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Vaulx-en-Velin : une banlieue en transformation intégrée à la Communauté urbaine de Lyon

Interview de Maurice CHARRIER

Maurice Charrier
Maire de Vaulx en Velin

<< Vaulx-en-Velin n’est plus une banlieue, c’est une ville du Grand Lyon ! >>.

Interview de Maurice Charrier, Maire de Vaulx-en-Velin de 1985 à 2009 et Vice-Président du Grand Lyon en charge de la politique de la Ville depuis 2004

Dans cette interview, nous revenons avec lui sur les transformations progressives de Vaulx-en-Velin malgré un contexte particulièrement difficile, sur son implication dans la Politique de la Ville depuis le milieu des années 1980 et sur le bilan qu’il en fait.

Nous aborderons également sa collaboration en tant que maire avec la Communauté urbaine, puis sa vision du rôle du Grand Lyon depuis qu’il est vice-président délégué à la Politique de la Ville. Enfin, et plus globalement nous échangerons sur le devenir de la métropole en général et de ces quartiers en particulier.

Date : 10/06/2009

 Né en 1949 à Avignon, (région dont il n’a pas perdu le joli accent chantant), Maurice Charrier, a emménagé à Vaulx-en-Velin au Mas-du-Taureau en janvier 1972 avec tout le plaisir de découvrir le confort. Il était le premier locataire de son immeuble, dans une ZUP en pleine construction.

Après des études d’histoire, il travaille dans un mouvement d’éducation populaire, la FOL (Fédération des Œuvres Laïques). Membre actif du parti communiste (dont il démissionnera en 1994) il est élu conseiller municipal de Vaulx-en-Velin en 1977 (il n’a pas 30 ans), adjoint à l’urbanisme de 1977 à 1983 puis premier adjoint. En 1985, il devient Maire et sera réélu en 1989, en 1995 (où il intégrera un tiers d’habitants sur sa liste « initiatives Citoyennes »), en 2001 et en 2008. Il sera également conseiller général de 1992 à 2004. Il est vice-président du Grand Lyon depuis 1995, délégué à l’urbanisme commercial sous le mandat de Raymond Barre, puis délégué à la Politique de la Ville, et par la suite à l’urbanisme et à l’aménagement des territoires sous le premier mandat de Gérard Collomb, et à nouveau en charge de la Politique de la Ville depuis 2008. Par ailleurs, il est membre actif de la Fondation Agir Contre l’Exclusion (FACE), siège au bureau du Conseil national des villes et au Conseil d’administration de forum réfugiés et est Vice Président de l’INTA (Forum mondial du développement urbain).

Durant plus de trente ans, en tant qu’adjoint puis maire de Vaulx-en-Velin, il va œuvrer pour la requalification et le développement de sa ville qui abrite une majorité de logements sociaux principalement construits dans les années 1960.

Marquée par les évolutions propres aux grands ensembles d’habitats sociaux de banlieue, les émeutes de 1981 puis celles de 1990, la mort de Khaled Kelkal, et enfermée dans une image stigmatisée de zone à éviter, Vaulx-en-Velin symbolisait le malaise des banlieues. C’est à la suite des émeutes de 1990 que François Mitterrand a annoncé la création d’un ministère de la ville et que Fadela Amara a présenté, près de vingt ans plus tard, le nouveau plan espoir banlieue. Cependant, la Ville s’est, et se reconstruit peu à peu depuis plus d’une vingtaine d’années à travers les différents dispositifs de la Politique de la Ville qui se sont succédés sur la base d’un projet urbain ambitieux dont l’objectif était de créer un centre ville dans une ville qui n’en avait pas, de diversifier l’habitat et d’assurer une bonne desserte par les transports en commun. Le projet est urbain mais aussi global. Il vise également à améliorer l’accès à l’éducation, la culture, le sport, la santé ou encore l’emploi. Le centre ville est aujourd’hui créé, les transports en commun en place et les mutations engagées se poursuivent à travers le GPV (Grand Projet de Ville).

Des immeubles sont en construction aux quatre coins de la ville, certains quartiers à l’exemple des Grolières où des Cervelières-Sauveteurs ou encore de la Thibaude ont d‘ores et déjà été requalifiés, et d’autres quartiers comme la Grappinière ou le Mas du taureau sont en cours ou programmés. Mais déjà, Vaulx-en-Velin a changé d’image et connaît une attractivité certaine. Les prix de l’immobilier ont particulièrement augmenté ces dernières années et aujourd’hui, les nouveaux logements se vendent entre 2500 et 3000 euros/m2. Maurice Charrier l’affirme  "Vaulx-en-Velin n’est plus une banlieue, c’est une ville du Grand Lyon !

