Veille M3 / La Sobriété, une Autre voie vers la modernité ?
Article
Quel rapport avec le monde d’aujourd’hui, l’Anthropocène, la crise des imaginaires, ou encore les limites planétaires ?
Interview de Jean-François CHARY
<< Alternativement, la médecine des animaux suit et dépasse la médecine humaine >>.
Interview de Jean-François Chary, directeur de Ecole Nationale Vétérinaire de Lyon (ENVL). Propos recueillis dans le cadre de la Journée Prospective du 16 mars 2004, sur le thème de "L'Homme et l'animal en milieu urbain".
L’ENVL est un des principaux piliers du pôle de santé publique vétérinaire de la région lyonnaise, à côté de l’Ecole nationale des services vétérinaires, de l’INFOMA (Corbas) qui forme les techniciens de santé publique vétérinaire, de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA Lyon, Laboratoire de pathologie bovine) et du Centre international de formation des vétérinaires officiels qui devrait voir le jour dans les années prochaines. L’extension importante des activités de l’ENVL dans un contexte de montée en puissance du pôle lyonnais de santé publique vétérinaire, de bio pathologie comparée, de santé animale et d’hygiène des aliments, nous ont amené à interroger son directeur.
L’école vétérinaire n’est pas seulement une école : elle offre aussi des services cliniques et une recherche qui tendent à se diversifier. Comment s’explique ce qui peut ressembler à un foisonnement ?
Dans l’histoire de l’école vétérinaire, il y a une date “tournant” : 1923. Entre 1761, date de la création de la première école vétérinaire du monde à Lyon par Claude Bourgelat, et 1923, la profession vétérinaire a évolué de façon chaotique. L’activité avait du mal à se dégager véritablement de l’empirisme des maréchaux-ferrants et le recrutement des vétérinaires souffrait de la position et de l’image sociale qui leur était données. Etre vétérinaire, ce n’était pas reluisant ! En 1923, l’artiste vétérinaire est devenu docteur vétérinaire. Pour exercer, le vétérinaire devait se montrer capable d’une production scientifique. Cela a bouleversé la profession et suscité un cercle vertueux dans les écoles : amélioration de leur recrutement par une sélection plus sévère des élèves, progrès et développement de la recherche dans les écoles, perfectionnements scientifiques. Les écoles n’étaient plus seulement des lieux de formation professionnelle, mais des structures où l’on procédait à des recherches, à la fois sur la santé animale et sur la santé humaine à travers celle de l’animal (biopathologie comparée). Avec l’ère pasteurienne, on a pu identifier un certain nombre d’agents infectieux, soit communs à l’homme et à l’animal, soit de familles micro biologiques voisines et qui développaient chez l’homme et l’animal des pathologies différentes. Dans les deux cas, l’animal pouvait servir de modèle expérimental au développement de ces pathologies. Beaucoup plus récemment, les écoles ont évolué par l’identification du concept de santé publique vétérinaire et par les missions nouvelles qui ont été donné aux vétérinaires : inspection des denrées alimentaires et zoonoses, écotoxicologie liée aux productions animales, plus récemment le bien-être animal.
L’école vétérinaire est aussi un lieu où l’on peut faire soigner son animal. Comment cette fonction vient-elle compléter celle de la formation des futurs vétérinaires ?
Ce qui caractérise la formation vétérinaire initiale, c’est que c’est une formation à et par la clinique. Ceci mérite d’être affirmé, alors que nous tendons en France à ne considérer que la formation à et par la recherche, avec des résultats pour le moins mitigés : songez à ces nombreux thésards qui se retrouvent sous-employés après dix ans d’études ! Tous ceux que nous formons ne seront pas forcément médecins des animaux, ce qui est notre métier originel, car les vétérinaires aujourd’hui travaillent dans de multiples domaines : dans les secteurs de la pharmacie, de la bio pathologie comparée, de l’écotoxicologie, de la santé publique vétérinaire. Pour autant, la formation par la clinique est une formation extrêmement riche car l’abord de l’animal malade exige tout à la fois une démarche d’analyse (recherche de l’anamnèse, des symptômes), une démarche de synthèse (établissement du pronostic et celui du diagnostic) et débouche sur une solution. Chez le clinicien, la solution, c’est le traitement. Et, contrairement au chercheur ou à l’ingénieur, la solution doit être mise en œuvre de manière immédiate, car le clinicien n’a pas le droit de mettre en péril la santé de son patient en différant sa mise en œuvre. La formation par la clinique est en plus d’une école de pensée, une école de décision.
La formation par la clinique se réalise donc dans les cliniques de l’ENVL ?
