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L'accueil des étudiants étrangers, un moyen de gagner des relais dans les collectivités des pays partenaires

Interview de Bruno-Marie DUFFE

<< L’accueil est un métier mais c’est aussi une conviction et il ne peut se limiter à un enjeu stratégique. L’autre est riche de sa différence et il nous enrichit quand nous l’accueillons >>.

Bruno-Marie Duffé est directeur de l'Institut des droits de l'homme et également vice-président de la Chaire lyonnaise des droits de l’homme de l'université catholique de Lyon. De par ses activités professionnelles, il est au fait des questions relatives à l’accueil des étudiants étrangers.
L’Institut des Droits de l’Homme est une structure d’accueil, un lieu d’apprentissage de l’accueil mutuel. Il a pris le choix de représenter toutes les nationalités et toutes les cultures C’est à la fois la volonté d’honorer la dimension universitaire mais c’est aussi pour inciter, faciliter parfois provoquer la rencontre et le dialogue entre étudiants de différentes nationalités.

Pour M.Duffé : "passer à côté de l’accueil de jeunes étrangers, c’est se priver d’un renouvellement intellectuel".

La collectivité comme le Grand Lyon doit comprendre qu'en mettant tout en oeuvre pour favoriser "l'accueil" (favoriser le logement par exemple), c'est, outre le fait qu'il s'agit d' un métier et d' une conviction, surtout le moyen de gagner des relais dans les collectivités des pays partenaires.

Date : 10/06/2004

Quelles études sont dispensées à l’Institut des Droits de l’Homme (IDH) ?

L’originalité du lieu réside dans le fait que l’Institut des Droits de l’Homme est une structure universitaire – qui aura vingt ans en 2005 – où les enseignements sont fondés sur une référence aux droits fondamentaux dans une interdisciplinarité qui entend honorer le droit, la philosophie et l’histoire comparée des cultures. Depuis septembre 1985, où a germé la première intuition, l’Institut s’est développé pour devenir aujourd’hui une école internationale de droit de 2ème et 3ème cycles où l’on prépare un diplôme désormais reconnu par l’Etat. Ce diplôme sera d’ailleurs à partir de cette année un Master. Nous sommes dans la nomenclature européenne des diplômes (LMD). La licence appartient à la Faculté de droit, en amont de l’Institut. A l’Institut des Droit de l‘Homme (IDH), nous accueillons des étudiants à partir du Master, qui est donc conçu en deux années. Nous avons deux Masters : un Master libre et un Master d’Etat. Dans les deux cas, la première année est plutôt généraliste (Droit public mention droits de l’homme ou Droit international des droits de l’homme). La deuxième année est dite de recherche (Master recherche) ou professionnelle (Master professionnel). Le Master recherche est plutôt à dominante historique – histoire du droit et des droits de l’homme. Quant au Master professionnel, il est plus orienté vers les pratiques des organisations internationales en matière de protection des droits. Nous formons donc dans ce Master professionnel des cadres et des conseillers juridiques d’organisations humanitaires ou d’organisations internationales – nous avons, à ce titre plusieurs conventions avec des organisations onusiennes.

 

L’Institut des Droits de l’Homme accueille un certain nombre d’étudiants étrangers, comment cela est-il organisé ?

