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Lyon port de mer ou nœud de réseau ?

Photographie du Pont Bonaparte sur la Saône
La Saône - Pont Bonaparte

Texte de Jean-Claude DECOURT

Dans l'Antiquité gréco-latine, Lugdunum est d'abord la ville du confluent, beaucoup plus que la ville des deux collines.

C'est ce trait de la géographie locale que mettent en lumière historiens, géographes ou poètes lorsqu'ils évoquent la cité, et le prêtre du culte impérial pour la province des Trois-Gaules - une très haute charge - porte le titre officiel de « prêtre du sanctuaire de Rome et d'Auguste au confluent de la Saône et du Rhône »…

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Date : 01/01/2001

Dans l'Antiquité gréco-latine, Lugdunum est d'abord la ville du confluent, beaucoup plus que la ville des deux  collines. C'est ce trait de la géographie locale que mettent en lumière historiens, géographes ou poètes lorsqu'ils évoquent la cité, et le prêtre du culte impérial pour la province des Trois-Gaules - une très haute charge - porte le titre officiel de « prêtre du sanctuaire de Rome et d'Auguste au confluent de la Saône et du Rhône ». Ce confluent revêt très vite et gardera très longtemps une valeur à la fois géopolitique et symbolique très forte : « Ce point marque le début de la Gaule et, à partir de là, les distances sont mesurées non point en milles, mais en lieues » écrit l'historien Ammien Marcellin au 4e siècle après J.-C. encore.

Frontière, donc, lieu de rupture, certainement, entre la Méditerranée civilisée et le Septentrion barbare. Mais aussi, par force, point de contact, ce qui explique, au moins pour une part, le choix initial de la ville comme capitale provinciale et sa fortune sous l'Empire. Pour le géographe grec Strabon (1er avt- 1er ap. J.-C.), Lugdunum est clairement un port de mer : le transbordement se fait au confluent, la navigation se poursuit sur la Saône et le Doubs, puis, après un court transfert terrestre, la Seine ou le Rhin (la Loire n'apparaît guère) : matières premières, produits agricoles ou manufacturés, troupes et voyageurs civils empruntent cette voie d'eau.

En réalité, cet axe de circulation, qui relie la Mer intérieure et ce que les Anciens nommaient l'Océan, c'est-à-dire l'ensemble Atlantique-Manche-Mer du Nord-Baltique, très ancien, est bien antérieur à la conquête romaine : il correspond à deux voies à demi mythiques, la «route de l'ambre », en provenance des régions baltiques, et la « route de l'étain », produit de la Grande-Bretagne actuelle. Les bateliers lyonnais, les « nautes de la Saône et du Rhône », forment une très puissante corporation ; de grands négociants étrangers s'installèrent aussi à Lugdunum, comme ces deux Syriens dont nous possédons les épitaphes en grec : l'ouverture vers la mer implique ainsi des relations avec l'ensemble du bassin méditerranéen, particulièrement avec le Proche-Orient, mais aussi l'Espagne ou l'Afrique du Nord.

Dès l'Antiquité, on tenta d'améliorer les conditions de circulation. D'abord par des aménagements limités, dans les deltas du Rhône et du Rhin. Mais surtout, au temps de Néron (54-68), comme le rapporte Tacite, fut conçu le projet de creuser un canal de la Moselle à la Saône pour supprimer toute rupture de charge entre Méditerranée et Mer du Nord. Ce projet, lointain ancêtre du canal Rhin- Rhône, mais dont les objectifs étaient plus militaires qu'économiques, échoua, écrit l'historien, non du fait de sa démesure ou d'impossibilités techniques, mais en raison de rivalités entre responsables politiques régionaux.

Dans les conceptions que les Anciens se font d'un bassin fluvial, en réalité, le Rhône n'existe pas seul ou avec ses seuls affluents. Presque tous les fleuves occidentaux importants (Rhin, Rhône, Saône, Danube et Pô) naissent, pour eux, au même endroit et il existe, au sein de ce château d'eau de l'Empire, ce que nous nommerions des « interconnections » : les navires passent sans difficulté du Danube au Rhin ou au Rhône. Pour certains géographes, même, le Rhône se jette à la fois dans l'Océan et dans la Méditerranée. Il n'y a là pourtant ni ignorance ni licence poétique, mais un système de représentation de l'espace qui privilégie, pour reprendre la distinction de P. Barrière, au détriment des « rivières réelles » de la géographie physique, des « lignes d'eau » relevant de la géographie humaine : manière de voir en réseau étonnamment moderne.