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Le rôle des collectivités territoriales dans la gestion et l’aménagement des fleuves

Interview de Albéric de Lavernée

<< Les fleuves doivent être envisagés comme une question transversale permettant d’introduire une culture des fleuves >>.

Entretien avec Albéric de Lavernée, Conseiller Général du Rhône, Ancien Vice-président du Grand Lyon chargé des affaires fluviales. 

Il répond sur le rôle et les responsabilités propres aux collectivités territoriales et locales dans la gestion et l’aménagement des fleuves.

Propos recueillis pour le Cahier Millénaire 3, n° 25. 2001. pp 72-73.

Date : 15/02/2001

Quels sont le rôle et les responsabilités propres au grand Lyon dans la gestion et l'aménagement des fleuves ?

En premier lieu, il y a légitimité totale à ce que la Communauté urbaine considère sa façade fluviale comme un enjeu partagé puisqu'une trentaine de communes et huit arrondissements de Lyon sont directement concernés, soit plus de la moitié du Grand Lyon. En 1995, le Président Barre a souhaité poursuivre un élan inauguré dans les années 80-90, en considérant que la politique en direction des fleuves ne pouvait pas relever d'une politique sectorielle, mais devait s'imposer comme une grille d'entrée dans toutes les questions du développement, qu'il s'agisse d'espace public, de développement économique, d'habitat, de tourisme, de patrimoine, ou de déplacement.

Notre objectif a été de faire reconnaître les questions fluviales comme un critère de choix et d'orientation dans toutes les grandes décisions d’aménagement. La question des fleuves doit être envisagée comme une question transversale permettant d'introduire une culture des fleuves. C'est à cette condition que chacun peut intégrer la dynamique fluviale comme paramètre à toutes les grandes décisions stratégiques de développement.

À cela s'ajoute la compréhension d'une nouvelle appétence des citoyens pour les fleuves, appétence jusqu'alors portée par les associations. La Communauté urbaine, en tant qu'institution publique, a renforcé sa légitimité démocratique en se saisissant d'un sujet qui tient à cœur aux citoyens, de Genay à Vernaison. Lorsqu'on touche aux fleuves, on touche à l'affectif, au plaisir, et à une constante quasiment anthropologique du besoin de se rapprocher de l'eau. À cette occasion, la Communauté urbaine a pu montrer qu'elle était aussi une institution humaniste.

 

Les fleuves sont l'enjeu d'activités variées, parfois contradictoires : tourisme, industrie, urbanisme, écologie... Comment à l'intérieur même de l'agglomération, parvient-on à travailler en cohérence entre les différentes délégations en charge de ces questions ?

La cohérence a été rendue possible grâce au Plan Bleu. Ce plan a engagé un effort de diagnostic et de proposition en partant des usages et des évidences géographiques, pour aboutir à des propositions politiques et non l'inverse. Nous nous sommes inspirés de la réalité géographique, des lieux, de la réalité environnementale, des besoins, et des réalités humaines qui regroupent les usages. À partir de là se sont cristallisés des enjeux qui n'ont pas été construits artificiellement autour de schémas techniques, mais selon une cohérence qui s'est progressivement imposée. Le Plan Bleu n'est pas un document d’urbanisme ou de prescription, mais un document de sensibilisation, d'orientation et de proposition. À chacun ensuite de s'en inspirer et de se l'approprier selon la répartition des délégations et les logiques internes de fonctionnement.

 

Le Conseil Régional souhaiterait que l'Etat se dessaisisse de ses compétences au profit des régions. Qu'en pensez-vous ?

Il faudrait alors une grande synergie inter-régionale. On ne peut pas traiter de la Saône sans impliquer la Bourgogne, la Franche-Comté et Rhône-Alpes. Les autorités représentatives légitimes sont les agglomérations. Et, au niveau des territoires, je crois beaucoup aux ententes interdépartementales ou inter-régionales qui se concrétisent par des syndicats mixtes, comme le syndicat Saône-Doubs. Néanmoins, l'État doit conserver une responsabilité quant au rôle et à la navigabilité des fleuves. La création, ou l'abandon de grands projets comme le canal Rhin-Rhône, doit rester de la responsabilité de l'État. Cela permet d'éviter la paralysie des grands projets, paralysie qu'on observe lorsque les collectivités peuvent bloquer une grande décision nationale d’aménagement du territoire.

 

VNF, la CNR, l'État, EDF, le Smiril, le Symalim, l'Agence de l'eau, Territoire Rhône... On pourrait citer encore d'autres structures liées à la gestion, à l'aménagement ou à l'exploitation des fleuves. Comment parvient-on à accorder autant de partenaires et à travailler en cohérence ?

Ces institutions sont très diverses et chacune est dévolue à un objectif que lui a assigné le pouvoir politique. Chacune a un rôle propre : la CNR exploite l'énergie du fleuve, VNF valorise le domaine public de l'État, l'Agence de l'eau contrôle et régule la ressource en eau, la Communauté urbaine aménage les berges et s'intéresse à la vie autour des fleuves, etc. 

La mise en cohérence de toutes ces structures passe par une relativisation de leurs objectifs. Il ne s'agit pas de les affadir ni de les nier, mais de les ajuster les uns par rapport aux autres. Le mérite de la politique que nous avons conduite est d'avoir permis à chacun de mieux se connaître et donc de mieux articuler nos objectifs. Je suis persuadé que l'État, en particulier à travers son bras fonctionnel qu'est VNF, a réorienté ses conceptions des rapports ville-fleuve grâce au Plan Bleu. À cette occasion, VNF a intégré sa vocation à être partie prenante du développement urbain et, en retour, la Communauté urbaine a mieux saisi quel était l'enjeu du fleuve comme outil économique à valoriser. Ces deux institutions ont enrichi leur point de vue, et le fruit de ce rapprochement apparaîtra dans la durée. 

La formation d'un esprit Plan Bleu a permis d'examiner d'autres problèmes, comme la question des fonctions portuaires du port Édouard Herriot, la réhabilitation du vieux Rhône, etc. C'est un document humaniste parce qu'il part des préoccupations des hommes pour aboutir à la satisfaction de besoins essentiels des hommes. Mais tout cela sera vain s'il n'y a pas une volonté de chacun des partenaires de s'y référer. Il n'y a pas de magie du document mais, avec cet outil, il n'y a plus aucune excuse pour ne pas valoriser l'atout fluvial dans le Grand Lyon.