Nous accueillons à peu près 130 étudiants par promotion qui représentent environ vingt pays différents. Notre souci est d’accueillir de façon la plus juste, la plus ouverte possible ces étudiants. Nous avons un bon tiers chaque année qui vient des "Afriques" – Afrique francophone, quelques africains anglophones, Afrique de l’Ouest, des Grands Lacs, de l’Est et Afrique du Nord (Maghreb). Ces étudiants constituent une petite communauté à eux seuls. Ce sont des étudiants juristes, quelques uns ont fait sciences politiques, quelque fois une école d’administration. Ce qui les caractérise aussi, c’est qu’ils souhaitent pour la plupart rentrer chez eux pour y assumer des fonctions de formation, d’encadrement social, des fonctions politiques ou d’ordre judiciaire. Ils souhaitent donc traduire dans un métier et dans des responsabilités leurs acquisitions en terme de connaissance du droit, du droit international, du système de protection des droits fondamentaux. Nous avons un deuxième groupe constitué d’une dizaine d’étudiants latino-américains. Ils proviennent de pays très marqués quant à la problématique des droits de l’homme. Nous avons des étudiants en provenance de la Colombie, d’Amérique Centrale, du Chili, de l’Uruguay, du Venezuela, du Mexique, ou du Guatemala. Ce sont des étudiants marqués par un militantisme assez fort et qui sont ici porteurs d’histoire de leur pays. Ce sont aussi des étudiants demandeurs d’une qualification en droit.
Le troisième groupe important est celui de l’Europe (1/3 des étudiants), de la France à l’Ukraine (c’est-à-dire au-delà même des frontières européennes). L’accueil des ces étudiants est très intéressant pour nous car il nous a permis de faire se rencontrer des sensibilités européennes différentes : des sensibilités d’Europe occidentale (France, Espagne, Allemagne, Italie, etc.), des sensibilités d’Europe centrale (République Tchèque, Albanie, Slovaquie, Moldavie, Lituanie, Ukraine, Russie, Estonie…). Cela crée une émulation intellectuelle entre les étudiants. Ici, les étudiants étrangers sont accueillis, certes, mais également ils s’accueillent mutuellement. J’ai été surpris de voir que cette rencontre entre des jeunes plutôt décidés à relever les grands défis du développement de leur pays – je pense notamment à ces étudiants venant d’Europe centrale et orientale – et des jeunes, qui certes ont des convictions et un projet louable mais qui sont plus favorisés, créait de fortes dynamiques. Pour vous donner un exemple, j’ai été très frappé par une jeune albanaise très motivée, qui, participant à la vie de groupe de l’Institut, a renouvelé la motivation des jeunes français. Comme si ces jeunes qui sortent d’un temps très difficile apparaissaient comme les promoteurs d’une communauté étudiante plutôt favorisée.

 

Comment envisagez-vous l’accueil des étudiants étrangers tant d’un point de vue philosophique que d’un point de vue pratique et stratégique ?

Il y a trois choses essentielles. La première chose est que l’accueil est un des moments les plus déterminants de ce qui est vécu à l’Institut des Droits de l’Homme. C’est le moment où un étudiant ou parfois un petit groupe d’étudiants vient frapper à cette porte [la porte du bureau de Monsieur Bruno-Marie Duffé, nldr] avec en eux un immense espoir – pour eux mêmes et pour la communauté qu’il représente. Il y a besoin pour vivre ce moment de manière forte et intense, d’avoir le temps de l’écoute. On n’accueille pas entre deux portes des étudiants qui viennent du Rwanda, de la Moldavie ou encore de Roumanie… Ce sont des étudiants qui ont été marqués par des situations économique, politiques et sociales délicates, difficiles et douloureuses. On n’accueille pas entre deux portes une personne de Colombie dont un proche parent a été assassiné ! L’accueil c’est d’abord prendre le temps. Le temps de l’écoute, le temps de la considération. Pour moi, l’accueil c’est cela : ceux qui viennent doivent être considérés avec leur histoire. Les étudiants qui arrivent à l’Institut ne commencent pas leur vie ce jour-là. Ils viennent avec une histoire, une mémoire. J’ai, quant à moi, changé certains éléments de mes cours à partir de la connaissance que j’avais de l’histoire des individus présents. Quand vous parlez de la démocratie ou des dérives totalitaires et que vous savez que dans votre auditoire certaines personnes ont fait l’expérience de la dictature, vous devez en tenir compte. Nous mélangeons absolument toutes les nationalités et toutes les cultures. C’est un choix délibéré. C’est à la fois la volonté d’honorer la dimension universitaire mais c’est aussi pour inciter, faciliter parfois provoquer la rencontre et le dialogue entre étudiants de différentes nationalités. Le deuxième point important dans l’accueil c’est qu’il s’agit d’une attitude, non pas simplement de l’équipe pédagogique, de l’équipe administrative ou du directeur au début de l’année, mais c’est une attitude mutuelle. C’est mettre en commun nos expériences, nos militances, nos connaissances, nos solidarités, nos engagements. Lorsque par exemple, les étudiants découvrent qu’ils appartiennent à une même organisation – Amnesty International, Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, Save the children, etc. – il y a forcément des points de repère communs. D’une manière générale, mon principal souci a été d’impliquer les étudiants dans un accueil mutuel. Nous devons être non pas seulement dans la réception de ces étudiants mais nous devons nous efforcer d’être dans la découverte réciproque. A ce jour, tous ceux qui repartent, parlent de la formation, parlent du caractère communautaire de l’Institut mais parlent aussi de tout ce qu’ils ont découvert avec le contact des autres étudiants. Le troisième point est que l’Institut des Droits de l’Homme soit, comme institut universitaire, une sorte de seuil, de passage qui permet à ses étudiants de découvrir d’autres réalités culturelles de notre pays, de la ville et plus largement de l’Europe ou du monde. L’institut des droits de l’Homme peut proposer d’autres rencontres, d’autres types de réflexions. Par exemple, en qualité de Vice-président de la chaire lyonnaise des droits de l’Homme, j’ai pu permettre à certains étudiants de participer à la journée de réflexion à Auschwitz. Permettre à des étudiants d’Amérique latine, d’Algérie, d’Afrique de réfléchir sur la réalité du nazisme, sur la possibilité de la violence extrême et aussi leur permettre à travers cela de dire quelque chose, d’apporter une contribution est une opportunité essentielle. En d’autres termes, l’Institut des Droits de l’Homme est une structure d’accueil, un lieu d’apprentissage de l’accueil mutuel mais nous pouvons aussi, comme lieu d’accueil, montrer d’autres lieux : des lieux de mémoire, des lieux de culture, des lieux d’histoire. Notre rôle est aussi de donner aux étudiants la possibilité de découvrir d’autres réalités, d’autres horizons.

