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Pour les incitations financières

Illustration représentant un arbre prenant racines dans un sol de pièces de monnaie

Texte de Marie-Claire VILLEVAL

Elles offrent de nombreuses voies à explorer.

Les incitations financières sont partout : pour soutenir la consommation, punir des actes délictueux, encourager la productivité.

Mais elles ne sont pas sans conséquences sur l’idéal de justice démocratique, surtout quand elles influent sur la rémunération des grands patrons.

Utiles pour encourager les comportements vertueux de nos concitoyens (en matière de respect de l’environnement par exemple), elles ne doivent pas faire oublier qu’il existe d’autres leviers.

Texte écrit pour la revue M3 n°1.

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Date : 01/12/2011

Consommation, civisme, productivité…Les incitations financières sont partout

Nous visitons davantage les magasins en période de soldes. Nous respectons d’autant plus le code de la route que les contrôles ou le montant des amendes augmentent. Nous installons des systèmes de chauffage à énergie solaire par conviction écologique et… grâce aux déductions fiscales. Ces incitations constituent des encouragements (ou des découragements) financiers qui orientent nos choix.

Autre exemple, qui nous vient d’une étude américaine portant sur une entreprise de production de rétroviseurs : Edward Lazear y a montré que le passage d’un mode de rémunération fixe à un mode variable (indexé sur la performance) a entraîné en quelques mois une hausse de productivité de 44 % !

Les incitations monétaires peuvent aussi favoriser le développement de bonnes habitudes, comme la fréquentation de clubs de gymnastique, ainsi que le démontrent Gary Charness et Uri Gneezy. Les incitations agissent aussi à travers un effet de sélection. Par exemple, une rémunération avec bonus variable attire des salariés ayant le goût du risque et repousse les sous-confiants. Il faut donc être conscient, quand on introduit une incitation, que celle-ci peut exercer à la fois un effet d’éviction et un effet d’attraction selon les personnes Payer le don du sang n’augmente pas le nombre de donateurs mais change leurs caractéristiques.

 

Des conséquences fâcheuses aux effets indésirables

Dire que nous réagissons aux incitations monétaires ne signifie pas qu’elles sont les seuls moteurs, ni qu’elles ont toujours les effets escomptés.

Ainsi, dans une étude célèbre, Uri Gneezy et Aldo Rustichini ont mesuré l’effet de l’introduction d’une amende pour encourager à la ponctualité les parents retardataires à la sortie de la crèche. Après plusieurs semaines, l’amende a été retirée. Constat : après l’introduction de l’amende, le nombre de retardataires a augmenté au lieu de diminuer ! Pire, ce nombre n’est pas revenu au niveau initial après son retrait ! L’introduction de l’amende a démobiliser les parents qui respectaient les horaires. Elle a changé la nature de la relation : le retard a désormais un coût marchand, et la ponctualité n’a plus de valeur morale.

Par ailleurs, trop d’incitations monétaires peut réduire la motivation. C’est « l’angoisse du tireur au moment du penalty ». Des expériences ont testé la performance de joueurs lorsque leur score leur permettait de gagner l’équivalent d’une heure, d’un jour ou d’un mois de salaire.

Résultat : la performance moyenne baissait quand le gain le plus élevé était en jeu. Des enjeux trop importants créent une charge émotionnelle et cognitive excessive et conduisent certains à renoncer, anticipant un échec probable. La mise en place des incitations appropriées est donc un sujet complexe.

 

Pourquoi ça marche… ou pas ?

Les individus ne répondent pas toujours aux incitations monétaires parce qu’ils ne cherchent pas toujours à maximiser leur gain. Ils raisonnent parfois de manière intuitive, automatique et parfois de manière réfléchie. Ils sont sensibles au biais de statu-quo et tendent à reproduire les choix passés, même si les conditions ont changé. Leurs préférences ne sont ni bien connues, ni stables. Ils sont parfois davantage préoccupés par leur image sociale, leur statut et l’estime de soi. Ils ressentent des émotions viscérales qui les aident à prendre des décisions plus rationnelles, ou les en éloignent.

Notre personnalité est multiple. Si nous cherchons à gagner le plus d’argent possible, nous poursuivons aussi des motivations morales. Des études en neuro-économie ont ainsi montré que payer un impôt au profit d’une organisation charitable activait les mêmes zones cérébrales du plaisir que gagner de l’argent ! De même, nous pouvons renoncer à un gain immédiat pour agir de manière réciproque vis-à-vis de personnes qui se sont montrées bienveillantes à notre égard.

 

De multiples outils pour corriger les comportements

Pour définir des politiques efficaces, il faut comprendre les ressorts monétaires et non monétaires des actions. L’économie comportementale a créé une vision plus riche des incitations et fait le succès actuel des « nudges », ces coups de pouce qui visent à modifier les comportements de manière quasiment inconsciente et sans coût. Par exemple, le changement dans l’ordre de présentation des plats à la cafétéria modifie les habitudes alimentaires en douceur. L’information sur la proportion de voisins qui pratiquent le tri sélectif ou utilisent les transports en commun sensibilise aux considérations environnementales.

Ainsi, jouer sur la sensibilité des individus au comportement des autres, ou recourir à du « priming », influence les décisions, quasiment sans coût. Le décideur public peut ainsi essayer de corriger l’inaproppriabilité de certains comportements. Nul doute qu’en temps de crise, cette autre façon de conduire des politiques publiques devrait soulever l’intérêt des institutions. L’économiste comportementaliste peut alors devenir « architecte des choix », pour reprendre l’expression de Richard Thaler et Cass Sunstein.