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La ville servicielle : des métamorphoses à vivre

Texte de Benoît Meyronin

La 12ème édition des Temporelles a eu lieu à Lyon les 15 et 16 octobre derniers. Dans le cadre de réflexions des politiques temporelles, le sujet abordé cette année fut celui de la ville servicielle : nouveaux temps, nouveaux services, nouveaux modes de faire la ville. En conférence introductive, Benoît MEYRONIN a mis en avant ce qui lie les services à la question des temps, passés et présents. L’accent a également été mis sur l’expérience sensible des services dans la ville ; à travers de multiples exemples européens.
L’ensemble de l’intervention est reprise afin de voir certains fondements historiques de la notion de service jusqu’à aujourd’hui où de nouveaux modes de conception se développent. Plusieurs dimensions sont explicitées, mettant en avant l’importance d’une ville servicielle qui fédère ses acteurs et ses citoyens autour de thématiques du quotidien.

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Date : 15/10/2015

J’ai démarré ma vie professionnelle au Grand Lyon, et je me préoccupe particulièrement de la question des temps dans la mesure où je suis tout à la fois entrepreneur et enseignant. L’Académie du service a été fondée en 2003, et travaille dans l’accompagnement des organisations sur le sujet de la culture du service.

Ces dernières années, j’ai travaillé sur les sujets des services et le marketing territorial. Ce sont des univers distincts, et je vous remercie de me donner la possibilité d’établir des passerelles entre eux.

Dans le domaine des services, Jean FOURASTIE est un auteur essentiel en France, en particulier avec son ouvrage le Grand espoir du XXème siècle (paru en 1949). Pour lui, ce grand espoir était le service. Il avait également une vision intéressante sur les modes de vie, ce qu’il appelait les « genres de vie ». Il parlait ainsi de la ville tertiaire, par opposition à la ville secondaire, abîmée par la révolution industrielle. Il préfigure ainsi le développement durable, et envisageait cette ville tertiaire, tournée vers les services, de façon très idéalisée.

De mon point de vue, la ville servicielle est caractérisée par cinq dimensions.

Pour commencer, la ville servicielle est d’abord une ville expérientielle. Des chercheurs ont ainsi annoncé à la fin des années 90 que nous passions progressivement d’une ère de la production à une ère de l’expérience. Nous ne proposons plus tant un produit ou un service qu’une expérience. Les parcs de loisirs en sont une bonne illustration.

Cette économie de l’expérience se trouve ainsi par exemple dans l’offre que la SNCF a développé ces dernières années, avec des expériences de transport distinctes : c’est ainsi que la gamme iDTGV propose différentes ambiances à bord, selon le choix des voyageurs. La question est donc bien au cœur des temps et des modes de vie. En ce qui concerne plus spécifiquement la ville, à Dublin, Guinness a développé toute une gamme de services qui offre un ensemble d’expériences autour de la visite de son usine historique. C’est très représentatif de l’économie de l’expérience qui s’appuie aussi sur le souvenir que l’on ramène dans le cadre du tourisme.

Les spécialistes limitent souvent cette dimension de l’expérience au tourisme. À Lyon, nous disposons des seuls parcs de stationnement (par exemple, le Parc Célestins) qui sont mentionnés et recommandés dans les guides de voyage. Une infrastructure est ainsi transformée en élément d’attractivité et d‘expérience. C’est donc une évolution à la portée de tous les secteurs. La ville servicielle est donc aussi une ville expérientielle.

Deuxième point, la ville servicielle est une ville sensible et désirée.

L’urbaniste Kevin LYNCH définit l’urbanisme comme la manipulation délibérée du monde à des fins sensorielles. L’originalité de son point de vue, énoncé dans les années 60, est de repartir de l’individu et des personnes. Cela lui a notamment permis de dégager cinq grandes dimensions structurantes de la ville :

- naturalité ;
- propreté/civilité ;
- ouverture/espace ;
- dimension historique ;
- lisibilité/clarté/ordre.

Dans une ville, nous avons besoin de repères pour nous approprier l’espace, la sentir hospitalière, et nous sentir bien. La ville servicielle est cette ville sensorielle. Ceci s’appuie aussi sur des questions politiques. À Lyon, la Biennale des Feuilles est un exemple de mise en désir de l’automne dans le cadre de la ville sensorielle et poétique. Un autre a été mis en place très récemment à Grenoble avec l’initiative qui consiste, dans les files d’attente des services publics, à distribuer dans des bornes dédiées des mini-textes qui permettent aux usagers de lire en patientant. C’est un service qui permet d’améliorer la qualité de cette expérience d’attente.

Troisième dimension, la ville servicielle voit ses services être des marqueurs identitaires.

Le tram Rhône Express qui relie Lyon à son aéroport constitue un service intéressant. Il représente une véritable porte d’entrée dans le territoire. Le prestataire qui a obtenu ce contrat est celui qui proposait non pas l’offre la moins onéreuse, mais au contraire celle qui fournit tout un panel de services qualitatifs. Il permet en outre au Conseil Général de s’afficher et d’être présent à l’esprit des utilisateurs.

