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Gaston Berger : inventeur de la prospective

Étude

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Date : 01/06/2008

Gaston Berger fut un homme d’action. Action industrielle d’abord puisque lorsqu’il était tout jeune homme, il devint chef d’entreprise pour subvenir au besoin des siens. Action politique également car sa longue carrière le mena à occuper des postes institutionnels majeurs essentiellement en lien avec l’enseignement supérieur. Action intellectuelle enfin et surtout car sa pensée sans cesse en mouvement fit de lui un penseur incontournable du début du XXe siècle. Inventeur, entre autres, de la prospective, Gaston Berger a posé les jalons d’une philosophie novatrice, qui encore aujourd’hui stimule et aiguise les esprits.

 

Autodidacte, novateur et prolifique

Autodidacte, Gaston Berger (1896-1960) était un homme curieux. Né en 1896 à Saint-Louis au Sénégal, il a consacré sa vie entière à l’acquisition de connaissances et à l’élaboration de projets novateurs. Pourtant, ses débuts dans la vie professionnelle ne devaient pas correspondre aux souhaits qu’il s’était formulé. En effet, pour des raisons familiales, Gaston Berger abandonna ses études secondaires en fin de troisième et dut travailler pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Au fil du temps, devenu chef d’entreprise – il dirigeait une fabrication d’engrais pour la floriculture –, il consacra ses loisirs à l’apprentissage de la philosophie. Acquérir des connaissances, comprendre le monde, le décrypter étaient les leitmotivs qui guidaient cet homme curieux. A 25 ans, toujours chef d’entreprise, il souhaita acquérir plus de savoirs ; aussi il entreprit de reprendre ses études et finit par passer son baccalauréat. Dès lors, il n’aura de cesse d’acquérir des connaissances. En 1925, il obtint une licence de Lettres et se mit à préparer l’agrégation. Malheureusement, submergé par ses taches, il dut abandonner avant de l’obtenir. De même, passionné de philosophie et de médecine, il songea en 1935 à entreprendre des études de médecine. Toutefois encore, son emploi du temps de chef d’entreprise ne le lui permit pas.

Mais dix ans plus tôt, en 1925, il avait fondé la Société d’études philosophiques et la revue Etudes Philosophiques. Cette société savante lui permit alors d’entrer en contact avec un grand nombre de philosophes et d’organiser dès 1938 le premier congrès des Sociétés de philosophie de langue française. La seconde Guerre Mondiale ne mit pas fin à ses activités intellectuelles. En 1941, il soutint deux thèses de doctorat l’une sur la connaissance et l’autre sur la phénoménologie de Husserl. Il obtint alors un poste universitaire à la Faculté des Lettres d’Aix-Marseille.

Gaston Berger n’était pas seulement un homme engagé intellectuellement, il l’était également politiquement et prit une part active dans les mouvements de Résistance lors de la seconde Guerre Mondiale.
Après la guerre, sa notoriété devint internationale notamment grâce à sa nomination en 1948 au titre de Visiting Professor à l’Université de Buffalo aux Etats-Unis.

 

Administrateur, chef d’entreprise et philosophe

Gaston Berger multipliait les actions et les fonctions. Alors qu’il continuait son travail d’exploration philosophique, il restait chef d’entreprise, professeur à la faculté et directeur de la Radiodiffusion et de la presse régionales.
Entre 1949 et 1952, il devint secrétaire général de la Commission franco-américaine d’échanges universitaires. Gaston Berger s’intéressait beaucoup aux questions relatives à l’enseignement supérieur. En 1952, il fut nommé directeur général adjoint de l’Enseignement supérieur où il restera jusqu’en 1960, date à laquelle il démissionna pour se consacrer davantage à son travail intellectuel et philosophique. Toutefois, son travail d’administrateur dans l’enseignement supérieur eut de nombreuses retombées. Gaston Berger permit la création de liens entre l’Université et différentes entités : armée, industrie, grande administration. Si sa volonté était que l’université maintienne ses traditions de « temple du savoir », il souhaitait aussi qu’elle s’adapte et réponde davantage au monde qui l’entoure. Gaston Berger fit en sorte de faire entrer des sciences humaines dans les Facultés de Lettres. Il pensait que la philosophie devait s’appliquer aux problèmes concrets auxquels les hommes sont confrontés.

