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Le financement des associations

Interview de Isabelle GILOTTE

Illustration représentant un arbre dont le feuillage est fait de mains.
Grand Lyon

<< Les associations ne pensent pas à se tourner vers le privé. Il y a une espèce de diabolisation des entreprises privées >>.

Entretien avec Isabelle Gilotte, responsable de la veille économique à la Direction des affaires économiques et Internationales du Grand Lyon et secrétaire générale de l’association Lugdunum Celtival.

Interview réalisée pour le Cahier Millénaire 3, n° 26-tome 2 (2002), pp 41-43.

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Date : 14/05/2002

Dans le cadre de votre travail au sein de la directions des affaires économiques du Grand Lyon, avez-vous l’occasion de travailler avec des associations ?

Nous avons peu de raisons de rentrer en contact avec des associations qui ne sont pas de type professionnel. Les associations que nous rencontrons sont des associations de type syndical, ou bien des associations que nous mandatons pour réaliser des prestations pour le compte du Grand Lyon.

 

Les relations entre associations et institutions sont réputées souvent compliquées, qu’en pensez-vous ? 

Avec les associations, la principale difficulté rencontrée tourne autour des subventions : comment peut-on se faire subventionner ? Certains conflits proviennent d’une mauvaise compréhension des rôles respectifs de la collectivité et des associations : les parties sont-elles reliées par une convention de partenariat, par un contrat de prestation, par une subvention ? Les droits et devoirs des parties dans ces différents schémas ne sont pas les mêmes.

Mais dans tous les cas de figure il est légitime que l’association rende des comptes sur l’usage qu’elle a fait des fonds publics qui lui ont été confiés. Cet aspect des choses n’est pas toujours bien compris par tous. Le mythe de l’indépendance de l’association reste vivace, et nombre d’associations qui gravitent autour de l’institution sont en fait des quasi institutions qui considèrent comme allant de soit que le politique les finance. Néanmoins, l’évolution législative, en particulier la loi Sapin de 1991-92, qui visait à moraliser la vie publique conduit à clarifier l’ensemble des situations.

 

A titre privé, vous êtes secrétaire générale d’une association. Pourriez-vous nous exposer votre projet associatif et ensuite les difficultés auxquelles vous êtes confrontée pour trouver des financeurs ?

Notre association est récente. Elle s’appelle Lugdunum celtival. Elle a été créée en mai 2001 avec pour objet la mise en place d’événements destinés à diffuser la culture celte, afin de la rendre accessible à tous en dessous du prix réel du marché. A ce titre, nous pouvons prétendre à des subventions publiques. D’autre part, nous souhaitons, par le biais de ces événements, faire rayonner Lyon et son agglomération à l’international, et créer des liens économiques entre un événement culturel et une ville.

 

Avez-vous cherché des financements auprès d’acteurs privés ?

Actuellement, nous sommes dans la phase de recherche de sponsors et de partenariat. Notre objectif est, avant d’aller voir des organismes privés pour leur demander des financements, de construire un projet qui soit suffisamment solide pour être présenté. Il nous a fallu d’abord finaliser la programmation, et donc obtenir l’accord d’artistes de renom pour pouvoir négocier les premiers partenariats.

Aujourd’hui, nous avons le soutien du festival de Lorient (1er festival celte européen et qui est subventionné par les collectivités publiques), et cela nous confère une bonne image de marque pour entrer maintenant en dialogue avec les privés. Il fallait donc d’abord construire la logique du projet, sa dimension, sa finalité, et voir comment il s’inscrivait dans son environnement concurrentiel (les autres événements celtes) aux niveaux local, national et européen avant de passer à l’étape de recherche de subventions publiques et de recherche de partenaires privés.

 

Est-il indispensable d’obtenir des subventions publiques ? Les partenaires privés ne peuvent-t-ils pas suffire pour financer une association telle que la vôtre ?

Je pense que les partenaires privés peuvent suffire, mais seulement lorsque l’association a prouvé sa crédibilité. Alors, les financements privés peuvent prendre intégralement le relais des subventions publiques. Il y a toujours une phase de démarrage qui est délicate et pour avoir un fonctionnement d’association qui soit efficace il est nécessaire d’avoir des fonds. Or, pour obtenir des fonds auprès de partenaires privés il faut avoir fait ses preuves préalablement, parce que l’on ne trouve pas de philanthropes dans le monde privé. Je ne crois pas du tout au don gratuit des entreprises : elles recherchent toujours un retour sur investissement, que ce soit en terme de déduction fiscale, d’image, etc.

 

Mais les collectivités publiques ne fonctionnent-elles pas sur des principes du même type ?

La logique serait que les institutions publiques cherchent à savoir ce qu’elles vont tirer de l’association. Mais dans les faits, je crois que c’est plus souvent un jeu de relations, de réseau qui va assurer ou non à l’association une subvention.

 

Ainsi, pour démarrer une association, il vous paraît indispensable de commencer par rechercher des subventions publiques ?

Non pas forcément ! Pour démarrer une association, il faut obligatoirement un fond de trésorerie. Celui-ci peut être fourni soit par les membres, soit par des cotisations si l’association est suffisamment grande, soit par d’autres associations qui filialisent leurs propres activités. Dans tous les cas, il faut un fond de roulement au départ.

