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Alexis CARREL (1873-1944)

Étude

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Date : 02/01/2007

Né le 28 juin 1873 à Ste-Foy- lès-Lyon, le jeune Alexis Carrel-Billiard, fils d’un fabricant de textiles, est un élève des Jésuites à l’externat St-Joseph à Lyon. Il commence des études de médecine en 1891 et, après l’internat en 1896, soutient sa thèse de doctorat en 1900. Ayant acquis, parallèlement, auprès d’une dentellière, une agilité manuelle hors du commun, il s’établit chirurgien vasculaire. Alors que sa renommée fait vite de l’ombre à ses collègues lyonnais plus âgés, sa réputation a traversé l’Atlantique.

 

Prix Nobel de médecine pour les Etats-Unis

Devant les propositions médiocres qui lui sont faites à Lyon et assuré de son propre génie, il s’embarque en 1904 pour le Canada. Il débarque à l’Hôtel-Dieu de Montréal où il est accueilli triomphalement. Il gagne ensuite Chicago où il s’exerce à des transplantations et en 1906, le Rockfeller Institute de New York lui offre un cadre à la mesure des ses ambitions. Là, son savoir faire atteint un niveau d’excellence qui lui permet en 1909 de transfuser un bébé en suturant une artère du père à la veine de l’enfant et en 1910, de greffer une patte à un chien. Devant de telles prouesses, rien d’étonnant à ce qu’il reçoive le prix Nobel de physiologie et de chirurgie physiologique, le premier de ce genre pour les Etats-Unis. En 1913, il se marie à une jeune veuve aristocratique française, femme autoritaire, dominatrice, qui va être le mauvais génie du brillant docteur Carrel.

 

Un génie que la France méconnaît

Auréolé de son prix Nobel, il revient à Lyon en 1914. La guerre est là. Lui, le spécialiste de la suturation est ignoré par les autorités militaires et l’accueil lyonnais est toujours aussi glacial. Heureusement une autorité américaine le sort de son anonymat et lui permet d’installer, près de Compiègne, dans un hôtel réquisitionné, un hôpital de campagne. Là, soutenu par des capitaux américains, assisté de sa femme et de l’anglais Dakin, dont la liqueur antiseptique fait des miracles, il opère et sauve des vies. Cela ne suffit pas à le faire accepter, ni par le service de santé des armées, ni par les autorités médico-civiles françaises. La raison ? Il est trop orgueilleux, voire caractériel. Carrel, lui, interprète ce rejet comme une injustice à l’égard de son talent. La France étant ingrate, il repart pour New-York, une fois la guerre terminée. Il y reste jusqu’en 1939. Là-bas, il est adulé. Il opère habillé en noir, dans une salle d’opérations peinte en noir, seul son calot est blanc. Il y a du narcissisme chez le docteur Carrel, mais il a de quoi être satisfait de lui-même, puisqu’il est parvenu à un résultat incroyable, la culture de tissus. A Paris, on conteste sa réussite. On se trompe, sauf sur un point, celui de penser, comme l’affirme Carrel, que les fibroblastes issues de la culture étaient immortelles. Il faudra attendre 1961 pour prouver le contraire ! En 1935, avec Charles Lindberg, le héros de l’Atlantique, il met au point une pompe préfigurant le coeur-poumon artificiel. Ces succès réels l’amènent à penser en philosophe et à proposer à l’humanité une règle de conduite contenue dans son ouvrage paru en anglais en 1935, Man the unknown, traduit en français sous le titre, L’homme, cet inconnu, livre qui obtient un énorme succès et qui lui donne confiance dans ce qu’il a écrit.

 

La descente aux enfers

Dans ce livre, il traite d’eugénisme. Si l’eugénisme est source alors de nombreux débats scientifiques et politiques, il offre alors plusieurs visages. Carrel, lui, opte pour la tendance qui vise à remodeler la société par la sélection. Il cherche à perfectionner la race en n’augmentant pas la durée de vie des déments et des malades incurables, voire à la purger de ses prédateurs en traitant médicalement les criminels les moins dangereux et en euthanasiant par le gaz les criminels endurcis, ce qui serait, selon lui, une façon humaine et économique de traiter ces individus. Dans le discours de Carrel, il faut y voir la responsabilité de sa femme portée vers l’extrême droite, mais aussi sa propre responsabilité, celle de croire que son génie médical lui permet de statuer sur l’homme. De plus, il écrit, sans avoir lu Mein Kampf, au moment où Hitler arrive au pouvoir. Si Carrel n’est pas un nazi, il alimente leur cause. Carrel, le patriote, rentre en France en 1941, après un premier retour après la déclaration de guerre, date à laquelle il adhère au Parti populaire français de Doriot. Lui, qui n’a jamais été vraiment reconnu en France, accepte de présider en tant que « régent  », sans prendre en compte les contingences historiques du moment, un organisme de Vichy, La Fondation française pour l’étude des problèmes humains, futur INED (Institut national d’Etudes démographiques), où il met en place des départements pour étudier la population. Carrel meurt le 5 novembre 1944 à Paris après avoir été inculpé par la Commission d’épuration, dont l’enquête se termine par un quitus.

Il y a bien deux faces chez Carrel, celle du brillant chirurgien, le docteur Carrel, qui fait que Lyon a donné, dans les années 1950, le nom de son fils prodigue à la faculté de médecine et à une rue proche. La mémoire locale reconnaissait alors tardivement le grand chirurgien et oubliait l’autre face, celle de l’eugéniste ! Puis, l’histoire a rattrapé Alexis Carrel. L’opinion n’a plus vu que le médecin ayant défendu des thèses inacceptables sur l’homme. La faculté de médecine a été débaptisée et Carrel a perdu sa rue. Il serait injuste d’oublier son oeuvre technique qui a fait progresser la science médicale. La déchéance de Carrel est celle d’un savant qui a cédé au vertige de penser que la science peut régénérer.

 

Bibliographie :

- Jean-Paul Escande, « Alexis Carrel : la malédiction de l’orgueil  », dans Les Cahiers de Science et Vie, n° 62, avril 2001.