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Témoignage sur l'accessibilité dans la ville et sur la citoyenneté des personnes handicapées.

Interview de Louis , La Source de l'Arche à Lyon

Logo de la communauté de l'Arche
© L'Arche

<< Sans le travail, je ne serais pas là. C’est très important de pouvoir travailler. Je suis un citoyen à part entière >>.

Monographie réalisée dans le cadre de la réflexion conduite par la Direction de la Prospective et du Débat Public (DPDP) sur le thème « Ville et Handicap ».

Dans cet entretien, Louis présente son quotidien entre sa vie au sein de la communauté de l’Arche, son travail à l’ESAT et ses loisirs.

Il expose également son point de vue sur l’accessibilité dans la ville et sur la citoyenneté des personnes handicapées. 

Réalisée par :

Date : 31/05/2011

Louis est un jeune de 26 ans qui vit au foyer La Source de l’Arche à Lyon. Né avec une maladie génétique et de sérieux problèmes de vision, il subit un traumatisme crânien et perd la vue et l’odorat lorsqu’il se fait renverser par une voiture à l’âge de 9 ans. Louis est d’un caractère très sociable, curieux, volontaire et qui déborde d’envie de faire des choses, et notamment de jouer de l’orgue. Outre sa cécité, son handicap se traduit par des difficultés de mémoire et de logique, des absences et une certaine impulsivité. Il ne peut pas vivre seul et a besoin d’un cadre de vie protégé. Louis travaille dans un  ESAT (établissement et service d'aide par le travail) comme conditionneur et se déplace seul dans la ville ou pour aller voir ses parents en train à 50 km de Lyon.

Docteur en philosophie et enseignant à l'Université de Toronto qui, éclairé par les conseils d'un dominicain, le Père Thomas Philippe, a voulu partager la vie simple des personnes handicapées mentales convaincu de leur besoin d’avoir à leur côté et dans la durée, des personnes qui s'engagent dans un esprit, non de gain financier mais, de gratuité et d'amour. En 1964, il accueille deux personnes handicapées dans une maison récemment acquise à Trosly, près de Compiègne, puis dès 1969, des assistants ayant vécu à Trosly fondent d'autres communautés, en France, au Canada, en Inde, en Afrique. Aujourd'hui, l'Arche compte 25 communautés en France, 118 dans le monde, plus de 400 foyers, et poursuit son expansion. Depuis 1990, l'Arche est présente à Lyon et gère un établissement social composé de trois foyers de vie, d’un foyer appartement, et d’un centre d'activités de jour.

D’obédience catholique, l’Arche se veut ouverte à l’œcuménisme et à l’interreligieux et travaille en partenariat avec les administrations compétentes dans son secteur d'activités (particulièrement les services du Conseil Général du Rhône), les associations qui ont un objet social voisin, et elle accueille des personnes handicapées mentales grâce au « collectif Handicap 69 », à l'URIOPS et au CREAI dont elle est adhérente. L’Arche fonctionne grâce à des professionnels assistants, mais aussi avec des stagiaires volontaires qui s’engagent pour une ou deux années dans la communauté et des bénévoles qui interviennent plus ponctuellement.

En intégrant l’Arche, les personnes handicapées mentales sont appelées à passer du statut de personnes accueillies suivant des critères administratifs et des critères d'adaptation après divers stages et un mois minimum d'essai, à celui de membres à part entière de la communauté. Ce passage implique la prise de conscience progressive d'un "chez-soi" et des liens de fraternité qui les unissent aux autres membres de l'Arche, pour aboutir, avec confiance, à un "chez nous" choisi et assumé. Cet état d’esprit est fondamental et donne tout le sens et la profondeur de la vie en communauté qui caractérise l’Arche.

 

 

Depuis combien de temps vivez-vous au foyer de l’Arche à Lyon ?

J’ai intégré l’Arche à Lyon en mars 2008 et le foyer La Source qui accueille des personnes semi autonomes ou en projet d'autonomie, depuis un an. Avant, j’étais pensionnaire à l’ESAT durant cinq années après avoir été pensionnaire à l’école rue de France à Villeurbanne. Et lorsque j’étais petit, jusqu’à l’âge de six ans et demi, je vivais chez mes parents et allais à l’école maternelle de Pélussin dans la Loire, où habitent encore mes parents.

 

Vous arrive-t-il de retourner chez vos parents ?