 

Comment se fait le choix des partenaires privés ?

Pour notre stratégie, le choix des partenaires privés va se faire par une étude de marché très poussée : qui sont les entreprises potentiellement intéressées ? quels sont leurs messages de communication ? quelle est leur politique de sponsoring, de partenariat ? Nous ne solliciterons que les entreprises qui pourront trouver un intérêt à notre message. En tant que demandeur de partenariat, il est important pour nous, association, d’arriver avec des arguments solides, de réaliser une analyse économique et financière du besoin de visibilité que l’entreprise a sur son marché.

 

Existe-il une liste d’entreprises privées qui recherchent des partenaires dans le monde associatif ?

Il existe des associations qui regroupent l’ensemble des entreprises qui sont susceptibles d’établir un partenariat, mais il s’agit la plupart du temps de groupes. Or, je pense qu’il peut être intéressant de solliciter des partenariats avec des PME-PMI qui auront tendance à s’engager vraiment dans le projet. C’est par exemple ce qu’a su faire le monde de la voile. Dans certains cas, il peut être plus judicieux d’avoir cinq partenaires apportant chacun 2000 Euros, plutôt qu’un seul en apportant 10000.

 

Avez-vous le sentiment que le monde associatif prend de plus en plus en considération les possibilités de financements privés, ou bien cela reste-t-il encore marginal ?

Pour ce que je peux voir sur Internet - car c’est cet outil que j’ai utilisé pour repérer des partenaires privés - je crois que rechercher des financements privés est encore compliqué, surtout pour des petites structures qui manquent de compétences de toutes sortes (financière, marketing, gestion de projet, communication). En outre, les responsables d’association ne pensent pas à se tourner vers le privé. Il y a une espèce de diabolisation des entreprises privées. 

Les associations pensent également que le public est plus facile d’accès que le privé, mais je pense que c’est une fausse idée car pour faire une demande de subventions auprès du public, il faut remplir un dossier beaucoup plus lourd que lorsqu’il s’agit de demandes auprès des privés. Pour notre part, nous avons commencé par nous intéresser aux grandes entreprises de l’agglomération. Pour cela nous sommes allés sur leurs sites Internet et nous avons tenté de décrypter leur politique de communication et leur promotion événementielle. Cela permet d’orienter la recherche en s’intéressant à toutes les entreprises qui sont positionnées sur des événements musicaux ou qui ont tendance à financer largement des événements musicaux.

L’outil Internet est particulièrement utile pour obtenir de l’information. Internet est même un bon moyen de pallier la logique des réseaux de relations économiques et politiques ! Car avec un minimum de capacité d’analyse et de synthèse, de regard critique par rapport à ce que font les entreprises, on peut identifier des possibilités de financement même sans être inséré dans les réseaux. Heureusement, les relations ne sont pas tout.

 

Qu’apportent-elles, et quelles sont leurs limites ?

C’est un petit plus qui va aider à porter le projet. Mais au départ, ce qu’il faut avant tout, c’est une bonne charpente du projet. Et c’est pour cela que je distingue bien le secrétaire général qui est un chef de projet, du président qui assure les relations publiques.

 

Peut-on accepter de l’argent de n’importe quelle entreprise ?

Une stratégie claire vis-à-vis des partenaires financiers est indispensable parce qu’il est plus dangereux d’avoir un financement avec un partenaire qui contredit l’image que l’on veut faire passer, plutôt que de se cahiers débrouiller sans ce partenaire. De mon point de vue, il vaut mieux repousser un projet d’un an, parce que l’on n’a pas trouvé les bons partenaires, plutôt que de brouiller son propre message.

Il faut avoir une vision à long terme du partenariat. Dans notre cas, nous ambitionnons de toucher des "gros" de l’agroalimentaire, tels que Carrefour et Auchan en créant un événement autour des produits alimentaires bretons, mais aussi d’autres entreprises plus traditionnelles qui se reconnaissent dans l’image de renouvellement dans la tradition que porte la culture celte. Notre thématique nous permet d’avoir un vaste champ d’action auprès des entreprises privées.

 

Le schéma idéal est-il de faire intervenir aussi bien les institutions publiques que les entreprises privées ?

Je vois un triangle entre les associations, le monde des institutions publiques et le secteur privé. L’aire du triangle c’est le projet, et pour que le projet puisse s’intégrer concrètement sur le territoire il faut que les trois mondes se croisent et y trouvent leur intérêt. Et ce quel que soit l’objet de l’association. Il est important de créer des liens entre le monde économique et la sphère publique, afin de rompre la méconnaissance, l’ignorance.

L’important, finalement, comme lorsque l’on travaille en réseau, ce n’est pas de partager le même enjeu, le même intérêt, c’est que les intérêts se croisent à un moment donné, même s’il s’agit d’un point très ténu ; ce n’est pas grave ! Ce qu’il faut c’est une volonté de chacun de trouver dans l’organisation qu’est l’association, et dans son expression qui est un événement particulier, la concrétisation de ce à quoi chacun rêve. C’est une vision de gestion de projet rassembleuse.