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Les associations du patrimoine sur le Grand Lyon

Interview de Michel KNEUBUHLER

Illustration de l'usine hydraulique de Lyon
"L'usine hydraulique de Lyon" Les merveilles de l'industrie ou, Description des principales industries modernes / par Louis Figuier. - Paris : Furne, Jouvet, [1873-1877]. - Tome III
Direction Régionale des Affaires Culturelles

<< Les associations anticipent très souvent les politiques publiques >>.

Michel Kneubuhler, à la  Direction Régionale des Affaires Culturelles parle de l’importance et du rôle des associations du patrimoine dans le Grand Lyon.

Propos recueillis pour le Cahier Millénaire 3, n° 26, tome 2 (2000), pp 17-24.

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Date : 15/03/2000

Quelles associations regroupez-vous sous l’appellation "association du patrimoine" ?
Nous entendons par "associations du patrimoine", les associations qui dans leurs objectifs ont l’étude, la restauration, la sauvegarde, la valorisation d’un élément du patrimoine (du monument historique classique au patrimoine industriel). Le patrimoine aujourd’hui est un élément privilégié de l’action culturelle, c’est un des terrains sur lequel nous observons une dynamique territoriale très intéressante, en liaison avec le développement économique, avec le lien social, le lien intergénérationnel. Les associations du patrimoine sont au cœur de tout cela.

 

A combien s’élève le nombre d’associations du patrimoine sur le Grand Lyon ?
Si l’on se réfère à cette définition au sens strict nous pouvons penser que sur les 55 communes du Grand Lyon, une centaine d’associations sont des associations du patrimoine.

 

Quel type de patrimoine les associations prennent-elles le plus en charge ?
La plupart des associations du patrimoine n’ont pas vingt ans d’existence et parmi cette masse d’associations nouvellement créées, beaucoup valorisent un patrimoine dont ne s’occupent pas les collectivités publiques ; pas tellement dans une démarche de revendication, ni d’opposition mais plutôt dans une logique de complémentarité. Les associations s’occupent à la fois d’un type de patrimoine nouveau, par exemple le patrimoine rural (que l’on appelle aussi le petit patrimoine), le patrimoine industriel (le plus récent patrimoine du XXe siècle), ou encore des structures qui sont en train de devenir du patrimoine, qui ne le sont pas encore pour la communauté scientifique spécialiste du patrimoine, mais que précisément les associations font émerger comme du patrimoine. Je prends l’exemple de Peuplement et Migrations : ils ont réalisé une étude sur les lieux de mémoires des migrations en Rhône-Alpes. Je fais le pari que certains lieux e monuments cités dans leurs travaux seront un jour protégés au titre de la loi de 1913 sur les monuments historiques. Ceux qui auront révélé l’existence de bâtiments comme éléments du patrimoine seront entre autres des associations, éclaireurs de la reconnaissance patrimoniale.

 

Ce rôle est-il nouveau ?
Non ! justement, ce qui est intéressant c’est que ce rôle n’est pas nouveau. Historiquement, on se rend compte que l’Etat met en place dans les années 1830 le principe de protection de certains bâtiments comme monuments historiques. Pour parler d’un passé plus proche, à propos de la reconnaissance du patrimoine rural, un monument rural sur quatre protégé en France est en Rhône-Alpes, parce qu’il y a eu dans cette région au début du XXème siècle des sociétés savantes qui ont travaillé sur les arts et les traditions populaires et c’est elles qui ont fait aboutir dans les années 30 les premières mesures de protection pour le patrimoine rural. Ce qui est certain, c’est que les associations, depuis une vingtaine d’années, ont beaucoup participé à l’extension de la notion de patrimoine, et cela concerne l’ensemble du patrimoine, le nouveau comme le traditionnel. Aujourd’hui le patrimoine est de moins en moins une espèce d’objet merveilleux dans sa bulle, il est de plus en plus un élément qui est pleinement contemporain et au centre d’un certain nombre de dynamiques à l’échelle d’un territoire. Or, les associations anticipent très souvent les politiques publiques, notamment les politiques liées à la protection, certes, des monuments, mais aussi des territoires, des superficies, des zones architecturales qui entourent le monument. Les associations ont donc pratiqué cette extension du monument à l’espace, bien avant que les collectivités publiques n’en fassent un instrument de protection du patrimoine.

