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Eco-cités à l'échelle de la Chine

Fuxin - Liaoning© Liaoning Gateway

Texte de Siegfried Zhiqiang Wu

En trente ans, 300 millions de ruraux ont rejoint les villes, modifiant profondément la vie chinoise. Accès à l’énergie, maîtrise des émissions de carbone, qualité de l’air,gestion des déchets… En 2013, le gouvernement central a fait de l’écologie une priorité. Pour une urbanisation plus intelligente, plus verte et moins polluante.

Texte écrit pour la revue M3 n°7.
Date : 01/06/2014

Urbanisation et défis environnementaux

D’après les statistiques officielles, pendant trente ans le PIB de la Chine a progressé en moyenne de 9,4 % par an et le revenu par habitant a quadruplé. Cet accroissement s’est accompagné d’une accélération de l’urbanisation. En 1978, le taux d’urbanisation mondial est passé de 30 % à 40 %, tandis que celui de la Chine plafonnait à 18 %. Cette situation a changé : une série de réformes politiques et économiques a initié un développement de l’urbanisation qui a atteint 50 % en 2012, rejoignant le niveau mondial. En trente ans, 300 millions de Chinois se sont déplacés des zones rurales vers les zones urbaines. Environ 12 millions de ruraux s’installent en ville chaque année. Cet exode massif est le phénomène le plus remarquable dans l’histoire de la Chine contemporaine. L’urbanisation rapide a des impacts profonds sur tous les aspects de la vie chinoise. Cette très forte croissance urbaine pose des problèmes considérables, dont l’accès aux sources d’énergie, et le suivi et la maîtrise des émissions de soufre — dues principalement à la consommation de charbon des habitants des régions du nord pour se chauffer — et de CO2.
C’est à partir de ces enjeux que notre équipe a orienté sa recherche sur les défis environnementaux de l’urbanisation en Chine. Nous avons rédigé en 2000 une Déclaration de la construction verte pour sensibiliser la société aux problèmes énergétiques et environnementaux. En 2002, nous avons organisé la première conférence annuelle sur le bâtiment vert. Pour sa 10e édition cette année, nous recevrons plus de six mille participants. L’objectif : mobiliser les politiciens, entrepreneurs et praticiens concernés afin d’échanger sur l’urbanisation et les défis environnementaux, de partager nos expériences et de chercher des solutions. La Chine, dans des conditions très différentes des pays occidentaux, ne doit pas reproduire la voie des États-Unis ou de la France. Elle doit trouver sa propre voie vers un développement plus durable et plus intelligent. Pour y parvenir, nous avons besoin d’innovation, d’éducation et de coopération avec les pays occidentaux.

 

Politiques de développement écologique des villes chinoises

L’éco-stratégie de la Chine est en retard, comparée à d’autres expériences internationales. En 1989, une stratégie de développement durable du gouvernement chinois a été mise en place. Vingt ans plus tard, la Chine s’est engagée, dans le cadre de la Conférence de Copenhague, à réduire les émissions de CO2 de 40 à 45 % par rapport à 2005. Enfin, en 2013, le gouvernement central a établi l’écologie comme une priorité, pour une urbanisation plus intelligente, plus verte et moins polluante. Toutes ces politiques furent mises en place au niveau global : de la capitale vers les provinces, des provinces vers les autorités locales et la ville. C’est un processus
descendant.

 

