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Eau : pénurie et abondance relatives

Illustration représentant un tuyau pompant l'eau d'une rivière

Étude

Le changement climatique est là, et il risque de toucher sévèrement les ressources en eau de nos territoires.

Un virage s’impose donc dans nos politiques pour éviter l’apparition de conflits et de situations de pénurie d’eau en France à moyen terme. Il nous faudra aussi résister à la tentation des fausses bonnes solutions, la « maladaptation ».

→ Article écrit pour la revue M3 n°5.

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Date : 30/04/2013

On en a encore peu conscience, mais les résultats scientifiques sont clairs : le climat change déjà. Aujourd’hui, le climat de Lyon est semblable à celui d’Avignon il y a trente ans.

On constate dans le sud de la France un assèchement des sols dû à la hausse des températures et donc de l’évaporation et de la consommation d’eau par le couvert végétal, et les étiages sont de plus en plus sévères et précoces. La température moyenne annuelle sur le sud-est de la France pourrait s’élever encore de 3 à 5°C à l’horizon 2080, avec un réchauffement plus marqué en été. Sur les bassins côtiers, une pointe à +10°C au mois d’août est même envisagée dans un scénario pessimiste. Cette hausse des températures moyennes s’accompagnera d’une hausse en fréquence et en intensité des phénomènes de canicule, avec une possible multiplication par dix du nombre de jours caniculaires à l’horizon 2080.

Autrement dit, un été comme celui de 2003 pourrait devenir courant à la fin du siècle. Le réchauffement du climat induit aussi une diminution du couvert neigeux, à la fois du fait de moindres chutes de neige et d’une fonte accélérée. Ainsi on peut s’attendre à une perte de durée d’enneigement de moitié au sud des Alpes dès 2030. À basses et moyennes altitudes (1 200 à 1 800 mètres), le manteau neigeux sera le plus touché.

Nos régions font partie des quelques zones du globe où les différents modèles climatiques s’accordent sur une baisse des pluies en été dès le moyen terme ( jusqu’à -60 % en 2080 le long des côtes méditerranéennes). Conjuguée à l’assèchement des sols, la baisse de l’enneigement ainsi que le raccourcissement de la période de fonte, elle provoquera une baisse significative des débits en période estivale.

D’ici les années 2050, le débit des rivières en été devrait chuter de 20 à 50 %. En 2050, les affluents non méditerranéens du Rhône (Saône, Loue, Ognon…) perdraient 20 à 50 % d’eau en été et en automne, et jusqu’à 75 % en été pour l’Isère et la Durance. Ces projections sont impressionnantes par l’amplitude, mais aussi par la vitesse des changements à venir. Elles font partie des conclusions robustes et convergentes d’une synthèse scientifique qu’a réalisée l’Agence de l’eau en septembre 2012. Les travaux de recherche s’accélèrent et donnent désormais des résultats à une échelle de l’ordre d’un 100e de la France.

 

Péril sur le refroidissement industriel

Conséquence immédiate, le péril économique menace nos stations de ski de moyenne et basse altitudes en commençant par le sud. Plus surprenant, le Rhône va voir son débit d’été chuter de 30 % en 2050 à 50 % en 2080. Ce sont toutes les sécurités pour le refroidissement industriel, la production hydroélectrique ou les équilibres d’approvisionnements quantitatifs qui vont s’en trouver affectées. Le Rhône ne sera plus inépuisable. Facteur aggravant, les eaux du Rhône se sont déjà réchauffées de 2°C à son embouchure en été depuis la fin des années 1970, et ce réchauffement devrait se poursuivre. Cela signifie que le refroidissement des centrales devra se faire avec moins d’eau, et de l’eau plus chaude.

L’usage agricole pourrait être le plus touché : la hausse des températures et les conditions plus sèches induiront une hausse des besoins en eau des plantes cultivées, se traduisant par l’augmentation de la demande en eau d’irrigation ou par des pertes de rendement dues au stress hydrique. La question se posera de la viabilité de certaines pratiques
culturales.

Enfin, les températures en hausse et les débits en baisse dans les rivières fragiliseront fortement les écosystèmes. Or les écosystèmes nous sont précieux parce qu’ils sont à la fois indicateurs du changement climatique et une partie de la solution. En bonne santé, ils disposent d’une remarquable capacité d’adaptation qui seule sauvera bon nombre de territoires de phénomènes extrêmes (maladies ravageuses, dépeuplements). Il nous faut d’urgence faire baisser les pressions (pollutions, prélèvements) et ainsi retrouver la capacité de résilience des milieux.

