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Et l'eau de pluie ?

Eaux de pluie dans la ville
© Laurie Avocado sous licence Creative commons/ Atelier DREITSEITL

Texte de Bernard Chocat

Article écrit pour la revue M3 N°5.

L’eau de pluie qui tombe sur la ville a un statut très ambigu. Si elle tombe sur la pelouse, on l’observe avec satisfaction s’infiltrer vers la nappe et contribuer à la reconstitution de notre ressource. Mais si, par malheur, elle tombe quelques centimètres plus loin, sur le parking qui borde la pelouse, elle se transforme instantanément en un déchet et une menace. Et si on changeait de point de vue ?

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Date : 22/07/2013

Le statut paradoxal de l’eau de pluie est dû à notre modèle dominant de gestion des eaux urbaines. Hérités du XIXe siècle, les systèmes techniques qui prennent en charge les eaux pluviales sont presque toujours fondés sur l’utilisation intensive des réseaux. Les eaux qui ruissellent sur les surfaces imperméables sont ainsi introduites dans un gigantesque réseau de conduites souterraines, souvent mélangées à des eaux usées, concentrées dans des tuyaux de plus en plus gros qui convergent vers les points bas des villes — souvent leurs centres historiques — et rejetées dans le milieu naturel, au mieux après un passage rapide dans une station d’épuration qui n’est de toute façon pas conçue pour traiter de tels débits. Si la pluie est trop forte, la capacité du tuyau à transporter le débit devient insuffisante et le torrent d’eau sale qui s’écoulait sous la ville, hors de la vue des citadins, réapparaît brusquement en surface et provoque des dégâts très importants aux biens et parfois aux personnes. Polluant, dangereux, coûteux, ce système qui gâche une ressource et la transforme en démon semble donc fortement illogique. Mais par quoi le remplacer ?

Une citerne qui joue perso

La première idée, perçue comme écologiquement exemplaire et fiscalement encouragée, consiste à récupérer les eaux de pluie pour un usage domestique. Installer une citerne sous sa gouttière est à première vue doublement avantageux : avantageux pour la collectivité qui n’a plus à se préoccuper de la collecte et de l’évacuation des volumes ainsi stockés et avantageux pour le particulier qui récupère une ressource gratuite et dont la qualité est largement suffisante pour arroser son jardin, laver sa voiture ou même alimenter sa machine à laver ou ses toilettes. Mais rien n’est simple dans le monde de la gestion urbaine de l’eau. Le volume de la cuve, même si elle est vide au début de la pluie, est rarement suffisant pour avoir un réel effet sur la diminution des débits de pointe. L’intérêt collectif pour limiter les risques d’inondation ou la pollution des milieux récepteurs est donc très limité. De plus, récupérer l’eau de pluie pour un usage privé et personnel, c’est la soustraire au cycle naturel aussi sûrement que si on la laisse ruisseler sur une surface imperméable. Il n’y a donc pas d’économie globale de la ressource et l’eau ainsi récupérée ne contribue pas davantage à reconstituer les nappes ou à alimenter la végétation urbaine. Enfin, le mélange de solutions individualisées avec une solution collective risque de mettre en péril le modèle économique. Le coût du service d’eau est essentiellement dû à l’amortissement et à la maintenance des infrastructures qui représentent souvent 80 % des dépenses. Si la récupération de l’eau de pluie se généralise, alors les consommations d’eau se réduisent. Si la consommation se réduit, les recettes font de même. Pour maintenir l’équilibre économique du service, il faut donc augmenter le prix du mètre cube. L’économie pour l’usager est donc loin d’être garantie à terme et les risques d’iniquité se développent, car si la consommation baisse, les rejets, eux, restent constants. Ainsi, même si le stockage des eaux de toitures pour arroser son jardin est bien évidemment une pratique à encourager, la promotion, sans précaution, d’une politique généralisée de récupération des eaux de pluie est donc très loin de constituer un remède miracle.
Ceci est d’autant plus vrai que d’autres solutions existent. Certaines sont très simples et consistent à favoriser l’infiltration pour augmenter la ressource collective. D’autres nécessitent de sortir des chemins battus et de penser différemment le problème. L’alternative réelle n’est en effet pas uniquement technique. Notre objectif ne doit plus être simplement de développer de nouvelles technologies pour gérer les eaux de pluie ; il doit consister à adapter la ville pour que les eaux de pluie la servent au lieu de la perturber. Nous devons concevoir des villes respectueuses de l’eau.

De quoi rafraîchir les villes en été

Et il existe une multitude de façons d’utiliser l’eau pour servir l’urbain. La plus actuelle, sans doute est liée au changement climatique. S’il n’est pas sûr que les pluies seront, partout, toujours plus intenses et toujours plus fréquentes, il est en revanche certain que les périodes caniculaires le seront. La lutte contre les îlots de chaleur urbains va donc probablement constituer l’un des enjeux majeurs des prochaines décennies. Le meilleur moyen de climatiser la ville consiste à évaporer de l’eau. Or l’eau de pluie est gratuite et disponible là où l’on en a besoin : au cœur des villes. Stocker l’eau sur des toitures végétalisées, dans des chaussées à structure réservoir, poreuses ou non, la mettre à disposition de la végétation, constituent des méthodes simples et élégantes de valoriser l’eau, de rafraîchir la température et d’améliorer le confort thermique. Mais au-delà des avantages pratiques que ces solutions promettent, adapter la ville à la pluie, c’est aussi l’opportunité de développer la biodiversité, d’améliorer les paysages urbains et de créer de nouveaux espaces de vie, de nature et de convivialité, nécessaires à une ville qui va devoir se densifier. Pour que cette approche réussisse, une condition essentielle doit être remplie : il faut que tous les acteurs de la ville — urbanistes, paysagistes, écologues, ingénieurs, etc. — travaillent ensemble pour réinventer la ville de demain.