Pour qu’il y ait formation clinique, Il faut des animaux à soigner. Jusqu’à un temps relativement récent, les écoles vétérinaires offraient des dispensaires, où 8 mois sur 12 (période d’ouverture des écoles), le matin, et moyennant des sous-tarifs, les animaux des pauvres étaient mis entre les mains inexpertes des étudiants. Ce n’était guère satisfaisant sur le plan éthique. Les mentalités ont évolué et, depuis 1997, les cliniques de l’école vétérinaire sont des Centres Hospitalo Universitaires (CHU), à l’instar des CHU « humains ». La comparaison avec la médecine humaine s’applique, car on retrouve dans le champ vétérinaire la distinction, basée sur le niveau de prestation, entre le cabinet du médecin, la clinique privée, et l’hôpital. Mais en pratique, cela suscite une révolution culturelle au sein de l’école : cela a d’abord impliqué d’aligner nos tarifs sur ceux du privé, car la concurrence se fait à prestations de qualité égale ou supérieure ; ensuite, il fallait contrôler la chaîne thérapeutique du début à la fin, pour qu’aucun étudiant ne soit plus livré à lui-même. Or, ce contrôle ne pouvait être accompli par le corps enseignant dont nous disposons, déjà très sollicité. Il a donc fallu inventer un corps intermédiaire. Les écoles vétérinaires françaises ont alors « importé » le modèle de l’internat, déjà appliqué en Amérique du Nord, en Angleterre, Pays-Bas et Suisse. Grâce à l’émergence du corps des internes et des résidents (étudiants en voie de spécialisation, déjà docteurs vétérinaires), nos cliniques disposent d’une main d’œuvre experte, motivée et bénévole. Les tris cliniques de L’ENVL sont désormais ouvertes 24 h sur 24, 12 mois sur 12 pour deux d’entre elles (clinique équine et rurale) et 11 mois sur 12 pour l’autre (clinique des animaux de compagnie). C’est essentiellement la redéfinition de la mission des cliniques qui a suscité le plus de résistance au sein du corps des enseignants-cliniciens. Pour leur faire accepter que nos cliniques avaient pour fonction la formation des étudiants, au profit d’un client, qui est le propriétaire de l’animal, il a fallu que notre conseil de direction édicte un texte.
L’ENVL offre, à travers les multiples organismes qu’elle recouvre, des prestations payantes qui concurrencent directement celles des entreprises privées. Où se situe la différence ?
Une école vétérinaire est une entreprise publique à but non lucratif. Alors qu’une entreprise privée fait de la qualité au service du profit, une entreprise publique fait du profit et au service de la qualité. La différence ne se situe donc pas sur la plan des prestations, mais sur celui des objectifs. Les bénéfices que nous faisons ne sont pas répartis pas entre des actionnaires, mais réinvestis sans cesse pour améliorer nos objectifs statutaires : la formation et la recherche. Nous sommes obligés de faire des bénéfices, il y a là une responsabilité morale et éthique. Comme il est n’est pas dans l’air du temps que l’Etat accroisse ses subventions, il nous appartient de développer des activités rentables qui mettent en valeur les compétences de nos équipes. Une entreprise comme la nôtre fait actuellement 22 millions d’euros de chiffre d’affaire, avec 35 % de recettes propres. Si l’ENVL n’était pas capable de générer ces 35 %, elle ne pourrait pas exister.
Le statut public de l’ENVL a-t-il pour effet de réduire la marge de manœuvre de la recherche dans le champ de l’expérimentation animale ?
L’ENVL n’a ni plus ni moins que les établissements privés l’obligation de respecter la réglementation en matière d’expérimentation animale. On peut rappeler que jusqu’à peu de temps, les établissements publics de recherche se sont souvent considérés au-dessus des lois. Ils respectaient beaucoup moins les règles et l’éthique de l’expérimentation animale que ne le faisaient les acteurs privés. Ces derniers se sont en effet intégrés plus vite dans une démarche qualité, qui les a amené à définir des règles strictes qu’ils s’appliquaient à eux mêmes. L’ENVL a été, en 1998, le premier établissement public français à se doter d’un comité d’éthique digne de ce nom. A l’instar de ceux des entreprises privées, il est paritaire entre personnes internes et externes à l’institution et intègre des représentants de sociétés de protection animale. Aujourd’hui, je pense qu’il est préférable que l’expérimentation animale soit réalisée dans des établissements comme le nôtre, où travaillent des personnes dont la motivation, la vocation et le métier est de soigner les animaux. S’il y a un endroit où est concentré un capital d’amour des animaux au point d’en faire son métier, c’est bien une école vétérinaire ! Le moindre comportement suspect en matière de bien être animal sur le site de l’ENVL susciterait immédiatement une réaction de la part des étudiants. Ce serait le premier clignotant.
Un comité d’éthique pour l’expérimentation animale fonctionne au niveau régional. Quel est son apport ?
Il a été décidé en 2000 de créer des Comités Régionaux d’Ethique pour l’Expérimentation Animale (CREEA) qui regroupent les organismes publics, les instituts de recherche et les établissements publics pratiquant l’expérimentation animale. En l’état actuel de leur fonctionnement, ces comités sont beaucoup plus en mesure de protéger le chercheur que de protéger l’animal.
Quels sont les axes du développement de l’ENVL ?
