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La place de Lyon dans la recherche sur les vaccins

Interview de Michel GRECO

<< Le métier du vaccin est un métier très difficile et compliqué. Si les sociétés peuvent changer de mains comme au Monopoly, les sites de production restent les mêmes >>.

Michel Gréco, a réalisé l’essentiel de sa carrière à Rhône-Poulenc puis dans le groupe Mérieux, où il a exercé des fonctions de direction jusqu’en 2003. Cette réflexion libre et prospective sur les transformations du secteur de vaccin s’enracine dans cette expérience. Il est aujourd’hui administrateur d’entreprises de biotechnologies orientées vers la recherche et le développement de vaccins et de fondations internationales liées à la vaccination. Cette interview porte essentiellement sur  la recherche sur les vaccins et sur la place de Lyon et de sa région dans ce domaine.

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Date : 28/02/2005

Dans le champ de la biologie et de ses applications industrielles, où situer précisément l'excellence lyonnaise ?
Il y a une excellence lyonnaise dans la mesure où Sanofi Pasteur est leader mondial dans la production de vaccin, où Merial est la première société au monde en matière de santé animale, en particulier dans le vaccin et où BioMérieux, est 8ème mondial dans le domaine du diagnostic. On pourrait ajouter l’Institut de Sélection Avicole, leader en son domaine. Ces activités ont deux caractéristiques communes : elles sont largement enracinées dans la biologie, même s'il faut ajouter un peu de chimiothérapie en particulier pour Merial, et sont toutes nées de la famille Mérieux, investie depuis plus d’un siècle dans ces domaines différents mais complémentaires. Charles Mérieux a toujours été le champion de la biologie sans frontière : d’une part en voyant des complémentarités évidentes entre les médecines humaine et animale ; de l’autre, géographiquement, il considérait que le métier biologique, en particulier du vaccin, imposait forcément d’être un acteur global, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en voie de développement. On pourrait ajouter sa volonté constante, en partant de la biologie, d'avoir une vision globale des développements industriels et de ne pas se focaliser sur telle ou telle application. Il s’est attaché à développer tous les produits et substances qu'il était amené à travailler. Cette approche n'est plus en vogue, à l’heure où les sociétés deviennent de plus en plus spécialisées. A Lyon cette logique a conduit à la séparation des différentes sociétés depuis l'acquisition du groupe Mérieux par Rhône Poulenc, par Aventis puis par Sanofi. Aujourd’hui, Merial, Sanofi Pasteur et BioMérieux sont installées chacune dans un domaine. Dans ce processus, on a sans doute perdu quelque chose. En particulier, en dissociant la santé humaine (Sanofi Pasteur) et la santé animale (Merial), on a répondu à une logique de marché, car la santé des hommes et celle des animaux renvoient bien à deux marchés différents, mais on a perdu des synergies, scientifiques et industrielles. Si les relations entre les sociétés se sont distendues, le maintien de relations techniques et scientifiques plus fortes qu’actuellement est donc souhaitable.

 

Dans quelle mesure la recherche sur la santé animale est-elle utile à l’homme ?
L'animal a toujours été une étape dans l'étude des produits pour les humains. Pouvoir étudier un vaccin chez l'animal et envisager ensuite un vaccin adapté à l'homme nous fait bénéficier de tous les acquis du travail sur l'animal, même si ce qui « marche » chez l'animal n’est pas toujours extrapolable à l'homme. Dissocier les deux médecines dans le domaine du vaccin est probablement une erreur. Par ailleurs, tout un chacun sait aujourd’hui avec l’ESB et avec le sida, le problème que constitue la transmission des maladies de l’animal à l'homme. L'animal est la principale réserve de pathologies pour l'homme. A mon avis, ce thème devrait revenir encore plus fortement dans les décennies à venir, car plusieurs logiques sont susceptibles de le ramener sur le devant de la scène.