Lorsque vous devenez conseiller municipal à la fin des années 1970, puis maire en 1985, Vaulx-en-Velin est en pleine expansion démographique. La population composée de 37 866 habitants en 1975 atteindra près de 44 200 personnes en 1990. Après une certaine diminution, elle se stabilisera jusqu’à nos jours autour de 40 000 habitants. Mais Vaulx-en-Velin connaît aussi à cette époque les premières violences urbaines télévisées et les premières opérations de la Politique de la Ville. Quel souvenir gardez-vous de cette période ?

Vaulx-en-Velin est une de ces villes qui se vit dans le grand paradoxe de connaître la grande misère mais aussi, une vie sociale riche et de vraies capacités d’innovation dans de nombreux domaines, y compris économiques

Vaulx-en-Velin est une ville où s’expriment les enjeux majeurs auxquels la société est confrontée et notamment le "vivre ensemble" et la reconnaissance des gens modestes. Vaulx-en-Velin est une de ces villes qui effectivement se vit dans le grand paradoxe de connaître la grande misère mais aussi, une vie sociale riche et de vraies capacités d’innovation dans de nombreux domaines, y compris économiques. En 1985, nous venions de vivre les premières émeutes urbaines qui ont surtout marqué Vénissieux, mais aussi Vaulx-en-Velin et particulièrement la Grappinière. Nous sommes alors entrés dans une dynamique et nous avons engagé les premières opérations à la Grappinière et au Mas du Taureau. Ces grandes opérations de requalification urbaine nous ont conduit, en 1990, à une grande fête au cours de laquelle nous avons notamment inauguré une crèche, une bibliothèque, la tour d’escalade et le centre commercial du mas du Taureau. Les journaux titraient « Vaulx-en-Velin : une ville qui prend son envol », et c’est vrai, nous étions dans cette envolée. Mais huit jours après, nous connaissions probablement l’une des émeutes urbaines les plus importantes de notre pays. Les effets de la crise nous avaient rattrapés. Alors que l’on construisait, elle commençait à détruire. Nous vivons dans une société qui cultive les ségrégations, le mal-être et les souffrances. Ces quartiers, ces villes ne sont pas à l’origine des crises urbaines, mais victimes de la crise sociale.

N’est-ce pas difficile d’être maire dans un tel contexte ? Ne connaît-on pas de grands moments de solitude? À quoi se raccroche t-on ? Qu’est-ce qui guidait votre action ?

Cette capacité de résistance, cette volonté d’agir, nous les avons puisées dans la dynamique des acteurs locaux

Je dois bien l’avouer, ça effectivement été un moment très difficile, un coup très dur. Et je n’oublie pas les deux premières visites que j’ai reçues dans cette fameuse nuit, celles de Michel Noir et d’Henry Chabert, Président et Vice Président de la Communauté urbaine, pour qui aussi l’événement était difficile à vivre. Cependant, ces événements ne nous ont pas ôté l’espoir que nous étions nombreux à partager pour l’avenir de la ville, le devenir de ses habitants. Cette situation nous a conduit, non pas à changer, mais à renforcer notre intervention pour mieux prendre en compte les conséquences de la crise en s’appuyant sur les atouts que possède la ville. Cette capacité de résistance, cette volonté d’agir, nous les avons puisées dans la dynamique des acteurs locaux. Nous avons réuni plusieurs centaines d’acteurs, des enseignants, des animateurs, des responsables associatifs, etc. Avec eux, nous avons organisé des porte-à-porte pour parler, pour que ces événements ne restent pas sans explication et sans lendemain. Nous avons aussi organisé une énorme manifestation avec une seule banderole sur laquelle on pouvait lire "Vaulx-en-Velin : j’y tiens". C’est là, dans cette mobilisation collective que l’on prend ses forces et que l’on puise son énergie pour résister.