Bâtiment vert et système d’évaluation

La première étape de la mise en place de la politique des éco-cités a permis d’établir notre propre système d’évaluation. À partir de 2000, le gouvernement chinois a adopté une série de décrets, traités et régulations dans les domaines de l’environnement et de l’énergie. Lors de congrès internationaux nous avons rencontré de nombreux experts américains, allemands, japonais et échangé sur leurs expériences — par exemple, le système LEED américain, DGNB allemand, HQE français, méconnus en Chine. Nous avons élaboré notre système d’évaluation à partir de ces expériences. La Chine étant un pays très étendu, nous avons progressivement déployé ce système d’évaluation dans les 22 provinces, en l’adaptant à leurs spécificités (climat, situation économique, normes de construction, etc.). Nous avons également rédigé le Manuel de l’évaluation du logement écologique en 2001 et le Standard d’évaluation du bâtiment vert en 2003 à partir de six critères principaux (environnement, consommation énergique, ressource en eau, en matériaux, qualité d’air, opération / management). Nous avons ensuite créé une série de labels et guides « Bâtiment vert », sur la conception du bâti et son impact sur l’environnement. Depuis 2010, nous essayons d’élargir l’échelle d’évaluation du bâtiment à la résidence, au quartier, et jusqu’à la ville. Comment évaluer une ville écologique ? En répartissant le système d’évaluation en cinq domaines : économie des ressources, cadre de vie, économie durable, société harmonieuse, démonstration / innovation. Pour le cadre de vie, par exemple, nous observons les critères de qualité d’air, de déchets, de brut, des espaces verts, d’émission carbone. Pour l’aspect social : le logement, la santé, l’éducation, les équipements publics, le transport / accessibilité, la sécurité de la ville et l’égalité sociale sont évalués. Ce cadre de travail, pourtant assez complet, doit encore être élargi. C’est pourquoi nous avons constitué une équipe composée de dix-neuf groupes d’experts dans différents domaines (bâtiment intelligent, éolien, etc.). Chaque secteur possède sa propre évaluation, ce qui induit un travail complexe de coordination. Nous allons travailler sur le thème « Campus vert », en espérant partager nos expériences avec des experts français.

 

Projets pilotes des éco-cités

Selon le 12e programme quinquennal, la Chine va développer 1 milliard de m2 en bâtiments verts d’ici fin 2019. En cinq ans, 20 % des bâtiments construits devront répondre aux critères du bâtiment vert. Les exemples d’éco-cités se multiplient : 280 villes chinoises, principalement concentrées autour de Shanghai, Pékin et Canton, ont été labellisées en 2012.

Nos nombreuses études sur le système éco-cités a permis d’établir une riche cartographie des villes chinoises : répartition de l’énergie solaire, éolienne et géothermique. Ces cartes présentent globalement les caractéristiques des ressources énergétiques de la Chine. Elles constituent un outil élémentaire pour comprendre les conditions écologiques et énergétiques des villes dans les différentes régions.

Notre centre de recherche a travaillé sur deux principaux projets d’éco-cités. Le premier concerne la restauration écologique de Fuxin. Cette ville minière importante du nord de la Chine se trouve dans la province de Liaoning, à proximité de la Mongolie intérieure. Dans les années 1990, après cent ans d’exploitation, les ressources minières ont été épuisées. 50 % de population était au chômage en 2004. La ville était alors percée de carrières, la terre s’écroulait parfois le soir et les habitants vivaient sous une véritable menace écologique. Enfin, la fumée et les émissions de CO2 dégradaient considérablement la qualité de l’air. Fuxin a été classée « ville aux ressources épuisées » par le gouvernement central en 2007. Notre mission : analyser le système écologique et chercher des ressources de substitution. Après avoir conduit une étude sur plusieurs années, nous avons proposé au gouvernement
de Fuxin d’exploiter les ressources éoliennes et solaires, la ville se situant dans une zone climatique propice à ces énergies renouvelables. Notre proposition a été acceptée. Cinq ans plus tard, le système d’énergie éolienne et solaire fonctionne très bien. Pour cette ville de 2 millions d’habitants, les ressources sont aujourd’hui suffisantes, la production énergétique dépassant les besoins de toute la ville. La qualité de l’air s’est améliorée et de nombreux mineurs au chômage ont retrouvé une activité professionnelle dans cette nouvelle industrie énergique.

Un autre projet a été lancé à Guangzhou (ou Canton, dans la province de Guangdong), ville en extension continue vers le sud, jusqu’à une île où des arbres fruitiers sont cultivés. Mais avec l’urbanisation et la pollution de l’air, ces plantations ne sont plus productives. Les paysans sont pauvres parce qu’ils n’arrivent pas à récupérer leur coût de production. Une mission pour la ville de Guangzhou a été conduite afin de transformer cette zone et améliorer son image. Après de nombreuses études sur la reconstruction du système écologique, nous avons proposé de transformer cette île en un « coeur vert ». Elle va devenir le plus grand parc de la ville : une autoroute de 6 km sera transformée en couloir vert, des hôtels, des restaurants et des résidences seront bâtis de manière écologique, de grandes zones végétalisées le long de la rivière et près des collines seront conservées pour favoriser la biodiversité. L’émission de CO2 des infrastructures et des bâtiments a été parfaitement calculée. Nous voulons que ce parc expérimental devienne le vrai coeur vert de Guangzhou et soit toujours préservé, malgré l’extension de la ville.