 

Pour vous, l’accueil est donc aussi une question de rencontre. C’est également au-delà du moment festif, une continuité à travers des réflexions, des dialogues, des rencontres, etc.

C’est exact. Nous avons ici l’idée de faire un accueil continué, de faire de l’accueil une ouverture vers d’autres régions, lieux, villes, cultures. Il y a aussi des choses qui nous échappent… et tant mieux. Je me rends compte que certains étudiants sont accueillis chez les Français, dans leur famille. De vraies amitiés se tissent… Ce n’est pas seulement le Directeur qui accueille, c’est une équipe. Une équipe de professeurs, d’assistants, de documentalistes, de secrétaires qui sont souvent les premières en lien avec les étudiants. Elles ont un rôle prédominant dans le conseil pratique : comment fait-on pour avoir une carte de bus ? Comment fait-on pour négocier au CROUS et bénéficier de ses services ainsi que de ceux de la Préfecture ? Comment fait-on pour négocier pour avoir la clé de sa chambre quand on arrive ?

 

Concrètement, comment une collectivité, telle le Grand Lyon par exemple, peut-elle œuvrer pour intervenir dans les conditions d’accueil voire pour les améliorer ?

Il y a, à mon sens, plusieurs niveaux. Il est vrai que certaines manifestations ont été mises en place. Il est important que l’accueil garde une dimension festive. Faire la fête, c’est aussi ouvrir un espace convivial propice à la rencontre. Mais dans l’accueil, il n’y a pas que cette dimension, comme je l’ai expliqué. Passer à côté de l’accueil de jeunes étrangers, c’est se priver d’un renouvellement intellectuel. Car ces étudiants sont souvent très motivés et ils développent un énergie intellectuelle forte. Alors comment les aider concrètement ? Il reste évidemment ce problème de logement. Il nous faut rapidement dépasser cette histoire de caution solidaire. Je suis moi-même encore caution de divers étudiants. Mais, à l’Institut, 30% des étudiants sont boursiers et souvent, le loyer est directement prélevé sur leur bourse : les bailleurs n’ont pas à avoir de crainte à cet égard. La politique du CROUS est active. Mais, on est encore en dessous de ce que l’on pourrait attendre. Pourquoi les étudiants de l’Institut des Droits de l’Homme n’auraient-ils pas accès aux services du CROUS (bourse ou service social) ? Parce qu’ils ont choisi un institut privé ? C’est aberrant ! L’institut est unique en France et il délivre un diplôme d’état. Pourquoi ne pas mettre en place un système permettant que les étudiants des instituts privés et de plus de 28 ans aient accès aux logements des résidences universitaires ? A ce jour, des solutions émanant du système D émergent… Des habitants de Lyon acceptent de loger des étudiants chez eux. Mais sur le fond, il est important de comprendre qu’une région qui fait un bout de chemin avec les étrangers – symboliquement et pratiquement – est une région qui gagne des choses. Elle gagne dans l’échange, mais aussi elle gagne en relais : les étudiants de l’Institut des droits de l’homme sont potentiellement des relais dans les collectivités des pays partenaires. L’accueil est un métier mais c’est aussi une conviction et il ne peut se limiter à un enjeu stratégique. L’autre est riche de sa différence et il nous enrichit quand nous l’accueillons.