Les services, publics ou non, sont un élément d’identité d’une ville. Le vaporetto vénitien ou le taxi new-yorkais en sont de très bons exemples. Les services sont des marqueurs identitaires d’une ville.

Autre exemple, à Évry, la municipalité a décidé il y a quelques années de reprendre le contrôle sur la gestion de l’eau et d’en faire un élément porteur de son identité d’agglomération. Elle a donc raconté une histoire autour de l’eau, a mis en avant les politiques liées, et en a fait un véritable élément d’identité. Cette notion est importante, pour l’image de la ville auprès de l’extérieur comme pour ses habitants.

Quatrième point, la ville servicielle est une ville post-industrielle. J’ai choisi d’illustrer cette thématique avec des images de Turin. Turin est la deuxième ville d’Italie, mais elle a perdu de son lustre industriel. C’était une ville industrielle, et elle est passée à ce nouveau stade de la ville tertiaire ou servicielle.

Plus proche de nous, la ville de Nantes, portuaire et post-industrielle, s’est également emparée du sujet de la culture pour se transformer, à la fin des années 80. Aujourd'hui, elle travaille sur les loisirs urbains en s’ancrant dans l’imaginaire de Jules Verne. Ce développement crée de l’activité économique et de l’emploi, en particulier à travers le tourisme. Le Lieu Unique, ancienne usine industrielle devenue site culturel, en constitue l’exemple le plus marqué.

Enfin, la ville servicielle développe sa culture de service. C’est une ville qui crée des services utiles à ses habitants, en complément de son offre de services de base. Par exemple, à propos de l’hôpital public, les patientes qui fréquentent les maternités ne parlent pas du service de base, à savoir l’accouchement, parce qu’elles s’attendent toutes à ce qu’il fonctionne bien. Elles mettent en revanche en avant les services périphériques, en particulier hôtelier, de restauration. Ce sont sur ces points là qu’il existe des leviers de différenciation. De la même façon, Ikea a développé un service de type crèche, qui est sans doute le premier de ce type en France. Ce sont donc les éléments périphériques qui permettent de se distinguer.

La ville servicielle doit donc travailler sur ses services de base, mais également les services périphériques. D’autant que ces derniers peuvent être amenés à devenir à terme des services de base, comme par exemple le covoiturage. Il existe une illusion de création de toujours plus d’infrastructures, et il semble difficile de réussir à courir après la demande.

Dans le cadre d’une étude sur la Compagnie des Alpes, premier exportateur mondial de remontées mécaniques, il est apparu que cette société accusait des lacunes dans tout un ensemble de domaines autour de l’accompagnement des clients : information, prise en charge, signalisation. Elle est centrée sur le cœur de son métier, et néglige donc les éléments périphériques qui s’insèrent pourtant totalement dans l’accompagnement. La ville servicielle n’est plus celle du seul ingénieur et du technicien, et rentre dans ce changement de paradigme vers la ville sensible.

La ville servicielle est une ville qui « casse les codes » en matière d’accueil, comme d’autres services publics le font. La Poste s’est ainsi attaquée à la thématique du temps d’attente, avec une nouvelle organisation des bureaux, sans lignes de guichet ni file d’attente unique. L’accueil est désormais proactif (un premier niveau d’accueil dès l’entrée dans le bureau de Poste), ce qui permet de mieux organiser l’attente.

J’ai également eu l’occasion de travailler avec l’hôpital de Villefranche-sur-Saône, notamment sur cette question de l’accueil. Nous avons repris l’idée de la Poste, avec un guichet proactif pour accueillir les patients, sachant qu’en fait la moitié des visiteurs ne sont pas des patients. Par conséquent, seuls attendent désormais ceux qui sont véritablement des patients.

La ville servicielle est donc une ville qui pense le « cycle vie » de ses habitants et les services adaptés à chaque grand moment. Nous n’avons pas les mêmes besoins aux différentes étapes de notre vie, et la ville doit avoir pour objectif d’accompagner ses habitants à chacune de ces étapes, en se structurant autour de la vie du citoyen.

Il faut souligner que l’individu est spatialisé et temporalisé. La ville servicielle est également une ville qui donne de l’information, y compris sur le temps, et qui aide ses visiteurs à s’orienter, car c’est répondre à un besoin et non à une attente. . Donner de l’information sur le temps ou le lieu répond donc à un besoin anthropologique. En outre, la parole rassure : prendre la parole pour apporter des informations, sur le temps ou le lieu, est donc fondamental dans l’expérience de service.

Aéroports de Paris a ainsi mis en place dans sa signalétique une indication des temps de parcours pour aller d’un lieu à un autre. Cela permet au voyageur de mieux gérer son temps, et donc son stress, et de mieux profiter des services mis à sa disposition.

