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Défilé de la Biennale : la rencontre d’Aralis et de Zanka

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Qui ne se rappelle de l'ouverture du défilé de la Biennale de 1998 ?

Des cavaliers et amazones colorés ont ouvert le cortège à une étoile de mer, à des gnomes et des petits elfes qui semblaient sortir d'un conte pour enfant, ils étaient suivis par des génies de la pluie et du soleil, des êtres inquiétants tout juste échappés d'une bande dessinée de science-fiction, des personnages hybrides issus d'une union entre un derviche tourneur et une paysanne du 14eème siècle, un toréador espagnol et une berbère, un pèlerin et une boîte de couleurs…

Des êtres anachroniques et sans frontières ont surgit d'un ailleurs de nos rêves pour nous embarquer dans le mouvement de la fête. Qui ne se rappelle de l'intensité qui brillait dans les yeux de ces pourvoyeurs d'imaginaire ?
Date : 17/02/2000

Dans le cadre de notre travail consacré au Défilé de la Biennale de la danse, l’édition de cette ressource a été mise à jour en septembre 2023.

En 1998, la compagnie Zanka et ARALIS nous livrait un rêve fabriqué dans des anciens entrepôts de la SNCF à Oullins, avec des travailleurs migrants retraités, des chômeurs, des personnes handicapées, des femmes seules, etc. L'ordre symbolique de la cité était pour un jour renversé : les exclus, les relégués, ceux qui n'ont plus ou n'ont jamais eu d'existence sociale à part entière, occupaient l'espace du centre-ville et défilaient sous le regard des citadins.

Ce projet est né de la rencontre entre une conviction et une occasion raconte Warda Hissar-Houti (directrice générale d'ARALIS). La conviction, partagée par l'équipe dirigeante de l'association, est que les outils traditionnels de l'intervention sociale doivent être repensés… La prolifération des « valides invalidés par la conjoncture » - pour qui le chômage est devenu un état non plus transitoire mais permanent - a redéfini le sens de l'intervention sociale en déplaçant la frontière entre les « intégrés » et les « marginaux ». On ne peut plus aujourd'hui penser comme si les difficultés étaient uniquement du côté de la marge et de ses incapacités. Il devient urgent dans ce contexte, de faire face à la nécessaire redéfinition du travail social.

À force de vouloir se construire comme un champ à part entière, avec sa propre éthique, ses propres techniques, son corps professionnel, le travail social - mais peut-être en est-il de même pour le secteur culturel ? - finit par être hors du corps social, ignorant du champ économique, frileux quant au culturel, enkysté dans une technicité de plus en plus décalée, tournant en rond à la recherche de sa place et du sens de son action -affirme Warda Hissar-Houti

Depuis une dizaine d'années, l'équipe d'ARALIS, initie sur la base de cette conviction, des projets innovants dans le domaine de l'action culturelle et du « micro-économique ». Il s'agit de remobiliser ces oubliés et ces exclus de la société, en commençant par leur redonner le sentiment d'exister. En sortant de la gestion du handicap, pour travailler sur les capacités et les potentialités. Il s'agit de créer du lien à l’échelle des quartiers et au-delà, « d'élargir les limites de l'action ». Et Warda est persuadée que l'action culturelle a beaucoup à apporter dans ce travail-là. Ces actions sont souvent difficiles à légitimer…

L'action culturelle, ainsi nommée lorsque la production artistique naît de la rencontre hybride entre la culture et le social est une sorte d'objet mutant entre deux eaux. Pas suffisamment " pure" pour appartenir à la culture, l'action culturelle est dans le champ du social, souvent regardée comme un luxe, une cerise sur le gâteau de la misère, un travail à la limite du superficiel et du non vital, les priorités sont ailleurs.

L'opportunité fut la rencontre avec la compagnie Zanka, qui avait un projet esthétique et cherchait une structure d’appui pour le Défilé de la Biennale de la Danse en 1998… ARALIS a fait le pari d'intégrer à cette aventure les personnes qu'ils avaient le plus de mal à mobiliser dans des démarches de soins, de formation, etc. Une équipe de quinze personnes s'est investie pour monter le projet, contractualiser les participants du foyer, trouver des financements…

 

 

Photo défilé La belle zanka

 

Le PLIE a joué un rôle-clef de médiateur en direction de différents partenaires institutionnels : ils ont réussi à mobiliser des subventions de la Direction départementale du Travail, de la Politique de la ville, etc. Avec l'aide de la ville d'Oullins, d'anciens entrepôts SNCF de cette commune ont été transformés en friche culturelle. Il a fallu ensuite organiser la logistique. La banque alimentaire et les Restos du cœur livraient un camion de produits frais chaque matin…

Cent cinquante personnes venant des foyers Aralis, mais aussi de la Condition des Soies, de la CEGIP et d'OREA se sont progressivement répartis entre les différents ateliers. Avec l'aide des quinze artistes mobilisés, ils se sont quotidiennement appliqués à la conception des costumes, du char, des échasses, ont répété la danse et la musique… La table était ouverte et différents curieux, partenaires institutionnels, travailleurs sociaux, amis des uns et des autres passaient chaque jour par la friche.

En deux mois, ils ont servi 2 500 repas. Des chômeurs qui n'arrivaient pas à motiver pour aller au bureau de l'ANPE ont fait chaque jour deux heures de bus pour coudre, clouer, danser, échanger et rêver avec la troupe. Les retraités maghrébins d'ARALIS discutaient au café le matin avec de jeunes filles du centre-ville, qui découvraient les histoires de vie et les conditions d'existence des travailleurs immigrés…

C'est déjà ça, la force et la beauté de ce projet raconte Warda, c'est d'avoir suscité des rencontres qui n'auraient jamais pu se produire, normalement.

Changement de cadre, changement de regards… certains ont commencé à se raser, d'autres à se redresser, à réapprendre à échanger et à rire. Des personnes qui avaient appris à ne plus exister ont retrouvé le sentiment d'être avec d'autres. Les effets de cette aventure ont été très positifs, du point de vue de la santé, du rapport au corps, de la démarche de projet, pour la plupart des participants affirme Warda.

On emprunte un personnage qui permet d'exister socialement, quand les feux de la rampe s'éteignent il n'est pas facile d'organiser une distance entre ce personnage et qui on est vraiment, c'est pourquoi il est très important de travailler l'après, l’encadrement et le suivi des gens… pour essayer de faire en sorte que cette distance qu'on a pris un moment donné avec soi puisse être réinvestie de manière positive, pour reconstruire l'estime de soi.

À la suite de ce projet, ARALIS a souhaité faire une évaluation, pour les personnes des foyers, mais également pour les professionnels engagés. La collaboration entre deux mondes qui ont chacun leur langage, leur méthode et leur finalité n'est pas facile, et génère ici et là des incompréhensions et des conflits. Elle produit également de nouvelles compétences, des savoir-faire pratiques dont il faudrait garder la mémoire pour organiser une réelle transmission. Ces nouvelles méthodes de travail redéfinissent les « postures professionnelles » classiques de l'intervention sociale : la représentation et la relation à l'autre, l'engagement, les cadres et les limites de l’action, etc.

Il serait important de formaliser ces savoir-faire pour créer des métiers du social qui soient adaptés à la réalité et aux missions de ce travail… parce qu'on n'est pas là pour gérer la paix sociale ou organiser des emplâtres sur des jambes de bois, on doit travailler pour inclure, gérer les écarts entre ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors. -conclut la directrice d'ARALIS.