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Corps intermédaires ou citoyens ordinaires : Pour un néo-corporatisme urbain assumé

Texte de Guillaume GOURGUES

Date : 01/06/2014

Face à Face écrit pour la revue M3 n°7  (voir le point de vue de Julien Talpin : Pour une démocratie participative inclusive)

Faut-il dialoguer exclusivement avec les corps intermédiaires constitués ou mobiliser des « citoyens ordinaires »non engagés ? Les collectivités territoriales à l’initiative de processus participatifs sont souvent tiraillées. S’agit-il de légitimités citoyennes concurrentes ? Peut-on les penser non pas dans l’opposition mais dans leur complémentarité ?

La prise en compte de la parole des corps intermédiaires à l’échelle urbaine — associations, groupes d’intérêt, collectifs — repose sur un paradoxe. Malgré la multiplication des instances pérennes de consultation ouvertes aux acteurs de la société civile organisée, leur légitimité reste faible. Qu’il soit question de conseils de développement, de commissions consultatives des services publics locaux ou de conseils consultatifs ouverts à des publics spécifiques, une même ambiguïté demeure.

 

La difficulté d’une double mission

Cette ambiguïté tient à la juxtaposition de deux objectifs difficilement tenables en pratique. Les instances doivent produire une forme d’expertise capable de traduire, dans un format audible par l’institution, une analyse « experte » des sujets soumis à leur saisine. L’ambition est alors managériale. Elles doivent mobiliser les connaissances et les spécialités des groupes qui les composent, afin d’enrichir la conduite des politiques publiques urbaines. Mais elles sont aussi tenues de jouer un rôle démocratique, régulièrement présentées comme des expériences « participatives », ouvertes à des   représentants » de citoyens, auxquels on adjoint parfois des citoyens tout court (tirés au sort, par exemple). Le flou des textes de loi autorise cette double mission. Il maintient une série d’injonctions vagues et contradictoires, laissant le soin aux acteurs locaux de trancher sur le rôle exact de ces instances. Le manque de clarté des attendus des pouvoirs publics est générateur de tensions qui nuisent à leur fonctionnement. Leurs membres sont souvent incapables de définir une posture commune. Sont-ils des groupes d’intérêt ? Des experts ? Des porte-parole ? Mais de qui ? Des citoyens mobilisés ? De l’intérêt général ? Selon quelle légitimité ?
S’ouvre alors le grand jeu de l’analyse critique. Il souligne tantôt l’inlassable routine d’une production d’expertise trop consensuelle et policée pour influencer réellement les politiques publiques. Tantôt la distance séparant le grand public de ces espaces prétendument participatifs, marqués en réalité par le huis-clos et l’entre-soi des « têtes de réseau ». En attendant trop de ces instances, on en vient à désespérer de leur utilité.

 

Mettre en place un dialogue officiel

Pour sortir de cette impasse, il faut débarrasser la consultation des intérêts organisés de cette ambiguïté. Nous suggérons d’assumer pleinement l’ambition néocorporatiste des instances consultatives. À savoir la mise en place d’un dialogue officiel entre les autorités publiques et certains intérêts organisés (voire professionnalisés), sélectionnés par ces mêmes autorités afin de les associer à l’élaboration d’une décision publique.
Cette affirmation a deux implications principales. Premièrement, reconnaître que les organisations regroupées dans ce jeu consultatif sont mobilisées car elles défendent un intérêt identifié sur le territoire. Au nom de cet intérêt, et non en raison de leur expertise supposée ou d’un hypothétique statut de porte-parole, elles sont invitées à s’exprimer sur les projets d’action publique. Deuxièmement, leur consultation n’a jamais l’ambition de se substituer à la participation citoyenne. Dès lors, elle ne sert plus d’alibi au déficit de débat politique et démocratique dans les territoires urbains. Le néocorporatisme
n’est pas la démocratie participative. Il ne peut pas remplir, à lui seul, une ambition de débat public.
L’autre intérêt de cette affirmation néocorporatiste relève de la transparence des jeux d’influence locaux. Ce que la science politique nomme « gouvernance urbaine » repose sur un principe simple : l’entretien d’un échange permanent entre les pouvoirs publics et les intérêts constitués présents sur le territoire des villes, pour mettre en place les politiques publiques d’échelle urbaine. Or, ces échanges ont souvent lieu dans des espaces éclatés et discrets, entrainant une dissymétrie. Certains intérêts exercent une influence directe du fait de leurs ressources (promoteurs immobiliers, étudiés par Julie Pollard, enseignante chercheure, mais aussi industriels, corporations), alors que d’autres peinent à se faire entendre.
Affirmer l’existence d’espaces néocorporatistes facilite la transparence de ces jeux d’influence, en soumettant les intérêts puissants au même type de procédures que des intérêts plus fragiles. On imagine alors que des enjeux métropolitains cruciaux tels que les modes de gestion des services publics locaux, la répartition des investissements entre communes et quartiers, la construction de logements ou le soutien à une filière industrielle soient soumis à l’examen d’une pluralité d’intérêts, sortant l’élaboration de ces politiques des négociations intercommunales ou du lobbying. Les avis rendus par les instances régulatrices de ce néocorporatisme reflètent des controverses de fond et les convergences éventuelles entre intérêts contradictoires. Confronter ces intérêts divergents pousse à reconsidérer l’espace urbain comme un espace politique, fait de tensions et de choix alternatifs débouchant sur des compromis.
La participation des corps intermédiaires au gouvernement des villes doit devenir plus qu’une rhétorique. Elle nécessite d’être repensée, repositionnée et prise au sérieux pour jouer un rôle dans un contexte de forte pression économique et de standardisation des politiques urbaines