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La gratuité des manifestations culturelles

Interview de Bruno PIN

<< Il est vrai que les manifestations gratuites fonctionnent plutôt bien, il y a un monde incroyable aux Invites de Villeurbanne >>.

"...491" est un mensuel gratuit de qualité qui s'est imposé dans le paysage de la presse culturelle de l’agglomération.
C'est donc pour Bruno Pin, l'occasion de présenter l'esprit dans lequel est rédigée sa revue et de s'exprimer sur la presse culturelle gratuite locale en particulier ainsi que sur la gratuité des manifestations culturelles en général.

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Date : 30/04/2004

Comment est né …491 ?
Au départ, il y a une envie simple : je ne trouvais pas ce que je cherchais en kiosque en matière d’information culturelle sur l’agglomération. Alors j’ai eu l’idée de lancer ce journal, en m’inspirant notamment de la presse gratuite culturelle qu’on trouve outre-Atlantique. Je voulais aussi me distinguer des fanzines en proposant une publication professionnelle dans sa fabrication, qui aurait une lisibilité et une visibilité équivalente à celle de la presse généraliste. Nous avons choisi une formule mensuelle, parce qu’au départ, nous n’avions pas les moyens de faire du rédactionnel pour un hebdo. Nous traitons toutes les disciplines artistiques, avec une coloration musique actuelle assez marquée. …491 est distribué partout, dans toutes sortes de lieux culturels et est tiré à 35 000 exemplaires.

 

Quelles ont été les premières réactions ?
On m’a pris pour un allumé, et d’ailleurs, on me le dit encore… Le principal obstacle a été de faire admettre qu’on pouvait être un journal avec un contenu rédactionnel de qualité. À première vue pour les acteurs culturels, ça n’était qu’un gratuit, peu digne d’intérêt, c’est encore vrai aujourd’hui, mais dans une proportion infiniment moins forte. Heureusement que nous ne comptions pas sur eux : ce sont en fait les annonceurs qui les premiers, et très vite, ont cru en nous. Ce sont eux qui ont assuré le démarrage du journal et qui le font vivre. Je tiens à préciser que nous ne recevons aucune subvention. Aujourd’hui encore, il y a des sceptiques, mais je ne ferraille plus avec eux : nous avons 9 années d’existence, et on ne peut pas plaire à tout le monde. Mais je pense que nous avons la réputation d’être une publication de bonne tenue, ce dont nous sommes naturellement assez fiers… Certains nous reprochent d’être trop branchés. Ils ne nous achètent pas d’espace en prétendant que nous ne correspondons pas à leur public, mais ils n’oublient jamais de nous envoyer un dossier de presse pour que nous fassions écho à leur manifestation…

 

Est-il possible d’avoir une autonomie éditoriale lorsqu’on dépend à ce point des annonceurs ?
Non, ça n’est pas simple, il ne faut pas le cacher. Lorsque nous faisons une critique négative de telle ou telle pièce, il faut s’attendre à des mesures de rétorsion : certains nous ont retiré leurs encarts pendant plus de 5 ans ! Et d’autres détruisent systématiquement les numéros que nous déposons chez eux… En fait, ils se plaignent qu’il n’y a plus de critique, mais ils ne supportent pas qu’elle soit négative ou mitigée. Les directeurs de théâtre sont très narcissiques, ils veulent surtout qu’on parle d’eux, ils nous appellent s’ils réalisent que le journaliste qui a vu leur pièce n’a pas aimé… Cela me fait rire, mais ce sont des pratiques propres au secteur théâtral, qui vit en circuit fermé, avec des critiques et des directeurs de salles qui dînent ensemble, qui se soutiennent mutuellement. Certains metteurs en scène, pas très bons, sont encensés par la critique, parce qu’ils sont implantés à Lyon et indéboulonnables. De mon point de vue, le consensus positif sur certaines pièces est incompréhensible. Inversement, s’agissant des disques et des musiques actuelles, nous n’avons jamais de retour de manivelle. Les maisons de disques nous envoient leurs productions, nous allons aux concerts, mais il n’y a jamais de pressions, ils nous laissent une paix royale. Que ce soit avec les maisons de disques ou les directeurs de salle, il n’y a jamais eu de souci.

 

Qui sont vos lecteurs ?
Des gens qui sortent… Puisqu’on nous trouve essentiellement dans des lieux de passage du public et des lieux culturels. Nous ne touchons donc pas tout le monde et la gratuité n’est pas pour nous un gage de diversification de notre lectorat. Au contraire, nous touchons finalement un public très ciblé, nous n’avons pas de distributeurs à la sortie du métro par exemple. Les gens prennent le journal dans un présentoir. Il est vrai qu’il y a une « prise en main » importante du fait de notre gratuité, mais nous avons aussi beaucoup de lecteurs.

 

Que pensez-vous de la multiplication des publications culturelles gratuites ? En moins d’un an, on a vu naître Néox, Trublyon, etc.
Il y a nous et le Petit Bulletin, qui grâce à un format hebdomadaire peut traiter de l’actualité cinématographique. Ensuite, je pense qu’il y a probablement trop de publications, et qu’il va y avoir un écrémage, ne serait-ce que parce que le marché publicitaire n’est pas extensible à l’infini. Je suis toujours surpris de voir tel ou tel café, dont on sait qu’il n’a pas les moyens de se payer une pleine page de quadri, être annoncé dans ces journaux. Je pense que les vrais annonceurs, ceux qui payent le tarif réel vont vite êtres agacés par ces méthodes. Mais ce qui me gêne le plus dans toutes ces publications, c’est qu’elles démarrent sous forme associative, sans véritable professionnalisation. Nous nous sommes une SARL de presse, nous avons 4 permanents et une dizaine de pigistes. Cela dit, je suis plutôt séduit par une expérience comme Trublyon, avec son projet graphique très particulier. C’est plus une revue à regarder qu’à lire, c’est donc un projet différent du nôtre, qui a son originalité propre. Plus largement, je pense qu’il y a actuellement une offre trop abondante : quand vous avez 3 distributeurs différents (Métro, 20mn, LyonPlus) qui assaillent les gens qui sortent du métro, c’est excessif. On voit vers midi des piles de journaux non distribués, c’est un peu désolant.

 

Que vous inspirent les manifestations culturelles gratuites ?
Bon, je ne suis pas un expert de la gratuité dans tous les domaines… Mais pour répondre à votre question, et même si cela peut paraître paradoxal, je ne suis pas persuadé de l’intérêt de faire des spectacles gratuits. C’est surtout le mélange payant-gratuit, que l’on retrouve de plus en plus dans les lieux culturels, qui me dérange. Je ne vois pas pourquoi tel spectacle est payant, alors que tel autre ne l’est pas, pourquoi tel jour est gratuit et pas tel autre, etc. Je ne suis pas persuadé que cela modifie la composition du public ou son attitude : rien ne dit que les gens reviendront parce qu’ils ont vu gratuitement un spectacle. Mais il est vrai que les manifestations gratuites fonctionnent plutôt bien, il y a un monde incroyable aux Invites de Villeurbanne par exemple. Mais ce qu’il faudrait en fait, c’est un lieu qui soit entièrement gratuit, dont toute la saison soit gratuite, peut-être que là, ça aurait un sens. La gratuité doit être possible, les lieux culturels ne vivent pas de leurs entrées mais de leurs subventions…