La ville servicielle est en outre une ville qui coordonne aussi les initiatives de ses acteurs territoriaux en faveur de la culture de service. Elle les fédère, les rassemble, et organise des temps de partage entre eux. À Lyon, Keolis ou les Aéroports de Lyon sont des bons exemples de cette démarche. La ville servicielle sera construite tous ensemble.

Recréer des lieux où les personnes ont envie de se retrouver et non plus seulement d’être dans un espace de flux sera important. En effet,  la ville servicielle est, enfin, une ville qui adopte le design de service pour repenser ses espaces de relation avec ses citoyens et pour concevoir avec ses parties prenantes ses services et leurs espaces.

 

Échanges avec la salle

Benjamin PRADEL

Quelle est la différence entre répondre à un besoin et répondre à une attente ? Et quand a lieu le transfert de l’un à l’autre?

Benoît MEYRONIN

Il existe de nombreuses recherches dans ce domaine. Changer la carte des menus dans un train répond à une attente, mais pas à un besoin. Un besoin est une nécessité anthropologique, dont nous ne pouvons pas nous extraire. L’individu a besoin de s’approprier l’espace. Dans le train, lorsque nous nous installons à notre place, nous marquons l’espace, par exemple en posant notre manteau ou notre sac sur la place voisine. C’est un besoin anthropologique. Nous avons besoin de nous approprier notre espace et notre temps. A l’inverse, les attentes sont moins fortes, et peuvent varier dans le temps. Le numérique répond à des besoins anthropologiques, et a également fait naître des attentes.

Geneviève BRICHET

C’est une vraie problématique. Le besoin c’est le dû, alors que la réponse à l’attente c’est le don. La collectivité ou l’entreprise fait son travail, c’est le dû, et les services périphériques sont des dons…qui sont importants dans une société.

De la salle

Pouvez-vous apporter des précisions sur l’Académie du service ?

Benoît MEYRONIN

Je ne veux pas faire de publicité ici. En revanche nous avons mis en place avec la Fondation de France le centre de recherche Service Lab pour financer les travaux de recherche autour de cette thématique.

Adrien MICHON

Comment la ville servicielle pourra-t-elle faire mourir des services qui ne seront plus pertinents ? À défaut, nous risquons la surenchère permanente.

Benoît MEYRONIN

C’est une bonne remarque. J’ai parlé de réciprocité. Le service c’est la relation de service, ce qui implique la réciprocité. La ville servicielle est la ville du don et de la réciprocité. Elle ne pense pas seulement en termes de services qui répondraient directement à un problème ; elle organise ses solidarités, ses réciprocités, et ces dons.

Cédric SZABO

Qu’en est-il des territoires serviciels, au-delà des seules villes, et de la présence de services dans des espaces de moindre densité ? Le monde rural est confronté à la question de la disparition des services. La France est encore très rurale : un tiers de la population vit dans des zones moins denses, avec des besoins tout aussi importants en termes de service ou de connectivité.

Par ailleurs, cette présentation laisse à penser que la ville servicielle constitue un espace assez clos et hermétique aux flux de tous ceux qui font la ville : les touristes, les hommes et femmes d’affaires, les travailleurs pendulaires, qui n’habitent pas le territoire de la ville. Comment la ville les traite-t-elle, ou les ignore-t-elle ?

Je souhaite des précisions sur ces deux dimensions. La France est encore très rurale, avec des besoins potentiels sans doute tout aussi considérables, par exemple en termes de numérique, que dans les villes.

C’est un sujet qui nous intéresse tout particulièrement pour renforcer l’attractivité de ces territoires.

Benoît MEYRONIN

Effectivement, ces rencontres ont pour titre la ville servicielle, mais la réflexion peut être élargie au territoire. Cependant les études montrent que les thèmes des services et de la ville sont étroitement liés.

Comme l’explicite Laurent DAVEZIES, la déconnexion entre les lieux de vie, de travail, ou de consommation est un thème important et qui se développe. Il pose de nombreuses questions : qui capte les revenus, et que signifient ces mouvements et situations ? L’organisation et l’aménagement des flux sont des sujets très pertinents, et qui ne sont pas encore très développés en dehors des questions d’attractivité des différents territoires.

Sylvie CHATEAU

Quelle différence faites-vous entre la ville servicielle et le marketing des services ?

Benoît MEYRONIN

Je ne suis pas certain que la ville servicielle soit vraiment un concept formalisé aujourd’hui. Le marketing est une démarche, une boîte à outils. La ville servicielle est une idée beaucoup plus large, c’est une philosophie et un mode de pensée. C’est une démarche, au service de laquelle le marketing peut être utilisé.

L’enjeu est de savoir comment construire une ville qui se pense d’abord comme une somme de service, et notamment à travers l’espace public et qui ne se pense plus seulement comme un support de service.

La ville constitue un portail de services très développé, qui ne s’assume pas encore comme tel. La ville servicielle est un schéma de pensée sur l’évolution des modes de vie, des modèles économiques, qu’il convient de renouveler.