Après les émeutes de 1990 provoquées par la mort du jeune motard, Thomas Claudio, tentant de forcer un barrage de police, c’est, le 29 septembre 1995, la mort de Khaled Kelkal, ce jeune bon élève Vaudais devenu délinquant, puis terroriste et enfin ennemi public numéro 1 qui fait la une des journaux télévisés. Quelles ont été les répercussions de cet événement à Vaulx-en-Velin ?

La mort de Khaled Kelkal n’a pas eu les mêmes répercussions que les émeutes de 1990. C’était plus l’individu et le contenu de ses messages qui étaient ciblés dans les reportages et les annonces télévisées que le quartier d’où il venait. Mais pour moi, effectivement, c’était un autre coup dur. Le récit de son parcours dans une interview que le Monde avait reproduit m’a particulièrement troublé. Certes, il y avait dans ces propos de la justification, mais aussi beaucoup de vérités. C’était vraiment et c’est toujours, un témoignage qui interpelle.

Vous êtes devenu maire au moment de la mise en place des premiers dispositifs de la politique de la ville. C’était le temps du DSQ (Développement Social des Quartiers). Comment avez-vous investi cette dynamique ?

À cette époque-là, et à travers le DSQ, nous avons posé une constante dans l’action sur la ville, reprise maintenant sur toute l’agglomération. En effet, nous n’avons jamais dissocié le développement social et culturel du développement urbain. Par exemple, lorsque nous avons conduit une importante opération urbaine à la Grappinère où l’on a démoli partiellement une barre pour ouvrir le quartier et marquer une liaison avec le Village, nous avons dans le même temps construit un centre social et une maison du département. Nous avons toujours été soucieux de cette imbrication. Je crois que c’est un des points positifs de la Politique de la Ville que cette prise de conscience de la nécessité d’agir en faveur des quartiers « sensibles » et des quartiers « insensibles » - en précisant que je préfère souvent les quartiers sensibles – en tenant compte de la richesse des habitants. Certes aujourd’hui il y a deux agences et l’on peut être tenté de dire que l’ACSE s’occupe du "social" et l’ANRU de l’urbain. Mais lors de notre dernière rencontre du CNV, nous avons voulu affirmer le rôle de tutelle des agences à la DIV justement pour garantir cette approche globale. 

Comment la Communauté urbaine de Lyon abordait-elle les problématiques des grands ensembles d’habitats sociaux et comment, en tant que maire, avez-vous travaillé avec elle ?

En 1985, la Communauté urbaine commençait à s’intéresser à ces questions. Et déjà son engagement pour la rénovation de la  Grappinière par exemple était loin d’être neutre, même si évidemment il était loin du niveau où nous sommes aujourd’hui.

Les élus communautaires, dans leur ensemble, étaient-ils réceptifs à l’enjeu de solidarité posé par les situations difficiles de ces banlieues ?

Au début, certains étaient effectivement assez réticents, d’autres moins. Certains avaient des regards biaisés sur les habitants qu’ils considéraient comme des poids lourds pour l’agglomération. Mais déjà en 1985, le mouvement était lancé.

Quels sont les succès dont vous êtes le plus fier ?

Le plus grand succès est une future dont j’ai lancé le mouvement il y a longtemps et qui se réalisera à la fin de l’année, c ‘est l’école de la deuxième chanceMais ce n’est pas le seul, le lycée qui n’a pas été un projet facile, et le planétarium où l’on cultive l’esprit critique, où l’on apprend à douter et à se méfier de l’apparence des choses, sont d’autres objets de fierté. Je crois beaucoup en l’éducation et tout particulièrement dans la culture scientifique et technique. Et puis j’ai aussi un coup de cœur pour "coup de pouce clef", un dispositif de soutien éducatif et scolaire aux petits en difficulté. 

Vous dites fièrement que Vaulx-en-Velin n’est plus une banlieue mais une ville du Grand Lyon. Pour vous qu’est-ce qu’une ville ordinaire du Grand Lyon ?

Il y a trente ans nous étions peut-être au ban du lieu. Les grandes lignes de transport en commun s’arrêtaient au périphérique. Lorsque j’ai été invité à l’inauguration du terminus du T1 à la DOUA, j’ai dit à Jean Claude Gayssot, pourtant un ami, que je n’y participerai pas, que j’attendais que les lignes de TC traversent le périphérique. Aujourd’hui, c’est fait, Vaulx-en-Velin est directement relié au centre de l’agglomération. C’est probablement un des marqueurs forts de reconnaissance des Vaudais. Nous ne sommes plus à l’écart, placés en dehors. Nous sommes une commune qui participe de l’agglomération. Et si Vaulx-en-Velin bénéficie de la proximité de Lyon et de sa dynamique, Lyon a de la chance d’être à côté de communes comme celle de Vaulx-en-Velin qui représente un fort potentiel de développement. Vaulx est une ville de l’agglomération, populaire, fière de l’être, qui le restera et c’est bien. Une ville populaire, c’est une ville d’échanges, une ville interculturelle, une ville qui favorise les réussites. 

