighetto et du Dr Croisile) et l’Hôpital des Charpennes (Dr Haond). Les acteurs de ces consultations mémoire se réunissent mensuellement pour échanger et partager leurs expériences et leurs compétences à travers des discussions de dossiers (réunions de concertation). Ce projet s’inscrit pleinement dans le cadre du Plan Alzheimer, ainsi les HCL ont été labellisés CM2R (Centre mémoire de ressource et de recherche).

Il est important que le maillage soit serré afin que toute la population du Grand Lyon ait une « consultation mémoire » de proximité pour le diagnostic de ces maladies. Outre les HCL, il existe également des « centres mémoire » à l’Hôpital Saint Jean de Dieu, à l’Hôpital de Fourvière et aussi en périphérie, des centres appartenant à la Croix Rouge.

 

En quoi les maladies neurodégénératives sont-elles spécifiques ?

Ces maladies sont synonymes de perte d’autonomie (perte de capacité de décision, perte de capacité à orienter sa vie, prises de décisions inadaptées), liées à des pertes de mémoire, à des troubles de la compréhension mais aussi à des troubles psycho-comportementaux. Elles conduisent également progressivement vers une dépendance croissante (recours à un tiers pour des activités banales de la vie quotidienne : gestion des activités domestiques, gestion des traitements, de l’argent, et pour les formes plus évoluées, gestion de la toilette des sphincters).

Ces maladies ont également un impact considérable sur l’entourage du patient. Elles entraînent des modifications d’organisation familiale. En outre, les patients âgés sont souvent affectés d’autres pathologies évolutives qui vont interagir avec la maladie neuro-dégénérative. Ce sont aussi des patients qui s’adaptent moins facilement à de nouveaux stress. Par exemple, il y avait de nombreux patients Alzheimer parmi les personnes décédées pendant la canicule de 2003. On doit également rappeler que ces maladies touchent très préférentiellement les sujets âgés ce qui explique que la gériatrie se trouve en première ligne dans la prise en charge.

Les patients âgés atteints de la maladie d’Alzheimer ou de syndromes apparentés nécessitent une prise en charge globale. Nous entendons par ceci, une prise en charge conjointe par la même équipe des problèmes somatiques, psychologiques et sociaux qui affectent le patient. C’est cette approche que la Coordination de Gériatrie des HCL privilégie. Le gériatre prend en compte l’ensemble des pathologies et l’environnement du patient. Il propose à la fois un traitement médicamenteux, il met en place des recommandations médicales pour la prise en charge des maladies mais également des recommandations pour la gestion de la perte d’autonomie et de la dépendance. Il coopère avec les spécialistes d’organes et les médecins référents pour proposer les solutions les plus adaptées à chaque patient : c’est du « cas par cas » et il ne peut pas en être autrement.

 

Ce sont aussi des maladies qui conduisent vers l’institutionnalisation…

En effet, les syndromes démentiels sont pourvoyeurs d’admission en EHPAD (établissement d’hébergement pour des personnes âgées dépendantes). Là aussi, la Coordination de Gériatrie des HCL essaye d’organiser au mieux une filière continue de soins par deux aspects. En interne avec la mise à disposition de plusieurs centaines de lits de gériatrie couvrant l’ensemble des secteurs médicaux tarifaires (Consultation, Hôpitaux de jour, Médecine gériatrique aiguë, Soins de Rééducation et de Réadaptation, Soins de Longue Durée). Mais également à travers une politique volontariste de partenariat avec des EHPAD. Cette politique vise à fluidifier le parcours de soins, à faciliter les contacts entre ces établissements et les services de gériatrie, à réduire la venue de ces patients dans les services d’urgences, à favoriser la formation et la transmission de protocoles de soins, etc.

 

La gériatrie est donc en interaction avec de nombreux acteurs : autres spécialités, EHPAD, entourage familial... Développez-vous encore d’autres partenariats ?