Je rentre deux fois par mois voir mes parents. Lorsqu’il y a des fêtes, mes sœurs sont également là. J’ai cinq sœurs qui sont éparpillées dans toute la France, à Paris, Grenoble, Bordeaux et une qui viendra à Lyon l’an prochain après son baccalauréat. Quand je vais à Pelussin qui est à cinquante kilomètres au sud de Lyon, je prends le train à la gare de Perrache ou de la Part-Dieu et descends à la gare du Péage de Roussillon. Je préfère la gare de la Part Dieu car elle est plus facile d’accès. Il y a moins de marches qu’à Perrache. Dès que j’arrive à la gare, je me rends au bureau d’accueil où je trouve toujours quelqu’un qui va m’accompagner jusqu’au quai. Je ne vois que les ombres et des lumières suite à un accident. Je me suis fait renverser par une voiture lorsque j’avais neuf ans et j’ai perdu la vue, l’odorat et de la mémoire.

 

A quoi vous contraint votre handicap ?
 
A l’intérieur du foyer, je me débrouille facilement pour me déplacer ou ranger ma chambre. Mais seul, je ne peux pas faire la cuisine car je ne vois pas quand il faut arrêter de verser et je ne sens pas si la casserole brûle. Je ne peux pas non plus par exemple faire du vélo. Par ailleurs, je n’aime pas bien faire les courses seul car j’ai peur d’oublier la moitié des choses à acheter. Cependant, lorsqu’il m’arrive d’y aller, je demande à l’accueil quelqu’un pour m’aider. Je connais d’autres personnes aveugles de naissance. Je pense que c’est plus dur pour celui qui a connu les couleurs. Je me suis rendu compte que j’étais aveugle parce que je me repérais au son. Par exemple, les bruits ne sont pas les mêmes lorsque l’on est à l’intérieur ou à l’extérieur.

 

Pourtant vous faites beaucoup de choses, vous êtes très volontaire ?

C’est vrai que j’aime faire différentes choses. Lorsque je rentre chez mes parents, je fais du cannage. J’ai appris à en faire à l’école lorsque j’étais plus jeune et j’aime bien ce travail. Je joue de l’orgue, c’est une passion pour moi. J’en joue depuis six ans et je prends des cours avec le conservatoire. J’aime également faire du sport pour m’entretenir. Je fais du tandem et à la rentrée, je vais refaire de l’aviron. Pour les vacances de cet été, je vais partir une semaine avec mes parents en Normandie, puis dix jours à Madrid avec l’Arche. Je vais également aller à Montbrison dans la Loire pour un stage d’orgue à l’occasion de rencontres nationales de musique. Les autres personnes qui sont avec moi à l’ESAT font moins de choses, ils restent devant la télévision toute la journée et vraiment, je ne trouve pas ça très intéressant. Moi, j’aime bouger !

 

Vous lisez ?

J’ai appris le braille à l’école, mais aujourd’hui je ne lis plus. Avant, je lisais beaucoup mais maintenant je n’arrive plus à comprendre ou à raconter ce que je lis. Et pourtant, on m’a offert des livres. Je préfère écouter la radio, surtout les informations sur le football. J’écoute Nostalgie, Europe 1, RMC, toutes les radios sauf Sky Rock car je n’aime pas la musique qu’écoutent les jeunes : le rap ou la techno. Je suis plutôt classique.

 

 

Présentation du dispositif d’aides et d’accompagnement

 

Bénéficiez-vous d’aides et qui vous a aidé à les obtenir ?

Je bénéficie de l’allocation adulte handicapé et de l’allocation logement. Lorsque j’additionne ces aides et mon salaire je peux financer tout ce dont j’ai besoin et notamment le foyer, et il me reste 200 euros pour mes petits achats. Je suis autonome et ne pèse pas sur le budget de mes parents. Je me sens suffisamment aidé. Ce sont les personnes des foyers en charge des affaires administratives qui s’occupent des démarches. Par ailleurs, j’ai eu des problèmes financiers car j’avais acheté un orgue à 5000 euros. Aussi, j’ai demandé à être sous curatelle et mon tuteur s’occupe de tout : il place l’argent et moi, je dépense au gré de mes besoins !

 

Quand vous étiez mineur, l’un ou l’autre de vos parents a-t-il bénéficié de l’allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), de congés de présence parentale ou de soutien familial ?

Mes parents sont médecins. Ils ont fait beaucoup pour moi et je ne pense pas qu’ils aient demandé des aides. Les médecins, comme toutes les professions libérales, n’ont pas le même fonctionnement que nous, notamment pour les congés qui, pour eux, sont sans solde. Ils sont encore très présents à mes côtés et je leur téléphone très régulièrement.

 

Comment caractérisez-vous l’accompagnement et l’aide de l’Arche ?