La ville est-elle aujourd’hui réellement plus attractive ?

Vaulx-en-Velin est aujourd’hui une ville reconnue dans beaucoup de domaines, au niveau culturel grâce à ses équipements comme le Centre Charly Chaplin, scène régionale ou le Planétarium, et à ces événements à l’exemple de A Vaulx Jazz. Elle rayonne dans le domaine de l’éducation avec deux grandes écoles, l’ENTPE et l’école d’architecture. C’est également une ville qui compte dans l’agglomération sur le plan économique et qui se situe sur un axe majeur de développement entre l’aéroport et le centre d’affaires de la Part Dieu. Enfin, avec la zone de captage des eaux, les eaux bleues et le canal de Jonage, elle représente une vraie richesse sur un plan écologique. À l’évidence, l’image de la ville a changé et elle est effectivement plus attractive.

Qu’elle est la clientèle des programmes de construction de logements sociaux et en accession actuellement en cours ?

 Les nouvelles constructions permettent avant tout aux familles Vaudaises de rester, de poursuivre leur itinéraire résidentiel en accédant à un nouveau logement social ou à la propriété dans leur ville

Il faut regarder les choses avec objectivité. Le SCOT prévoit la construction de 150 000 logements dans les années à venir. Dans cette perspective, on doit avoir le souci sur l’ensemble de l’agglomération, comme à Vaulx-en-Velin, de construire du logement abordable. Nous ne devons pas oublier que 70% des habitants de l’agglomération - et c’est aussi un pourcentage national - ont des revenus qui les placent dans l’accès au logement social. Je pense particulièrement aux jeunes qui sont probablement les plus fragiles et aux personnes âgées. Vaulx-en-Velin a l’image d’une ville jeune et pourtant 33% des logements du quartier du Mas du Taureau sont occupés par une population qui a plus de 65 ans. Et nous sommes confrontés à l’émergence de nouvelles réalités comme les situations de précarité des retraitées divorcées qui n’ont pas travaillé toute leur vie pour élever leurs enfants et qui ont de très faibles ressources. Les nouvelles constructions permettent avant tout aux familles Vaudaises de rester, de poursuivre leur itinéraire résidentiel en accédant à un nouveau logement social ou à la propriété dans leur ville. Je suis particulièrement heureux de cette situation car les familles Vaudaises ont ainsi droit au beau ! Les nouvelles constructions attirent aussi des familles qui n’ont plus les moyens de se loger dans l’hyper centre. Ces nouveaux habitants contribuent à renforcer la mixité sociale. Cependant, même si le renouvellement urbain contribue à améliorer d’une façon extraordinaire le cadre de vie, les réalités sociales restent extraordinairement difficiles. 

Pensez-vous que la mixité sera effective et que des liens vont se créer entre les anciens et les nouveaux habitants ?

la diversité à Vaulx-en-Velin est une réalité et je tiens à ce que l’on respecte le "droit à la différence"

