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Les grandes étapes de l’histoire de la prévention

Interview de Olivier FAURE

<< Les campagnes de prévention rencontrent un écho positif non pas en raison d’une plus grande efficacité mais parce que la population est prête à les entendre >>.

La prévention selon les époques s'est attachée à  la surveillance des conditions de travail et des comportements, à la lutte pour  l'éradication de maladies endémiques et donc à la généralisation de campagnes de vaccination. Aujourd'hui la prévention fait partie des politiques publiques et  s'oriente vers la préservation d'un capital santé passant par  l’amélioration de la forme et des capacités physiques. Olivier Faure, Professeur d’histoire contemporaine, Université Lyon3, retrace ici  les grandes étapes de l’histoire de la prévention.(Entretien réalisé pour la rédaction du supplément de l'agenda santé n°5 sur "Santé, prévention et politiques publiques").

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Date : 25/07/2005

Pourriez-vous nous présenter les débuts de la prévention en France ?

C’est à la fin du 18e siècle que la notion de santé publique émerge et apparaît comme l’une des prérogatives de l’Etat. A l’époque, les origines et mécanismes des maladies sont connus, mais la médecine n’est pas encore capable de les soigner. Elle se réfère donc à l’adage de la tradition ancienne, « mieux vaut prévenir que guérir », et donne une place centrale à la prévention. A l’exception du vaccin contre la variole découvert par Jenner en 1796, les techniques de lutte restent axées sur les conditions de travail et les comportements. La société a conscience du lien entre la situation sociale et l’état de santé de la population. L’idéologie des Lumières développe l’utopie de la réduction voire de la disparition des maladies grâce à une transformation de l’organisation sociale… Mais après la Révolution, la remise en cause de celle-ci est plus délicate, les discours se centrent sur la modification des comportements individuels. La prévention devient vite culpabilisante.

 

Auriez-vous un exemple concret ?

La lutte contre la tuberculose illustre parfaitement ce phénomène. Le bacille de Koch est mis en évidence en 1880 et les tentatives de vaccin échouent jusqu’en 1921. L’agent de cette maladie contagieuse est connu mais on ne sait pas comment le détruire. La lutte ne peut porter que sur l’environnement de la population. Il y aura peu de réflexion sur les effets pathogènes des conditions de travail. Les mesures se concentrent alors sur le logement. On insiste sur la tenue du ménage : ne pas cracher par terre, aérer, éviter d’avoir des bibelots qui pourraient laisser prise au virus, etc. Le discours devient vite moralisateur : on prête aux tuberculeux un penchant pour l’alcool et une prédisposition aux plaisirs vénériens… D’après le Professeur Landouzy, « la tuberculose s’attrape sur le zinc » ! Les comportements individuels sont incriminés et les trois fléaux sociaux de l’époque associés : alcool, tuberculose, maladies vénériennes… C’est néanmoins la première fois que la collectivité s’empare d’une question de santé et que les gens sont directement interpellés pour se protéger. Cela va de l’apparition des premières affiches et du timbre antituberculeux à la mise en place d’un double dispositif : les dispensaires et les sanatoriums. En fait, l’organisation actuelle de la santé publique date de cette époque.

 

Comment la prévention de la tuberculose au 18e et 19e siècle a-t-elle influencé le système de santé contemporain ?

Les dispensaires étaient des institutions qui surveillaient les familles suspectes ou menacées de tuberculose par le biais de « visiteuses de l’hygiène ». Celles-ci étaient chargées de se rendre dans les domiciles, de mener des enquêtes sociales et de prêcher la bonne tenue des ménages. Elles distribuaient également des vivres et autres secours aux familles nécessiteuses. C’est ainsi que l’articulation entre le sanitaire et le social est née : les visiteuses de l’hygiène sont devenues les assistantes sociales en 1938. Quant aux sanatoriums, il s’agissait d’hôpitaux spécialisés pour tuberculeux curables. Implantés en moyenne montagne pour la pureté de l’air, ils jouaient aussi le rôle de véritables écoles d’apprentissage de l’hygiène. Leur reconversion a été un problème : lieu de réadaptation pour les accidentés de la route, maisons de retraite pour personnes âgées… Même si les communes ont longtemps vécu de cet héritage, aujourd’hui, c’est un équipement lourd dont on ne sait plus bien quoi faire.

 

Quelles ont ensuite été les grandes étapes de l’histoire de la prévention ?

Sauf dans le discours, elle n’a jamais occupé une très grande place : au moins à partir de la fin du 19e siècle, la rétribution des médecins a été établie sur des prestations à visée thérapeutique. N’étant matériellement pas encouragé à faire de la prévention, le corps médical s’est naturellement polarisé sur la médecine curative avant même qu’elle ne soit devenue efficace. Au niveau de la santé publique, la France a connu un temps de démarrage plutôt long par rapport à d’autres pays européens : la première loi a été votée en 1902 alors que, par exemple, l’Angleterre avait légiféré sur le chapitre dès 1848. Structurellement parlant, la médecine préventive est devenue plus technique avec la multiplication des vaccins entre 1920 et les années 1960. Et, de nos jours, nous nous retrouvons dans le même type de situation qu’au 18e siècle : le développement de maladies dégénératives comme le cancer apparaît étroitement lié à l’environnement. La cause pathologique est souvent connue mais notre capacité curative est limitée. La remise en question de l’organisation sociale reste faible (combien d’années a-t-il fallu pour qu’il y ait une reconnaissance officielle de l’impact de l’amiante sur la santé ?) et, de nouveau, la prévention est prioritairement conçue pour inciter à la modification des comportements individuels (consommation de tabac, d’alcool, etc.). Alors que nous sommes dans des systèmes techniquement radicalement différents, les changements ne sont pas si fondamentaux que ça. La question de fond reste la même : comment faire fonctionner une médecine préventive dans un système libéral reposant sur la production ? Nous tentons de concilier des logiques qui vont à l’encontre l’une de l’autre : le « tout santé » et le « tout profit ».

 

Il y a-t-il une évolution des outils de prévention ?

A ma connaissance, nous sommes plus dans la continuité que dans la nouveauté. L’argumentaire joue toujours sur la peur. Depuis 1875, combien de foies cirrhosés ont été exposés ? Le phénomène de l’alcoolisme a décru seulement en 1950, sans doute plus en raison de transformations sociales que de l’efficacité de la propagande. Le succès des dernières campagnes de prévention est aussi à examiner sous cet angle : la conscience sociétale de la valeur « santé » a considérablement évolué durant les dernières décennies. La préservation de la santé, le prolongement de la durée de la vie, l’amélioration de la forme et des capacités physiques sont devenus des objectifs centraux dans notre existence. Les campagnes de prévention rencontrent un écho positif non pas en raison d’une plus grande efficacité mais parce que la population est prête à les entendre.