 

Quel est le potentiel de la région lyonnaise dans la recherche sur le vaccin ?
Mes propos sembleront peut-être politiquement incorrects, mais Lyon n'a pas un grand potentiel de recherche en matière de vaccin. Il existe quelques activités de recherche appliquée dans les sociétés industrielles, de recherches cliniques lorsqu'un vaccin est étudié dans des services hospitaliers, mais dans l'ensemble Sanofi Pasteur, Merial et BioMérieux font beaucoup plus de la recherche appliquée et de développement industriel que de la recherche proprement dite. Il n’y a quasiment pas de recherche fondamentale sur les nouveaux vaccins... Ce qu'on a fait à Lyon, c'est développer des souches vaccinales acquises ailleurs, ou des méthodes industrielles développées au travers de relations avec des partenaires. La recherche académique n’est pas absente (INSERM, CNRS…), des sociétés de biotechnologies s’implantent à Lyon et travaillent sur des projets de vaccins, mais il reste beaucoup à faire pour que le Biopole devienne une réalité dans la région lyonnaise.

 

Charles Mérieux avait une capacité assez phénoménale de captation des innovations à travers le monde. Ce type de fonctionnement se retrouve-t-il toujours ?
Charles Mérieux allait chercher les bonnes idées là où elles étaient. C'était l’un de ses traits caractéristiques. Mais ce processus existe beaucoup moins qu'autrefois du fait de changements dont il se plaignait déjà dans son ouvrage « Le virus de la découverte » (1988) : à ses yeux, les brevets ont tué les échanges entre les chercheurs et entre les sociétés. Le principe est actuellement de breveter toute découverte pour en tirer profit. Il ne serait plus possible de partager des informations ayant une grande valeur ajoutée, pour le bien de la santé publique. C'est pourtant de cette manière que nous avons développé à Lyon un vaccin polio injectable sur micro-sphère. Charles Mérieux avait eu le génie d’identifier cette technologie inventée ailleurs. Alors qu'elle existait de manière embryonnaire, il en fait une application industrielle et a propulsé l'Institut Mérieux au rang de premier producteur mondial de vaccin poliomyélite injectable. De la même façon, il a découvert les seringues préremplies pour l’administration de vaccin au cours d’un voyage aux Etats-Unis. Elles sont aujourd’hui utilisées très couramment dans le monde et Sanofi Pasteur en est un des premiers utilisateurs.

 

Les entreprises de biotechnologies œuvrant à l’invention de vaccins pourront-elles aller jusqu'au stade de leur production et de leur commercialisation et donc bouleverser le secteur ?
Un changement est perceptible. Les sociétés de biotechnologies qui travaillent à la découverte de nouveaux vaccins ou de nouvelles technologies vaccinales sont de plus en plus nombreuses. Ceci explique la part croissante des budgets consacrés aux contrats externes dans les stratégies de développement des sociétés, pas seulement en biologie. On pourrait presque imaginer dans un futur proche que les sociétés industrielles ne fassent plus de recherche, mais aient des compétences en interne qui leur permettent de dialoguer avec les pôles de compétences externes, universités ou sociétés de biotechs, et qu'elles se limitent au développement. La recherche et la découverte de nouveaux vaccins résultant de compétences extrêmement diversifiées, une société, quelle que soit sa taille, ne peut les réunir à elle seule, et se trouve obligée de faire appel à des compétences en immunologie, en chimie, etc. Cette tendance procède d’un mouvement inéluctable. Depuis que j'ai quitté Aventis Pasteur, je collabore avec des sociétés de biotechnologies impliquées dans la R&D de vaccins. Ces sociétés sont passées du stade de la recherche à celui du développement et commencent à atteindre le stade industriel. Intercell (Autriche) est en phase 3 de développement d'un vaccin contre l'encéphalite japonaise qui va être produit par une usine en Ecosse. De la même manière, je suis administrateur de VaxGen en Californie qui a mis au point un vaccin contre l'anthrax et vient d’obtenir un contrat fédéral de près d’un milliard de dollars, dans le cadre des programmes de défense contre le bioterrorisme. VaxGen a monté une usine et produira le vaccin, soit 75 millions de doses d'ici à 2 ans. Mais ces entreprises se cantonnent à des productions très ciblées. Dans le monde, très rares sont les sites comme Marcy-l'Etoile avec 2500 emplois et la possibilité de fabriquer des dizaines de vaccins différents dans des quantités considérables.