Dans une ville comme la nôtre, l’un des grands enjeux est de contribuer au "vivre ensemble", d’être attentif à comment les anciens et les nouveaux habitants vont effectivement vivre ensemble, comment vont se mêler les habitants de la cité TASE et ceux du Carré de Soie. Pour cela, il est important de partir de l’histoire de la ville qui est avant tout une « ville de nomades » depuis plus de 80 ans. Cette ville du monde a accueilli des victimes du génocide arménien, des Russes blancs, des Italiens qui fuyaient la dictature, des résistants espagnols, des Indochinois, des immigrés d’Amérique Centrale et de l’Europe de l’Est, puis de nouvelles vagues d’immigration espagnole et italienne, puis de nombreux immigrés de l’Afrique du Nord, puis de toute l’Afrique et d’Asie. Et si Vaulx-en-Velin a accueilli toutes ces populations qui ont dû fuir leur pays, elle abrite aussi des ménages issus des régions rurales de France, d’Ardèche, de la Drôme, de la Loire et de la Haute-Loire et même des Occitans comme moi. De fait, la diversité à Vaulx-en-Velin est une réalité et je tiens à ce que l’on respecte le "droit à la différence" puisque nous avons cette immense chance d’être tous différents. Mais il me semble fondamental de cultiver le « droit à la ressemblance » en même temps. Il nous faut identifier et souligner les valeurs et les espoirs que nous avons en commun pour pouvoir partager un destin. C’est pourquoi je suis par exemple particulièrement mobilisé dans la lutte en faveur des sans papier ou pour développer d’importantes opérations de coopération avec la Palestine et le Nicaragua. Il n’y a pas ou très peu de Nicaraguayens à Vaulx, mais nous sommes quand même tous concernés par la solidarité internationale et les coopérations. C’est une des valeurs communes qu’il est important de porter et qui nous unit.

Concrètement, comment peut-on fédérer l’ensemble des habitants dans une communauté de destin ?

Il faut tirer vers le haut, viser l’excellence, et ce dans tous les domaines. Dans celui de l’urbain, il faut construire du beau. Nous avons été très sensibles dans le début des années 1990 quand le Grand Lyon a décidé de doter les villes de banlieue du même mobilier urbain que le centre de la ville de Lyon. Dans le domaine de la culture, il convient de rendre l’excellence accessible à tous. Dans celui de l’éducation, il faut favoriser l’innovation pédagogique. Je regrette vivement que ce soit si difficile avec l’Éducation Nationale. Cette institution est foutue, elle ne tient encore que par l’engagement de ses enseignants. Le choix de la culture scientifique et technique que nous avons fait à Vaulx-en-Velin n’est pas neutre. Des opérations de qualité comme festi’ciel ou la fête des sciences permettent de transcender toutes les cultures et de partager des connaissances. C’est dans le cadre d’une excellence accessible que les habitants se sentiront bien ensemble.

Dans une période de crise financière, économique et sociale, cet objectif peut se révéler difficile à tenir. Si au contraire les réalités sociales se dégradaient encore, n’y aurait-il pas à nouveau un risque d’émeutes urbaines ?

En novembre 2005, lors des émeutes urbaines de Clichy puis de diverses autres villes, l’agglomération lyonnaise n’a pas connu d’importants embrasements. Les journalistes cherchaient à comprendre pourquoi et voulaient m’interroger sur le succès de Vaulx-en-Velin, je les ai fuis. Nous ne sommes jamais à l’abri de tels événements. Si nous avions connu le même drame qu’à Clichy, nous aurions très certainement connu les mêmes émeutes. Il faut rester modeste et mobilisé.

Dans un contexte social qui se dégraderait n’y aurait-il pas non plus de risques de replis communautaires ou religieux ?

C’est bien pourquoi je suis particulièrement attaché à cet enjeu du "vivre ensemble", un enjeu majeur, fondamental. Favoriser la rencontre, l’échange, le partage, le métissage est un combat de chaque instant. À Vaulx-en-Velin, on vit dans cette richesse du lien social qui caractérise les villes populaires, mais aussi avec l’émergence de dangers et de replis religieux, et pas seulement musulmans, conséquences de la crise sociale.

La France aurait-elle raté sa politique d’intégration ?

Je pense qu’il s’agit moins d’un problème d’intégration que d’un problème d’insertion. Notre modèle d’intégration est probablement victime de la crise. En leur temps, les Italiens ou les Espagnols n’ont pas connu non plus de conditions d’accueil faciles et sympathiques. Leur situation était loin d’être idyllique. Cependant on n’était pas dans des contextes de crise aussi tendus qu’aujourd’hui. Je ne me retrouve absolument pas dans le modèle d’intégration anglo-saxon. Si je respecte les différences, je cultive avant tout les ressemblances. 

Depuis le milieu des années 1980, la politique de la ville a connu de grandes évolutions en passant du DSQ au DSU, des projets de quartier aux contrats de ville d’agglomération, des grands projets urbains aux grands projets de ville, etc. quel bilan en faites-vous ?