Alors qu’il était directeur général adjoint de l’Enseignement supérieur Gaston berger mit en place l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Lyon en collaboration avec le scientifique Longchambon, le ministre Billières et le recteur Capelle. Ce projet de formation répondait à une forte demande : le pays manquait d’ingénieurs et avait besoin de techniciens pour reconstruire le pays. Aussi, Gaston Berger voulut donner plusieurs spécificités à cette nouvelle école. Tout d’abord, il l’installa à Lyon car les liens entre les facultés des Sciences et les industriels existaient déjà. Ensuite, en accord avec le recteur Capelle, il mit en place un système de classes préparatoires intégrées – les élèves entraient dans l’INSA directement après leur bac et ne suivaient qu’une année de préparation – ainsi que deux filières : une d’ingénieur et une de technicien supérieur accessible sans baccalauréat. Enfin, le projet pédagogique de l’INSA s’appuyait sur la volonté de former en grand nombre d’ingénieurs humanistes ce qui impliquait l’intégration dès la première année d’un enseignement en sciences humaines et sociales adapté au métier d’ingénieur. L’INSA de Lyon se dota dès 1957 d’un centre des humanités qui abritait les enseignements SHS, aussi bien les langues, que l’économie, la gestion ou encore la culture générale et la communication. L’INSA de Lyon a fêté son cinquantenaire en 2007.
Au cours de ce demi siècle, le modèle a été exporté dans 4 autres villes françaises : Rennes, Strasbourg, Toulouse et Rouen. Les 5 INSA ainsi créés forment un réseau. Ils sont conçus selon le même modèle : des classes préparatoires intégrées et un fort enseignement SHS. Aujourd’hui, les classes préparatoires se font en deux ans comme dans les autres écoles mais les INSA développent des spécificités fortes : lien avec la recherche, lien avec le tissu industriel, filières internationales, filières spéciales, etc.

 

Philosophie et Prospective

Si l’INSA reste une réalisation concrète de l’administrateur Gaston Berger, ce qu’il apporta à la philosophie n’en est pas pour autant à oublier.
La philosophie de Gaston Berger s’appuyait sur sa forte volonté de compréhension. Il disait que la question la plus primordiale était celle de la clarté. Il s’attachait à élucider les mystères de la connaissance en répondant à la question « qu’est-ce que comprendre ? ». Aussi, il fonda une nouvelle théorie philosophique qu’il nomma la théorétique, conçue comme une science de la compréhension. L’objectif de cette philosophie qui s’appuyait notamment sur les travaux d’Husserl et de Descartes était de fournir des « outils » susceptibles d’aider à la compréhension du monde.
Toutefois, si Gaston Berger souhaitait comprendre le monde dans lequel il vivait, il voulait aussi pouvoir en connaître l’avenir. C’est pour cette raison, qu’il fonda en complément à la théorétique, le mouvement « Prospective ». La « prospective » ainsi pensée par Gaston Berger était une science du « comprendre en avant » et plus exactement « une science de la compréhension de l’avenir pour participer à sa réalisation ». Ce projet se concrétisa par la création du Centre international de Prospective et par des réflexions interdisciplinaires menées conjointement par des sociologues, des philosophes, des diplomates, des juristes, des industriels, des financiers, des physiciens, des mathématiciens, etc. Ces réflexions avaient comme objectif principal de prévoir les besoins de demain tant d’un point culturel et moral que philosophique ou matériel.
Cette philosophie avait ceci de particulier qu’elle ne s’appuyait pas seulement sur la compréhension du passé et du présent pour se placer dans une logique prospective et envisager l’avenir ; elle demandait une « imagination créatrice » et une forte réflexion trouvant son sens dans de complexes calculs. A bien des égards, cette philosophie put paraître utopique dans le sens où elle nécessitait des intelligences avisées et des calculs nombreux mais elle se fondait aussi sur des résultats avérés en envisageant « positivement » leurs conséquences. La philosophie de Gaston Berger a ainsi permis l’émergence de « l’attitude prospective ».

Gaston Berger fut l’auteur de nombreux ouvrages dont Recherches sur les conditions de la connaissance, Paris, 1941 ; Le cogito dans la philosophie de Husserl, Paris, 1941 ; Traité pratique d’analyse du caractère, Paris, 1950 ; Caractère et personnalité, Paris, 1954.
Il était également président du Comité de l’Encyclopédie française/Larousse pour qui il écrivit de nombreux articles.

Gaston Berger reçut de nombreuses distinctions : il fut membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, il était président de la Société Française de philosophie, ainsi que du Centre universitaire international et du centre international de Prospective. Il fut directeur de nombreuses revues dont la Revue de l’Enseignement supérieur et la Revue des Etudes philosophiques. Il fut nommé commandeur de la Légion d’honneur et il était docteur honoris causa de plusieurs universités étrangères. Il présida également l’Institut International de philosophie de 1957 à 1960.

Gaston Berger mourut dans un accident de voiture le 13 novembre 1960. Il était le père du chorégraphe Maurice Béjart (1917-2007), lui-même parrain de la section Danse-études de l’INSA de Lyon.

Références : www.prospective.fr
François Perroux, Gaston Berger, Revue Tiers Monde, n°4, vol. 1, 1960, pp 357-358.