La Coordination de Gériatrie a aussi développé des liens forts avec les CLIC de niveau 3 (centres locaux d’information et de coordination). Cette relation étroite est une volonté institutionnelle et est tout à fait cohérente pour développer le lien villehôpital. Nous avons également des accords avec le réseau CORMADOM qui facilite le retour à domicile en organisant le réseau d’aide autour du patient.

 

La Coordination de Gériatrie privilégie donc une prise en charge globale des patients et a développé des outils en ce sens. Mais quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans votre pratique ?

La première est quantitative, la poussée démographique que nous vivons aujourd’hui va entraîner un nombre croissant de patients et nécessiter la mise à la disposition de cette population de moyens sanitaires importants. Le problème dépasse la gériatrie, il s’agit d’un véritable défi médico-social. L’hospitalisation ne peut faire face à tout : elle n’est pas toujours souhaitable et le nombre de lits ne serait pas suffisant. Il faut donc continuer de développer les consultations, les hospitalisations de jour, les aides à la personne, les réseaux « ville-hôpital » et l’offre de soins de proximité.

La deuxième est qualitative. Certes, la tendance actuelle est orientée vers un diagnostic de plus en plus précoce des troubles cognitifs, favorable à la qualité de la prise en charge. Mais trop de patients arrivent vers le diagnostic et la prise en charge médico-sociale dans des situations évolutives avancées et souvent via les complications (chute avec fracture, dénutrition, troubles du comportement, impossibilité de maintien à domicile, épuisement de la famille, etc). Il faut continuer à promouvoir la formation des médecins et l’information de la population.

 

L’entourage du patient est très important, en particulier lorsque le maintien à domicile est l’option choisie. Les « aidants » sont souvent mis à rude épreuve. Existe-t-il des dispositifs pour les aider ?

En effet, Alzheimer est une maladie qui change beaucoup les rapports familiaux, elle est déstructurante : la personne est là physiquement mais ce n’est plus tout à fait la même. Sur plusieurs sites de gériatrie des HCL des programmes « d’aides aux aidants » ont été mis en place, mais nous manquons cruellement de financement pour les développer davantage. Aucun financement pérenne n’a été prévu pour la prise en charge des familles.

Malgré tous les discours, nous restons essentiellement dans des prises en charge dépendantes du bénévolat et du monde associatif. Cette aide est pourtant essentielle pour limiter la souffrance des « aidants », éviter les hospitalisations indues tant du malade que de son « aidant ».

 

Quels sont les points forts et les points faibles de la région Rhône-Alpes concernant la prise en charge de patients Alzheimer ?

Il faut encore améliorer la prise en charge précoce. Il s’agit d’un plaidoyer pour un diagnostic précoce car il ouvre le champ de toute la filière de soins. L’entourage et les généralistes ont un rôle à jouer en sachant que les pertes de mémoire ne sont pas dues au vieillissement mais à la maladie. Il faut savoir consulter et nous invitons les patients à pousser les portes des neurologues, des gériatres, des psychiatres, des gérontopsychiatres. Certes, les délais d’accès aux consultations mémoire restent longs (2 et 3 mois d’attente à Lyon, parfois plus dans d’autres villes). Mais la Région Rhône-Alpes bénéficie de plusieurs « centres mémoire ». Ces établissements travaillent ensemble au sein du FARAP (Forum Alzheimer Rhône-Alpes des Professionnels en relation avec la maladie d’Alzheimer et les syndromes apparentés).

Il semble important aussi d’améliorer la lisibilité sociale. La séparation entre le sanitaire et le social coûte chère pour les patients atteints de maladies neurodégénératives. De très nombreux malades âgés affectés d’une maladie d’Alzheimer entrent en EHPAD du fait des conséquences de leurs maladies et ils se voient obliger de fournir un effort financier très important de plusieurs centaines d’euros par mois. Il en est de même pour de nombreuses aides au soutien à domicile. Il faudra dans les années à venir mieux définir le rôle de chacun, et ce qui relève des pouvoirs publics locaux et nationaux, des associations, des malades, de leur famille.