 

Sanofi Pasteur peut-elle s’attendre à la concurrence de nouveaux grands producteurs ?
La fabrication des vaccins est un processus tellement compliqué, impliquant exigences réglementaires, contrôles, risques élevés, investissements capitalistiques initiaux considérables, essais cliniques sur des cohortes de plus en plus nombreuses pour démontrer leur innocuité et leur efficacité, que cela rebute les candidats éventuels. De plus, le marché global du vaccin est assez restreint, même s'il se développe vite : il représente moins de 10 milliards de dollars au niveau planétaire, l’équivalent du plus gros médicament mondial. Les grandes entreprises pharmaceutiques sont peu intéressées à avoir une part de ce marché. En revanche, une fois qu'on est établi dans le métier, comme Sanofi Pasteur ou GSK, que les barrières technico-réglementaires protègent contre l'arrivée de concurrents trop nombreux, il n’y a pas de raison d'en sortir. Le métier du vaccin est aussi rentable que celui de la pharmacie. De plus, il est une belle « vitrine », sans compter les raisons de politique nationale et le fait que la recherche biologique semble aujourd’hui plus prolifique que la recherche chimio-thérapeutique. Pour toutes ces raisons, des sociétés comme Sanofi Aventis ou GSK gardent leurs activités vaccins.

 

Quelles sont les évolutions dans le développement de nouveaux vaccins ?
Par la meilleure compréhension de l'étiologie, nous savons que les maladies d’origine virale ou bactérienne sont beaucoup plus nombreuses que nous ne le soupçonnions autrefois Cela étend le champ du vaccin. Ainsi, nombre de cancers sont d'origine virale, comme le cancer du foie, souvent secondaire à une infection par l'hépatite B, mais à longue distance. Le vaccin contre l'hépatite B protège alors indirectement contre la survenue de cancers. Autre exemple, chez la femme, les infections de l'utérus sont souvent provoquées par un virus appelé papilloma. Un vaccin contre ce type de cancer va être mis sur le marché par Merck. Ces développements repoussent le champ de la vaccination à des maladies qui ne sont pas d'évidence d'origine infectieuse. Par ailleurs, on pense arriver à mettre au point des vaccins qui ne s'adressent pas forcément à des processus d'origine infectieux, mais à des processus hormonaux par exemple (certains cancers de l'estomac sont d'origine hormonale). En outre, un champ complètement nouveau consiste à développer des vaccins dits thérapeutiques. Avec ces produits nous quittons d’une certaine manière le champ du vaccin qui est traditionnellement un agent de prévention des risques infectieux. Les vaccins thérapeutiques appartiennent plutôt à la famille des médicaments biologiques (et non chimio-thérapeutiques). Aujourd'hui les vaccins à l'étude sont souvent d'abord des vaccins de traitement, avant d'être des vaccins de prévention. Ceci pour de multiples raisons, scientifiques, techniques ou économiques. Dans le cas du sida par exemple, dans un contexte où aucun vaccin préventif efficace n’est envisageable à un horizon proche malgré 20 ans de recherches, les scientifiques ont imaginé d’utiliser les candidats-vaccins d'abord chez les personnes déjà malades du sida. Cela rejoint aussi des préoccupations économiques : il reviendra moins cher à la santé publique d’assumer le coût d’un vaccin thérapeutique distribué aux seuls malades que celui d’un vaccin préventif universel. En revanche, il faudrait évidemment un vaccin préventif dans les pays en voie de développement.

 

Comment le développement de vaccins thérapeutiques s’inscrit-il dans la stratégie des entreprises ?
Si le développement se confirme dans le sens des vaccins thérapeutiques, les divisions vaccins des grands groupes seront probablement cantonnées au champ du vaccin préventif, alors que les vaccins thérapeutiques, équivalent des médicaments prescrits par les médecins généralistes, seront distribués par les réseaux pharmaceutiques des mêmes groupes. Les vaccins deviendront alors plus essentiels à la stratégie des groupes pharmaceutiques. Parmi les 10 nouveaux médicaments annoncés actuellement par Merck, au moins 3 ou 4 seront des vaccins chers, susceptibles de susciter des chiffres d'affaires de plus d'un milliard de dollars, donc l’équivalent des blockbusters pharmaceutiques. Cela signifie que le concept de vaccination change, avec deux univers que je tendrais à différencier nettement : la vaccination préventive de masse traditionnelle qui constitue un métier en soi, et la vaccination comme nouvel outil biologique de traitement de maladies plus spécifiques. Dans certains cas, cette forme de vaccination entrera en concurrence avec le médicament chimio-thérapeutique. C'est à la fois un marché complètement différent du vaccin traditionnel en termes de développement, de financement et de prix, et un métier différent.