 Pour moi, l’Arche est avant tout une école où j’apprends beaucoup. J’apprends à vivre en communauté même si j’avais déjà commencé ailleurs avant. J’apprends surtout à faire des choses par moi-même, le ménage, la cuisine, la lessive, toutes ces taches du quotidien. On est bien mieux accueillis à l’Arche qu’au foyer de l’ESAT. Ici, il y a plus d’écoute et d’aide. Quand je demande quelque chose, j’ai toujours des réponses.

 

Avez-vous des projets ?

 Mon objectif est de partir un jour de l’Arche pour habiter seul ou pour entrer au séminaire et devenir prêtre. Je suis catholique pratiquant et mon but est d’aider les plus pauvres. J’essaie déjà d’aider les autres par la musique. Je joue dans des églises ou à la chapelle pour leur apporter un peu de prière. L’esprit Saint me pousse à avoir la foi et la volonté d’aller de l’avant et d’aider les autres.

 

 

Handicap et travail

 

Est-ce important pour vous de travailler ?

 Sans le travail, je ne serai pas là. C’est très important de pouvoir travailler. Cependant, je n’aime pas ce que je fais. Je fais ce travail depuis huit ans, et je me sens obligé de le faire. Je voudrais travailler ailleurs, faire du cannage ou de la plomberie car ce sont des métiers plus manuels. Et surtout, j’aime quand il y a beaucoup de travail car je déteste rester sans rien faire. Or, à l’ESAT, il y a des semaines entières où l’on reste sans travail.

 

 Souhaiteriez-vous travailler dans une entreprise ordinaire, pas seulement réservée aux personnes handicapées ?

 Je n’ai pas spécialement envie de travailler dans une entreprise. Ce que je souhaite, c’est surtout d’avoir toujours du travail.

 

 

Accessibilité dans la ville

 

Les villes, notamment sous l’impulsion de la loi de 2005, mettent en œuvre différents dispositifs pour rendre la ville plus accessible. Comment percevez-vous ces évolutions ?

 Il ya des réelles avancées, notamment les feux tricolores parlants. C’est une très bonne chose, sauf qu’en ce moment je ne peux plus me servir du bip que m’a donné la mairie et qui déclenche les feux car la pile ne fonctionne plus. La synthèse vocale dans les bus est aussi un autre beau progrès comme le sont également les traces au sol le long des quais de gare ou au niveau des passages traversant des rues. Dans les rues, je me repère aux bateaux qui signifient qu’il y a généralement un passage pour les piétons. Je n’ai jamais peur de traverser. Ce qui me gêne aux alentours de la gare de la Part Dieu, ce sont les poteaux de la place Charles Béraudier et surtout les nombreuses voies de bus qui sont difficiles à traverser.

Pour aller de la gare au centre commercial, je préfère passer dessous, comme si j’allais prendre le métro, sauf que j’ai toujours un problème pour trouver les escaliers qui conduisent du rez-de-chaussée au premier étage. Et dans le centre commercial, c’est tout simplement l’horreur, je n’ai plus aucun repère. Il n’y a pas de trottoirs pour me guider et les éclairages troublent complètement mes habitudes. De plus, les gens sont pressés et il y a beaucoup de bruits. Pour aller tous les jours à l’ESAT, j’arrive à me déplacer avec ma vue qui distingue les ombres et les lumières, et parfois je marche vite comme si je n’avais pas de canne. Cependant, quand il y a des travaux ou des grèves des transports en commun tout devient plus compliqué. Alors je demande aux gens de m’aider. Et, les gens sont contents d’aider un non-voyant, ils font quelque chose de bien, je leur apporte quelque chose.

 

 

Opinion et ressenti sur la place des personnes handicapées dans la société

 

Pour vous, quels sont les apports les plus marquants de la loi de février 2005 ?

Je l’ai lu en braille, mais je n’y comprends pas grand chose. C’est un peu comme si je lisais le dictionnaire. Il faut avouer que ça ne m’intéresse pas plus que ça.

 

Vous sentez-vous discriminé ?

Non, je ne me sens pas du tout discriminé.

 

 Vous sentez-vous un citoyen à part entière et reconnu comme tel ?

Je suis un citoyen à part entière. Je fais les devoirs qu’il faut : je travaille, je vote et je respecte les autres. Quand il y a des élections, je discute des différents candidats avant au foyer. Lors des cantonales, les dernières élections, j’avais préparé avant au foyer mon bulletin pour ne pas me tromper une fois dans l’isoloir. Pour les élections européennes ou présidentielles, j’en parle également avec mes parents, mais pas pour les cantonales car ils n’habitent pas le même canton que moi. C’est important d’aller voter.