 

Depuis sa reconnaissance comme spécialité médicale à part entière en 1999, la gériatrie a considérablement évolué.

Oui et la Coordination de Gériatrie des HCL a œuvré dans ce sens en précisant le rôle majeur de l’évaluation gériatrique à travers les consultations, la prise en charge en aiguë (médecine gériatrique aiguë), la prise en charge rééducative et réadaptative (soins de réadaptation), sortant la gériatrie d’une vision réductrice de lieu de soins de longue durée. Une véritable réflexion sur les missions de la gériatrie hospitalière a été développée.

Outre le concept de filière continue de soins basée sur une approche pluridisciplinaire, le projet médical de gériatrie a favorisé des modes de prises en charge innovants, l’évaluation gériatrique approfondie à l’Hôpital Antoine Charial en 2003, la création de l’unité post-AVC en 2003 à l’Hôpital des Charpennes, la création de la FASA en 2004 et enfin, la mise en place en 2006 du PROLOG (Programme Lyonnais d’Onco-Gériatrie) qui est une collaboration importante entre les gériatres et les oncologues des Hospices Civils de Lyon et les oncologues du Centre Léon Bérard. L’Hôpital Gériatrique Antoine Charial est aujourd’hui leader dans ce domaine.

 

Malgré des progrès, la prise en compte actuelle du malade âgé dans notre société paraît insuffisante. Notre population vieillit, les problèmes risquent d’être de plus en plus importants…

La population âgée est très hétérogène, il est important de ne pas faire l’amalgame entre la population âgée et malade. On distingue schématiquement trois grands types de population âgée. La population avec un vieillissement réussi (ou harmonieux), une population âgée avec un vieillissement usuel (ou vulnérable) et un groupe avec un vieillissement pathologique (fragile). Ainsi, il faudrait développer plusieurs politiques de la vieillesse : pour le premier groupe une politique de santé basée sur la prévention primaire, pour le deuxième groupe une politique de prévention primaire et secondaire, et pour le troisième groupe une politique de soins de prise en charge des grands états de dépendance.

Actuellement, on constate l’absence de véritable système médico-social intégré permettant de répondre aux demandes de soins de l’ensemble des personnes âgées. Ceci vient en partie du fait que la France « socialise » les conséquences de certaines maladies comme la maladie d’Alzheimer. La dépendance induite par cette maladie relève en partie de la prise en charge sociale. Ces coûts sociaux sont énormes, à travers l’APA (allocation personnalisée pour l’autonomie) ils représentent une charge très importante pour les budgets des Conseils généraux.

La poussée démographique va rendre ces problèmes de plus en plus importants. La société a réellement besoin d’éclaircissement sur les stratégies futures. Les orientations ne sont pas très claires, le manque d’anticipation est réel. Voici, par exemple, quelques questions auxquelles il faudra répondre : faut-il développer les politiques d’implantations d’EHPAD ? Médicaliser les établissements existants ? Développer les services à domicile ? Augmenter le nombre de lits d’hospitalisations destinés à la gériatrie ? etc.

 

Que peut-on espérer de la Recherche pour le traitement de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés ?

Comprendre les pathologies et leurs mécanismes est nécessaire pour les contrôler, voire les guérir. Actuellement, nous pouvons distinguer trois grands axes de recherche. La recherche fondamentale, est centrée sur la compréhension des mécanismes intimes de survenue de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés. S’y intègre également la recherche épidémiologique.

D’autres recherches sont centrées sur le développement d’outils diagnostiques pour détecter plus finement et plus précocement la maladie. Ici, les pistes sont surtout biologiques et iconographiques. Enfin, la recherche thérapeutique est centrée sur le développement de nouvelles molécules permettant de freiner l’évolution de la maladie. Il existe en plus de ces travaux fondamentaux et médicaux des axes de recherches d’ordre sociologiques et économiques. L’ensemble de ces travaux permet d’une part de progresser dans la connaissance de la pathologie et de son impact sur les patients et leur environnement, et d’autre part, d’élaborer des stratégies individuelles et collectives de prises en charge.