La Politique de la Ville a même servi à créer une nouvelle gouvernance, un nouveau type de relation entre les communes et le Grand Lyon

On bénéficie d’une très grande expérience dans l’agglomération en matière de Politique de la Ville. Émergent dans les années 1980, le mouvement a été réellement créé avec Michel Noir, poursuivi avec Raymond Barre et amplifié avec Gérard Collomb. Ceci explique pourquoi elle sert de référence au niveau national. La Politique de la Ville a même servi à créer une nouvelle gouvernance, un nouveau type de relation entre les communes et le Grand Lyon. Je compare ces relations à un couple de force en physique qui, sous certaines  conditions, donne le mouvement. En effet, pour que ce schéma fonctionne, les forces doivent être équilibrées sinon l’axe s’use et le mouvement finit par s’interrompre !La Politique de la Ville a permis également d’établir une relation entre démocratie représentative et démocratie participative.En deux mots, la Politique de la Ville a fortement fait évoluer la gouvernance territoriale et la démocratie locale.

Comment en tant que Vice Président délégué à la Politique de la ville, abordez-vous la problématique des grands ensembles d’habitats sociaux ?

La politique de la Ville est une priorité clairement exprimée, une lutte voulue et décidée contre les ségrégations. Un quart des territoires de l’agglomération est concerné. Le Grand Lyon a engagé de vastes opérations à travers les GPV (Grands projets de ville) et les ORU (Opérations de renouvellement urbain) et touche également soixante autres quartiers. Cet engagement représente un investissement financier et humain particulièrement important.

Comment qualifieriez-vous les débats au sein de l’assemblée communautaire à l’heure actuelle ? Percevez-vous réellement une recherche de l’intérêt communautaire ?

La Politique de la Ville est aujourd’hui reconnue de tous. C’est une politique qui fait consensus. Les grands dossiers sont approuvés unanimement par les élus communautaires. Quand nous avons eu des problèmes avec l’Etat qui voulait réduire ses financements, au-delà des appartenances politiques de chacun, l’ensemble des maires concernés de l’agglomération s’est mobilisé pour critiquer cette décision et affirmer une position commune. De plus, le Grand Lyon est sollicité par les communes pour animer des réflexions sur des thèmes qui dépassent les compétences ordinaires du Grand Lyon comme la lutte contre les discriminations ou l’éducation.

Selon vous, le Plan Local de l’Habitat s’inscrit-il vraiment dans une volonté de promouvoir un rééquilibrage du logement social entre les communes de l’agglomération ?

Les politiques de l’Habitat et de la Ville ont été regroupées en une seule direction et c’est une bonne chose. De plus, j’ai tellement partagé de grands moments avec Olivier Brachet que notre partenariat n’en est que plus efficace. Bien sûr, il demeure des marges de progrès et nous devrions notamment plus nous soucier de rendre le logement abordable et de construire de grands logements. Mais il y a une vraie cohérence entre les politiques de la ville, de l’habitat et même des déplacements.

Les Grands Projets de Ville sont-ils enfin les meilleurs dispositifs de la politique de la Ville ?

Au travers des GPV, la Politique de la Ville a pris toute sa dimension y compris celle d’interpeller

Les GPV, comme les GPU, sont effectivement de bons outils. Il y a deux excellents ministres de la Ville, Claude Bartolone et Jean Louis Borloo, ils sont venus à Vaulx-en-Velin, d’ailleurs tous les ministres de la Ville sont venus à l’exception de Bernard Tapie dont j’ai refusé la visite. L’intérêt de la politique soutenue par ces ministres et qui se concrétise à travers les GPV réside dans l’approche globale du territoire qui est préconisée. Un GPV est un projet intégré qui joue sur l’équilibre entre les enjeux d’agglomération et ceux de proximité et qui conjugue les interventions en matière d’habitat, de transport en commun, de désenclavement, d’économie et en même temps ce qui relève des politiques sociales, de l’emploi et de l’insertion. Au travers des GPV, la Politique de la Ville a pris toute sa dimension y compris celle d’interpeller. Les enjeux de la Politique de la Ville devraient en effet être mieux entendus par le gouvernement et par les différents ministères de droit commun. Il est en effet regrettable que la Politique de la Ville ne soit pas mieux placée dans l’architecture gouvernementale. Nous ne vivons pas une crise conjoncturelle, mais durable. La Politique de la Ville ne se limite donc pas dans le temps comme on aurait pu le penser et l’espérer à une époque. Elle permet d’établir des diagnostics partagés, de définir des objectifs et les moyens à mettre en œuvre ainsi que les processus d’évaluation et la méthode est intéressante. Mais nous devrons plus et mieux associer le droit commun dans l’élaboration des prochains CUCS(Contrat Urbain de Cohésion Sociale). On a trop tendance à se heurter par exemple avec l’Education Nationale à des orientations contradictoires lorsque d’un côté on soutient des actions d’aide comme Coup de pouce et que de l’autre on supprime les RASED (Réseaux d'Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté). Les GPV sont de bons outils, mais il demeure d’importantes marges de progression pour que demain, la Politique de la Ville soit encore plus efficace, à la réelle hauteur des enjeux.