L’ENVL applique la règle qui est celle de toute entreprise : le jour où l’on arrête d’avancer, on recule. Nous avons secrété en interne un projet d’établissement qui a défini objectifs et avancées dans les trois secteurs d’activité de l’ENVL. Concernant le soin aux animaux, premier cœur de métier, nous avons modernisé nos cliniques, à la fois dans leurs infrastructures et dans leur fonctionnement, en devenant Centre Hospitalo Universitaire. Entre 1998 et 2005, l’école aura investi 16,8 millions d’euros dans ce domaine, soit presque l’équivalent d’un budget annuel. Le deuxième corps de métier est la biopathologie comparée. Les outils dont nous disposions pour faire de l’expérimentation animale étaient obsolètes. Ils présentaient deux inconvénients majeurs : le manque de performance et l’impossibilité, à terme, de respecter toute la réglementation sur l’expérimentation animale. En construisant l’Institut Claude Bourgelat, l’ENVL s’est dotée de l’outil ad hoc. La troisième valence est la santé publique vétérinaire. Avec son Ecole Nationale des services vétérinaires, la France est le seul pays au monde à disposer d’un outil de formation de ce type, le modèle français de santé publique vétérinaire étant considéré, dans le monde, comme exemplaire. Or, si cet outil remplissait bien son objectif de formation au niveau hexagonal, il ne pouvait répondre aux demandes croissantes d’exportation de nos savoirs-faire et de formations à un niveau international. L’ENSV manquait d’espaces et de moyens logistiques pour répondre correctement à cette demande. De là est née l’idée de créer un centre international de formation des vétérinaires officiels. Ce projet, soutenu par la France est en cours d’obtention du label de l’Office International des Epizooties (OIE). Dans chacun de ces trois secteurs, soins aux animaux, biopathologie comparée et santé publique vétérinaire, l’école a décidé de son développement et s’est donné les moyens de croître.
Pouvez-vous esquisser les grandes évolutions qui touchent l’exercice de la médecine vétérinaire aujourd’hui ? Car la chirurgie et médecine vétérinaire sont de plus en plus celles de l’animal de ville et en ville ?
La spécialisation s’intensifie en matière de médecine des animaux, à la fois pour les animaux de compagnie et de loisirs, et pour les animaux de production. Il y a encore trente ans, un seul et même vétérinaire soignait chien et vache. C’est aujourd’hui devenu inconcevable, les deux métiers étant de plus en plus différents. En matière de production animale, l’éleveur demande au vétérinaire d’être un ingénieur de la qualité des productions animales, alors qu’il y a trente ans, il lui était demandé de répondre aux pathologies individuelles, avec une ébauche de réponse aux pathologies collectives pour l’action préventive. Le vétérinaire est au point de départ de la chaîne alimentaire, et il doit par sa compétence de zootechnicien et de pathologiste amener à l’éleveur tous les éléments d’une production de qualité. Par ailleurs, le niveau de prestation proposé aux propriétaires d’animaux a fait des progrès énormes (IRM, scanner pour les animaux de ville).
Un progrès supérieur à celle de la médecine humaine ?
Alternativement, la médecine des animaux suit et dépasse la médecine humaine. Par le bais de la biopathologie comparée, les traitements utilisés chez l’homme le sont d’abord chez les animaux, qu’il s’agisse des médicaments, des techniques chirurgicales, des prothèses, etc. Parfois la médecine vétérinaire est en avance sur la médecine humaine, car c’est là que sont expérimentées des techniques nouvelles. La médecine vétérinaire en bénéficie soit directement, soit indirectement après un progrès de la médecine humaine.
Selon vous, quels sont les domaines de recherche et de développement économique à investir de manière plus forte en région lyonnaise ?
La santé animale, l’expérimentation animale, l’hygiène des aliments ? Je suis convaincu que la métropole lyonnaise se prive d’un atout scientifique considérable en n’exploitant pas la biopathologie comparée (néologisme inventé par le Dr Charles Mérieux). Lyon est le berceau mondial de cette science, qui représente une part considérable de sa culture scientifique. Claude Bourgelat, à une époque où il était mal vu de disséquer des animaux, a ouvert la voie de la recherche en biopathologie comparée, écrivant le premier qu’en apprenant à mieux connaître les phénomènes biologiques et pathologiques chez l’animal, on allait nécessairement apprendre à mieux connaître les phénomènes correspondant chez l’homme. Après lui, Claude Bernard, inventeur de la médecine expérimentale, a découvert sa vocation en assistant à des recherches à l’Ecole vétérinaire ; la cardiologie moderne est née à Vaise, des travaux de Jean-Baptise Chauveau, professeur à l’Ecole vétérinaire, à partir d’expérimentation menée sur un modèle animal. Plus près de nous, la « saga Mérieux » prêche en faveur du développement de la biopathologie comparée puisque son empire industriel, qui garde une emprise importante sur la pharmacie lyonnaise, est né précisément des recherches sur la pathologie de l’homme aux travers des pathologies de l’animal. Et le visiteur qui se rend aujourd’hui au P4 voit d’abord des cages et des animaux ! Ne pas exploiter cet atout m’apparaît comme un gâchis lamentable.
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