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L'eau du robinet...et les autres

Photographie représentant de l'eau de pluie

Texte de Laure ISNARD et Bernard BARRAQUE

En Europe, la consommation d’eau des villes baisse, mais ce n’est pas seulement grâce à la lutte contre les fuites !

Les ressources alternatives à l’eau de distribution font florès et concurrencent les systèmes collectifs. Analyse à charge et décharge d’une évolution de grande ampleur, que les collectivités ont intérêt à accompagner dès aujourd’hui.

→ Texte écrit pour la revue M3 n°5.

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Date : 01/06/2013

En Wallonie, si l’eau distribuée par le réseau public reste la source d’approvisionnement la plus importante, 60 % des ménages font appel à des ressources alternatives, issues de la récupération de l’eau de pluie ou de forages individuels. 33 % des ménages utilisent d’ailleurs ces ressources alternatives à l’eau de distribution pour au moins un usage intérieur (lessive, entretien du logement ou alimentation des chasses d’eau).

La consommation par les ménages d’eau provenant d’une ressource alternative, pour les usages intérieurs au logement, est estimée à 11 millions de mètres cubes par an (sur 140 millions distribués au total par la Société publique de la gestion de l’eau), soit une « perte » annuelle de 12,3 millions d’euros pour le service d’eau (AQUAWAL 2009). Ce recours à des ressources alternatives fait tomber la consommation moyenne en dessous de 80 litres par personne et par jour !

Un état des lieux sur les systèmes d’approvisionnement en eau alternatifs au réseau en France est prévu pour fin 2013, en collaboration avec l’Onema, mais il n’existe pas encore d’études aussi précises en France sur l’impact des techniques d’approvisionnement en eau alternatives au réseau. On comprend qu’elles perturbent déjà l’équilibre financier du service public.

À Niort, le syndicat des eaux du Vivier s’inquiète de la multiplication des forages individuels ; en Languedoc-Roussillon, la tendance est plus marquée encore : 10 à 15 % des ménages possèdent un puits ( jusqu’à 50 % des ménages dans certaines zones où la nappe alluviale affleure) pour couvrir leurs besoins en eau extérieurs (remplissage des piscines et arrosage des pelouses) selon les études menées en 2011 par Marielle Montginoul et Jean-Daniel Rinaudo. L’augmentation du prix de l’eau et la diffusion de plus en plus large des idées et des techniques d’autonomisation par rapport au service public pourraient conduire à un développement incontrôlé de ces ressources alternatives.

Les services publics d’eau potable et d’assainissement, dont la durabilité dépend à l’heure actuelle des recettes apportées par les factures d’eau, elles-mêmes liées aux volumes consommés, risquent d’être pris à contre-pied par le développement spontané de ces techniques alternatives au réseau. Pour ne pas perturber l’équilibre financier des services publics, il faudrait alors augmenter le prix unitaire du mètre cube d’eau potable. Mais cela pénaliserait ceux des usagers qui ne seraient pas en mesure d’installer chez eux ces systèmes alternatifs au réseau, généralement coûteux et gourmands en espace…

 

Quelle équité ?

Pourtant, on ne peut pas se permettre de condamner sans appel ces solutions. Des consommations plus faibles en eau du robinet pourraient permettre de réduire les besoins en infrastructures collectives coûteuses (inutile, par exemple, de renforcer le réseau pour alimenter en eau un lotissement nouveau, ou d’agrandir l’usine de potabilisation pour faire face à une demande croissante).

La réutilisation de l’eau de pluie dans les habitations pourrait conduire à une baisse des ruissellements lors d’épisodes pluvieux. Enfin, les systèmes alternatifs, en impliquant davantage les ménages dans leur approvisionnement en eau, pourraient les sensibiliser aux enjeux de préservation de la ressource en eau, et à la nécessité de lutter contre le gaspillage.

Comment faire alors pour intégrer de façon durable ces techniques alternatives dans le service public traditionnel en réseau ? Ce défi doit avant tout faire l’objet d’une véritable politique publique : il revient aux autorités organisatrices des services d’eau d’assumer cette évolution souhaitable de l’approvisionnement en eau. À elles de trouver les moyens, en concertation avec les techniciens et les usagers du service, de faire participer l’ensemble des ménages au financement équitable et à l’innovation continue du service public d’eau. La mise en œuvre difficile des services publics d’assainissement non collectif (Spanc) constitue à ce titre un exemple des écueils à éviter et des leviers d’action disponibles.

La combinaison durable des techniques alternatives et du réseau traditionnel au sein d’un service public unifié pourrait alors conforter une filière économique des systèmes autonomes d’approvisionnement en eau. Elle justifierait aussi une meilleure coopération décentralisée avec les pays émergents, pour lesquels l’installation de réseaux d’eau tels que nous les connaissons en Europe reste encore souvent hors de portée.