 

Peut-on dire que les associations sont précurseurs dans ce domaine ?
D’une certaine façon oui.

 

Pensez-vous qu’il y ait une identité régionale, voire lyonnaise concernant les associations du patrimoine ?
Il y a certaines particularités dans le Rhône que l’on ne retrouve pas en Alsace ou en Bretagne. Par exemple, il semblerait qu’à Lyon, les associations se préoccupent d’avantage du patrimoine écrit et documentaire que dans les deux autres départements. En faisant un parallèle avec l’histoire de la ville cela est assez intéressant. Ce que nous pouvons ajouter également c’est que nous vivons dans une région où il y a une grande sensibilité au patrimoine récent, industriel, du XXe siècle. Nous assistons à une évolution très intéressante de la notion de patrimoine. Il y a 20 ans, nous avions le sentiment que le patrimoine était l’élément majeur constitutif de l’histoire d’une nation, validé par la communauté scientifique et offert à la délectation des visiteurs. Aujourd’hui, je pense que, d’une certaine façon, tout peut devenir patrimoine, mais que tout ne le devient pas, parce que si quelque chose devient patrimoine, c’est qu’il a un lien avec la population qui vit autour. Cette prise de conscience est apparue depuis une vingtaine d’année et je pense que les associations n’y sont pas étrangères. Elles sont dans une position de médiation entre un territoire, son histoire, sa mémoire et la population qui vit sur ce territoire aujourd’hui. Il se trouve qu’il y a beaucoup de gens dans les associations du patrimoine qui ne sont pas du territoire, qui ont eu par exemple une mutation professionnelle. L’association joue alors le rôle d’intégration, elle crée du lien, du lien entre les générations nouvellement arrivée et celles qui y sont nées. Je pense que l’une des raisons vient du fait que le patrimoine parle du pays. Il renvoie donc à l’espace. Or, la grande transformation que l’on est en train de vivre c’est que le patrimoine qui renvoyait résolument à la catégorie temps, histoire, aujourd’hui, renvoie presque d’avantage à la catégorie de l’espace ("avant d’être du XVIème siècle il est de tel territoire").

 

En quoi la présence des associations du patrimoine et leur action vous paraissent-elles nécessaire voire indispensable ?
Les associations ne sont plus tellement indispensables pour le repérage des éléments du patrimoine. De la même façon, elles sont de plus en plus écartées des procédures de sauvegarde, de restauration, parce que là aussi, il y a eu professionnalisation. Du coup, l’axe principal des associations se trouve déplacé vers la question de la valorisation, de la sensibilisation du public. Et je pense que c’est vraiment là que les associations sont absolument indispensables aujourd’hui, parce que, précisément, si l’on veut qu’il y ait patrimoine, il ne suffit pas de la connaissance scientifique, de la reconnaissance juridique, ce sont deux éléments indispensables, certes, mais s’il n’y a pas le troisième élément du triptyque qui est l’appropriation des personnes qui vivent autour, cela ne fonctionne pas. Il faut donc qu’il y ait des gens qui soient messagers entre une connaissance, une reconnaissance et une appropriation par une population. C’est grâce à ces initiatives que la même loi de 1913, qui a classé le Mont-Saint-Michel et Versailles, classe aujourd’hui des morceaux d’usines et de vieilles fermes. Le patrimoine a quelque chose à voir avec la citoyenneté. Par conséquent, les associations, qui ne sont autres qu’un regroupement de citoyens revendiquant leur appartenance à une communauté ayant un héritage en charge, sont les mieux placées pour faire l’interface entre les institutions publiques, la communauté scientifique et les populations.