Quelle est votre vision de la métropole et de ces quartiers en particulier dans quarante ans ?

La ville n’est pas un corps neutre, elle traduit l’état de la société. Les contextes changent. Ce que l’on peut faire aujourd’hui sera peut-être à détruire, ou au moins à adapter, demain. Cependant, on peut vouloir affirmer des choses dans la durée, dépasser les slogans sur la ville agréable à vivre pour tous et vouloir que la ville assure avant tout l’exercice des droits. Cette notion est  pour moi tout à fait fondamentale, le droit à la connaissance, au logement, à la culture, à la santé, au travail, doit être respecté comme il faudra aussi faire les choix qui s’imposent pour la planète. Nous devons notamment poursuivre nos réflexions sur densité et formes urbaines.

A votre avis, le Grand Lyon a-t-il vocation à grandir encore dans les années qui viennent ?

À l’évidence, la Communauté urbaine doit continuer à s’ouvrir sur son espace rural et sur des villes comme Saint Etienne ou Grenoble, mais aussi comme Mâcon. Chaque jour, deux mille Mâconnais viennent travailler à Lyon. Elle doit également s’ouvrir plus sur l’Europe et sur le Monde. Nous devons progresser à la fois sur la notion de territoire élargi avec l’intégration de nouvelles communes et sur celle de territoires associés qu’ils soient à proximité ou plus lointains. En ce sens la réflexion engagée par Gérard Collomb est particulièrement intéressante. Et le travail sur le SCOT sur le périmètre SEPAL (Syndicat d’Etude et de Programmation de Lyon) un très bon exemple.

Le Grand Lyon doit-il se doter de nouvelles compétences ?

Je suis tout à fait favorable à ce que le Grand Lyon ait une compétence générale à l’échelle de l’agglomération. Par exemple, les grands équipements et événements culturels et sportifs devraient relever de compétences communautaires. Ce renfort de compétences à l’échelle de l’agglomération, ne signifie pas pour autant un effacement du fait communal. Ce dernier est à mes yeux loin d’être obsolète. Il ne faut donc pas se priver de réflexion sur le comment on peut conjuguer agglomération et commune. Par ailleurs, et au-delà de la répartition des compétences, il nous faut définir ce qui nous rassemble. Et dans cet objectif, il me semble essentiel d’affirmer l’image de l’agglomération lyonnaise en s’appuyant sur son histoire marquée par les grands courants humanistes, religieux ou laïques. C’est pour moi un facteur constitutif d’un destin commun et la Politique de la Ville peut jouer un rôle dans ce sens.

Comment percevez-vous l’évolution du mode de gouvernance de la Communauté urbaine ?

L’agglomération ne doit pas s’octroyer les enjeux stratégiques et laisser aux communes la gestion des bordures de trottoirs ! Les enjeux d’agglomération intéressent aussi les communes. Je reviens à la notion en physique de couple de forces qui permet le mouvement quand les forces sont équilibrées. La Communauté urbaine a progressé car son fonctionnement est avant tout une histoire de communes et non pas de rapports politiques, de positionnement de partis. Elle a de fait plus fonctionné comme un syndicat de communes. Je suis un fervent défenseur de la démocratie et pourtant je pense que pour l’avenir, il est souhaitable de garder un tel fonctionnement, même s’il doit se conjuguer avec une forme de suffrage universel. En effet, nous pouvons peut-être envisager un système mixte avec une élection au suffrage universel sur une liste d’agglomération à la proportionnelle et un collège de représentants des maires. Un tel schéma nous permettrait à la fois de respecter la démocratie représentative et de préserver nos acquis : que Dieu nous préserve de religieux tenant de « vérités absolues » et que la politique nous préserve de  responsables politiques trop sûrs d’eux !