La vulnérabilité au changement climatique commence dès maintenant : 40 % du territoire des bassins du Rhône et des côtes méditerranéennes sont déjà touchés par le manque d’eau avec une pénurie observée au moins une fois tous les cinq ans. Malgré la relative abondance de l’eau en France et en particulier le long du Rhône, la gestion quantitative de la ressource devient une priorité. Les solutions classiques (stockage, ressources de substitution) ne suffiront pas pour compenser la baisse des ressources en eau. Pire, elles pourraient se révéler des pièges économiques : calculées à climat constant, encore aujourd’hui, elles n’atteindraient plus la rentabilité qui avait été espérée pour elles à 40 ou 50 ans.

 

Arbitrages entre les productions agricoles et l’urbanisation

Pour éviter l’apparition de conflits autour de la ressource, une chasse au gaspillage doit être lancée alors que de nombreuses communes perdent la moitié de l’eau entre la source et le robinet. De même, les canaux anciens du sud coulent en permanence et inondent les champs, alors qu’un goutte-à-goutte régulé diviserait cette consommation par dix. L’économie correspond à des rivières entières qui peuvent sauver les activités les années sèches.

De plus, l’eau va s’inviter dans le débat de l’aménagement du territoire et le forcer à s’adapter. L’analyse de la vulnérabilité des activités aux impacts du changement climatique fera ressortir les points rouges de nos territoires. Dans ces endroits, il faudra arbitrer entre les productions agricoles, entre elles et avec l’urbanisation. Une ville pourra préférer, par exemple, réserver l’eau au maraîchage périurbain en circuit court plutôt qu’au maïs, plante d’origine tropicale et grande consommatrice d’eau. L’urbanisation galopante de nos territoires sera aussi mise en balance pour la première fois avec la rareté de l’eau, au risque de tomber dans les errements actuels de l’Espagne.

La solidarité entre les différents usages et territoires devra être repensée. Au point où en est la science, les incertitudes ne peuvent plus servir à justifier l’inaction : le coût de la non-action est clairement défavorable. En revanche, les projections issues des modèles, si elles ne permettent pas de prédire avec certitude notre avenir climatique et hydrologique et de dimensionner des ouvrages, permettent d’encadrer l’ensemble des futurs possibles. En général, les modèles hésitent sur l’ampleur ou la rapidité des phénomènes bien établis comme l’élévation des températures moyennes et tiennent pour incertains beaucoup d’autres, comme ceux relatifs aux crues.

La bonne idée pour décider sera d’évaluer un faisceau de mesures alternatives pour ne retenir que celles qui seront les plus souples et donc les plus robustes face aux évolutions possibles à un horizon de temps correspondant à la durée de chaque investissement. Il s’agit d’intégrer que nous sommes entrés dans un climat désormais non stationnaire.

 

Quelle résilience pour les territoires ?

Il s’agit ensuite de s’orienter vers des mesures qui favorisent la résilience de nos territoires. Avec une évolution des ressources en eau qui ne se fera fortement sentir qu’à moyen terme, certaines solutions pourraient relever plus de la fuite en avant que de l’adaptation au changement climatique. Ainsi l’investissement dans des ressources de substitution qui seraient elles-mêmes rapidement amoindries du fait du réchauffement. C’est ce qu’on appelle la « maladaptation » qui menace les aménagements structurants imprudemment calculés à climat constant.

Une autre idée consiste à anticiper des seuils, des sortes de points de non-retour, au-delà desquels une activité ne serait plus considérée comme viable, impliquant l’anticipation et l’organisation de sa relocalisation. Les Pays-Bas ont ainsi défini des fréquences de submersion marine à partir desquelles ils organiseraient un repli des digues à la mer.

Le risque d’une crise de l’eau en France dans les décennies à venir ne peut plus être négligé, malgré l’abondance relative actuelle. Mais ce risque peut-être évité par un changement de paradigme dans la gestion de l’eau. C’est aux économies d’eau et aux visions de long terme que nous le devrons, ainsi qu’à un mode de décision, qui sera devenu de rigueur, et permettra la résilience de nos systèmes.