 

Comment percevez-vous la transformation de la géographie de la production des vaccins, avec l’émergence des pays en voie de développement ?
Quand j'ai commencé dans l'industrie du vaccin dans les années 80, les producteurs européens de vaccins fournissaient 70% des vaccins achetés par l'UNICEF. Aujourd’hui, leur premier fournisseur en volume est le Serum Institute of India, société indienne qui fournit des vaccins sans forte valeur ajoutée comme la rougeole, le DTCoq, etc. Quelques producteurs du Tiers-Monde, surtout d'Inde et de Chine, commencent à émerger. Ils n'ont pas encore le niveau d'exigence réglementaire exigé dans les pays développés mais sont en train d’y parvenir. C'est un phénomène entièrement nouveau.

 

La perspective d’une délocalisation des centres de production situés à Lyon est-elle crédible ?
Il faut savoir que le métier du vaccin est un métier très difficile et compliqué. Si les sociétés peuvent changer de mains comme au Monopoly, les sites de production restent les mêmes. Ensuite, le cycle de vie du vaccin est très long. Cette caractéristique du vaccin est rarement comprise par les industriels de la pharmacie, qui veulent traiter du vaccin comme du médicament. Or, les vaccins contre le tétanos, la diphtérie, etc. utilisés aujourd’hui sont les mêmes qu’il y a 60 ans. Un vaccin se trouve périmé si apparaît un nouveau vaccin, meilleur. Cela a été le cas avec le vaccin du DTCoq à germe entier, remplacé par le vaccin DTCoq acellulaire qui engendre moins d'effets secondaires et de fièvre. Mais s'il n'y a pas ce vaccin meilleur, l’ancien vaccin reste. Il est très difficile et coûteux de démontrer la supériorité significative d’un nouveau vaccin par rapport à celui qu’il se destine à remplacer. Et en pratique, il y a fort peu de chances que de nouveaux vaccins soient développés dans des indications où il en existe déjà.

 

Cette caractéristique est-elle une garantie de durabilité pour le pôle vaccinologie à Lyon ?
A moins de réaliser des erreurs stratégiques majeures, je pense que Sanofi Pasteur n’est aucunement menacée de déclin à terme prévisible. Ceci parce que le besoin en matière de vaccination est permanent. Il est très rare qu’une maladie soit totalement éradiquée : c’est le cas de la variole, mais remarquez que l’on produit des vaccins antivarioliques dans le cadre du bioterrorisme. La production est repartie et représente des enjeux considérables du fait du budget que lui consacre le gouvernement américain. Quel paradoxe alors que c’est la seule maladie complètement éradiquée ! Quant à la polio, dont l'OMS n'a cessé depuis 15 ans d'annoncer l’éradication, la vaccination se poursuivra vraisemblablement dans les pays développés au moins durant 20 ans même après éradication, car il restera toujours un risque de contamination par le virus atténué ou depuis un pays du Tiers-Monde. Pouvoir se projeter dans l'avenir en sachant avec une quasi-certitude qu’elle sera présente dans 20 ou 30 ans est une grande chance pour une société comme Sanofi Pasteur. Ma crainte pour cette entreprise serait qu’elle ne réalise pas que sa « différence profitable » se situe dans les vaccins de prévention pour l'ensemble du monde, y compris des vaccins à bas prix mais rentables, et qu'elle se mette uniquement à travailler sur des projets à très forte valeur ajoutée potentielle, où le taux d'échec est considérable. Dans le pire scénario, Sanofi Pasteur pourrait se ruiner en recherche sans rien trouver, tout en perdant sa base historique. Le rachat d'Aventis Pasteur par Sanofi est de ce point de vue probablement une bonne nouvelle. Son président semble convaincu que le métier du vaccin est global et que l’entreprise ne peut se désintéresser d’une prévention large, y compris en direction des pays en voie développement. Je pense que ceci pourrait contribuer à assurer la pérennité de l’entreprise.

 

Le nom de Mérieux véhiculait l’essentiel de la réputation mondiale de Lyon en matière de vaccin, de virologie et même de biologie. Est-ce que cela peut durer très longtemps ?
Il est vrai qu’au travers des changements d’identité de l’entreprise issue du groupe Mérieux, on a sans doute perdu en cohérence et en image. Mais la substance est toujours là. Les projets comme LyonBiopole qui visent à renforcer la cohérence et les synergies dans la région sont, pour ces raisons, tout à fait opportuns.